Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche dans l'octave de l'Epiphanie

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche dans l'octave de l'Epiphanie

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SECOND SERMON POUR LE DIMANCHE DANS L'OCTAVE DE L'ÉPIPHANIE.


Ecce pater tuus et ego dolentes quærebamus te.
Voilà que votre père et moi vous cherchions, remplis de douleur.
Luc, II, 48.



MES TRÈS-CHERS FRÈRES,

Une distance infinie sépare, vous le savez, le Créateur de ses créatures. Mais ce qui me frappe aujourd'hui, c'est, d'une part, l'immutabilité de Dieu au sein de l'éternité ; de l'autre, les changements sans nombre que subissent tous les êtres créés ; changements d'autant plus fréquents, que leur nature les éloigne davantage de l'image de leur auteur. Les lois qui régissent les corps célestes ont quelque analogie avec cette loi de la création. Les révolutions de ces corps sont de deux sortes : l'une consiste dans le mouvement qu'ils exécutent sur eux-mêmes ; l'autre dans celui qu'ils exécutent autour du soleil. Plus ils sont éloignés du soleil, et plus la première de ces révolutions est lente, plus l'espace parcouru est considérable. Le soleil au contraire n'a pas de révolution sensible : il est le centre immobile autour duquel les astres gravitent. Il en est de même du Créateur considéré dans ses rapports avec les créatures. Autour de son éternelle immutabilité, comme autour d'un centre, ces dernières accomplissent leurs révolutions, leurs changements, qui sont d'autant plus restreints, qu’ils s'accomplissent plus près de leur centre divin. Aussi, considérez cette misérable terre ; elle est le théâtre de changements, de variations continuelles. Il serait impossible d'énumérer les variations des saisons et de l'atmosphère dont nous sommes les témoins.

L'homme lui-même, que de changements ne subit-il pas dans son âme et dans son corps ! Et Job avait raison de conclure le dénombrement de ses misères par celle-ci : « Qu'il ne demeurait jamais dans le même état. » Job, XIV, 2. Pour ne parler que des changements dont l'âge est le principe, considérez aujourd'hui les traits d'un homme; dans quinze ans d'ici, vous aurez de la peine à le reconnaître. Il serait inutile de rappeler les maladies, les chagrins, les afflictions, les soucis, les sentiments de toute espèce par lesquels nous passons. Dans la vie, la tristesse se trouve toujours mêlée à la joie, le deuil succède ordinairement au bonheur, et la fin d'une épreuve est le commencement d'une autre.
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Cela étant, mes frères, n'est-ce pas une folie de placer dans cette vie caduque et passagère son espérance, son amour, sa félicité ? Est-ce qu'elle n'est pas plus rapide que les eaux d'un torrent, plus capricieuse et plus orageuse que les eaux de la mer, plus instable que les feuilles d'un arbre agité par le vent ? N'est-ce pas une folie plus grande encore de sacrifier à ces biens futiles et vains, de mettre après eux les biens immuables que nous promet la libéralité divine ? Qu'adviendra-t-il de ces insensés, sinon qu'ils périront avec l'objet de leurs rêves et de leurs illusions, et qu'ils seront enveloppés dans sa ruine ?

Mais où tendent ces considérations, me demanderez-vous ? A vous faire comprendre que le cœur de la bienheureuse Vierge Marie n'a pas non plus été exempt de toute vicissitude. Vous l'avez vu ce cœur, dans les fêtes que nous venons de célébrer ; ravi de joie, transporté d'allégresse : soit qu'elle conçoive dans ses chastes entrailles, à la parole de l'ange, le Fils de Dieu fait homme; soit qu'elle visite sa cousine Elisabeth, et qu'elle excite les tressaillements de l'enfant renfermé dans le sein de cette sainte femme; soit qu'elle mette au monde son premier-né sans douleur et sans aucune atteinte à son intégrité ; soit qu'elle entende les chants joyeux des anges, qu'elle contemple les bergers adorant son divin Fils, et les mages lui offrant leurs présents, elle n'éprouve qu'un seul sentiment, celui du bonheur. Maintenant, ô bienheureuse Vierge, il est temps que vous fassiez l'expérience des misères dont la vie humaine est tissue. Ce n'est pas, à proprement parler, une vie véritable, que la vie d'ici-bas ; c'est plutôt un exil, un océan plein d'écueils et de tempêtes, une vallée de malheurs, de chagrins et de larmes, où rien n'est serein, rien n'est solide, rien n'est durable ; où le ciel ne conserve jamais longtemps le même aspect ; où les tourmentes, les ouragans se déchaînent sans cesse contre les infortunés mortels ; où l'atmosphère change d'état depuis le matin jusqu'au soir ; où la fin n'est jamais telle que le présageait le commencement; où le Maître et le Créateur de cet univers ne fait briller un instant à nos yeux sa lumière, que pour nous la retirer aussitôt et éprouver notre fidélité. Aussi, ces joies de la naissance du Sauveur s'évanouissent bientôt. Quarante jours après, le vieillard Siméon annonce à Marie la passion de son Fils et le glaive qui percera son propre cour. Luc, II, 35. Hérode cherche l'enfant pour le frapper, et tâche de l'envelopper dans un vaste carnage. Matth. 11, 13. La jeune Vierge est contrainte de fuir par une nuit obscure, de résider sept années dans un pays d'idolâtres dont les erreurs et les abominations étaient pour son âme un sujet d'incessante torture.

Au retour de cet exil, elle abandonne la Judée, dans la crainte qu'Archélaüs n'ait hérité de l'impiété de son père, et elle se retire en Galilée. Enfin, aujourd'hui elle perd son enfant, et elle ne le retrouve qu'après trois jours d'horribles anxiétés, d'indicibles tourments dont ses paroles trahissent le secret : « Voilà que votre père et moi vous cherchions, navrés de douleur. » Ecce pater tuus et ego dolentes quærebamus te.

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PREMIER POINT.

C'est dans les termes suivants que l'Evangile raconte l'occasion de ce martyre du cœur de la sainte Vierge : « Lorsque Jésus avait douze ans, ses parents étant montés à Jérusalem selon la coutume du jour de Pâques, comme ils s'en revenaient après y avoir passé les jours de cette solennité, l'enfant Jésus demeura à Jérusalem, et ses parents ne s'en aperçurent pas. Et croyant qu'il était avec leurs compagnons, ils cheminèrent une journée, et ils le cherchaient parmi leurs proches et leurs amis ; et ne l'ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher. » Que Jésus ne soit pas retrouvé parmi ses proches, rien d'étonnant, parce qu'il se dérobe quelquefois à eux. « Sors de la terre que tu habites, de la maison de ton père et de tes proches, » est-il dit à Abraham, lorsque Dieu lui révèle les moyens de le trouver. Gen. XII, 1. Il tient un semblable langage à l'âme qu'il prend pour épouse : « Ecoute, ma fille, et considère, et incline ton oreille : oublie ton peuple et la maison paternelle : » Audi, filia, et vide, et inclina aurem tuam, et obliviscere populum tuum et domum patris tui. Ps. XLIV, 11.

Les parents et les proches aiment leurs enfants, et les enfants leurs parents, en tant qu'ils leur sont unis par les liens de la chair et du sang. De là cette éducation molle, délicate et préjudiciable à la vie de la grâce qu'ils leur donnent, ne remarquant pas qu'agir ainsi c'est susciter à l'Esprit de Dieu un redoutable adversaire ; car il est écrit : « Celui qui traite son serviteur dès son enfance avec toute espèce de ménagements, finira par le trouver rebelle. » Prov. XXIX, 21. C'est pour cette raison qu'on nous conseille de nous défier de l'amour de nos proches, sans parler des soucis, des inquiétudes, des affaires que nous suscitent ces affections réciproques. En effet, l'amour, quand il est partagé, rend toutes choses communes, le bien et le mal, la prospérité et l'adversité. « Or, d'après l’Apôtre, aucun de ceux qui combattent sous l'étendard du Seigneur, ne doit se mêler des affaires du siècle, s'il veut être agréable à celui qu'il a choisi pour maître. » II Tim. II, 4. « Laissez les morts ensevelir les morts, » Matth. VIII, 22, disait le Sauveur à ce jeune homme de l'Evangile qui lui demandait, avant de se ranger à sa suite, le temps de rendre les derniers devoirs à son vieux père. C'était prêcher clairement le détachement des parents, et le danger de trop accorder à cet ordre d'affections, lorsqu'on se destine à vivre selon l'Evangile. Aussi ne verrez-vous jamais Jésus-Christ rechercher et fréquenter ses proches, joignant de cette façon la leçon et l'exemple.

Joseph et Marie reviennent donc à Jérusalem, qu'ils parcourent dans tous les sens, en indiquant les marques auxquelles on pourrait reconnaître leur enfant. Leurs recherches durèrent trois jours, pendant lesquels le tendre cœur de la sainte Vierge subit les plus affreux déchirements. Assurément elle n'avait pas mérité cette épreuve par ses fautes, elle qui n'avait pas une seule imperfection à se reprocher ; ses souffrances n'étaient pas non plus nécessaires à la rédemption des hommes, puisque Notre-Seigneur devait seul l'accomplir. Mais Dieu le permit, et pour augmenter les mérites de sa mère, et pour adoucir nos propres souffrances. Comme l'exemple des souffrances et des peines de Jésus, l'exemple des souffrances et des peines de Marie nous soutient et nous console dans nos épreuves. La pensée qui tourmente quelquefois les hommes religieux au milieu de l'adversité, c'est la pensée d'être abandonnés de Dieu, d'être privés de son amitié et de sa grâce, et d'être livrés en conséquence en jouet à la fortune. Ils devraient plutôt se persuader le contraire : Dieu les frappe non dans sa colère, mais dans sa miséricorde ; et, pour en être plus pesants, ses coups n'en sont que plus salutaires. Et quelle preuve plus forte Dieu pourrait-il nous en donner, que d'assujettir son innocente et sainte mère aux souffrances qui navrèrent son cœur aux diverses époques de la vie mortelle de son enfant ?

Sa joie fut sans mélange jusqu'à la présentation de Jésus au temple ;mais depuis ce moment, il n'y eut pas de joie que n'empoisonnât le souvenir de la prophétie du saint vieillard Siméon.
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En affligeant les hommes de certaines calamités, Dieu se propose souvent encore de les résoudre à implorer son assistance divine. Ces paroles du Roi-Prophète nous en fournissent la preuve : « Couvrez leur visage d'ignominie, Seigneur, et ils invoqueront votre saint nom. » Psalm. LXXXII, 17. Les calamités secouent les hommes dans leur sommeil, elles les tirent de la torpeur, les relèvent de leurs chutes, châtient leur témérité, leur rappellent leur condition, et les poussent à recourir à leur Créateur. Pour se convertir, il fallut que Nabuchodonosor, le monarque orgueilleux des Assyriens, eût été chassé de son royaume, et qu'il eût partagé sept ans le sort des bêtes sauvages. Au bout de ce temps, il leva enfin ses yeux vers le ciel, il bénit le Très-Haut, et proclama que de sa puissance dépendait le sort des rois de la terre. Dan. IV, 31.
Une terrible maladie arracha seule à l'impie Antiochus, l'ennemi du culte du vrai Dieu, le persécuteur du peuple fidèle, le dévastateur du temple et de la cité sainte, cet aveu tardif : « Il est bon d'être soumis envers Dieu, et de ne pas s'égaler à lui. » II Mach. IX, 12. C'est seulement dans sa captivité, qu'après avoir inondé Jérusalem du sang des prophètes, Manassé revint à de meilleurs sentiments. II Paral. XXXII, 13. Tout en cherchant à se guérir de la lèpre qui le dévorait, le Syrien Naaman recouvre avec la santé du corps celle de l'âme. IV Reg. v, 17. Un officier implore du Sauveur la guérison de son fils mourant; il en reçoit le don précieux de la foi pour lui et pour toute sa famille, Joan. IV, 53.

Ce que de longues et nombreuses instructions n'auront pu nous persuader, une maladie, un malheur nous le persuade ; en sorte que, selon le mot du Prophète, « l'adversité seule donne quelquefois l'intelligence. » Isai. XXVIII, 19. Qu'une mort prématurée nous enlève un enfant, un époux, une épouse bien-aimée, aussitôt plus de fêtes, de jeux, de festins : la lumière du jour nous devient même odieuse. On recherche de préférence les ténèbres, et l'on sent plus vivement que jamais l'inconstance, la vanité, le néant des choses de ce monde, et on n'éprouve aucune peine à les mépriser.
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Que si l'on voit des personnes ne tenir aucun compte de ces graves enseignements, la faute en est non pas au maître, mais à la faiblesse de l'élève. Saint Chrysostome compare les tribulations à un breuvage amer dont l'effet est de rendre la santé. Cependant, de même que certains estomacs ne peuvent pas supporter ces breuvages, quelque salutaires qu'ils soient, de même les tribulations ne servent de rien à certaines personnes,et cela à cause de leur imbécillité ou de leur perversité.

Le Seigneur, dans son Evangile, parle de deux maisons, l'une bâtie sur le roc, l'autre sur le sable : une tempête s'étant déchaînée, la première demeura debout, la seconde s'écroula. Mais la cause de sa ruine, c'était non pas la violence de la tempête, mais le peu de solidité de ses fondements. Matth. VII, 27. Pareille au feu, l'épreuve nous rend plus purs que l'or. Eccli. 11,5.

Tobie, Job et une foule d'autres saints ont dû l'éclat de leur sainteté au feu de la tribulation. Comme les parfums précieux, qui répandent une odeur d'autant plus suave, que leurs parties sont plus tenues ou qu'elles sont soumises à l'action du feu, les martyrs ont répandu une admirable odeur sous les coups qui les broyaient et la flamme qui consumait leurs membres. Or, tous les chrétiens qui pratiquent la véritable piété, étant destinés à répandre la bonne odeur de Jésus-Christ, il est naturel qu'ils subissent, eux aussi, l'étreinte des tribulations. C'est pourquoi saint Bernard compare le juste au firmament, lequel, tout en conservant la même sérénité, ne paraît jamais plus beau que lorsque la nuit le revêt d'astres étincelants. Ainsi brillait aux yeux de Dieu celui qui disait : « Vous avez éprouvé mon cœur, ô mon Dieu, et vous l'avez visité dans les ténèbres : vous m'avez éprouvé par le feu, et l'iniquité n'a pas été trouvée en moi. » Ps. XVI, 3. Estimez donc, mes frères, les tribulations, puisqu'elles rendent notre âme si belle aux yeux de son Créateur.

(à suivre)
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SECOND POINT.


Dieu voulut mettre un terme aux larmes de sa mère. La pieuse Vierge se dirige vers le temple, et elle y retrouve celui qu'elle n'avait pu retrouver au milieu de ses proches. C'est qu'il faut chercher chaque chose en son lieu. Or « le Seigneur habite dans son temple ; dans le ciel est son trône. » Ps. x, 5. Que les esprits bienheureux le cherchent dans le ciel ; pour nous, qui sommes sur la terre semblables à des vermisseaux, nous le chercherons dans son temple, dans la maison de la prière. Il ne saurait nous tromper, celui qui a dit : « Demandez, et vous recevrez ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l'on vous ouvrira. » Matth. VII, 7. Oh ! Que de fois, mes frères, l'âme qui croyait avoir perdu son Dieu l'a retrouvé dans son temple, après lui avoir adressé une prière fervente ! Mais à quels signes reconnaîtrai-je sa présence ? me demanderez-vous. Apprenez-le de la bouche de saint Bernard : « Sa présence, je l'ai connue à un mouvement de mon cœur. La fuite des vices, la répression de mes appétits charnels m'ont révélé sa puissance. La facilité avec laquelle je découvrais mes fautes les plus cachées m'a montré la profondeur de sa sagesse. Par la réforme de mes mœurs, j'ai expérimenté sa mansuétude; au renouvellement complet de mon intérieur, j'ai entrevu l'éclat de sa beauté ; et le spectacle de toutes ces merveilles réunies a découvert sa grandeur à mes yeux stupéfaits. » Bern. sup. Cant. serm. LXIV. Tels sont les signes auxquels on reconnaîtra en soi la présence de Dieu ;mais sachons bien que la connaissance de ces signes est proportionnée à l'ardeur avec laquelle on se livre à l'oraison.

Vous me direz peut-être : Lorsque je me dispose à prier, une foule d'images, une multitude de soins extérieurs se précipitent dans mon âme, et la fixant à la terre, elles lui rendent impossible la contemplation des choses divines. Que ferai-je en ces conjonctures ? — Ce que vous éprouvez là, mes frères, procède ordinairement ou de la faiblesse de la nature, ou de notre négligence. Nous n'avons pas tous à tâche de rendre notre vie assez réglée pour ce sabbat dont le Seigneur, par la bouche d'Isaïe, exige de nous la célébration. Célébrer ce sabbat, Isai. LVIII, 13, c'est bannir toute sollicitude, toute pensée d'affaire terrestre, puis se reposer dans la pensée de Dieu, vivre avec lui, se nourrir de la contemplation de sa beauté, et passer avec lui ce jour de fête.

Mais pourquoi cette expression, sabbatum delicatum, employée par le Prophète ? On donne ordinairement cette qualification aux choses que l'on altère facilement. On maniera délicatement des vases de cristal, parce qu'il suffit d'un léger choc pour les briser. Croyez-moi,mes frères, rien de plus délicat à ce compte que la dévotion, parce que rien n'est plus fragile, rien n'est plus aisé à altérer. Oh ! qu'il faut peu de chose pour refroidir cette chaleur de l'Esprit saint ? Un léger sourire, une parole oiseuse, un mouvement du corps désordonné, un morceau pris trop avidement, des regards trop libres, en voilà assez pour que la ferveur s'évanouisse. C'est un esprit qui s'en va bien, et qui ne revient pas : Spiritus vadens et non rediens, Ps. LXXVII, 39 ; un esprit qui disparaît facilement, et qui revient difficilement.

Voulez-vous conserver longtemps ce sentiment céleste, ayez soin de vous préserver de tout ce qui lui est étranger. Votre âme ne sera pas toujours souillée au contact des choses humaines ; mais ce contact suffit pour dessécher la rosée de la dévotion, et rendre l'homme triste,faible, aride, et en quelque façon, vide de tout bon sentiment. Veillez surtout sur la porte des sens, et en particulier sur votre langue; autrement les yeux, les oreilles introduiraient en vous des images dont l'effet serait de troubler et de paralyser votre âme dans la contemplation des vérités célestes. En un instant votre langue dissiperait ce que vous avez de chaleur intérieure, et tarirait en vous la source de la dévotion.
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Je désirerais, mes frères, vous faire comprendre avec quelle délicatesse les saints célébraient ce sabbat de la vie spirituelle, avec quel empressement ils évitaient tout ce qui était de nature à troubler leur calme et leur tranquillité. Saint Athanase rapporte du bienheureux Antoine, que dans sa solitude il n'échangeait pas une parole avec le serviteur qui venait lui porter le pain dont il se nourrissait, afin de ne pas rompre le calme délicieux dont son âme jouissait. Saint François d’Assise recommandait à son compagnon de ne pas lui dire un seul mot, quand il viendrait chanter avec lui durant la nuit les louanges de Dieu, mais de commencer immédiatement par le verset accoutumé: Domine, labia mea aperies ; dans le cas où il n'obtiendrait pas de réponse, qu'il se retirât incontinent. Nous ne pouvons, il est vrai, mes frères, atteindre cette perfection, à cause des affaires nombreuses auxquelles nous sommes mêlés ; essayons du moins de marcher sur leurs traces. Plus nous leur ressemblerons, et plus grands seront nos droits aux récompenses que Dieu promet par son prophète aux observateurs de son sabbat.

Mon dessein en ceci est d'engager ceux d'entre vous qui désirent trouver Jésus-Christ, à le chercher, à l'exemple de la sainte Vierge, dans le lieu de la prière. Un autre enseignement ressort encore du nombre des jours après lesquels Marie retrouva son enfant. Sans m'arrêter à d'autres interprétations plus ou moins subtiles, je vois dans ces trois jours la figure des trois degrés de la pénitence. Ces trois degrés franchis, on retrouve inévitablement Jésus-Christ, que l'on a perdu par le péché. Parmi les chrétiens, les uns se contentent de le chercher un seul jour : ils se bornent à se reprocher leurs fautes. D'autres y en ajoutent un second en allant jusqu'à la confession ; mais un très-petit nombre arrive au bout de la troisième journée, je veux dire, à satisfaire pleinement la justice divine. Or cette satisfaction ne consiste pas seulement dans la troisième partie du sacrement de pénitence qui porte ce nom, mais dans la réparation de l'injure faite à autrui. Pour l'accomplir tout entière, il faut souvent restituer au prochain sa réputation que la médisance ou la calomnie lui a ôtée, lui demander pardon du peu de respect avec lequel on l'a traité, lui rendre les valeurs qu'on a injustement acquises. Qui s'acquitte aujourd'hui de tous ces devoirs ?

Nous sommes à chaque instant témoins de richesses frauduleusement obtenues, d'outrages commis, de réputations déchirées. Sommes-nous aussi les témoins de la réparation de ces injustices ? Ne soyez donc pas étonnés, mes frères, si vous ne trouvez pas le Christ, lorsque vous vous bornerez aux deux premiers jours de recherche : car il ne se trouve qu'au bout des trois jours.

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TROISIÈME POINT.


Jésus était assis au milieu des docteurs, qu'il écoutait et qu'il interrogeait, quand il fut retrouvé par sa mère. Nous n'essaierons pas de dépeindre le bonheur de son tendre cœur, à la vue de celui qu'elle avait tant pleuré. Dès qu'elle l'aperçoit, elle n'hésite pas ; elle fend les flots de la foule, qui contemplait ce spectacle avec admiration ; elle s'écrie avec des larmes de joie : « Mon fils, pourquoi avez-vous agi de la sorte envers nous ? Voilà que votre père et moi, nous vous cherchions, navrés de douleur. » Et il leur répondit : « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut m'occuper avant tout des affaires de mon Père ? » Quelles sont ces affaires, Seigneur ? Y a-t-il une partie de cet univers qui ne soit pas soumise à son gouvernement, vu qu'il opère tout en toutes choses ? C'est pourquoi les saints docteurs ont dit qu'il était tout yeux, tout pieds et tout mains; tout yeux, parce qu'il voit tout; tout pieds, parce qu'il est présent en tout lieu ; tout mains, parce que tout est son œuvre.

Hé bien ! mes frères, de toutes ces œuvres si nombreuses, une seule fait la gloire du Père, l'œuvre de notre salut : cette œuvre est le but vers lequel sont dirigées toutes les autres, qui, en comparaison de celle-là, ne sont rien. Ces paroles de Notre-Seigneur : « Mon Père ne cesse d'opérer, et moi, j'opère de même, » Joan. v, 17, que désignent-elles, sinon l'œuvre de notre salut ? Vous m'arrêterez ici, sans doute, et me représenterez qu'il est une chose plus chère à Dieu que notre salut, à savoir sa gloire, laquelle est le but de ses œuvres ; car il a tout fait pour lui-même : Omnia propter semetipsum operatus est Dominus, Prov. XVI, 4. C'est vrai; mais admirez cette bonté merveilleuse avec laquelle il a si intimement uni sa gloire à l'œuvre de notre salut, que l'une doit servir à procurer l'autre. Quoi de plus glorieux pour le Seigneur, que de combler les malheureux mortels de bienfaits, de les secourir de sa grâce, de leur pardonner leurs crimes, de supporter patiemment leurs injures, et enfin de les rendre participants de sa divinité et de son bonheur éternel ?

Tel a été le souci continuel de Jésus-Christ : sa nourriture, son breuvage, sa mission ont été de consacrer sa vie à venir en aide aux hommes. Il n'y a pas eu dans son existence un seul moment qui n'ait été employé à nous sauver ; car c'est pour nous, et non pour lui, qu'il est né, qu'il a souffert, et qu'il est mort. Pour m'épargner, il ne s'est pas épargné lui-même : pour assurer mon repos, il a sacrifié le sien ; il n'a ménagé ni ses forces, ni sa vie, pour me rendre à la santé et à la vie. Et aujourd'hui même il me fournit une preuve de ce dévouement, qui devait se manifester plus tard tout entier.
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Voilà quelle a été, mes frères, la préoccupation constante de Jésus-Christ; voilà quels ont été à la fois son exemple et sa doctrine. La vie évangélique dans sa perfection, qu'est-elle, en effet, sinon une vie de charité ? Conséquemment, si vous êtes les vrais disciples du divin Maître, si vous vous glorifiez de lui appartenir par le nom et par la foi, et que vous vous proposiez, en marchant sur ses traces, d'arriver au terme où il est arrivé le premier, n'ayez rien tant à cœur que le salut et l'amour de vos frères, soyez sensibles aux maux qui les affligent, souffrez de leurs souffrances ; soulagez, autant que vos ressources vous le permettront, la détresse des pauvres, et estimez-vous heureux de leur avoir été utiles, alors même que vous en éprouveriez un léger préjudice, et vous serez du nombre de ces chrétiens qui, selon l'Apôtre, « pensent non-seulement à leurs propres besoins, mais aussi aux besoins d'autrui. » Ephes. IV, 28. Il était lui-même de ce nombre ; car, disait-il, « je m'applique à plaire à tous en toute chose, et je cherche non ce qui m'est avantageux, mais ce qui l'est au grand nombre de mes frères,afin qu'ils soient sauvés. » I Cor. x, 33.

Chez les bons chrétiens, la charité exerce plus d'empire que la cupidité chez les gens du monde ; l'amour de Dieu est plus fort chez les premiers, que l'égoïsme chez les derniers. C'est pour cela que les âmes pieuses songent plutôt au prochain qu'à elles-mêmes : ne songer qu'à soi, c'est de l'égoïsme; songer premièrement aux autres, c'est de la charité.

Cette admirable vertu, le Sauveur la recommandait à ses disciples, lorsqu'il les appelait le sel de la terre, des flambeaux placés sur des candélabres. En éclairant les autres, le flambeau se consume lui-même; le sel ne conserve les viandes à l'abri de la corruption, qu'au prix de sa propre corruption, Matth. V, 13-14. Regardez, après quelques jours, des viandes que vous aurez mises dans le sel; vous les retrouverez fraîches et saines, mais le sel a disparu. Telle est l'image du chrétien : il ne recule pas devant une incommodité à subir, pour faire du bien à ses frères. Faire du bien, la nature elle-même nous y porte ; mais le faire à notre détriment, la grâce seule nous en donne la force. On connaît cette sentence : Rien n'est plus naturel que de soulager un être dont la nature est semblable à la nôtre. La grâce inspire quelque chose de plus. Vous avez entendu souvent, mes frères, les saintes Ecritures comparer les fidèles aux membres d'un même corps. Parmi les membres d'un corps, il n'en est pas un seul qui ne soit utile aux autres ; ils exercent entre eux une sorte de charité fraternelle ; ce que l'un ne peut pas faire, l'autre le fait ; une réciprocité de bons offices règne continuellement entre eux. Ainsi doit-il en être des chrétiens. « Portez les fardeaux les uns des autres, nous dit saint Paul, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ. » Alter alterius onera portate, et sic adimplebitis legem Christi. Galat. VI, 2.
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Cette morale n'était pas inconnue aux païens, et un de leurs philosophes l'enseigne formellement: « Tout ce que vous voyez, tout cet univers où sont mêlées les choses divines et humaines, est un seul et même corps dont nous sommes les membres. Nous formons tous une même famille ; car nous avons reçu tous de la nature la même origine et la même destinée. La nature nous a inspiré un amour réciproque, et elle nous a ainsi rendus capables de nous unir en société. D'elle découle tout ce qui est juste et équitable. Suivant le plan qu'elle a établi, il vaut mieux souffrir une injustice que de la commettre. C'est elle qui a préparé les mains de l'homme compatissant. Ayons sans cesse dans le cœur et à la bouche ce vers du poète : « Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger. Ne brisons pas les liens que la nature a établis : serrons-nous les uns contre les autres. La société humaine est semblable à une voûte en pierre, qui croulerait, si chaque pierre n'y mettait obstacle. » Senec. Ep. xcv.

C'est une comparaison ingénieuse, mes frères, que cette comparaison de l'humanité aux pierres d'un édifice. Elle s'applique parfaitement aussi à la société chrétienne. Véritables pierres vivantes de cet édifice, les fidèles reposent les uns sur les autres, et doivent tous s'entr'aider, comme les pierres d'un édifice s’aident et se supportent les unes les autres. Les petites comme les grandes pierres sont soumises à la même loi, avec cette différence, que les pierres des fondements ont un poids plus considérable à supporter, que les pierres des autres parties. Ainsi faisait l'Apôtre, quand il écrivait aux Corinthiens : « Je me sacrifierai de grand cœur, je me sacrifierai tout entier pour vos âmes, quoique je sois moins aimé de vous à mesure que je vous aime davantage. » II Cor. XII, 15. Il nous trace un devoir semblable dans ces paroles : « Nous devons, nous qui sommes plus forts, supporter les défaillances des faibles, et ne pas nous complaire en nous-mêmes. » Rom. xv, 1. Qu'est-ce que ne pas se complaire en soi-même ? C'est ne pas s'enorgueillir de notre constance, lorsque nous sommes témoins de la chute de nos frères plus faibles que nous : il y aurait de l'effronterie à se féliciter d'être debout, quand ils sont à terre.

Que leur faiblesse nous rappelle au contraire notre faiblesse, et, dans la crainte de tomber comme ils sont tombés, tendons-leur, si nous le pouvons, une main secourable ; et si nous ne le pouvons pas, jugeons-les avec indulgence.

Tel est, mes frères, le premier devoir que nous enseigne notre sainte religion. Le divin Maître nous le prêche aujourd'hui par son exemple. Et comme notre vie doit se former sur le modèle de la sienne ; de même qu'il a consacré tous ses soins, toute sa vie à l'œuvre de notre salut, sans qu'il en retirât aucun avantage ; de même qu'il a enduré toute espèce de maux pour guérir les nôtres, sans qu'il y fût aucunement obligé; de même nous devons, à l'exemple d'une si frappante charité, faire du bien au prochain sans aucune vue d'intérêt, et chercher les occasions où nous ne retirons de nos bonnes œuvres que la conscience de les avoir accomplies. Si un philosophe de l'antiquité a pu dire que la récompense d'une bonne action est cette bonne action elle-même, quelle devra être la conduite du chrétien qui, instruit par la foi, sait qu'il faut rapporter à la charité toutes les actions de sa vie ? Et jamais la proclamation de cette doctrine n'a été plus nécessaire qu'aujourd'hui. L'iniquité abonde, la charité se refroidit. A peine fait-on un mouvement, qui n'ait un but de plaisir ou d'intérêt. Toutes les fonctions sont vénales ; la vertu n'est plus qu'une affaire de trafic. Tout ce qui revêt une apparence d'honnêteté, au lieu de servir à la piété, devient matière à exploitation. Enfin, chacun cherche ses intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ. Phil. 11,24.
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