§3.
Réflexions sur la tradition et réponse aux difficultés.
Sur ces témoignages des pères et des docteurs de l’Eglise, voici les réflexions qui se présentent :
1° Les pères ont dit unanimement qu’Elie viendra.
2° Ils ont parlé positivement et avec une pleine assurance.
3° Ils ont tous parlé d’après les Ecritures. Il faut développer ces trois réflexions et en tirer des conséquences.
Première réflexion : Les pères ont dit unanimement qu’Elie viendra.
La tradition que j’ai citée n’est pas seulement un recueil des témoignages qui m’étaient favorables. J’ai consulté tous les pères sur cette matière. Je n’en ai pas trouvé un seul qui se soit vu engagé à parler du retour d’Elie, et qui n’ait attesté qu’Elie doit venir. On n’en peut excepter que les deux auteurs du dixième et douzième siècle auxquels je reviendrai bientôt.
L’occasion de parler de la venue d’Elie se présentait naturellement à ceux qui commentaient ou le prophète Malachie, ou les Evangiles, ou l’Apocalypse. Je n’ai pas rencontré un seul père qui ait commenté cette partie des Ecritures, et dont le texte fût sans lacune, qui n’ait dit qu’Elie doit précéder le second avènement. Il y a des pères qui n’ont point fait de commentaires, mais qui ont écrit des livres de controverse. Ceux-là ont examiné avec soin le sens des prophéties et ils ont parlé comme les premiers. Il y en a qui n’ont composé ni commentaires, ni ouvrages de controverse. Leur témoignage sur la venue d’Elie s’est mêlé dans leurs moralités. Ceux qui ont composé et des sermons et des commentaires nous ont souvent témoigné, même dans leurs sermons, ce qu’ils avaient déjà attesté dans leurs commentaires. Et si quelques-uns, en très-petit nombre, dont nous n’avons que des sermons, se sont abstenus de parler du retour d’Elie dans une homélie, je ne crois pas qu’on ait droit de rien conclure de leur silence. Ce n’était pas là l’endroit de nous donner leur témoignage. Tous les pères d’ailleurs n’ont pas parlé de toute vérité. Chacun a choisi ses matières comme il le jugeait à propos, et apparemment qu’on ne conclura pas que les pères ont douté de beaucoup de vérités importantes sur ce qu’ils ne nous en ont rien dit. Car outre que cette induction ferait injure aux plus grands hommes de l’Eglise, elle est démentie par tous ceux d’entre les pères qui, n’ayant rien dit du retour d’Elie dans certains ouvrages, où l’occasion s’en présentait, nous l’ont attesté dans d’autres.
On ne peut pas nous opposer ce prétendu partage de sentiments qu’on a cru voir dans saint Jérôme. Nous avons montré que la différence des commentaires sur Jean et Elie, n'emportait pas avec elle une différence de sentiments sur l’avènement d’Elie, mais seulement une différence de sentiments sur le texte de l’Evangile; et que les deux ressemblances, l'une des mêmes dons et des mêmes grâces du Saint-Esprit, l'autre des mêmes ministères, étaient si peu opposées que saint Jérôme lui-même sur qui on fonde cette prétendue opposition, a mis l’une à la suite de l’autre, et a même fait naître l’une de l’autre, savoir la ressemblance des ministères de la ressemblance des mêmes dons et des mêmes grâces du Saint-Esprit. Ce que nous avons dit de saint Jérôme, nous le pouvions dire de saint Augustin, de saint Chrysostôme, de saint Ambroise et de quelques autres. Plusieurs pères ont appuyé tantôt sur une des deux ressemblances, tantôt sur l’autre : ils ne regardaient donc point ces deux ressemblances comme l’effet d’un partage de sentiments.
Si ce partage était réel touchant l’avènement même du prophète Elie, nous en verrions des traces dans l’antiquité, comme nous en voyons sur les circonstances.
Nous voyons par exemple que les uns ont dit qu’Elie convertira les Juifs; que d’autres ont regardé Elie comme l’apôtre des peuples infidèles et non point seulement des Juifs ; d’autres comme devant rétablir les Eglises, et non point seulement en former de nouvelles; d’autres, comme devant confirmer dans la foi ceux qui croiront déjà, comme étendant généralement sa mission sur les justes comme sur les pécheurs. Que quelques-uns font arriver la résurrection générale d’abord après la mission et le couronnement d’Elie; que d’autres accordent encore quelque durée au monde pour donner le temps aux hommes de faire pénitence ; que ceux-ci associent Moïse à Elie ; ceux-là Jérémie, ou saint Jean l’Evangéliste; d’autres Enoch; que dans ce partage de sentiments il n’y a pas un seul père qui ne mette Elie à la tête de cette grande mission des derniers temps.
Ainsi le partage des sentiments sur les circonstances de la venue d’Elie a paru dès la première antiquité. Mais il paraît dès les premiers siècles une grande unanimité touchant la venue même. Je demande ce qu’il en faut conclure.
Je n’ai point voulu grossir ma tradition des auteurs moins célèbres, ni de ceux dont les ouvrages portent des noms empruntés. J’ai omis des témoignages qu’on trouve dans diverses éditions de saint Justin, de saint Cyprien, de saint Ambroise, de saint Augustin, de saint Grégoire de Nysse, de Jean de Jérusalem, de saint Grégoire le Grand, de saint Thomas. J’ai omis encore presque tous les théologiens et commentateurs des deux derniers siècles, qui ont parlé comme les pères de l’Eglise. Ainsi l’unanimité est telle qu’on n’en peut désirer une plus grande, et que j’aurais pu dire avec Malvenda,
et alii inumeri, et une infinité d’autres.
(à suivre...)