Homélie pour le sixième dimanche après l'Épiphanie

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Laetitia
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Homélie pour le sixième dimanche après l'Épiphanie

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HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES DE TOUS LES DIMANCHES DE L'ANNÉE
par M. GRANET Curé archiprêtre de Séderon
Avec approbation de Mgr l'Évêque de Valence.
1860

SIXIÈME DIMANCHE APRÈS L'ÉPIPHANIE.

ÉVANGILE.

Grain de sénevé,-Levain de la pâte.

« Jésus leur proposa une autre parabole, disant : Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu'un homme prend et va semer dans son champ. Ce grain et la plus petite de toutes les semences ; mais lorsqu'il a crû, il est plus grand que tous les autres légumes, et il devient comme un arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches. Il leur dit encore cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable au levain qu'une femme prend, et qu'elle met dans trois mesures de farine, jusqu'à ce que la pâte soit levée. Jésus dit toutes ces choses au peuple en paraboles, et il ne leur parlait point sans paraboles, afin que cette parole du Prophète fût accomplie : J'ouvrirai ma bouche en paraboles : je publierai des choses qui ont été cachées depuis le commencement du monde. » (Matth. , XIII, 31-35 ; Marc., IV, 31-34 ; Luc. , XIII, 19-21.)

HOMÉLIE.

L'Évangile que je viens de vous lire renferme deux paraboles, différentes, quant aux termes dans lesquels Jésus-Christ les propose au peuple ; mais le sens en est le même à peu près, et l'une et l'autre tendent évidemment au même but. Heureux, mes frères, si Dieu, bénissant mes efforts, je puis en faire passer l'intelligence dans vos esprits, et vous faire comprendre les leçons qu'elles renferment !

La parabole de la semence, que nous vous proposerons au prône de dimanche prochain, et qui est rapportée au commencement de ce treizième chapitre de saint Matthieu, d'où sont tirées celles du grain de sénevé et du levain, nous fait voir que, des quatre portions de cette semence, une seule conserve et porte des fruits, et les trois autres n'en donnent point, parce qu'elles tombent ou sur le chemin, ou dans un terrain pierreux, ou au milieu des épines. Dans celle de l'ivraie, au contraire, que nous vous avons expliquée dimanche dernier, la bonne semence éprouve tant de dommage, qu'elle est comme étouffée et réduite à rien par suite de l'ivraie que l'homme ennemi y avait sursemé, tandis que les serviteurs du père de famille dormaient. Dès lors les disciples de Jésus-Christ étaient presqu'en droit de lui demander : Mais quels seront donc les fidèles, et quel est leur nombre ?

Jésus-Christ les éclaire et dissipe leur crainte en leur proposant les paraboles du grain de sénevé et du levain que nous allons expliquer. Il les rappelle à la foi, et leur montre que la prédication de l'Évangile se répandra dans tout l'univers. (S. Chrys. , Hom. XLVI, al. 47, In Matth. )

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               I. Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu'un homme prend et va semer dans son champ. Ce grain est la plus petite de toutes les semences ; mais lorsqu'il a crû, il est plus grand que tous les autres légumes, et il devient comme un arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches. (31, 32. ) Pour mieux comprendre ce que Jésus-Christ a voulu signifier dans cette parabole, il est bon que nous sachions que le sénevé est une plante dont la graine sert à faire la moutarde que vous connaissez tous. Il n'y en a point dans nos pays, ou s'il y en a comme celle que j'ai vu ailleurs, celte plante ne pousse pas très-haut. Mais, dans les pays chauds, où on la cultive ordinairement, elle s'élève jusqu'à la hauteur de six pieds, et plus même : de sorte que les oiseaux viennent en foule se cacher dans ses branches et sous ses feuilles, et en mangent la graine qu'ils aiment beaucoup, comme font à peu près ceux qui mangent la graine de vos chanvres, et d'où toute votre industrie ne peut les chasser. Jésus-Christ dit, il est vrai, que le sénevé est la plus petite de toutes les graines, quoiqu'il y en ait de plus petites encore. Mais cela ne doit point nous surprendre, ni nous faire croire qu'il s'est trompé, en parlant de la sorte : il le fait pour se conformer au langage des Juifs, qui, pour marquer qu'une chose est extrêmement petite, la comparaient à un grain de sénevé. (Lall. , 1, p. 287.)

Or le royaume des cieux est semblable... Les Pères de l'Église expliquent différemment cette parabole de la graine de sénevé. Saint Jérôme dit que ce royaume des cieux que Jésus-Christ compare au grain de sénevé, est simplement la prédication de l'Évangile, et la connaissance des divines écritures qui nous conduisent à la vie éternelle, dont Jésus-Christ, dans un autre endroit, parlait aux Juifs, quand il leur disait que le royaume des cieux leur serait enlevé, et donné à un autre peuple qui en produirait les fruits. (Matth. , XXI, 23.) C'est aussi la pensée de saint Jean Chrysostome. Ce Père de l'Église voit dans l'accroissement prodigieux de ce petit grain la propagation plus étonnante encore de l'Évangile, prêché par les apôtres. Qu'étaient, en effet, les apôtres ? des gens simples, sans lettres, sans instruction, de pauvres bateliers, hommes inconnus et gagnant péniblement leur vie par le travail de leurs mains. Mais, puisqu'il y avait en eux la force divine dont ils furent revêtus en recevant le Saint-Esprit, au jour de la Pentecôte, ils ont propagé l'Évangile dans tout l'univers. (S. J. Chrys. , loc. Cit.)

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Ce grain de sénevé, c'est encore l'Église qui ne fut d'abord composée que de quelques hommes du peuple grossier, inconnus, qui s'attachèrent à Jésus-Christ. Obscure et petite dans les commencements, elle s'accrut ensuite avec une telle promptitude, par les travaux des apôtres et de leurs successeurs, qu'elle devint très-illustre, très-vaste et très-connue, et que saint Paul pouvait déjà de son temps dire aux Romains, que leur foi était annoncée dans tout l'univers. (Rom. , 1, 8. ) Et Tertullien, au second siècle, ne craignait pas de dire à ces mêmes Romains, auxquels il adressait son immortelle apologétique en faveur des chrétiens : Les Maures, les Marcomans, les Parthes même, quelque nation que ce soit, renfermée après tout dans ses limites, est-elle plus nombreuse qu'une nation qui n'en a d'autres que l'univers ?

Nous ne sommes que d'hier, ajoute-t-il, et nous remplissons tout, vos villes, vos cités, vos châteaux, vos bourgades, vos conseils, vos camps, vos tribus, vos décuries, le palais, le sénat, la place publique : nous ne vous laissons que vos temples. .. Si cette multitude de chrétiens vous quittaient, vous seriez effrayés de votre solitude, du silence, de l'étonnement du monde, qui paraîtrait comme mort : vous auriez cherché à qui commander ; il vous serait resté plus d'ennemis que de citoyens. (Cap. XXXVII. ) Ainsi l'Église grandit rapidement, s'étendit de toutes parts, et fit disparaître presque toutes les autres religions du monde au-dessus desquelles elle s'élève majestueusement.

Les oiseaux du ciel, c'est-à-dire, les grands du monde, la philosophie, les esprits les plus sublimes et les plus élevés par leur science, les riches du siècle, ne rougirent plus de la simplicité de l'Évangile, de l'humilité de la croix, entrèrent dans l'Église, ne craignirent point de venir se mettre à couvert sous son ombre, et se rassasièrent des fruits abondants de sainteté et de salut qu'elle produisait partout. ( D. Calm., Lall. , 1, p. 271. )

Selon saint Augustin, ce grain de sénevé signifie la ferveur de la foi, parce que, de même que cette petite graine a le pouvoir de combattre et de chasser le poison, de même aussi la foi a celui de chasser, de dissiper et de confondre tous les dogmes mauvais, les fausses doctrines qui tendent à se répandre dans l'Église.

Enfin, nous entendons par là les vertus chrétiennes. Ces vertus sont ordinairement méprisées sur la terre et peu estimées par les mondains ; mais aussi que de consolations ne procurent-elles pas à ceux qui la pratiquent. Pour eux elles deviennent la source et la semence de cette gloire infinie réservée aux justes quand ils entreront dans la gloire de leur maître, et s'y reposeront pour l'éternité. (Lall. , 11, 79.)

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Mais quel est cet homme de la parabole qui prend le grain de sénevé pour le semer dans son champ ? C'est Jésus-Christ lui-même, qui nous dit dans l'Évangile : Si le grain de froment ne meurt après qu'on l'a jeté en terre, il demeure seul ; mais quand il est mort, il porte beaucoup de fruits. (Joan. , XII, 24.) Et, en effet, ce divin Sauveur, après avoir été comme enseveli dans la terre par l'obscurité de sa naissance, par sa vie humble et cachée, sa mort honteuse, sa sépulture, s'est ensuite élevé au-dessus de toutes les créatures, jusqu'à la droite de son Père, où il fait la douceur et le repos des saints, figurés par les oiseaux du ciel. Cet homme est encore Jésus-Christ, mais sous un autre rapport. Car c'est lui, comme le dit saint Jérôme, qui jette dans nos âmes la semence de la foi, grain de sénevé mystérieux, qui, nourri et développé par la grâce, doit porter en nous des fruits de pénitence et de salut qui demeurent pour la vie éternelle.

D'autres enfin veulent que cet homme de la parabole soit le chrétien lui-même. Il entend la parole divine, la reçoit dans son âme, dans son sein intérieur, la sème dans le champ de son cœur, où, nourrie du suc vivifiant de la foi et favorisée par ses douces chaleurs, elle pousse, croît, grandit, et rend sa vie toute féconde pour le ciel. (S. Jér.)

Je viens de vous dire que la prédication de l'Évangile, comparée au grain de sénevé, est la plus petite de toutes les semences de la doctrine. C'est qu'en effet, au premier coup d'œil, au premier énoncé, l'Évangile ne semble point être la vérité. On a de la peine à croire, et il paraît absurde qu'on nous annonce un Dieu enfant, un Dieu homme, un Dieu mort pour nous, ce mystère de la croix qui fut un scandale pour les Juifs et que les Gentils regardaient comme une folie (1 Cor. , 1, 23), tous les mystères de la religion enfin. Que l'on compare donc la doctrine évangélique aux dogmes, à l'enseignement des philosophes de la Grèce et de Rome, qu'on la rapproche des livres qu'ils nous ont laissés, de l'éclat de leur éloquence, de l'art, de la beauté, de l'harmonie de leurs discours, on voit alors combien elle leur est inférieure et la plus petite de toutes les semences. Mais tout change bientôt, et, si on l'étudie à fond, on comprend facilement l'immense différence qui existe entre elle et les dogmes de la philosophie. Une fois que, jetée en terre, cette doctrine philosophique commence à pousser, elle n'a rien de mordant, point de vigueur, rien de vivifiant, rien d'énergique. (S. Jér. ) Bien plus, elle ne change point les hommes, elle les laisse tels qu'elle les a trouvés, et souvent même les rend plus mauvais. C'est là surtout le spectacle que nous présentent les sociétés modernes qui ont abandonné la doctrine de l'Église pour suivre la philosophie du moi, le protestantisme et l'erreur.

Aussi, dit un Père de l'Église, semblable aux plantes, aux légumes et aux herbes des champs qui durent peu, se fanent et se dessèchent bientôt, cette sagesse des philosophes est languissante et sans vitalité, telle enfin qu'un être flétri et sans force. Tandis que la prédication de l'Évangile, qui paraissait si petite dans son principe, une fois semée et reçue, soit que nous la considérions dans l'âme des croyants, soit que nous la contemplions dans toute l'étendue de l'univers, où elle fut propagée par les apôtres et leurs successeurs, nous la voyons s'élever, non pas à la hauteur d'une faible plante ou de l'herbe des champs, mais elle devient un arbre immense dont les branches couvrent les quatre parties du monde, et à l'ombre duquel les oiseaux du ciel, c'est-à-dire, les fidèles et ceux qui combattent pour le service de Dieu, viennent se reposer, et trouvent dans les fruits, dont ses branches sont chargées, la nourriture qui soutient, fortifie leur courage et leur vertu. (S. Jér.)

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Voilà donc ce que nous voyons aujourd'hui, c'est-à-dire, le monde devenu chrétien, l'Évangile prêché en tous lieux, les maximes de la morale chrétienne reçues et pratiquées par les hommes. Heureux donc, mes frères, si notre vie est digne de l'Evangile que nous croyons conforme aux leçons qu'il renferme ! (Philip. , 1, 27. ) Car ce n'est qu'à ce point, ce n'est qu'autant que nous accomplirons la sainte volonté du Père que nous avons au ciel, que nous pourrons y arriver nous-mêmes. (Matth., vn, 21. ) Et que nous importerait, après tout, d'admirer la beauté de l'enseignement chrétien, la sublimité de ses dogmes, la sainteté de sa morale, les changements prodigieux que l'Évangile a produits dans le monde, et que Notre-Seigneur nous fait connaître dans nos deux paraboles ; si, témoins de tous ces miracles de la grâce, nous ne changions pas nous-mêmes, nous ne sortions point de notre indifférence pour devenir des chrétiens véritables et fervents, des saints, en un mot, dignes du ciel.

Nous vivons au milieu d'un siècle corrompus et corrupteur, qui a voulu se séparer de Dieu, et vivre dans l'indépendance de celui qui s'est révélé au premier homme. Nous pouvons dire avec David, que la frayeur et les tremblements se sont emparés de nous, des ténèbres épaisses nous couvrent de toutes parts, et nous ne savons presque plus quel parti prendre, tant les défections sont nombreuses. Mais aussi, prenant comme lui les ailes de la colombe pour nous envoler dans quelque lieu désert, laissons de côté les vaines préoccupations de ce monde et ses intérêts matériels qui nous attachent à la terre ; séparons-nous des méchants, fuyons leur société, gardons-nous bien de suivre leurs exemples, cherchons enfin à fixer notre demeure dans les branches de cet arbre divin. Car c'est là seulement que nous trouverons la lumière dans nos doutes, la force dans le combat, la consolation dans nos peines et le repos du bonheur dans l'éternité : Et requiescam. (Ps. Liv, 7. )

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Voici une réflexion que nous ne devons pas passer sous silence : elle découle tout naturellement de la parabole que nous expliquons, et s'applique également à celle du levain. Ce n'est rien d'abord que la première semence de la grâce dans nos cœurs mais si nous y sommes fidèles, si nous correspondons à ce bien de Dieu, nous verrons bientôt qu'elle peut et doit produire en nous des fruits immenses de sainteté et de salut. ( Lall. , I, p. 272. ) Pierre , Paul, Magdeleine, Augustin, Thaïs et bien d'autres, ont correspondu à cette première grâce de Dieu, et sont devenus de grands saints. Donc, pour corroborer cette réflexion, disons, après Jésus-Christ : Celui qui est fidèle dans les petites choses sera fidèle dans les grandes. (Luc., XVI, 10.) Aussi, le Seigneur ne peut-il s'empêcher de louer le serviteur qui avait su administrer et faire fructifier les talents que son maître lui avait confiés : Cela est bien, ô bon et fidèle serviteur, lui dit le Seigneur, parce que vous avez été fidèle dans les petites choses, je vous établirai sur d'autres beaucoup plus grandes : entrez dans la joie de votre maître. (Matth., XXV, 21.)

Et nous aussi, mes frères, gardons-nous bien de mépriser ces saintes pensées, ces bons mouvements, ces désirs ardents de notre perfection et de notre salut que la grâce opère dans nos âmes. Profitons de tout ce que nous offre la Providence pour nous détourner du mal, nous porter au bien, nous attacher de plus en plus à Dieu, notre fin unique et dernière. Gardons-nous bien de résister au Saint-Esprit, suivons sa divine inspiration avec tous les soins dont nous sommes capables. Notre fidélité sur ce point nous attirera d'autres grâces et plus abondantes, et plus grandes, et plus précieuses ; tandis que notre infidélité et notre ingratitude dessécheraient tout à coup la source des faveurs du ciel, et, par le mépris que nous faisons des petites choses, nous tomberions infailliblement dans les plus graves désordres, tout en disant que nous aimerions mieux mourir mille fois que d'offenser notre Dieu : Qui spernit modica, paulatim decidet. (Eccl. , XIX, 1. ) Passons maintenant à la parabole du levain.

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                    II. Jésus-Christ leur dit encore cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable au levain qu'une femme prend, et qu'elle met dans trois mesures de farine, jusqu'à ce que la pâte soit levée. (33. ) Je vous ai déjà dit que cette parabole du levain avait un but semblable à celle du grain de sénevé, et signifiait la même chose : c'est-à-dire que le levain aussi bien que le sénevé, marque la doctrine évangélique qui, faible dans le commencement, et cachée dans un tout petit coin de la Judée, étend ensuite sa vertu par toute la terre aux sociétés où elle se mêle, et opère les changements les plus salutaires et les plus merveilleux. (Lall. , 1, p. 273.)

Ici encore, ne laissons pas passer l'occasion de remarquer combien Jésus-Christ, qui était venu pour nous instruire et nous racheter, aimait à se mettre à la portée de tout le monde, afin d'être mieux compris, et se servait de tout pour exciter l'attention des hommes, accourus de toutes parts pour l'entendre. Or, parmi ce grand nombre d'auditeurs qui l'environnaient, il y avait des hommes et des femmes, et il parle pour les uns comme pour les autres. La parabole du sénevé devait intéresser davantage les hommes, et celle du levain, les femmes, selon l'observation de saint Pierre Chrysologue. L'homme, dit en effet ce saint Père, chargé des travaux extérieurs et de la culture des terres, sème le sénevé dans les champs ; mais la femme, renfermée dans la maison, chargée des soins du ménage, se procure le levain qu'elle mêle dans la pâte dont elle fait du pain. Le premier, comme naturellement plus fort, se trouve naturellement chargé des travaux les plus pénibles et les plus durs ; et la femme, plus faible, reste dans la maison et pourvoit aux besoins de la famille. (S. P. Chrys. ) Et dès lors, Jésus-Christ était sûr d'être compris de tous, en tenant à tous un langage en rapport avec leur position.

C'est encore dans le même sens que saint Jérôme fait l'observation suivante. L'estomac, dit-il, n'est pas le même dans tous les hommes, ni non plus leurs dispositions naturelles : l'un désire des choses fortes et amères, et l'autre veut des mets plus doux et plus légers, et ce qui plaît à celui-ci déplaît à celui-là, et lui excite la nausée. C'est pourquoi Notre-Seigneur propose au peuple diverses paraboles, afin que chacun trouve dans ses instructions, et la nourriture qui lui convient le mieux, et les remèdes propres à guérir ses blessures. (In Matth., v. 23. ) Ce levain sera encore la charité, suivant saint Augustin, parce que, lorsqu'un homme est rempli de ce feu divin, que Jésus-Christ a apporté du ciel pour embraser toute la terre (Luc., XII, 49), il n'est plus le même. Il sent dans son cœur une ardeur qui le consume, l'enflammé, l'excite à la pratique des plus hautes vertus, le porte aux sacrifices les plus héroïques, à celui même de la vie, et subit avec joie la mort pour l'amour de Dieu et celui de ses frères : témoin Monseigneur Affre, Archevêque de Paris, dans les funestes journées de juin, en 1848.

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Or, mes frères, pour vous faire comprendre la justesse et la force de cette dernière parabole, qu'est-il besoin de vous expliquer les effets que produit le levain sur la pâte à laquelle il est mêlé ? Vous les connaissez tout aussi bien, mieux même que moi, et vous savez que tant que la pâte est seule, on ne trouve en elle, ni force, ni vertu. Si vous la faites cuire en cet état, elle donnera un aliment insipide, sans saveur et peu favorable à la santé. Mais dès qu'on y joint le levain, ce mélange la fait fermenter ; elle lève et donne un pain léger, savoureux, agréable au goût et salutaire. Or, ce que le levain opère dans la pâte, la prédication de l'Évangile l'a opéré dans le monde, auquel elle a donné une force secrète, qui l'a élevé au-dessus des faiblesses de la nature, et une efficacité telle, que les vertus qu'il a produites ont étonné ceux qui en ont été les témoins, et ravi d'admiration l'univers païen. Laissez-moi, du reste, vous citer les belles paroles de saint Jean Chrysostome à ce sujet.

De même que le levain change toute la pâte, en lui transmettant sa vertu, dit Jésus-Christ, parlant à ses apôtres, de même vous aussi vous changerez et convertirez le monde. Et remarquons bien la profondeur et la sagesse du discours du Sauveur. Les comparaisons qu'il a prises dans la nature nous montrent évidemment que, de même qu'il est impossible que le levain n'opère pas sur la pâte, de même aussi il est impossible qu'il en soit autrement du royaume des cieux et de la prédication évangélique. Et qu'on n'objecte point le petit nombre des apôtres, douze bateliers juifs, jetés seuls au milieu d'un monde corrompu. Car c'est là ce qui rend plus éclatante, et plus admirable la vertu des apôtres, qui ne refusent point la mission qui leur est confiée, et se mêlent hardiment à cette masse des nations qu'il s'agit d'arracher aux désordres les plus extrêmes du paganisme, et de gagner à l'Église, au ciel. Le levain fait fermenter toute la pâte qu'il touche, avec laquelle il est mêlé : aussi Jésus-Christ ne dit pas seulement que cette femme posa le levain, mais qu'elle le cacha dans les trois mesures de farine. Il devait en être de même des apôtres mêlés, confondus avec ceux qui les persécutaient avec tant de fureur, ils triomphent de leurs ennemis, et changent ces loups furieux en d'innocents agneaux : Sic et vos agglutinati et juncti cum impugnantibus vos, ipsos superabitis. Le levain est encore enfoui, confondu avec la pâte, mais il n'est ni détruit, ni perdu : tout au contraire, il finit par donner peu à peu toute la force à la pâte, et la change complètement : telle fut aussi la prédication des apôtres et ce qui leur arriva. C'est pourquoi Jésus-Christ leur recommande de ne point se laisser épouvanter des persécutions qu'il leur annonce, car c'est par elles qu'ils devaient briller d'un nouvel éclat, vaincre leur ennemi et surmonter tous les obstacles. (In Matth., Hom. XLVI, al. 47, no 2.)
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Où sont maintenant les Gentils ? continue le même docteur. Qu'ils apprennent la vertu, la divinité, la puissance de Jésus-Christ en voyant de leurs yeux la véracité et la réalisation de ses promesses. Christi virtutem ediscant, rerum veritatem conspicientes. Et ce que saint Chrysostome disait aux païens, nous pouvons le dire aux philosophes et aux incrédules. Si, comme ils nous l'assurent, ils sont raisonnables, ils font usage des lumières du sens commun, qu'ils tombent, comme nous, aux pieds de Jésus-Christ et qu'ils l'adorent. Il est Dieu, parce qu'il a prévu ce grand événement ; il est Dieu parce qu'il l'a réalisé : Illum adorent, et quod rem tantam prædixerit, et quod illam impleverit. (Ibid.)

Ici, mes frères, nous aurions besoin de vous faire reconnaître l'état moral du monde avant la prédication de l'Évangile, et ce qu'il devint ensuite quand ce levain mystérieux y eut été mêlé par les travaux des apôtres et de leurs successeurs : car nous comprendrions mieux alors la grandeur du prodige de la conversion du monde. Mais cela nous mènerait trop loin, et les détails dans lesquels nous entrerions seraient d'ailleurs peu utiles à votre édification. Il nous sera plus avantageux et plus profitable de voir ce que la grâce opère dans certaines âmes, et qu'elle devait produire en nous, si nous voulions y correspondre.

Voyez, en effet, Pierre, Paul, Augustin, Thaïs, dont nous vous parlions, il n'y a qu'un instant, et qui sont devenus de grands saints, parce qu'ils ont correspondu à la grâce de Dieu. Pierre proteste à Jésus-Christ, avec serment, qu'il est prêt à le suivre partout, même à la mort, et il le renie ensuite à la voix d'une simple petite femme. Quelle chute ! Mais le Sauveur jette sur lui un regard de miséricorde, Pierre reconnaît sa faute, la pleure amèrement, la répare par son amour, les immenses travaux de son apostolat, et a la gloire de mourir en croix, comme son maître. Paul persécute avec rage et fureur l'Église naissante, les premiers chrétiens ; c'est un loup déchaîné au milieu du troupeau. Saint Étienne est lapidé, et Paul, trop jeune et trop faible pour prendre part à ce meurtre, garde au moins les habits de ceux qui mettaient à mort le saint diacre, et tue, par les mains des bourreaux, le premier martyr de Jésus-Christ. Mais Dieu le terrasse sur le chemin de Damas, la grâce touche Paul, il y correspond, et de persécuteur qu'il était, il devient l'apôtre intrépide de Jésus-Christ, le prédicateur ardent, zélé, de l'Évangile qu'il porte aux nations et aux rois, dans Rome même, centre et boulevard du paganisme, au milieu du palais de l'impur et cruel Néron, jusqu'à ce qu'enfin il répande son sang, en témoignage de la foi qu'il prêche.

Qui ne sait qu'Augustin, Thaïs, après s'être abandonnés au désordre, et plongés dans les plaisirs des sens, touchés de la grâce, changent enfin de vie, deviennent la bonne odeur de Jésus-Christ et édifient par leurs vertus ceux qu'ils avaient scandalisés par leurs crimes ?

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Que de choses nous aurions à dire si nous voulions parcourir les divers âges de l'Église, et montrer les effets surprenants que l'Évangile a produits partout, jusque dans le nouveau monde, dans ces îles perdues au milieu de l'Océan, où nos intrépides missionnaires vont, au prix des plus grands travaux et de leur sang, porter, avec les lumières de la foi, le germe de toute civilisation !

Mais, sans aller si loin, ne trouve-t-on pas, même au milieu de nous, des prodiges aussi extraordinaires de la grâce ? Dites-moi : qu'est-ce qui a changé ce père de famille, autrefois si dérangé et si libertin, cette femme d'une conduite si légère, cette jeune personne, si dissipée, si mondaine, pour ne rien dire de plus, ce jeune homme, dont les mœurs scandaleuses étaient l'opprobre de ses parents, le fléau de ses frères, le bourreau des âmes, la désolation de la paroisse et la croix du pasteur ? La grâce de Dieu, une instruction qu'ils ont entendue, un bon conseil qu'on leur a donné, un exemple de vertu dont ils ont été témoins, un malheur peut-être qui les a frappés, une perte qu'ils ont éprouvée les ont appelés à d'autres sentiments, et fait naître dans leurs cœurs des pensées et des désirs d'une sincère conversion.

Oh ! qu'il est important de ne pas négliger ces moments précieux où Dieu parle à nos cœurs, mais de les mettre à profit. Que nous serions heureux, nous tous, qui que nous soyons, si nous voulions vivre selon l'Évangile, et conformer notre conduite aux maximes éternelles que Jésus-Christ y a tracées de ses mains divines ; et quels merveilleux changements parmi nous ! On verrait revivre dans le christianisme la ferveur de la primitive Église ; nous n'aurions plus qu'un cœur et qu'une âme pour aimer Dieu et nos frères ; notre charité réciproque, cette marque que Jésus-Christ donne pour distinguer ses vrais disciples (Joan. , XIII, 35), frapperait d'étonnement ceux qui en seraient les témoins, et diraient de nous ce que les païens disaient de nos pères dans la foi : Voyez combien ils s'aiment ! (Tertul. )

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