Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le Ve dimanche après l'Épiphanie

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Laetitia
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Telles sont les funestes semences que l'homme ennemi jette en nous pendant que nous dormons, semences d'où naissent tant d'actions coupables et par suite tant d'habitudes de péché, le plus grand obstacle à la vie chrétienne. Essayez de tirer de leur sommeil et d'avertir du danger qu'ils courent ceux qui dorment de la sorte, ils vous entendront peut-être, ils vous remercieront même de vos avis ; mais, entraînés par le poids de l'habitude et les charmes du plaisir, ils retomberont bientôt dans leur torpeur. C'est ce que l'Ecclésiastique nous enseigne par une comparaison très-juste : « L'homme qui parle à celui qui ne l'écoute point, est comme celui qui réveille un homme d'un profond sommeil, » qui narrat verbum non audienti, quasi qui excitat dormientem de gravi somno, Eccli., XXII, 8. Qui n'a rencontré un de ces malades qu'une fièvre soporifique enchaîne dans un lourd et funeste sommeil ? En vain vous lui agitez les bras, vous faites retentir vos cris à ses oreilles, vous l'avertissez du danger dont ce sommeil le menace ; il ouvre les yeux, il écoute volontiers vos paroles, il tâche même de se tenir éveillé ; mais l'influence des humeurs morbides l'emporte et le replonge dans un assoupissement plus profond encore que le premier.

Voilà ce qui arrive souvent aux infortunés qui sont ensevelis dans l'habitude du péché et des plaisirs coupables. Faites retentir à leurs oreilles les plus terribles vérités de la religion ; mettez sous leurs yeux la mort, le jugement, l'enfer, les récompenses et les supplices sans fin, la croix du Sauveur, la longue chaîne de leurs iniquités, le danger d'une mort subite, ils vous écoutent, quelquefois même avec plaisir, ils reconnaissent la vérité et la sagesse de vos discours, ils font un effort pour sortir de leurs ténèbres et de leur funeste torpeur, mais le poids de l'habitude les accable, l'amour du siècle et des plaisirs les entraine, et ils retournent à leur premier état.

(à suivre)
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Laetitia
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Ce sommeil mortel, cause de tant de maux, est produit sans aucun doute par les passions mauvaises de notre chair : une fois livrée à leur empire, elle s'oppose avec force aux actes de l'esprit et le plonge comme dans un profond assoupissement. En effet, les philosophes enseignent qu'aucune chose ne peut , dans le même moment, se mouvoir en sens contraire, par exemple monter et descendre ; et comme il n'y a rien de plus contraire que les mouvements de l'esprit et ceux de la chair, ceux-ci conduisant à la mort, ceux-là à la vie et à la paix, il arrive nécessairement que, tandis que la chair se livre aux soins et aux désirs charnels, l'esprit est enseveli dans le sommeil. C'est ce que nous figure très-bien cette potion de lait donnée par la prudente Jahel au chef des Madianites, Sisara, épuisé par une longue fuite : à peine, dans la soif qui le dévore, s'est-il abreuvé à longs traits de cette douce liqueur, qu’un lourd sommeil s'empare de lui, et que Jahel vient lui enfoncer dans les tempes le clou fatal. Il en est de même des hommes du siècle : attirés par la passion et par le charme des plaisirs charnels, ils les savourent avidement, et négligent les choses spirituelles pour lesquelles ils ne sentent ni goût ni attrait. C'est ainsi que, lorsque la chair veille et agit, l'esprit dort d'un sommeil funeste qui peut le conduire à la mort éternelle.

De là, mes frères, il est facile de conclure ce que nous avons à faire pour réveiller notre âme de cette léthargie profonde et la rendre apte à la pratique des bonnes œuvres. Notre âme, avons nous dit, veille alors surtout que nous la dérobons à l'empire du corps et des sens, c'est-à-dire des passions charnelles, dont le charme, comme un doux, mais funeste sommeil, s'empare d'elle et la séduit au point qu'elle préfère la nuit au jour, des biens apparents et fugitifs aux biens solides et durables. Or, selon que l'enseigne admirablement Platon, les âmes qui ont le moins de contact possible avec les corps, se fortifient de jour en jour davantage et deviennent plus aptes à contempler les choses divines, à rendre à Dieu leurs hommages, à conformer leurs goûts et leurs actions à sa volonté. C'est alors que l'esprit est plein de vie et de force, qu'il remplit ses fonctions, qu'il se conserve intègre et pur, et se rend digne de l'image de Dieu gravée en lui.

Autrement il arrive ce que dit l’Apôtre : « Celui qui s'attache à la courtisane devient un seul corps avec elle, » qui adhæret meretrici, unum corpus efficitur, I Cor., VI, 16 : l'âme esclave des voluptés charnelles perd sa dignité et son excellence, et prend en quelque sort la nature même de la chair.

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Laetitia
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IV.

L'antique ennemi ayant donc, pendant le temps du sommeil, jeté la mauvaise semence, et l'ivraie ayant crû avant le froment, les serviteurs du père de famille, à la vue de l'ivraie, s'écrient : « Seigneur, n'avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? d'où vient donc qu'il s'y trouve de l'ivraie ? » Juste sujet d'étonnement, en effet, non-seulement pour les hommes, mais encore pour les anges ! D'où vient, Seigneur, cette immense moisson d'ivraie ? Pourquoi ces infidèles, ces idolâtres, ces Juifs, ces mahométans, ces nations sauvages et barbares ? Pourquoi n'y a-t-il qu'une si petite portion du monde soumise à votre empire ? Pourquoi cette petite portion elle-même est-elle ravagée par tant d'hérésies ? Car, Seigneur, vous aviez planté une vigne choisie, des rejetons excellents, je veux dire les deux ancêtres du genre humain, ornés de la justice originelle et de la grâce. D'où vient donc que nous avons sous les yeux tant d'impiétés, tant de fausses religions, tant de crimes épouvantables, tant de parjures et de forfaits de tout genre ? Surtout lorsque le péché, comme une plante funeste et empoisonnée, étend au loin sa pernicieuse influence et s'attaque à tout ce qui est au ciel et sur la terre. Il s'attaque en premier lieu au Maître commun de l'univers, dont nous avons reçu tous les biens, et en qui nous avons la vie, le mouvement et l'être. Il nuit au pécheur lui-même, selon cette parole du Prophète : « Celui qui aime l'iniquité, hait son âme. Qui diligit iniquitatem, odit animam suam. Ps. x, 6. Il offense toutes les créatures du monde, indignées de se voir condamnées à servir celui qui est traître et rebelle envers le Maître commun de tous. Il va jusqu'à renverser toute l'économie de l'incarnation et de la passion du Fils de Dieu, dont la fin principale était la destruction des péchés, comme nous l'apprend Isaïe : « Et le fruit sera l'expiation de son iniquité. » Et iste omnis fructus, ut auferatur peccatum ejus. Isai., XXVII,.
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En outre, Seigneur, puisque toutes les créatures à qui vous avez donné l'existence, soit au ciel, soit sur la terre, tendent perpétuellement à leur fin et l'atteignent presque toujours, pourquoi, parmi les hommes qui ont reçu de vous le premier rang dans cet univers, en est-il un si grand nombre qui s'écartent de leur fin, un si petit nombre qui l'atteignent ? Nous voyons, en effet, tous les êtres suivre leur nature comme le guide de leur existence, et vivre selon les lois qu'elle leur prescrit. Or, si vous demandez à un philosophe quelle est la nature de l'homme, il vous répondra aussitôt que l'homme est un animal raisonnable.

D'où il suit évidemment que pour lui vivre selon la nature, c'est vivre selon la raison. Maintenant le péché étant contraire, non seulement aux lois diverses, mais encore à la lumière de la raison, comment peut-il se faire qu'une créature raisonnable le commette à chaque heure du jour ? Comme l'oiseau est fait pour voler, le cheval pour courir, l'animal sauvage pour chercher sa proie, ainsi c'est le propre de la créature raisonnable de régler sa vie selon les préceptes de la raison. Pourquoi donc l'homme, par le péché, se révolte-t-il contre la raison et contre sa nature ?

« Pourquoi, Seigneur, après que vous avez semé du bon grain dans votre champ, s'y trouve-t-il tant d'ivraie ? »

Cette question a embarrassé beaucoup de philosophes, jusque là que des hérétiques, étonnés de trouver tant d'impiété et de désordre en ce monde, ont, pour ne pas accuser la divine Providence, supposé deux principes des choses, l'un pour le bien, l'autre pour le mal. Tels furent les Manichéens, dont les erreurs désolèrent l’Église depuis son origine jusqu'au temps du bienheureux Pierre martyr, erreurs que saint Augustin lui-même professa jusqu'à son baptême. On peut voir, dans les Confessions, tous les tourments de son esprit lorsque, recherchant la cause et l'origine du mal, il posait comme un principe certain que rien de mauvais n'avait pu être mis en ce monde par un Dieu très bon. Ce difficile problème a été résolu de deux manières par les philosophes et par les théologiens.

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Voici la solution des premiers. Parmi toutes les créatures disent les philosophes, l'homme seul est composé de deux éléments très-dissemblables, d'un corps et d'une âme. Tandis que les autres êtres, n'ayant qu'une seule et unique nature, ne recherchent, selon leur condition, ou bien que les choses corporelles seulement, ou bien que les spirituelles, l'homme, placé dans une situation intermédiaire et comme le nœud du monde, a besoin, selon la double nature qui lui a été assignée, de deux sortes de biens, de biens sensibles et de biens intelligibles, en d'autres termes, de biens corporels et de biens incorporels.

Mais nous sommes portés de beaucoup de manières à aimer les biens sensibles. D'abord une sorte d'impulsion naturelle fait désirer au corps les biens corporels, aux sens les biens sensibles, comme étant de même espèce et en harmonie avec eux. Ensuite ces biens nous sont utiles : ils servent à notre nourriture ; leur usage est pour nous la source de mille jouissances. Enfin ils sont près de nous ; nous les avons sous la main ; or on sait qu'un bien présent, que l'on peut voir et toucher, exerce sur nous un attrait beaucoup plus fort. Les biens spirituels, au contraire, quoique plus excellents en eux-mêmes, sont moins à notre portée ; nous ne les saisissons que par l'entendement, et cela non sans peine. Ah ! si nos yeux pouvaient les contempler, nous sentirions pour eux un incroyable amour; mais cette faculté n'appartient pas à la vie présente. D'où il arrive que l'homme, placé comme au cœur de la création, et accoutumé dès son enfance aux choses sensibles, préfère naturellement les biens présents aux biens absents, les biens connus aux biens inconnus, les biens qui sont près de lui, qu'il saisit sans effort et où il trouve un plaisir, aux biens éloignés et d'un accès difficile. En quoi les hommes me paraissent ressembler aux enfants qui, objets continuels des soins et des attentions délicates de leurs nourrices, ont pour celles-ci plus d'amour que pour leurs parents eux-mêmes, à qui ils doivent la vie et ces soins délicats. Les biens sensibles sont comme la nourrice qui nous soigne et nous nourrit, avec laquelle nous nous trouvons continuellement en rapport. C'est Dieu pourtant qui est notre premier et véritable père ; c'est lui qui nous donne la vie ; c'est sa bonté et sa providence qui ont mis à notre service toutes les choses sensibles : c'est donc à lui que nous devons tout rapporter. Et nous, semblables à des enfants, nous préférons notre nourrice à notre père, c'est-à-dire les choses sensibles qui servent à nos usages, au Créateur souverain qui nous a donné la vie et nous la conserve. Telle est la première raison pour laquelle nous aimons les biens corporels plus que les biens spirituels. De cet amour déréglé des choses sensibles naissent tous les maux dont nous avons parlé, puisque, pour atteindre l'objet de nos désirs, il n'est pas de crime que nous ne commettions.
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Mais cette raison empruntée à la philosophie, quoique vraie, ne résout pas complètement la question posée plus haut. Car on peut toujours se demander pourquoi l'Auteur de la nature, qui fait régner partout une souveraine harmonie dans les choses les plus opposées entre elles, a composé l'homme de deux natures qui se font mutuellement la guerre, lorsqu'il aurait pu les concilier de telle sorte que l'une fût soumise à l'autre et lui obéit docilement, comme les membres du corps obéissent au commandement de notre volonté.

Cette difficulté, la sagesse chrétienne seule peut la résoudre. Le divin Auteur de la nature, nous dit-elle, a créé l'homme droit et en paix avec lui-même ; les deux éléments dont il se compose étaient unis ensemble dans une douce harmonie, la partie inférieure obéissant à la partie supérieure, et cela grâce au bienfait de la justice originelle, cette bonne semence que le père de famille avait jetée au commencement dans la terre de notre âme. Mais l'homme ennemi, jaloux de nos premiers parents, sema l'ivraie dans cette terre féconde, et gâta ainsi la belle et pure moisson du Seigneur. Répandu dans la racine même du genre, le venin du péché corrompit toutes les générations qui devaient naître de cette racine. Car le péché est semblable à un levain, qui met en fermentation toute la masse à laquelle on le mêle ; ou bien encore au vinaigre, dont il suffit de jeter quelques gouttes dans un tonneau de vin pour lui communiquer son aigreur ; ou enfin à un poison qui, de l'estomac, s'insinue dans tous les membres du corps, et donne la mort à l'homme.

C'est ainsi que le premier péché, semblable à une liqueur empoisonnée bue par le premier ancêtre du genre humain, a corrompu pour ainsi dire tous ses membres en passant dans ses enfants. De là cette parole de saint Augustin : « Le genre humain fut perdu tout entier le jour où périt celui en qui toute la race était renfermée. » Cette souillure, qui se transmet par la génération à la postérité d'Adam, est la source de tous les péchés, parce qu'elle a détruit la grâce et blessé la nature, laquelle, privée du secours céleste de la grâce, tombe facilement dans toute espèce de crimes. Voilà pourquoi ce péché est appelé d'une manière générale la mauvaise semence, parce qu'il renferme le germe de tous les maux.
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Quelle conclusion, mes frères, tirerons-nous de ce discours ? D'abord, en voyant combien la souveraine et infinie bonté de Dieu déteste le péché, puisqu'elle l'a puni d'une manière si rigoureuse sur la race humaine tout entière, apprenons quelle haine nous devons lui porter nous-mêmes. Que si vous me demandez quelles armes il faut prendre pour le combattre, l'Apôtre nous l'apprendra. Après avoir déploré ce mal qui infecte le genre humain, il s'écrie : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? » c'est-à-dire de l'influence ma ligne de la mort et du péché qui réside dans mes membres, et il répond aussitôt : « La grâce de Dieu par Jésus-Christ. » Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus ? Gratia Dei per Jesum Christum. Rom., VII, 24, 25.

La grâce est donc l'antidote efficace contre le venin du péché ; et c'est Jésus-Christ qui nous l'a méritée par le sacrifice sans tache de son corps et de son sang ; c'est la prière qui la demande, ce sont les bonnes œuvres qui nous en rendent dignes, et ce sont les sacrements qui nous la donnent.

Puisqu'il en est ainsi, mes frères, appliquons-nous à la pratique des bonnes œuvres ; le jour et la nuit implorons par de saintes prières la miséricorde du Seigneur, et allons avec dévotion et piété puiser aux sources des sacrements, afin que, fortifiés par le secours de la grâce céleste, combattant fidèlement le péché, et arrachant avec soin de notre cœur la semence mauvaise, nous méritions de recueillir, sous les auspices du Père de famille, une abondante moisson de mérites dans la céleste patrie. Ainsi soit-il.
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