Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte

Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

III.


Une troisième propriété de la lèpre, c'est d'être la plus contagieuse de toutes les maladies ; aussi la loi défendait-elle à tous ceux qui en étaient atteint, tout rapport, tout contact avec les autres hommes, de peur que la contagion n'arrivât jusqu'à eux.

N'est-ce pas là encore un des caractères du péché ? Quelle maladie, quelle lèpre, quelle peste souille l'air et les corps, autant que le péché souille les âmes humaines ? Pourquoi cela ? parce que notre commune nature est tellement gâtée par la vue du péché et inclinée au mal, que, sans le secours de la grâce divine, elle se précipite dans l'iniquité à la moindre occasion. De même que le bois aride mis sur le feu s'enflamme à l'instant, ainsi notre nature, privée de la grâce, est entraînée au mal, je ne dis pas seulement par l'exemple des méchants, mais par les motifs les plus frivoles. « Ne savez-vous pas, dit l'Apôtre, qu'un peu de levain aigrit toute la pâte ? » Nescitis quia modicum fermentum totam massam corrumpit ? I Cor. V, 6. Le levain, c'est de la pâte corrompue, dont la force est si grande, que si on en mêle une petite quantité à un tas de farine, et qu'on les laisse ensemble pendant quelque temps, la farine entière s’aigrit : vive image de l'influence du péché ! Aussi est-il plus facile à un seul pécheur de pervertir beaucoup de justes, qu'il ne l'est à beaucoup de justes de retirer du mal un seul pécheur. Sans parler d'Arius et des autres hérétiques qui inoculèrent à un si grand nombre d'hommes le poison de l'erreur, qu'il me suffise de citer l'exemple de Luther, que les personnages les plus illustres par leur sainteté et leur science ne purent ramener à la vérité ni par leurs discours, ni par leurs écrits. C'est pourquoi, quand je considère la nature du mal, je trouve qu'il ressemble au vinaigre. Versez un peu de vinaigre dans un tonneau rempli de vin précieux, le tonneau de vin s’aigrira et se changera bientôt en vinaigre. Au contraire, mêlez beaucoup de vin à un peu de vinaigre, vous perdrez votre vin, et vous n'aurez pas ôté au vinaigre son âcreté. Nous n'apprenons rien si facilement que le vice, et nous n'oublions rien plus difficilement. Apprendre le mal, pour notre nature corrompue, c'est descendre le cours d'un fleuve; apprendre la vertu, c'est le remonter : il faut du travail et des efforts. Vous comprenez par là au milieu de quels périls nous nous trouvons, nous qui sommes en ce monde, dont l'apôtre saint Jean dit qu'il est « tout entier sous l'empire du malin esprit, » mundus totus in maligno positus est, I Joann. v, 19 ; où il nous faut vivre, boire, manger et dormir dans la société de lépreux, c'est-à-dire, pour parler sans figure, où la vie de notre âme, notre innocence, est exposée à mille scandales, à mille pièges, à mille séductions, à tous les entraînements d'exemples pervers ; où, selon l'image dont se sert le prophète Isaïe, « se trouve la demeure des dragons et le pâturage des autruches, » cubilo draconum et pascua struthionum, Isa. xxxiv, 13 ; où « les milans s'assemblent et se joignent l'un à l'autre, » illuc congregati sunt milvi,alter ad alterum, ibid. 15 : les milans, c'est-à-dire les oppresseurs des pauvres, qui s'abattent sur leur proie, c'est-à-dire sur les biens des petits et des faibles ; où enfin « les satyres jettent des cris les uns aux autres, » et pilosus clamabit alter ad alterum, ibid. 14, c'est-à-dire, où les hommes délicats et charnels charment nos yeux par le spectacle, soit de leurs délices et de leurs plaisirs, soit de leur faste et de leur opulence, et gagnent nos âmes à l'imitation de leur mollesse.
(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

IV.


L'haleine des lépreux exhale une odeur insupportable : tout l'intérieur de leur corps étant corrompu, de cette source impure et viciée, que peut-il sortir autre chose qu'infection et souillure ? Telle est la condition des âmes en proie aux maladies spirituelles des vices. Car je voudrais, mes frères, vous bien inculquer cette conséquence de notre déchéance commune : de même que la chair des animaux a besoin de sel pour se conserver, et, si elle en est privée, se corrompt aussitôt et fourmille de vers, de même il faut à notre âme le sel de la grâce divine pour la préserver de la corruption du péché : sans ce secours, elle exhale l'odeur infecte des mauvaises actions, et enfante les vers des passions, qui la rongent et la dévorent.

Avec cette corruption intérieure, la bouche de l'homme peut-elle exhaler autre chose qu'un souffle pestilentiel ? Les criminels condamnés à la peine de mort portent, si je puis ainsi parler, une âme morte dans un vivant; aussi peut-on justement leur appliquer cette comparaison du Psalmiste : « Leur gosier est un sépulcre ouvert ; ils se sont servis de leur langue pour tromper avec adresse, » sepulchrum patens est guttur eorum ; linguis suis dolose agebant, Ps. v, 11. De même que d'un sépulcre ouvert, au fond duquel gît un cadavre dévoré par les vers, s'échappe une odeur pestilentielle et insupportable, de même, comme la bouche parle de l'abondance du cœur, il ne pourra sortir qu'un langage empoisonné d'un cœur où gît une âme morte et en proie à la corruption. Aussi voit-on un grand nombre d'hommes dont la bouche ne profère que des paroles lascives et honteuses. D'autres, poussés par la colère, font entendre toutes sortes d'exécrations, dévouent aux enfers pour la moindre contrariété les gens de leur maison et même les étrangers, et leur souhaitent mille morts et les plus affreux supplices. Peu différents de ceux-ci, d'autres adressent mille injures au prochain, et prodiguent les appellations d'ivrognes, de brigands, d'insensés, de chiens, de fils de Satan. Vous en voyez d'autres qui font autant de serments qu'ils prononcent de paroles, souillant de leur bouche impure le nom très-saint et très-adorable du Tout-Puissant. D'autres enfin osent vomir contre le ciel et contre Dieu les plus horribles blasphèmes. Saint Grégoire les compare aux bourreaux qui, après avoir déchiré le corps du Sauveur, l'attachèrent à la croix ; et en effet, dans la fureur qui les emporte, ils déchireraient, s'ils le pouvaient, notre Seigneur Jésus-Christ avec leurs dents et leurs ongles. N'est-ce donc pas avec raison que le Prophète royal appelle un sépulcre ouvert leur gosier d'où sortent de si horribles abominations ?

Le même Prophète décrit ailleurs le supplice qui les attend : « Ta langue, dit-il, a médité l'injustice durant tout le jour ; tu as, comme un rasoir aiguisé, fait passer ta tromperie. .. C'est pourquoi Dieu te détruira pour toujours, il t'arrachera, il te chassera hors de ta tente, et il fera disparaître ta racine de la terre des vivants. » Tota die injustitiam cogitavit lingua tua, sicut novacula fecisti dolum. .. Propterea Deus destruet te in emigrabit te de tabernaculo tuo, et radicem acuta finem ; evellet te, et tuam de terra viventium. Ps. LI, 4, 7. Est-il possible d'imaginer un plus affreux supplice ?
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

V.


Mais nous n'avons pas encore épuisé tous les caractères de la lèpre. Une autre propriété de cette maladie, c'est que, lorsqu'elle a séjourné longtemps dans un individu, elle en fait, si je puis m'exprimer de la sorte, un tronc inutile. Elle s'attaque à ses yeux, à ses oreilles, à ses narines, à ses pieds et à ses mains, et rend tous ces sens à peu près impropres à leurs usages. Image saisissante de ce que nous voyons tous les jours dans les pécheurs invétérés, que l'habitude du mal a privés presque entièrement de tout sens spirituel. Ainsi ils n'ont plus d'yeux pour voir la majesté infinie de Dieu, la grandeur de leur misère, le danger d'une mort prochaine, le compte qu'il leur faudra rendre au jour du jugement, l'atrocité du supplice éternel : on dirait que leur âme est privée de l'usage de la vue. Ils n'ont plus d'odorat pour sentir la suavité des choses spirituelles et courir après Jésus-Christ à l'odeur de ses parfums (Cant. I). Ils n'ont plus de mains pour les faire servir au soulagement des pauvres et des malheureux. Ils n'ont plus les pieds des saints désirs pour s'élever à l'amour des choses célestes et mépriser la terre. Enfin, ils n'ont plus d'oreilles pour entendre les enseignements de la céleste doctrine. Croyez-vous qu'ils aient des oreilles, tous ceux qui, les dimanches et jours de fête, assistent aux instructions de l’Église ? S'ils en avaient, ils feraient attention à ce qu'on leur annonce ; s'ils en avaient, comprenant enfin le danger qui les menace, ils ne pourraient retenir leurs larmes; s'ils en avaient, le Sauveur dans l'Evangile, et saint Jean dans l’Apocalypse, ne répéteraient pas tant de fois cet avertissement : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. » Qui habet aures audiendi, audiat. Je me trompe, ils ont des oreilles, mais comme en avaient ceux auxquels le Seigneur adresse cette menace par son Prophète : « Vous écouterez, et en écoutant vous n'entendrez point; vous verrez, et en voyant vous ne verrez point. » Aure audietis, et non intelligetis ; et videntes videbitis, et non perspicietis. Isa. VI, 9 ; Act. XXVIII, 26. Ils ont des oreilles, mais pour leur perte, non pour leur salut; ils ont des oreilles, mais pour être inexcusables dans leurs crimes, non pour conformer leurs mœurs à l’Évangile. D'où il arrive que, n'étant pas sages par eux-mêmes, ils ne veulent pas le devenir par les autres.

Ils me semblent subir le châtiment dont le Seigneur menace son peuple infidèle, lorsque, parlant de la cruauté de ses ennemis, il dit : « Ils vous couperont le nez et les oreilles. » Nasum tuum et aures tuas præscindent a te. Ezech. XXIII, 25. Rien de plus dangereux que ce genre de supplice. En effet, le nez figure la prudence, dont l’office est de voir de loin, de pressentir les choses futures d'après l'expérience du passé. Voilà pourquoi nous disons d'un homme fin et perspicace, qu'il a du nez (1).

Les oreilles désignent l'obéissance, qui nous rend dociles aux conseils et aux ordres de nos supérieurs. Lors donc que le Seigneur menace son peuple que ses ennemis lui couperont le nez et les oreilles, il nous fait entendre que les méchants en viendront à ce degré d'insensibilité, qu'ils perdront à la fois la prudence et l'obéissance ; ou, en d'autres termes, comme nous l'avons expliqué, qu'ils ne seront sages ni par eux-mêmes, ni par d'autres, puisqu'ils dédaignent tous les conseils de la prudence. C'est à cette classe d'hommes qu'Hésiode applique la qualification d'inutiles. Ce grand poète range tous les hommes en trois catégories : la première, composée de ceux qui sont sages par eux-mêmes sans aucun maître ; la deuxième, comprenant ceux qui, peu sages par eux-mêmes, obéissent aux conseils des sages ; la troisième enfin, renfermant les hommes qui n'ont en eux-mêmes aucune sagesse, et refusent d'écouter ceux qui en ont. Il appelle ces derniers inutiles, et montre qu'ils ne sont propres à rien. Et c'est à cette classe qu'appartiennent les pécheurs dépravés par une longue habitude du mal; ils ont perdu le nez et les oreilles, c'est-à-dire, le sens de la prudence spirituelle et l'amour de l'obéissance.

(1) Le lecteur nous pardonnera cette expression un peu triviale, qui nous a semblé mieux que toute autre rendre le latin : Unde fit, ut prudentes et acutos homines, nasutos appellemus.

(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

VI.


Il existe beaucoup d'autres points de ressemblance entre la lèpre et le péché, et ce que nous disons de la lèpre s'applique aux maladies du corps en général. Car toutes les maladies ayant le péché pour cause première, il faut qu'on retrouve dans la seule racine du péché toutes leurs difformités et leurs inconvénients.

Mais qui pourrait, je ne dis pas développer, mais énumérer seulement tous ces rapports ? Ce que nous avons dit suffira pour nous faire comprendre que de tous les maux qui désolent le monde, le plus grand est la facilité de pécher. Aussi entendons-nous dire sans cesse autour de nous : Quoi d'extraordinaire que l'homme succombe au vice de l'homme ? que la folâtre adolescence se heurte à quelque écueil ? qu'au milieu de la corruption du monde on ne reste pas tout-à-fait pur ? qu'à force de manier la terre, un peu de boue vienne à souiller notre vêtement ? Enfin que l'homme charnel, conçu dans le péché, serve le péché, dont il est l'esclave ? La première femme pouvait tenir un langage semblable : Quel mal y a-t-il à ce que je goûte le fruit de cet arbre qui parait si beau à voir, si délicieux à manger ? Quel mal, dites-vous, ô femme ? Eh bien ! il y a un grand mal, il y a un horrible attentat à mépriser le commandement du Seigneur, à enfreindre sa loi, à braver sa majesté. Car ce qui constitue la difformité du péché, c'est que le pécheur préfère une inspiration diabolique, un instant de satisfaction grossière, au commandement de la majesté infinie. Et c'est pour cette raison que le péché mortel, comme nous l'avons expliqué, est le plus grand de tous les maux, est un mal infini.

Maintenant,mes frères, puisque vous croyez toutes ces vérités d'une foi inébranlable, ne convient-il pas que, s'il en est parmi vous qui aient été plongés dans ce déplorable aveuglement, ils ouvrent les yeux à la lumière, et se disent : Malheureux que je suis ! qui m'a égaré à ce point que je n'aie pas aperçu la malice et la difformité du péché ? que tant de fois je me sois précipité dans l'abîme profond de la géhenne ? que tant de fois j'aie fait à mon âme de mortelles blessures ? que tant de fois, pour les motifs les plus frivoles, j'aie provoqué la colère de la divine Majesté, violé la foi que je lui avais jurée, refusé de lui rendre l'obéissance qui lui est due à tant de titres, et préféré à son doux empire celui de l'ennemi le plus cruel ? Qu'ai-je fait de mes lumières, de ma raison, de ma sagesse ? Qu'ai-je fait de tant de saints avertissements, par lesquels l’Église me signalait le danger de mon état ? Qu'ai-je fait de la voix des remords, impuissants à me retirer de si grands maux ? Par quel breuvage funeste Satan a-t-il égaré ma raison pour m'empêcher d'apercevoir tous les crimes que je commettais sous les regards d'un Dieu qui voit tout, qui m'en demandera un compte rigoureux, et qui les punira dans le feu éternel de la géhenne ?

Celui de vous, mes frères, qui ferme aujourd'hui son âme à ces réflexions salutaires, il les fera, soyez-en sûrs, il les fera en se lamentant à la fin de sa vie, qui n'est pas bien éloignée. Si donc vous voulez échapper à ce péril, si vous voulez contempler d'un œil serein l'arrivée du souverain Juge, allez avec les lépreux de notre évangile, allez trouver le Seigneur Jésus, et vous tenant à quelque distance à cause de la difformité de vos crimes, criez comme eux : « Jésus, notre Maître, ayez pitié de nous. Aussitôt celui qui est près de tous ceux qui l'invoquent d'un cœur sincère, se présentera à vous. D'un mot puissant de sa bouche il vous renverra guéris à ses prêtres, par le ministère desquels il purifie les âmes de la lèpre du péché, les orne de toutes les vertus, se les attache par le lien indissoluble de la charité, et les rend dignes d'avoir part un jour à l'abondance de ses biens, à l'éternelle béatitude
Répondre

Revenir à « Temporal&Sanctoral de l'année liturgique »

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité