Sermon du Vénérable Louis de Grenade sur l'endurcissement du cœur - XIe dimanche après la Pentecôte

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade sur l'endurcissement du cœur - XIe dimanche après la Pentecôte

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DEUXIEME SERMON POUR LE XIe DIMANCHE APRES LA PENTECÔTE.

Explication de l’Évangile où l'on traite 1° de l'endurcissement du cœur ; 2° de ses causes et de ses remèdes.

Adducunt ei surdum et mutum, et deprecabantur eum, ut imponat illi manum.
Ils amenèrent à Jésus un sourd-muet, et le priaient de lui imposer les mains.
Marc. VII, 32.

Nous devons aujourd'hui, mes frères, à l'exemple de ces hommes qui amenèrent à Jésus un sourd-muet, prier le même Sauveur de déployer en notre faveur la même puissance et de nous guérir. Ayant mis les doigts dans les oreilles de ce malade, il dit : « Ephpheta, c'est-à-dire ouvrez-vous; et aussitôt ses oreilles s'ouvrirent. » Quiconque veut entendre avec fruit la parole de Dieu, a besoin d'un attouchement semblable : sans quoi nous ne ferions que vous adresser de vaines paroles, que frapper l'air de nos cris. De même que le laboureur jette inutilement la semence dans le sein de la terre, si l'influence du ciel ne la nourrit et ne la fait mûrir, ainsi nous jetons en vain dans nos cœurs la semence de la parole de Dieu, si une vertu céleste ne lui donne la fécondité et la croissance. C'est ce que l'Apôtre nous fait entendre quand il dit : « J'ai planté, Apollon a arrosé,mais c'est Dieu qui a donné l'accroissement. Ainsi celui qui plante n'est rien, ni celui qui arrose ; mais tout vient de Dieu, qui donne l'accroissement. » Ego plantavi, Apollo rigavit ; sed Deus incrementum dedit. Itaque neque qui plantat est aliquid, neque qui rigat; sed qui incrementum dat Deus. I Cor. 111, 6, 7. Il faut donc le prier de nous assister favorablement tandis que nous semons sa parole dans vos cœurs, afin que par sa grâce notre travail produise des fruits mûrs et abondants. Voilà pourquoi il est d'usage, au commencement des sermons, d'adresser une invocation à la bienheureuse Vierge, afin qu'elle nous obtienne du Père des miséricordes ce secours salutaire. Malheureusement c'est l'habitude, plutôt qu'un pieux sentiment du cœur, qui inspire cette prière, comme tant d'autres. Ainsi s'explique que nous retirions si peu de fruit d'un si grand nombre d'instructions. Et plaise à Dieu que cette négligence pour la parole sainte n'augmente pas un jour la matière de notre condamnation. Aujourd'hui du moins, afin que ce discours ne tourne pas à notre dommage, implorons humblement le secours du ciel par l'intercession de la très-sainte Vierge. Ave, Maria.

Nous trouvons dans le saint évangile de ce jour le récit d'une guérison opérée par le Sauveur avec des circonstances tout-à-fait extraordinaires, où se cachent de grands mystères et un salutaire enseignement. Jésus, dit l’Évangéliste, étant sorti des confins de Tyr et de Sidon ( villes païennes où il avait délivré du démon la fille de la Chananéenne ), on lui présenta un homme sourd et muet pour qu'il daignât, avec sa bonté accoutumée, le guérir. Pour cela, le Sauveur eut recours à des moyens étranges. « Tirant à part le malade hors de la foule, il lui mit les doigts dans les oreilles, et de sa salive sur la langue, et levant les yeux au ciel, il poussa un soupir et dit : Ephpheta, c'est-à-dire, ouvrez-vous. Et aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait distinctement. » Qui n'admirerait cette manière de guérir ? et qui pourrait croire que ces diverses circonstances ne cachent pas des mystères. C'est un axiome des philosophes que Dieu et la nature ne font rien en vain. Si donc le Créateur de l'univers n'a rien fait en vain, est-il permis de croire qu'il en aurait agi autrement dans la guérison des maladies et dans les œuvres de la grâce, surtout lorsque nous le voyons d'ordinaire rendre la santé aux malades et même la vie aux morts par un seul mot de sa toute puissance ?

Avant de commencer à expliquer ces mystères, il faut savoir que le sourd-muet de notre évangile, d'après la doctrine des saints Pères, figure une maladie spirituelle très-funeste, maladie qui rend la voie du salut comme inaccessible à ses victimes, le fort armé, qui garde sa maison (Luc. XI), fermant toutes les entrées par où la lumière pourrait briller à leur âme. Il ferme leur bouche pour les empêcher d'implorer le secours du Seigneur, sans lequel nul ne saurait être délivré de ses liens. Il ferme aussi les oreilles de leur cœur, afin qu'aucun mouvement intérieur de la grâce, qu'aucune voix extérieure des prédicateurs ne puisse leur profiter. Combien d'hommes ne voit-on pas qui assistent souvent à des sermons, et dont l'oreille du cœur ne reçoit pas une parole, puisqu'ils restent les mêmes qu'auparavant ? Le prophète Zacharie décrit ainsi leur endurcissement avec autant d'énergie que de justesse : « Ils n'ont point voulu prêter attention à ma voix ; ils se sont retirés en me tournant le dos, et ils ont appesanti leurs oreilles pour ne point m'entendre. Ils ont rendu leur cœur dur comme le diamant, pour ne point écouter la loi, ni les paroles que le Seigneur des armées leur avait adressées par son esprit répandu dans les anciens prophètes. » Et noluerunt attendere, et averterunt scapulam recedentem, et aures suas aggravaverunt ne audirent. Et cor suum posuerunt ut adamantem,ne audirent legem, et verba quæ misit Dominus exercituum in spiritu suo per manum prophetarum priorum. Zach. Vii, 11, 12.

Il existe pour les âmes deux grands dangers : l'endurcissement du cœur, et l'habitude invétérée du péché. Le second de ces dangers nous est représenté par Lazare, enseveli depuis quatre jours ; le premier, par le sourd-muet de notre évangile. De même que le Maître céleste, voulant nous montrer dans la résurrection de Lazare le danger d'une longue habitude du péché, déploie un grand appareil de signes extérieurs : il pleure, il frémit, il prie son Père, il rend grâces, il crie d'une voix forte : « Lazare, sors ; » ainsi, voulant nous montrer dans le sourd-muet le danger de l'endurcissement de l'âme, il emploie pour le guérir tous les rites décrits plus haut, attestant par la multiplicité des remèdes combien la guérison était difficile. Plaise à Dieu, mes frères, qu'il n'y en ait pas un grand nombre parmi nous atteints de cette maladie !
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I.

Nous allons maintenant, selon l'ordre naturel des choses, montrer le danger de cette maladie, en signaler les causes, et enfin expliquer le remède que le Sauveur employa pour la guérir.

Et d'abord, mes frères, le souverain Juge de ce monde a plusieurs manières de punir les péchés des hommes. Souvent, père plein de tendresse, il frappe le corps pour guérir l'âme, comme il le dit lui-même dans l’Apocalypse : « Je reprends et châtie ceux que j'aime, » ego quos amo, arguo et castigo. Apoc. III, 19. C'est ainsi qu'il châtia son peuple, dans la personne duquel Jérémie parle ainsi : « Vous m'avez châtié, Seigneur, et j'ai été instruit par mes maux, comme un jeune taureau indompté. » Castigasti me, et eruditus sum, quasi juvenculus indomitus. Jerem. Xxxi, 18. Heureux celui qui est ainsi affligé dans son corps et sauvé dans son âme ! Ce paternel châtiment est un remède salutaire.

Quelquefois Dieu punit, non plus en père,mais en juge, et en juge sévère. « Je vous ai frappé en ennemi, dit-il dans le même prophète, je vous ai châtié cruellement, » plaga inimici percussi te, castigatione crudeli. Jerem. xxx, 14. Et ailleurs : « Un vent brûlant souffle dans les routes du désert de la fille de mon peuple, non pour vanner et pour nettoyer, » ventus urens in deserto viæ filiæ populi mei, non ad ventilandum et ad purgandum. Jerem. iv, 11. Qu'est-ce à dire ? Le vent nettoie le blé dans l'aire, en séparant du grain la paille légère. Le Seigneur fait donc entendre que les malheurs qui vont suivre auront pour effet, non l'expiation des péchés, mais leur accroissement. Ainsi Dieu nous punit en cette vie de la manière la plus terrible, soit lorsqu'il châtie le péché par le péché, soit surtout lorsque, par un juste jugement, il abandonne à leur sens réprouvé ou laisse tomber dans l'endurcissement des hommes qui ne cessent d'entasser iniquité sur iniquité. Arrivé là, on est insensible, non-seulement à la parole de Dieu, mais à ses coups, aux miracles mêmes les plus éclatants. Nous en avons un exemple dans les Pharisiens qui, témoins de tant de miracles de Jésus-Christ, n'en persistèrent pas moins dans leur incrédulité ; et un plus célèbre encore dans l'endurcissement de Pharaon, que les dix plaies d’Égypte ne purent amener à résipiscence. Les serviteurs de ce prince n'étaient ni moins endurcis ni moins aveugles : « Lorsqu'ils avaient encore les larmes aux yeux, dit le Sage, et qu'ils pleuraient aux tombeaux de leurs enfants morts, ils prirent tout d'un coup follement une autre pensée, et ils se mirent à poursuivre comme des fugitifs ceux qu'ils avaient pressés avec instance de se retirer. » Adhuc inter manus habentes luctum, et deplorantes ad monumenta mortuorum, alium sibi assumpserunt cogitationem inscientiæ ; et quos rogantes projecerant, hos tanquam fugitivos persequebantur. Sapient. Xix, 3.

Telle est donc la dureté de cœur figurée par le sourd-muet de l'évangile. De même que cet homme était impuissant et à parler et à entendre, ainsi le pécheur tombé dans l'endurcissement n'a plus, comme nous l'avons dit, ni de bouche pour implorer le secours de la grâce divine, ni d'oreilles pour recevoir les enseignements de la religion. Mettez-lui devant les yeux le danger d'une mort prochaine, le compte de toute une vie qu'il faudra rendre au souverain Juge, les joies de la vie du ciel réservées aux justes, les supplices éternels de la géhenne, le ver qui ne meurt pas, les ténèbres épouvantables, ou encore les bienfaits de Dieu, la croix du Sauveur, les clous, les liens, les crachats, les vertiges et les autres supplices de la passion, ces menaces et ces promesses ne feront sur lui aucune impression ; il n'en sera pas plus ému que ne le serait un sourd-muet avec lequel vous entreriez en conversation. C'est l'expérience que font tous les jours les prédicateurs, qui rappellent ces vérités à un grand nombre d'hommes sans produire en eux aucun sentiment de tristesse, de repentir ou de crainte de Dieu.
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Mais, me direz-vous, comment accorder une si profonde insensibilité avec la foi, dont ces hommes ne sont nullement privés ? Car si la foi leur présente comme incontestables des vérités capables d'amollir des âmes de fer, comment se fait-il que, appuyés sur la foi, ils entendent ces vérités sans éprouver un sentiment de crainte ou de douleur ? Les hérétiques de notre siècle répondent que l'homme, en commettant un péché mortel, perd la foi en même temps que la grâce sanctifiante ; et qu'il est impossible que celui qui a la foi succombe au péché. Mais la véritable raison de ce phénomène moral est, non dans l'absence de la foi, mais dans la ruse du démon qui, avec une habileté perfide, dispose l'âme de l'homme et l'égare à ce point qu'elle se jette dans l'abîme en toute connaissance et liberté. C'est ce qui arriva au devin Balaam ; le malheureux confesse qu'il tomba les yeux ouverts et .voyant sa chute ; cependant, vaincu par la cupidité, il voulait tomber. Num. XXII. Les pécheurs dont nous parlons ont donc une véritable foi, mais une foi tellement assoupie et rendue insensible par l'artifice du démon, qu'elle n'opère aucune action digne de Dieu. La nature nous offre dans ses œuvres quelque chose de semblable. Ceux qui ont voyagé dans l'Inde-Orientale racontent que dans l’île de Ceylan se trouvent des serpents tellement dangereux qu'ils donnent la mort par la plus légère morsure. Mais la divine providence, qui pourvoit à tous les besoins, a mis le remède à côté du mal. Cette même île renferme un arbre salutaire, dont il suffit de tenir un rameau à la main pour n'avoir plus rien à craindre ; son odeur et sa vertu endorment et charment le serpent, qui se laisse manier sans péril, et tuer sans résistance. Ils ressemblent à ce serpent tenu sous le charme, ceux qui ont une foi morte : adressez-vous à eux, frappez-les et de la verge et de la parole évangélique; mettez sous leurs yeux les plaies de Jésus-Christ, les exemples des saints, les supplices réservés aux méchants, ils demeurent aussi insensibles que le reptile dont nous parlons. De même donc que ce reptile est un serpent véritable, qu'il est armé d'un véritable venin, mais rendu impuissant par la vertu d'un rameau merveilleux, ainsi ces hommes sont de véritables fidèles, ils ont la vraie foi, ils croient sans la moindre hésitation tout ce qu'on leur propose à croire ; mais l'influence du démon les endurcit et les aveugle à ce point, que les vérités saintes dont vous frappez leurs oreilles n'ont pas sur eux plus d'efficacité que sur un homme enseveli dans le sommeil ou dans la mort.

Que si vous me demandez maintenant par quel artifice le séducteur du genre humain réussit à plonger ces malheureux dans un tel état d'insensibilité, il me semble que cet artifice consiste à enflammer et à remplir leur cœur d'un amour passionné pour les jouissances de la terre ; ainsi rassasiés et repus, peuvent-ils recevoir autre chose ? L'Auteur de la nature, en effet, ayant destiné l'homme à jouir de lui, ne l'a créé capable que d'une seule chose, c'est-à-dire de lui-même. De même qu'un anneau ne peut être mis qu'à un seul doigt, et non à plusieurs ensemble, ainsi le cœur de l'homme, créé pour aimer et posséder un seul bien, ne peut en embrasser plusieurs dans la même ardeur et le même amour. D'où il arrive que cet anneau, s'il entoure un doigt, ne peut en ceindre un autre, à moins qu'on ne l'ôte auparavant du premier : de même, quand le cœur de l'homme est attaché par le lien puissant de l'amour, il est bien difficile qu'il se porte avec ardeur vers Dieu. Tel est l'artifice dont le démon se sert pour séduire les enfants des hommes. Il remplit, il enflamme leurs cœurs d'un tel attachement pour les choses de la terre, que tout ce qu'on leur dit des choses divines, ils l'entendent comme un discours étranger qui ne s'adresse point à eux et ne les intéresse en aucune sorte. Voilà ce que fait le démon dans l'âme de ceux qui se livrent à lui par une longue habitude du péché. Car il n'a aucun droit sur nous, à moins que nous ne lui ouvrions, par le consentement au péché, l'entrée de nos âmes.
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II.

Après avoir parlé de la maladie de l'endurcissement, cherchons maintenant quelle en est la cause, afin que nous puissions l'éloigner de nous. Cette cause est décrite sous de vives images dans un passage du prophète Isaïe, dans l'apologue de la vigne. Plantée dans un lieu fertile, cultivée avec beaucoup de soin, au lieu de donner de bons fruits, elle n'en avait porté que de sauvages; alors le Seigneur prononça contre elle cette sentence : « J'arracherai la haie de ma vigne, et elle sera exposée au pillage ; je détruirai tous les murs qui la défendent, et elle sera foulée aux pieds, etc. » Auferam sepem ejus, et erit in direptionem ; diruam maceriam ejus, et erit in conculcationem. Isa. V, 5. Ainsi le Seigneur attend longtemps que le pécheur se repente, et s'efforce par toutes sortes de moyens de l'attirer à lui. D'abord, par la voix extérieure de ses ministres, il ne cesse de lui rappeler ses devoirs, de l'avertir du danger qu'il court. Ensuite il a recours aux châtiments pour l'amener à la pénitence ; il le gourmande par la douleur sur son lit, et par le déchirement de ses os, selon qu'il est écrit au livre de Job (chap. XXXIII, 19). Frappé d'une maladie de ce genre, le bienheureux François (d'Assise) fit servir à sa conversion le doigt de Dieu, et fit dès lors de tels progrès dans la vertu, que, de marchand qu'il était, il devint l'instituteur et le patriarche d'un ordre très-illustre dans l’Église. Dieu appelle encore par les mouvements intérieurs de l'Esprit-Saint, répétant cette parole : « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe. » Ecce ego sto ad ostium et pulso. Quel est l'homme au cœur assez insensible pour n'avoir jamais entendu le Sauveur lui parlant ainsi au fond de son cœur : Infortuné, vois quel danger tu cours pour ton salut; vois par combien de crimes tu as offensé ton Créateur et ton Sauveur ; vois combien de temps il t'a patiemment attendu à la pénitence ; crains qu'une mort subite ne te surprenne à l'improviste, tout chargé d'iniquités, et ne te jette dans les flammes éternelles de l'enfer. Quel est, dis-je, mes frères, quel est l'homme assez corrompu pour n'avoir pas entendu souvent ces avertissements du Seigneur, et cela au moment même où il commettait le crime ? Lors donc que Dieu a parlé ainsi sans rien obtenir,lorsqu'il a ainsi vainement attendu le pécheur plongé dans l'iniquité, il l'abandonne enfin et le délaisse, et l'infortuné tombe dans l'abîme de l'insensibilité et de l'aveuglement. Ainsi, dans la guerre, un brave capitaine, qui ne peut en aucune manière exciter au combat ses soldats tremblants, finit par les abandonner ; ainsi un sage médecin, après avoir épuisé en vain toutes les ressources de son art pour guérir un malade, laisse faire la nature.

Ecoutez le Seigneur s'exprimant par la bouche du Psalmiste : « Mon peuple n'a point écouté ma voix, et Israël ne s'est point appliqué à m'entendre ; c'est pourquoi je les ai abandonnés aux désirs de leur cœur, et ils marcheront dans les voies qu'ils ont inventées. » Non audivit populus meus vocem meam, et Israel non intendit mihi ; et dimisi eos secundum desideria cordis eorum, ibunt in adinventionibus suis. Ps. Lxxx, 12, 13. C'est aussi ce qu'expriment ces paroles de l'Apôtre : « Lorsqu'une terre étant souvent abreuvée des eaux de la pluie qui y tombe, ne produit que des ronces et des épines, elle est en aversion à son maître, elle est menacée de sa malédiction, et à la fin il y met le feu. » Terra sæpe venientem super se bibens imbrem...., proferens autem spinas ac tribulos, reproba est, et maledicto proxima ; cujus consummatio in combustionem. Hebr. VI, 7, 8. Je citerai encore ce passage : « Dieu est un juge juste, fort et patient. Se met-il en colère tous les jours ? Si vous ne vous convertissez, il fera briller son épée, etc. » Deus judex justus, fortis et patiens : numquid irascitur per singulos dies ? Nisi conversi fueritis, gladium suum vibrabit, etc. Ps. VII, 12, 13. Dieu est juste, c'est-à-dire qu'il ne laisse pas le crime impuni et ne fait rien contre la justice. Il est patient, c'est pourquoi il ne se met pas en colère tous les jours, mais il attend avec patience le retour du pécheur. Enfin il est fort contre ceux qui abusent de sa patience, méprisent les richesses de sa bonté et s'amassent un trésor de colère. Il fait donc briller contre eux son épée, il tend son arc et lance des flèches enflammées ; ce n'est point assez pour lui de lancer des flèches, il les arme de feu, afin de frapper les impies par le fer et le feu à la fois. Plus longtemps il les a attendus, plus sévère est son châtiment; de là cette antique maxime : « La colère divine s'avance d'un pas lent à la vengeance, mais la gravité du supplice en compense la lenteur. »

Tel est, mes frères, le chemin qui conduit à ce mal extrême, l'endurcissement du cœur. Maintenant, que chacun tourne sur lui-même le regard de son âme, qu'il s'examine, qu'il scrute ses démarches, qu'il étudie avec soin son état, avec quelles dispositions il entend la parole de Dieu, comment il correspond aux mouvements intérieurs de l'Esprit divin. De cette manière, il pourra juger s'il est tombé, oui ou non, dans l'abîme de l'endurcissement.
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III.

Après avoir étudié la maladie et ses causes, il nous reste à en assigner le remède. Ce remède, le Médecin céleste nous l'a mystérieusement indiqué dans la guérison du sourd-muet de notre évangile, où chaque circonstance a son importance, sa signification mystique.
D'abord il tire le malade à l'écart, loin de la foule. Qu'est-ce à dire ? Il nous enseigne par là que celui qui veut être guéri doit se séparer des soins bruyants et des affaires de ce monde pour commencer à s'occuper de son salut. Qu'il s'en sépare, sinon par le corps, au moins par la pensée, comme fit ce jeune débauché qui, rentrant en lui-même, se dit : « Combien de mercenaires dans la maison de mon père ont du pain en abondance, et moi, je meurs ici de faim ! » Luc. Xv, 17. Retiré donc dans cette solitude spirituelle, qu'il s'adresse à lui même les réflexions suivantes : Ô homme, tu sais que tu es mortel et disciple de Jésus-Christ. Or, la foi chrétienne t'apprend qu'après cette vie mortelle il y en a une autre dans le siècle futur. Tandis que la vie présente atteint bien rarement la centième année, la vie future embrasse toute l'éternité, c'est-à-dire une durée qu'aucun nombre ne saurait exprimer. Après des centaines de milliers d'années, d'autres années plus nombreuses encore se succéderont, et ce cercle interminable recommencera toujours. Aussi, comparée à l'éternité, notre vie n'est pas plus qu'une goutte d'eau comparée à l'Océan. Que dis-je ? elle est bien moins encore, puisqu'il s'agit d'une durée finie mise en regard d'une durée infinie, tandis que dans cette comparaison les deux termes sont également finis. Dans la vie présente, nous mangeons le fruit du travail de nos mains, Ps. CXXVII, 2 ; dans la vie future, les hommes jouiront des fruits et des mérites de leur existence antérieure. « Là, dit l'Apôtre, l'homme recueillera ce qu'il aura semé. Celui qui sème dans sa chair recueillera de la chair la corruption, et celui qui sème dans l'esprit recueillera de l'esprit la vie éternelle. » Quæ seminaverit homo, hæc et metet. Quoniam qui seminat in carne sua, de carne et metet corruptionem ; qui autem seminat in spiritu, de spiritu metet vitam æternam. Gal. VI, 8. D'où nous voyons que tous les hommes, dans le siècle futur, selon leurs mérites et leurs œuvres, ou bien seront admis parmi les anges à une vie très-heureuse, remplie de toutes les jouissances, ou bien seront condamnés avec les démons à une vie misérable et à toutes sortes de tourments. Voilà ce que te prêche et ta foi de chrétien, et les prophètes, et les apôtres, et le Maître des prophètes et des apôtres qui s'exprime ainsi : « Ceux-ci s'en iront à l'éternel supplice, et les justes à la vie éternelle. » Ibunt hi in supplicium æternum, justi autem in vitam æternam. Matth. xxv, 46. Et la vérité de ces paroles est aussi immuable que Dieu lui-même. Cela posé, quelle est donc la folie des hommes, quel est leur aveuglement de consacrer tous leurs soins, toutes leurs pensées, tous leurs efforts à acquérir ce qui ne regarde que cette vie passagère, et pour celle qui n'aura pas de fin, qui doit se passer, durant des siècles éternels, ou au sein de souveraines délices, ou au milieu des supplices les plus cruels, de n'avoir que de l'indifférence et le plus profond oubli ! Ô âmes enveloppées d'horribles ténèbres ! Ô sens dépravé par la ruse de l'antique serpent ! Ô épouvantable folie ! Car comment voir autre chose dans cette conduite que de l'insensibilité, de l'égarement et de la folie ? Que sont devenus et la raison, et le jugement, et la sagesse, et le souci des choses futures, qui constituent les prérogatives de la créature raisonnable ? L'homme, en effet, se distingue de la brute en ce que celle-ci ne voit que les choses présentes et placées sous ses yeux, tandis que lui, grâce à la raison dont il est doué, se souvient du passé, prévoit et prépare en partie l'avenir. Mais,devenu semblable aux animaux, il ne songe qu'au présent et ne prend pas plus de souci de l'éternité future que si, comme les bêtes, il devait mourir tout entier, corps et âme. Et que parlé-je des animaux ? L'homme s'est mis au-dessous des plus vils sous le rapport de la prudence. Y en a-t-il parmi eux de plus petits et de plus vils que la fourmi ? Et cependant vous la voyez tout occupée pendant l'été de faire des provisions pour l’hiver, afin de ne pas mourir de faim pendant la saison rigoureuse. Quelle honte pour nous, mes frères, de nous montrer moins prudents que ce petit animal et de ne pas profiter de son exemple ! Ah ! il est à craindre que Dieu, qui fait ressortir l'aveuglement de son peuple, en le comparant à la conduite du milan, de la colombe et de la cigogne, n'emprunte l'exemple des plus vils animaux pour confondre l'insensibilité de ceux qui ne songent pas à la vie future !

Afin que vous compreniez quel est sur ce point l'aveuglement des pécheurs, représentez-vous une flotte qui se met en mer pour un pays lointain, auquel on ne peut arriver qu'après avoir passé un désert aride et inculte. Cambyse, dit-on, organisa contre l'Ethiopie une expédition semblable, dans laquelle ses soldats, pressés par la faim, mangèrent les feuilles tendres et les jeunes pousses des arbres, du cuir amolli par le feu, en un mot tout ce que la nécessité leur mettait sous la main. Ces malheureux en vinrent à cette extrémité de désigner par le sort un soldat sur douze, qui devait offrir aux autres une nourriture plus horrible que la faim elle-même. Si donc le chef de la flotte dont nous venons de parler avait préparé à ses hommes juste assez de vivres pour le temps de la navigation, sans pourvoir aux nécessités de la traversée de ce désert, ne faudrait-il pas l'accuser d'une folie et d'une démence plus incompréhensible encore que celle de Cambyse ? Or, mes frères, notre vie est-elle autre chose qu'une navigation qui nous conduit, sans un moment d'arrêt, au port de la mort ? Et après la mort, qu'aurons-nous pour entretenir notre vie, sinon ce que nous avons amassé ici-bas ? De là cette maxime de Salomon : « Répandez votre pain sur les eaux qui s'écoulent, parce que vous le trouverez après un long espace. » Mitte panem tuum super transeuntes aquas, quia post tempora multa invenies illum. Eccli. xi, 1. Et cette autre dans un sens opposé : « Le paresseux n'a pas voulu labourer à cause du froid ; il mendiera donc pendant l'été, et on ne lui donnera rien. » Propter frigus piger arare noluit;mendicabit ergo æstate, et non dabitur illi. Prov. xx, 4. L'été désigne le siècle futur, où il n'est plus temps de semer,mais de moissonner. Si donc tous regarderaient comme insensée la conduite du capitaine qui aurait fait provision de vivres pour le temps de la navigation, sans pourvoir aux besoins du désert, combien ne sont-ils pas plus condamnables encore ces hommes dont toute l'application se porte aux intérêts de cette vie fugitive, et qui ne prennent aucun souci de celle qui doit durer éternellement ? Peut-on concevoir une plus grande folie, un plus profond aveuglement ?

Ainsi, pour revenir à notre sujet, le Sauveur sépara de la foule l'homme qu'il voulait guérir, afin d'apprendre au pécheur à quitter les vains soucis et les préoccupations de la vie présente, à se recueillir en lui-même, à réfléchir au danger qu'il court et à songer sérieusement à son salut. Tel est le premier remède des maladies de l'âme.
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Que fit notre Seigneur une fois seul avec cet homme ? « Il lui mit, dit l'Evangéliste, les doigts dans les oreilles. » Qu'est-ce à dire ? Ce sourd-muet, mes frères, comme nous l'avons dit en commençant, représente le pécheur endurci. Or, quand un homme en est venu à ce point d'insensibilité et d'aveuglement, en vain vous feriez retentir devant lui tous les oracles de nos saints Livres, pas un mot n'arriverait jusqu'à l'oreille de son cœur. Le Seigneur, dans Jérémie, signale ce déplorable état d'une âme insensible et comme engourdie : « Ecoutez, peuple insensé, qui n'avez point de cœur (1), qui avez des yeux et ne voyez point, qui avez des oreilles et n'entendez point. » Audi, popule stulte, qui non habes cor ; qui habentes oculos, non videtis, et aures, etnon auditis. Jerem. v, 21. Ces mots « qui n'avez point de cœur, » signifient que ce peuple est privé à ce point de sens et de raison, qu'il ignore la gravité de son mal et n'en cherche pas le remède. Car, mes frères, il y a cette différence entre les maladies corporelles graves et celles qui sont légères, que nous sentons peu celles-ci et que nous ne mettons pas un grand empressement à les faire disparaître, tandis que les premières nous font souffrir davantage et recourir plus promptement aux remèdes. C'est précisément le contraire qui arrive dans les maladies spirituelles.Les âmes pieuses, avides de perfection, éprouvent une vive douleur même pour des fautes légères, selon que saint Jérôme le rapporte de sainte Paula ; tandis que les grands pécheurs sont presque insensibles à leurs crimes : la gravité du péché émousse la délicatesse de la conscience. C'est ce que Salomon nous fait clairement entendre dans ce passage : Impius, cum in profundum venerit, contemnit, « l'impie, arrivé au fond de l'abîme, méprise, » c'est-à-dire, se met peu en peine de commettre les plus grands forfaits. Prov. XVIII, 3.

Il faut que le Médecin céleste mette le doigt dans ces oreilles, c'est-à-dire, les dispose à bien entendre par le don de son Esprit. Nous voyons le Seigneur, au livre des Actes, accorder un bienfait semblable à une femme nommée Lydie, « dont il ouvrit le cœur pour entendre ce que Paul lui disait, » cujus Dominus aperuit cor intendere his quæ dicebantur a Paulo. Act. Xvi, 14. Entendre de cette manière la parole de Dieu, c'est une marque de prédestination, de même que d'offrir à cette parole des oreilles fermées, c'est une marque de réprobation. Le Sauveur exprime cette double pensée dans une courte sentence que nous rapporte saint Jean : « Celui qui est de Dieu écoute la parole de Dieu ; c'est parce que vous n'êtes pas de Dieu que vous ne l'écoutez pas. » Qui ex Deo est, verba Dei audit; propterea vos non auditis, quia ex Deo non estis. Joann. VIII, 47. Terrible sentence ! s'écrie saint Grégoire, et ce Père nous avertit en même temps de nous sonder nous-mêmes, d'examiner attentivement avec quelle piété, avec quel fruit, dans quelle disposition nous entendons la parole de Dieu, afin que nous ayons en cela un indice touchant notre salut. C'est pourquoi, mes frères, lorsque vous venez à un sermon, élevez vos âmes vers Dieu, le priant humblement de mettre dans vos oreilles son doigt divin, afin que vous entendiez, non pour votre jugement et votre condamnation, mais pour votre salut. Entendre de cette sorte, c'est une grâce et un bienfait de Dieu, selon cette parole des Proverbes : Aurem audientem et oculum videntem, Dominus fecit utrumque, « l'oreille qui écoute et l’œil qui voit, deux choses que le Seigneur a faites, » Prov. Xx, 12, c'est-à-dire, bien comprendre ce qui regarde notre salut, l'écouter avec piété et religion, ce sont deux choses que Dieu accorde dans sa bonté.

Non content d'avoir touché de son doigt divin les oreilles du sourd, notre Seigneur, ajoute l'Evangéliste, lui mit de sa salive sur la langue. La salive, qui sort de la bouche, nous représente la sagesse de Dieu, « sortie de la bouche du Très-Haut, » et ce mot de sagesse, dérivé du latin sapor, c'est-à-dire goût ou saveur, désigne la douceur et la suavité spirituelle. Ce n'est pas assez, en effet, de comprendre les mystères de la parole divine, si nous ne les goûtons pas en quelque sorte d'une manière spirituelle. A combien de savants, ne peut-on pas appliquer le proverbe : L'intelligence prend les devants, et le sentiment suit de loin, si tant est qu'il suive. Or, de même que l'attouchement des oreilles est nécessaire pour que l'entendement pénètre les vérités saintes, de même, afin que le cœur goûte, aime et embrasse ce qu'il comprend, il faut que Jésus, par sa salive, c'est-à-dire par le don de sagesse, guérisse le palais de l'âme. Qu'importe que l'intelligence perçoive les choses divines, si la volonté ne les goûte et ne s'y attache ? Telle est la force de cette divine suavité, que le pieux fidèle à qui l'Esprit-Saint en a accordé le bienfait, supporte sans la moindre peine tous les travaux de la vertu, et méprise pour l'amour de Dieu toutes les jouissances du monde. Vous savez, mes frères, quelle est la puissance du plaisir, qui entraîne après lui dans des liens plus forts que les chaînes de fer non-seulement les hommes, mais jusqu'aux animaux. C'est un mot bien vrai que celui du poète : Trahit sua quemque voluptas, chacun cède à son plaisir. Il faut donc que celui qui veut mener une vie spirituelle renonce aux jouissances grossières, et mette sa joie en Dieu seul et dans les choses divines. Et pour cela le palais de notre âme, dépravé par le péché, doit être purifié par la salive de Jésus, afin qu'après avoir goûté uniquement les trompeuses jouissances de la terre, il ne trouve plus de douceur que dans les choses divines et célestes.

(1) Les Hébreux représentent souvent le cœur comme le siége de la raison et de l'entendement.
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon de S. Louis de Grenade sur l'endurcissement du cœur - XIe dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

Mais voici quelque chose de plus merveilleux. Lorsque le Sauveur eut touché la langue du malade, « il leva les yeux au ciel et poussa un soupir.» Un Dieu qui gémit ! Il s'agit donc d'un mal bien profond pour arracher un soupir au Souverain de l'univers. Le Seigneur, très-juste appréciateur de toutes choses, ne regarde comme un mal pur et simple que le péché mortel. Les supplices même de l'enfer ne sont pas, dans son estime, un mal absolu ; il n'y a que leur cause, je veux dire le péché, qui mérite ce nom. Afin de faire ressortir la principale difformité du péché, notre Seigneur, en même temps qu'il gémit, leva les yeux au ciel, demeure et trône du Tout-Puissant, nous marquant par là que de tous les maux enfantés par le péché, le plus grand est qu'il viole la majesté du souverain Maître de l'univers. C'est sous ce rapport que la difformité et la malice du péché sont infinies, parce qu'il s'attaque à une bonté, une dignité, une grandeur, une majesté infinie. Aussi ne faut-il pas nous étonner si le Sauveur, connaissant parfaitement quelle était sous ce rapport la difformité du péché, poussa un profond soupir. Car celui-là seul qui comprend la grandeur et la puissance de Dieu, connaît la gravité du péché, qui tout à la fois offense une si haute majesté et prive l'homme d'un si grand bien. D'où il faut conclure qu'aucune créature ne possède cette connaissance d'une manière parfaite, pas même les esprits bienheureux qui approchent de plus près le trône de Dieu.

Jésus donc leva les yeux au ciel et poussa un gémissement. C'est comme s'il avait adressé ce discours au pécheur : Malheureux, si tu savais dans quel abîme tu te précipites lorsque tu offenses Dieu ! Tu offenses ton Père très-clément et très-bon, qui t'a créé de rien à son image et à sa ressemblance. Tu offenses celui qui t'a destiné à la fin la plus noble et la plus haute, et t'a rendu capable de participer à sa divinité et à son éternelle béatitude. Tu offenses Celui qui a fait le ciel et la terre, la mer, le soleil, la lune, les étoiles et tout ce que recouvre la grande voûte des cieux, non pour lui-même, puisqu'il n'a besoin de rien, mais pour ton usage, et les gouverne par sa providence toujours attentive. Plus encore, tu offenses Celui qui, pour te délivrer de la mort éternelle, a daigné descendre du ciel sur la terre, revêtir notre pauvre humanité et passer ainsi trente-trois ans parmi les hommes, supportant la faim, la soif, le froid, la fatigue, les veilles, les calomnies de ses ennemis, leurs malédictions et leurs injures, et enfin les chaînes, les soufflets, les crachats, les fouets, la couronne d'épines, le fiel et le vinaigre, et une mort ignominieuse sur la croix entre deux scélérats. Que si ton cœur est assez dur pour résister à ces considérations, tu offenses Celui qui tient dans sa main le souffle de ta vie, et sans lequel tu ne saurais ni respirer, ni te mouvoir, ni continuer de vivre. Tu offenses Celui qui, après avoir tué le corps, a le pouvoir d'envoyer l'âme dans l'enfer pour être tourmentée par d’éternels supplices. Tu offenses Celui que d'un signe ébranle la terre, qui embrase les montagnes en les touchant du doigt, dont nul ne peut supporter la colère, et qui fait plier ceux qui portent le monde. Tu offenses Celui en présence de qui les colonnes du ciel tremblent, dont un signe de la tête les remplit de frayeur. Tu offenses Celui qui a la clef de la vie et de la mort, et des enfers, qui seul ôte la vie et la donne, conduit aux enfers et en ramène. Tu offenses Celui qui embrasse l'univers dans sa puissance sans borne, et que ni les présents, ni la faveur, ni la force n'empêcheront jamais de livrer l'iniquité et le crime à des flammes vengeresses, de condamner l'impie à d'éternels tourments. Enfin tu offenses Celui dont la grandeur et la majesté sont telles, que tout ce que renferme le ciel et la terre, et cet immense univers, est devant lui comme un point, comme une goutte de rosée qui se dissipe aux premiers rayons du jour.

La gravité de l'offense ne se tire pas seulement de la dignité de l'offensé, mais aussi de la bassesse du coupable. C'est ce que nous apprend le Prophète royal : « Souvenez-vous de ceci, dit-il : L'ennemi a outragé le Seigneur par ses reproches injurieux, et un peuple extravagant a irrité votre nom, » memor esto hujus : Inimicus improperavit Domino, et populus insipiens incitavit nomen tuum. Ps. LXXIII, 18. C'est comme s'il disait : Faites attention, Seigneur, à cet insigne outrage. Notre ennemi non-seulement nous afflige, mais vous adresse de continuelles injures, et un peuple stupide maudit votre nom. Or, plus est vile la personne qui commet l'outrage, plus l'outrage lui-même a de gravité. Et que dirons-nous si nous considérons la cause de l'injure et de l'offense ? « Pourquoi, s'écrie le Prophète, l'impie a-t-il irrité le Seigneur ? » Propter quid irritavit impius Deum ? Ps. ix. C'est-à-dire, pour quelle considération, pour quel motif le pécheur en est-il venu à une action si monstrueuse que de provoquer la colère du Souverain de l'univers ? Nous ne sommes pas extrêmement surpris que l'apôtre saint Pierre, en face de la mort, ait renié son Maître. Mais ce qui surpasse toute admiration, c'est qu'un humble vermisseau, pour une faible lueur, pour un plaisir grossier, pour de chétives siliques, ose offenser le Seigneur de majesté, violer ses lois et mépriser ses préceptes. Qu'est-ce autre chose que de préférer une vile poussière au souverain Seigneur de toutes choses, et de faire descendre Dieu de son trône pour y mettre à sa place une créature préférée ? Et comme les pécheurs sont assez aveugles, assez dénués de sens pour ne pas s'étonner d'une pareille indignité, pour ne pas la déplorer, ni même la comprendre, le Seigneur Jésus, qui en ressentait si vivement la douleur, leva les yeux au ciel et poussa un profond soupir, afin de nous montrer le crime d'une si étrange audace. Il gémit donc comme un bon père en voyant la folle joie de son fils en délire ; et plus son fils est joyeux, plus le père s'afflige et pleure. Il gémit, malheureux, parce que tu ne gémis pas, il s'afflige parce que tu ne t'affliges pas, il se désole parce que tu ne te désoles pas. Isaïe nous apprend que Jésus-Christ-porte nos péchés et s'afflige pour nous (chap. Lili). « Vous pleurez donc, Seigneur, s'écrie saint Ambroise, non pas vos blessures,mais les nôtres ; non pas votre mort, mais notre maladie. Et nous pensons que vous êtes dans les douleurs, alors que votre peine ne venait pas de vous, mais de nous. »

Que ce gémissement de notre Seigneur, mes frères, nous apprenne à reconnaître la gravité de nos fautes. En voyant le souverain Maître de l'univers gémir, non pour son propre danger, mais pour le nôtre, nous, dont la cause est en jeu, dont le salut est en danger, effaçons nos fautes par des larmes et des soupirs continuels ; implorons de la divine miséricorde le pardon de nos fautes par des gémissements qui partent du fond de nos cœurs, à l'exemple des saints qui prient dans le temps favorable, c'est-à-dire dans le temps que la bonté de Dieu laisse pour faire pénitence, afin que, ayant expié nos péchés par le deuil passager de la vie présente, nous méritions d'échapper au deuil éternel de la vie future, et de recevoir la glorieuse récompense qui n'aura pas de fin.

Ainsi soit-il.
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