Mélanges littéraires extraits des Pères latins, Abbé J.M.S. Gorini, 1864, p.223 a écrit : a écrit :
Lettre de Saint Hilaire à sa fille Abra.
A ma très-chère fille Abra, Hilaire, salut dans le Seigneur.
J'ai reçu ta lettre, où je vois que tu me regrettes. Je n'en doute nullement, car je sais combien est désirable la présence de ceux qu'on aime. Mais au milieu de cette peine que te cause mon absence, je ne veux pas que tu imputes à mon cœur la longueur de mes retards ; et c'est pourquoi j'ai voulu, en justifiant auprès de toi mon départ et mes délais, te faire comprendre que c'est ton intérêt, et non l'indifférence qui me retenait ainsi loin de toi, ô ma fille, et mon cœur, à ce titre, ne faisant qu'un avec le tien, je voudrais que tu fusses en même temps et la plus belle et la plus pure des filles.
Or, on m'a parlé d'un jeune homme qui possède une perle et une robe d'un tel prix, que celui qui mériterait de les obtenir, y trouverai un trésor et une sauvegarde préférable à tous les trésors et à toutes les sauvegardes terrestres. A cette nouvelle, je suis parti pour chercher ce jeune homme, et après un voyage bien difficile et bien long, étant arrivé jusqu'à lui, à sa vue je me suis prosterné ; car il est si beau, ce jeune homme, que nul n'oserait se tenir debout en sa présence. Et lorsqu'il me vit prosterné, il me demanda ce que je voulais, ce que je demandais, et je lui répondis qu'on m'avait parlé de sa robe et de sa perle, et que je venais pour cela, et que s'il voulait m'en faire don, j'avais une fille que j'aimais beaucoup et pour qui j'ambitionnais cette robe et cette perle. Et cependant, prosterné la face contre terre, j'ai versé beaucoup de larmes ; nuit et jour j'ai gémi, le suppliant d'exaucer ma prière.
Ce jeune homme donc qui est si bon qu'il n'est rien de meilleur au monde, m'a répondu : « As-tu vu cette robe et cette perle que tu me pries, avec tant de larmes, de donner à ta fille ? »
Et je lui ai dit : « Seigneur, j'en ai entendu parler, et j'ai eu la foi : je sais qu'elles sont excellentes, et que le véritable salut est assuré à quiconque revêt cette robe et se pare de cette perle. » Et alors il a ordonné à ses serviteurs de me montrer la perle et la robe. Ils l'ont fait de suite. Et d'abord j'ai vu la robe : j'ai vu, ma fille, j'ai vu ce que je ne saurais t'exprimer. Comparée à cette finesse, la soie n'est qu'une toile grossière ! Comparée à cette blancheur, la neige paraît noire ! Comparé à cet éclat, l'or devient livide ! Elle est de mille couleurs et rien absolument ne saurait l'égaler. Ensuite j'ai vu la perle, et à sa vue je suis aussitôt tombé, car mes yeux n'en pouvaient soutenir le prodigieux éclat, et ni l'aspect du ciel, ni l'aspect de la mer ou de la terre ne peuvent approcher de sa beauté.
Comme j'étais là, prosterné à ses pieds, l'un des assistants m'a dit : « Je vois que vous êtes un bon père, plein de sollicitude, et que vous désirez cette perle et cette robe pour votre fille. Mais, pour accroître votre désir, je vous dirai ce que cette perle et cette robe ont encore de particulier. Cette robe, les vers ne peuvent l'atteindre, l'usage ne peut la détériorer ; nulle tache ne peut la souiller, nulle violence la déchirer, nul dommage la détruire : elle reste toujours telle qu'elle est. Pour ce qui est des propriétés de cette perle, celui qui la porte n'a à craindre, ni la maladie, ni la vieillesse, ni la mort. Elle n'a absolument rien en soi qui puisse nuire au corps, et celui qui s'en sert est à l'abri de tous les accidents qui amènent la mort, inclinent l'âge, ou troublent la santé. »
A ces mots, ô ma fille, je me suis senti pâmer d'un désir plus vif encore d'obtenir cette perle et ce vêtement ; je ne relevai point mon front incliné ; mais avec des larmes intarissables, avec une ardeur incessante, je me mis à prier le jeune homme, et je disais : « Vénérable seigneur, prenez en pitié mes vœux, prenez en pitié mon inquiétude et ma vie. Si vous ne m'accordez pas ce vêtement et cette perle, je serai malheureux ; car vivante, ma fille sera perdue pour moi. Oh ! Pour ce vêtement donc et pour cette perle, je n'hésite pas à entreprendre les plus longs voyages. Vous savez, Seigneur, que je ne mens point. »
En entendant ces paroles, le jeune homme m'ordonna de me lever et me dit : « Tes prières et tes larmes m'ont touché, et tu es heureux d'avoir cru. Et puisque tu dis que pour cette perle tu voudrais donner ta vie, je ne puis te la refuser ; mais il faut que tu saches mes conditions et ma volonté. La robe que je te donnerai est telle que si quelqu'un en veut porter quelque autre, ou de couleur, ou d'or, ou de soie, il ne peut porter la mienne. Je la donnerai à celui qui, dédaignant la soie dans ses habits, préfère les couleurs naturelles et les simples tissus ; à celui qui, n'admettant la pourpre que pour se conformer à l'usage, la resserre du moins en bandes étroites, et ne l'étend pas sur tout son vêtement. Quant à la perle que tu me demandes, elle est de telle nature, qu'elle ne peut appartenir qu'à ceux qui n'en possèdent point d'autre ; car les autres perles viennent ou de la terre, ou de la mer ; mais ma perle, comme tu le vois, est belle, précieuse, incomparable et céleste, et elle dédaigne la compagnie des autres perles. En effet, ce qui m'appartient ne s'accorde pas avec ce qui appartient aux hommes : quiconque porte mon vêtement et ma perle est préservé pour toujours ; il est inaccessible aux feux de la fièvre, impénétrable aux blessures ; point de changement opéré par les années, point de dissolution par la mort ; il est toujours égal à lui-même ; il est éternel. Cependant puisque tu le demandes, je te donnerai cette robe et cette perle afin que tu les portes à ta fille. Mais auparavant tu dois t'informer de ce que veut ta fille. Si elle se rend digne de ma robe et de ma perle, c'est-à-dire si elle renonce aux robes de soie, d'or et de couleur, si toute autre perle lui est odieuse, alors je t'accorderai ce que tu me demandes. »
A ces mots, ma fille, je me suis levé tout joyeux, et, me recueillant en secret, je t'ai écrit cette lettre, te priant par les torrents de larmes que je verse, de te réserver pour cette robe et cette perle, et de ne pas affliger ton vieux père par la perte que tu ferais, si tu n'avais pas cette robe et cette perle. D'ailleurs, ma fille, j'atteste le Dieu du ciel et de la terre, qu'il n'y a rien de plus précieux que cette robe et cette perle, et il est en ton pouvoir de les obtenir. Si donc on t'apporte une autre robe, de soie, ou de couleur, ou d'or, dis à celui qui te l'offrira : « J'attends une autre robe, pour laquelle mon père voyage depuis longtemps loin de moi, qu'il recherche à mon intention, et que je ne puis avoir si j'accepte celle-ci. Pour moi, c'est assez de la laine de mes brebis ; c'est assez des couleurs naturelles ; c'est assez d'un simple tissu, et je désire cette robe dont on m'a dit qu'elle ne s'use, ni ne s'endommage, ni ne se déchire. » Et que si on t'offre une perle pour la suspendre à ton cou ou la mettre à ton doigt, tu répondras : « Que voulez-vous que je m'embarrasse de ces perles inutiles et grossières ? J'attends la plus précieuse, la plus belle, la plus utile des perles. J'ai foi en mon père, qui lui-même a eu foi en celui qui la lui a promise ; cette perle pour laquelle il m'a déclaré qu'il irait jusqu'à mourir ; c'est elle que j'attends, que je désire, qui me procurera le salut et l'immortalité. »
Donc, ma fille soulage mon inquiétude, relis sans cesse ma lettre, réserve-toi pour cette robe et pour cette perle. Toi même, sans consulter personne, fais-moi comme tu pourras une lettre, où tu me diras si tu te réserves pour cette robe et cette perle, afin que je sache ce qu'il me faut répondre à ce jeune homme et que je puisse, si tel est ton désir, si tel est ton espoir, songer à revenir joyeux près de toi. Lorsque tu m'auras répondu, je t'apprendrai alors qui est ce jeune homme, et quel il est et ce qu'il veut, et ce qu'il promet, et ce qu'il peut. En attendant, je t'envoie une hymne que tu chanteras le matin et le soir, afin de te souvenir toujours de moi. Si ton âge ne te permet pas de parfaitement comprendre et cette hymne et ma lettre, interroge ta mère, qui désire, par sa piété t'avoir engendrée pour Dieu. Puisse aussi ce Dieu qui t'a engendrée, te garder à jamais : c'est le vœu de mon cœur, ô ma fille bien-aimée !