Sermon sur la tempérance chrétienne.

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Laetitia
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Tels sont en effet, Chrétiens, les progrès de l'amour-propre. On ne s'accorde d'abord que le nécessaire ; mais du nécessaire on passe ensuite au commode, du commode au superflu, du superflu au délicat, et du délicat enfin au délicieux et au sensuel. Or, vous n'ignorez pas combien tout cela est opposé à l'esprit et aux maximes de Jésus-Christ. Et sans en chercher ailleurs les preuves, je m'arrête à celle que me présente l'évangile de ce jour. Hé quoi ! Seigneur, dit l'abbé Rupert en s'adressant à cet Homme-Dieu, les pains que vous faites distribuer à ce peuple épuisé de forces et fatigué d'une si longue marche, sont-ce là toutes les douceurs que vous pouviez lui donner ? N'aviez-vous rien autre chose dans les trésors de votre providence, et toute la libéralité d'un Dieu devait-elle se borner là ? Autrefois, dans le désert, vous nourrissiez les Israélites des mets les plus exquis, vous faisiez tomber autour d'eux les oiseaux du ciel : Et pluit super eos volatilia pennata (Ps., 77). Vous étaient-ils plus chers que ces troupes si zélées pour vous et pour votre divine loi ? Ceux-là n'étaient que des incrédules, et ceux-ci sont des fidèles; ceux-là se révoltaient contre vous, et ceux-ci veulent vous reconnaître pour leur roi ; ceux-là irritaient votre colère, et ceux-ci excitent votre compassion et votre miséricorde. D'où vient donc, Seigneur, que vous les traitez si différemment des autres ?

Ah ! reprend ce saint abbé en se répondant à lui-même , nous nous trompons, et nous l'entendons mal. Nous ne comprenons pas les desseins de Dieu ; mais c'est en cela même que Dieu a fait le discernement de ces deux peuples. Quand il nourrissait si bien les Israélites, ce n'était point par un effet de sa libéralité, mais au contraire par un châtiment de sa justice, il condescendait à leurs désirs, mais c'était pour les punir ; et dans l'instant même qu'ils goûtaient les viandes qu'ils avaient demandées, l'ire de Dieu et ses vengeances éclataient sur eux : Adhuc escæ eorum erant in ore ipsorum, et ira Dei ascendit super eos (Ibid.). Comment cela ? parce qu'il n'y a rien de plus pernicieux à l'homme, ni de plus dangereux pour le salut de son âme, que ce qui sert aux délices de son corps. Ainsi nous l'apprend l'Esprit de Dieu, ainsi l'ont estimé tous les saints, ainsi l'expérience et la raison nous l'enseignent aussi bien que le christianisme.

Car où est-ce que se trouve la sagesse, et en quel lieu du monde habite-t-elle ? Sapientia ubi invenitur, et quis est locus intelligentiæ (Job., 28) ? Ce n'est pas, dit le Saint-Esprit, parmi ceux qui vivent dans le plaisir et les délices; on n'y voit que luxe et qu'impureté : Nec invenitur in terra suaviter viventium (Ibid.). Et comment pourrait-on réputer sage celui qui entretient délicatement un esclave, et lui donne des forces pour se révolter et pour secouer le joug ? Or, cet esclave c'est le corps ; et si vous ne le traitez en esclave, si vous le ménagez, si vous lui accordez tout ce qu'il veut, c'est un rebelle que vous nourrissez. Il s'élèvera contre les ordres de Dieu, il prendra l'ascendant sur l'esprit, il se rendra le maître, et vous perdra.

Aussi les saints se sont-ils toujours armés de la pénitence pour le réduire et le tenir dans la servitude. Jean-Baptiste était le précurseur de Jésus-Christ; il avait été sanctifié dans le sein de sa mère ; Dieu l'avait prévenu de ses grâces les plus puissantes. De tous les hommes, en fut-il un qui dût, ce semble, moins craindre les révoltes de la chair ? et cependant quelle vie menait-il dans son désert ? Fut-il jamais une abstinence plus rigoureuse, et le Fils de Dieu n'a-t-il pas dit de lui : Venit Joanes, neque manducans, neque bibens (Matth., 2.) ? Sans cela, prétendre que le corps soit souple à la raison, se promettre d'être exempt des tentations impures, tandis qu'on allume sans cesse le feu de l'impureté, c'est un secret que nous n'avons point encore appris dans la religion, et qui certes n'est pas plus connu dans le monde.
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Laetitia
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Et pourquoi pensez-vous qu'il y ait tant de corruption parmi les grands du monde et dans les cours des princes ? N'en cherchons point d'autre source que celle même que nous a marquée Jésus-Christ : Ecce qui mollibus ventiuntur, in domibus regnum sunt (lbid.) ; c'est qu'on y vit mollement, c'est qu'on s'y nourrit délicieusement , c'est que le corps y a toutes ses commodités et toutes ses aises abondamment.

Je sais qu'il n'y a point d'état que le vice ne puisse corrompre : mais, après tout, il faut convenir que ces conditions médiocres et laborieuses, où les facultés ne permettent pas d'accorder si libéralement à la chair ce qu'elle demande, sont plus à couvert de la contagion, et qu'elle y fait moins de ravages ; au lieu que ce serait une espèce de miracle si dans ces palais des rois et dans ces maisons des puissants et des opulents du siècle, où la sensualité est sans cesse écoutée et flattée, la vertu ne succombait pas aux atteintes des plus vicieuses passions, et si la parole de l’Écriture ne s'y accomplissait pas : Incrassatus, impinquatus, dilatatus (Deut., 32) ; ce peuple ne s'est rien refusé, rien épargné ; et, au milieu d'une affluence somptueuse, il s'est mis dans un embonpoint qui lui fait plaisir, et qu'il a bien soin de conserver. Mais que s'ensuit-il de là ? c'est qu'il ne connaît plus le Dieu qui l'a créé, et qu'il l'a renoncé pour se livrer tout entier à lui-même, et ne s'occuper que de lui-même : Dereliquit Deum factorem suum (lbid.) Ah ! Seigneur, n'est-ce pas ainsi que ceux à qui vous avez dispensé vos dons avec moins de réserve les tournent contre vous, et ne vous en font point d'autre hommage que de s'ensevelir, non-seulement dans la vie la plus oisive, mais , par une conséquence immanquable, dans la vie la plus lascive et la plus dissolue ?

Cependant, Chrétiens, avançons, et, après avoir corrigé dans la réfection du corps les désordres qui s'y peuvent glisser, voyons de quelle perfection elle est capable, et comment nous la devons sanctifier. C'est la seconde partie.
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Laetitia
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DEUXIÈME PARTIE.

Chaque chose a sa perfection qui lui est propre; et quoique le soin de nourrir le corps soit une des actions de la vie les plus grossières et les plus humiliantes pour l'homme, elle ne laisse pas de pouvoir devenir toute sainte, toute divine, dès qu'elle est faite dans la vue de Dieu, et selon la forme que nous en prescrit aujourd'hui le Sauveur du monde. Car voici, Chrétiens, comment il élève cette action, tout humaine qu'elle est, à l'ordre surnaturel; et c’est le modèle que j'ai à vous proposer, et sur lequel vous devez vous régler. Il la sanctifie en trois manières : premièrement, par la bénédiction des viandes et par l'action de grâces qu'il rend à son Père : Et accipiens septem panes benedixit, et cum gratias agisset, distribuit (Marc, 8) ; secondement par sa présence adorable, voulant que ces troupes,  répandues dans la plaine pour prendre la nourriture qu'il leur fait distribuer, l'aient pour témoin, pour juge, pour modérateur : Et præcepit turbæ discumbere super terram (Ibid.) ; enfin, par l'ordre qu'il donne a ses apôtres de recueillir les restes des pains, afin d'en faire part aux pauvres, et de les employer aux œuvres de la charité : Colligite quae superaverunt fragmenta ; et sustulerunt quod superaverat de fragmentis, septem sportas (Joan., 6). Tel est, mes chers auditeurs , le divin exemplaire que nous avons devant les yeux, et auquel nous devons nous conformer. Considérons-le, s'il vous plaît, ensemble, et appliquez-vous à me suivre.

Les viandes, dit saint Paul, sont sanctifiées par la parole de Dieu : Sanctificatur enim cibus per verbum Dei (1 Timoth., 4) ; et cette parole, selon l'explication des Pères, n'est rien autre chose que l'action de grâces et la bénédiction. Ainsi, concluent-ils, voulez-vous agir en serviteurs de Dieu, en justes, en vrais imitateurs de Jésus-Christ, dans ces repas où vous usez des biens que la Providence vous a fournis ? ce que vous avez d'abord à faire, et ce qui doit en premier lieu vous occuper, c'est de lever, à l'exemple même du Fils de Dieu , les yeux et les mains au ciel, pour honorer le souverain créateur qui vous a formés, et qui daigne encore pourvoir à votre conservation. N'est-il pas étrange que vous jouissiez de ces grâces temporelles sans les reconnaître, et peut-il moins exiger de vous qu'une simple vue de l'esprit et que ce retour de votre cœur ? Mais pourquoi bénir les viandes ? demande saint Chrysostome ; est-ce qu'elles sont impures d'elles-mêmes ? Non, mes Frères, répond ce saint docteur; mais c'est que nous-mêmes, qui les prenons, nous sommes impurs. Ce que je crains, Seigneur, disait dans le même sens saint Augustin, ce n'est pas l'impureté des viandes, parce que je sais qu'elles viennent de vous ; mais je crains ma propre impureté, et c'est pour cela que je commence toujours par la prière : Non ego immunditiam obsonii vereor, sed immunditiam cupiditatis timeo; car je reconnais par la prière que ce sont des dons de votre main, que vous en êtes l'auteur, et que je les tiens de vous. Or, les recevant de la sorte, je les reçois avec respect, avec gratitude, avec amour, et par là même je purifie mon âme.

Voilà comment parlait à Dieu ce grand saint, et voilà ce que pratiquaient comme lui et avant lui les premiers chrétiens, suivant le rapport de Philon le Juif. Ils ne se faisaient pas seulement connaître en qualité de fidèles dans la célébration des divins mystères, dans la participation du corps et du sang de Jésus-Christ, dans l'attention à sa sainte parole, mais dans ces assemblées même et ces repas où ils se réunissaient. Leur table était sanctifiée aussi bien que leur sacrifice, et l'on y louait Dieu, on l'y glorifiait avec la même religion et la même piété que dans le temple.
Sur quoi saint Ambroise fait cette belle réflexion , que je vous prie de remarquer. Ces deux voyageurs à qui le Sauveur des hommes se joignit sur le chemin d'Emmaüs, le reconnurent dans la fraction du pain : Cognoverunt eum in fractione panis (Luc, 24.) ; comment cela ? parce que cet Homme-Dieu, selon sa coutume, et par une cérémonie qui lui était particulière, bénit le pain avant que de le manger. Or, c'est à ce signe, reprend  saint Ambroise, qu'il a aussi toujours reconnu et qu'il reconnaît encore ses vrais disciples : Ita et discipulos cognoscit. (Ambr.)

Disons plutôt, mes chers auditeurs, que c'est à ce signe qu'il devrait et qu'il voudrait nous reconnaître pour ses disciples et pour chrétiens, mais qu'il ne nous reconnaît plus : car ce saint usage n'est-il pas presque aboli dans le monde ? du moins où n'est-il pas négligé ? où n'est-il pas traité de menue pratique et de léger exercice ? Combien même de ces auditeurs mondains à qui j'en parle, de ces esprits forts ou prétendus forts, m'accusent peut-être présentement de descendre à un détail frivole et puéril ? Eh quoi ? l'homme vivra des bienfaits de Dieu sans penser à Dieu, et je ne pourrai pas lui rappeler le souvenir de son bienfaiteur qu'il oublie ? Et, ce qu'il y a de plus étrange, c'est à ces tables où tout abonde, tandis qu'ailleurs on mange à peine, selon l'expression de l’Écriture, un pain étroit et mesuré ; à ces tables où tout est servi avec tant de propreté , avec tant d'assaisonnements et tant d'apprêts, avec tant de pompe et tant de magnificence, lorsqu'autre part on ne mange qu'un pain de douleur, qu'un pain détrempé dans les larmes et dans les sueurs ; c'est, dis-je, à ces tables si bien dressées et si bien couvertes qu'on refusera impunément au souverain Seigneur, de qui seul on tient tout cela, et à qui seul on est redevable de tout cela, les justes hommages qui lui sont dus ? Vous en penserez, mes Frères, et vous en direz tout ce qu'il vous plaira : pour moi, quoi que le monde en puisse penser, et quoi qu'il en puisse dire, je ne craindrai point de me faire entendre là-dessus, et, pour éviter la censure du monde, je ne me tairai point sur un devoir si légitime et si raisonnable.
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Laetitia
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Mais on n'est pas là, me répondez-vous, pour prier; on y est pour se réjouir. Oui, Chrétiens, pour se réjouir, je le veux, et je le dis comme l'Apôtre, afin de condescendre en quelque sorte à votre infirmité : Propter infirmitatem dico (Rom., 6.). Encore une fois donc, pour se réjouir, j'y consens ; mais pour se réjouir selon les règles prescrites par le même docteur des nations; mais pour se réjouir dans un esprit tout chrétien, avec une modestie et une retenue toute chrétienne : Modestia vestra nota sit omnibus hominibus (Philip., 4.) ; mais pour se réjouir dans le Seigneur, selon le Seigneur, comme étant en la présence du Seigneur : Gaudete in Domino semper, Dominus enim prope est (Ibid.).

Prenez garde, s'il vous plaît : comme étant en la présence du Seigneur, et c'est le second degré de perfection que j'ai marqué. Car ne vous y trompez pas, mes chers auditeurs, vous êtes alors devant Dieu , et vous y êtes, si je l'ose dire, plus que jamais. Il est là présent, et plus présent en quelque sorte qu'ailleurs. Ce Père commun se comporte à votre égard comme vous-mêmes vous vous comportez à l'égard de vos enfants. Vous les observez en tout temps ; mais s'il y a une occasion où ils soient plus en danger de se licencier et où ils aient plus coutume de le faire, c'est alors que vous redoublez votre vigilance, et que vous les éclairez de plus près. Telle est l'attention avec laquelle Dieu vous considère et vous examine. Il vous suit partout, partout il a les yeux attachés sur vous: mais parce que dans ces réjouissances mondaines il vous est plus ordinaire de vous échapper; parce que c'est là que vous donnez une plus libre carrière à votre esprit pour se dissiper, à votre langue pour parler, à vos sens pour se contenter, c'est pour cela même aussi qu'il ne vous perd point de vue et qu'il vous regarde, qu'il vous écoute avec plus de réflexion. Or, le moyen de ne se pas contenir dans une modération sage, lorsqu'on est actuellement frappé de cette pensée : Dieu me voit, et je ne dis pas une parole qu'il n'entende, je ne conçois pas un sentiment qu'il ne lise dans mon cœur, je ne fais rien dont il ne soit témoin !

C'est une observation bien capable de nous confondre, que celle d'Arnobe. Il nous apprend que les païens consacraient leurs tables aux dieux, afin de s'imposer par là une obligation particulière et une nécessité de n'en approcher jamais qu'avec circonspection, persuadés que toute action trop libre où ils se laisseraient aller, serait alors une espèce de sacrilège. Voilà pourquoi, dit-il, ils exposaient leurs idoles à La vue des conviés, et ce n'était pas en vain; car quiconque jetait les yeux sur ces fausses divinités, en devenait plus réservé et plus attentif sur lui-même. Quelle leçon pour nous, Chrétiens ! Des dieux imaginaires et en figure inspiraient aux plus libertins une crainte respectueuse ; et à la face du vrai Dieu, on ne garderait nulle règle, nulle mesure, nulle bienséance ! Des infidèles étaient touchés de la présence extérieure d'une idole ; et nous, avec les lumières de la foi, nous n'aurions nul égard à la présence intérieure du  Seigneur !

De là cet important avis que nous donne saint Chrysostome : Epulis vestris Christus  adsit. Mes Frères, disait ce saint docteur, que Jésus-Christ assiste à tous vos repas, qu'il soit un des conviés, qu'il y tienne la première place, qu'il y reçoive tous les honneurs : c'est-à-dire portez-y le souvenir de Dieu, n'y perdez jamais le souvenir de Dieu, ayez-y toujours dans l'esprit le souvenir de Dieu. Si cela est, on n'entendra plus à vos tables de ces discours dissolus dont elles ont été jusqu'à présent tant de fois profanées, et qui en faisaient le plus commun entretien, ou plutôt le plus mortel agrément. On n'y débitera plus de ces maximes corrompues, et même si abominables, sur l'usage de la vie comme si nous ne l'avions reçue que pour jouir de ses plaisirs ; sur l'emploi du temps, comme s'il n'était donné que pour se divertir, et que la brièveté de ses années dût être un motif pour les rendre plus voluptueuses et pour les passer avec plus de licence : Comedamus et bibamus; cras enim moriemur (Isai., 22.). On n'y célébrera plus et on n'y exaltera plus tant ces divinités fabuleuses, dont les noms portent avec eux les plus sensuelles idées, et expriment les plus grossières et les plus sales passions. On n'y déchirera plus personne, ou par de piquantes railleries, ou par de cruelles médisances ; pourquoi ? parce qu'on y respectera la présence de Dieu.
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Laetitia
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En effet, Chrétiens, on respectait bien la seule présence de saint Augustin, jusqu'à n'oser a sa table prononcer une parole qui pût offenser le prochain ; car c'est un point que l’auteur de sa Vie a remarqué, et qui sans doute méritait de l'être. Or, si la vue d'un homme était un frein si puissant et faisait une telle impression, que doit faire la vue de Dieu même ? Mais parce que, tout présent qu'il est, on l'oublie, et qu'on veut l'oublier; parce que, bien loin de s'en retracer l'image, on l'efface autant qu'il est possible, et l'on cherche à l'éloigner, qu'arrive-t-il ? nous en avons une peinture bien naturelle et un exemple bien célèbre, mais bien terrible tout ensemble, dans l’Écriture.

Vous savez ce qui est dit de Balthasar. Ce roi de Babylone fit un magnifique repas où toute sa cour était invitée : Balthasar rex fecit grande convivium optimatibus suis (Dan., 5.). Jusque-là ce prince n'avait point encore profané les vases que Nabuchodonosor son père avait enlevés du temple de Jérusalem, jusque-là il n'avait point fait cet outrage au Dieu d'Israël. Peut-être le craignait-il; peut-être au fond de son cœur, l'honorait-il; mais dans l'ardeur de la débauche, il n'y a plus de considération qui l'arrête, et, dans l'aveuglement où il est plongé, il veut qu'on apporte ces saints vases, et qu'ils soient employés aux plus vils ministères. Son exemple entraîne toute l'assemblée : on boit tour à tour dans ces mêmes vases, qui jamais n'avaient été destinés à un pareil usage, et qui ne devaient qu'au culte du vrai Dieu. On ne se souvient plus que de ces dieux d'or et d'argent, de ces dieux d'airain et de fer, de ces dieux même de bois et de pierre, à qui la superstition des peuples avait dressé des autels : Bibebant, et laudabant deos suos aureos et argenteos, æreos, os, ligneosque et lapideos (Ibid.). Cependant le Seigneur voyait toutes ces impiétés : il était invisible pour ces profanateurs, mais ils ne l'étaient pas pour lui. Balthasar l'éprouva bientôt; et de quel effroi fut-il saisi, quand tout à coup il aperçut cette main qui, sur la muraille écrivait son arrêt ? In eadem hora apparuerunt digiti, quasi manus hominis scribentis (Ibid.).

Ah ! Chrétiens, si notre Dieu ne tire pas ainsi le voile pour se montrer à vous dans ces repas et à ces tables où le plaisir vous rassemble, ses regards n'en sont pas moins appliqués sur vous, ni sa main n'en est pas moins prête à tracer en des caractères de mort la sentence de votre condamnation. D'où vous devez conclure avec moi de quelle conséquence est donc pour vous cette règle du Prophète royal : Justi epulentur et exultent in conspectu Dei (Psalm., 67) ; Que les justes aient leurs relâches et leurs récréations, mais en sorte que le Seigneur y ait toujours part, et qu'il y préside.
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Enfin, mes Frères, que vos tables sanctifiées par une bénédiction toute céleste, sanctifiées par la présence divine, le soient encore; par la miséricorde et par votre charité envers les pauvres. Troisième devoir, et dernier degré de perfection. C'est par où le Fils de Dieu finit les saintes instructions qu'il nous donne dans notre évangile ; car pourquoi cet ordre que reçurent de lui les apôtres ? de recueillir les restes et de ne les pas laisser perdre : Colligite quae superaverunt fragmenta, ne pereant (Marc., 8.) ? n'est-ce pas pour vous faire comprendre que les pauvres doivent être nourris et entretenus du superflu de vos tables, et que vous devez les compter parmi les personnes dont Dieu vous a chargés ? Jamais cet Homme-Dieu ne fit rien d'inutile, ni qui fût absolument superflu. D'où vient donc qu'il multiplia tellement les pains, que de ce qui resta l'on put encore remplir jusqu'à sept paniers ? Ne suffisait-il pas qu'il y en eût assez pour rassasier le peuple ? Non, mes Frères, répond saint Chrysostome; mais voici justement le mystère de l'aumône. Il fallait qu'il y eût des restes pour les pauvres qui pouvaient survenir, et ces restes alors n'étaient point superflus, puisqu'on les destinait à un si saint usage. C'est pour cela que le Sauveur du monde prend soin de les faire ramasser; et c'est ainsi, riches du siècle, que vous devez pourvoir, selon l'étendue de vos facultés, à ce qu'il y ait dans vos maisons de ces restes réservés pour les besoins des misérables. Je l'ai dit, et il est vrai : pour vous-mêmes vous pouvez et vous devez vous tenir au nécessaire; mais en faveur de tant d'indigents qui ne l'ont pas ce nécessaire, il faut aller au delà, pour être en état de suppléer à ce qui leur manque. Ce que vous faites pour des domestiques, et avec justice, combien est-il encore plus juste de le faire pour ceux qui vous représentent la personne de Jésus-Christ ? Ce que vous ne voudriez pas présenter à des domestiques, combien est-il indigne que vous le donniez pour partage à vos frères en Jésus-Christ ? Et si des domestiques se ressentent de la somptuosité et de l'abondance de votre table, pourquoi les membres de Jésus-Christ n'en profiteraient-ils pas ? Car voilà quels doivent être ces restes que Jésus-Christ vous demande par la bouche des pauvres, et qu'il reçoit par leurs mains : Colligite fragmenta.

Je pourrais vous proposer ici l'exemple d'un saint Louis, qui tous les jours nourrissait dans son palais un certain nombre de ces malheureux, que le monde traite avec tant d'indifférence et tant de mépris; qui les faisait asseoir à ses côtés, qui lui-même les servait; et qui, bien loin de leur refuser les restes de sa table, souvent par respect mangeait des viandes qu'on leur avait préparées, et n'en voulait user qu'après eux. Mais vous me diriez que c'est porter les choses trop loin. Ce saint roi néanmoins ne croyait rien faire en cela qui fût au-dessous de sa dignité; et si Dieu vous avait une fois touchés des mêmes grâces que lui, j'ose vous répondre, non-seulement que vous feriez tout cela sans peine, mais que vous y trouveriez une onction intérieure, et que vous y goûteriez des consolations que toutes mes paroles ne peuvent exprimer.

Quoi qu'il en soit, il n'est point ici question de tout cela, et ce n'est point ce que j'exige de vous. Tout cela était héroïque dans saint Louis, et peut-être serait pour vous un sujet de complaisance et de vaine gloire. Ce que je vous demande, mes chers auditeurs, c'est qu'au lieu de nourrir les pauvres dans vos maisons et à vos tables, comme saint Louis, vous les nourrissiez dans les hôpitaux, où ils sont malades; vous les nourrissiez dans les prisons, où ils sont captifs; vous les nourrissiez dans leurs familles, et dans ces tristes demeures où la honte les retient; vous les nourrissiez dans ces communautés religieuses où ils attendent votre secours, après s'être volontairement dépouillés eux-mêmes de ce qu'ils pouvaient posséder comme vous. Voilà à quoi doivent au moins servir ces superfluités que vous faites étaler avec tant de faste devant vos yeux, et que vous laissez quelquefois dissiper avec si peu d'ordre et si peu de fruit : Colligite fragmenta, ne pereant. Si tout ce superflu périt par votre négligence, par votre insensibilité pourtant d'infirmes, pour tant d'affligés, pour tant de fidèles à qui vous ne pensez point, et que la misère réduit aux dernières extrémités; si, faute de ce superflu et de l'assistance qu'ils en pourraient tirer, ils périssent eux-mêmes, prenez garde de périr avec eux. Ils périront pour le temps, et vous périrez pour l'éternité ; ils perdront une vie mortelle, et vous perdrez une couronne immortelle; en perdant cette vie mortelle, ils pourront être souverainement heureux, comme le pauvre Lazare; et, en perdant cette couronne immortelle, vous ne pourrez être que souverainement malheureux, comme le riche réprouvé.
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Re: Sermon sur la tempérance chrétienne.

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Exemple bien touchant, et bien convenable à mon sujet. Je vous renvoie avec cette pensée. Vous savez le sort de ce mauvais riche dont il est parlé dans l’Évangile de saint Luc. Vous savez comment, enlevé de ce monde par une mort imprévue, il fut tout à coup enseveli dans l'enfer. Qu'avait-il fait ? Est-il dit qu'il se fût enrichi, comme tant d'autres, ou par fraude, ou par violence ? Est-il dit que ce fût un libertin sans religion, ou un homme engagé dans de criminelles habitudes ? Non, Chrétiens; mais c'était un riche, amateur de son corps et vivant dans la bonne chère : voilà son premier crime : Epulabatur quotidie splendide (Luc, 16). C'était un riche aussi impitoyable pour les pauvres qu'indulgent pour lui-même. Lazare, couvert d'ulcères et pressé par la faim, languissait à sa porte, et ne voulait que les miettes qui tombaient de sa table, sans qu'il prît soin de lui faire donner un soulagement si léger; voilà le second de ses crimes : Et erat quidam mendicus nomine Lazarus, qui jacebat ad janum ejus, cupiens saturari de micis quæ cadebant de mensa divitis, et nemo illi dabat (Ibid.). Pour cela il est condamné, pour cela il est rejeté de Dieu, pour cela il est précipité dans les flammes éternelles.

Daigne le ciel vous préserver d'une si affreuse destinée, et puissiez-vous ni par l'un, ni par l'autre, ne vous y exposer jamais vous-mêmes ! Je suis trop grand pour m'asservir à mon corps, disait un païen éclairé de la seule raison naturelle : Et moi, doit dire un chrétien éclairé de la foi, je suis appelé à une fin trop noble, et j'ai de trop hautes espérances dans une autre vie que celle-ci, pour les sacrifier aux appétits déréglés de ma chair. Quelle indignité que cette chair aveugle et périssable occupe toute l'attention d'une âme faite pour Dieu, et pour être heureuse de la possession même de Dieu ! Et quelle honte d'entendre des chrétiens tenir sans cesse ce langage si expressément défendu par Jésus-Christ : Que mangerons-nous, et comment nous traiterons-nous ? Nolite solliciti esse dicentes : Quid manducabimus mit quid bibemus (Matth., 6.)? Car le christianisme est plein de ces âmes charnelles qui rapportent là toutes leurs pensées, et qui font rouler là-dessus tous leurs entretiens. Mais surtout quelle dureté de ne se rien épargner à soi-même et de retrancher tout à nos frères, qui sont les pauvres, comme si tous les biens n'étaient que pour nous , et qu'ils n'y dussent avoir nulle part ; comme si nous devions seuls vivre sur la terre, et qu'ils n'eussent point eux-mêmes de vie à soutenir; comme si Dieu avait eu plus de soin des oiseaux du ciel que de ces hommes formés à son image ! Ne les oublions pas, mes chers auditeurs : mais, selon le conseil et même le précepte du Fils de Dieu, faisons-nous-en des protecteurs, des patrons, des amis, qui nous reçoivent un jour au banquet céleste....
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