Ce qui constitue donc essentiellement la charité, c’est : 1° le motif, et non l’intensité, de
l’amour qu’on a pour Dieu ; 2° la disposition de tout sacrifier, même la vie, plutôt que de commettre le péché mortel, car il est seul essentiellement contraire à la charité, puisqu’il en dépouille les âmes ; le péché véniel a seulement pour effets, suivant saint Thomas, de diminuer la ferveur de ses actes, d’empêcher le prompt essor du coeur vers Dieu, et de disposer les âmes à la perte de la charité 1.
A SUIVRE...
1. 2. 2. q. 24, a. 10 ; 3 p. q. 79, a. 4, et q. 84, a. 1. — Les péchés véniels, quel que soit leur nombre, ne causent aucune diminution intrinsèque de la grâce sanctifiante, de la charité et des autres vertus infuses. C’est ce qu’enseignent tous les théologiens, à l’exception du Docteur extatique, Denys-le-Chartreux.
Ecoutons Suarez : « Il faut dire que la grâce et la charité ne peuvent diminuer. Je regarde cette assertion comme si certaine, que la contraire n’est ni probable, ni vraisemblablement soutenable, d’abord à cause du sentiment commun des théologiens qui la défendent, en premier lieu saint Thomas : 2. 2. q. 24, a. 10. » (De gratia habituali, 1. 11, c. 8, n. 7.) Dieu seul peut diminuer les habitudes infuses, comme lui seul peut les produire et les détruire en cessant de les conserver dans l’existence ; or, s’il punissait les péchés véniels par une diminution de grâce et de charité, ils finiraient, à force de se multiplier, par en priver totalement les âmes, ce qui est contraire à la doctrine de l’Église.
« Et puis, une diminution de grâce et de charité serait un châtiment trop grand pour être proportionné à des fautes légères, car : a) le moindre degré de grâce et de charité est un bien surnaturel inestimable, puisqu’il mérite la vie éternelle ; b) à la diminution de grâce et de charité correspondrait, après cette vie, une diminution proportionnelle de perfection de la béatitude essentielle, c’est-à-dire de la vision et de l’amour béatifiques ; or, cette diminution constituerait une certaine peine éternelle du dam. Comme le dit saint Thomas à propos de cette question : « Celui qui commet une petite faute ne mérite pas de subir un grave dommage.» (2. 2, q.--24, a. 10.)
Quoique le péché véniel ne mérite pas une diminution de grâce et de charité, le chrétien doit être fermement résolu à tout souffrir, même la mort, plutôt que de le commettre. « Il n’est pas une offense de Dieu, dit sainte Thérèse, qui ne soit grande, dès lors qu’elle est commise contre une Majesté infinie et sous ses yeux. C’est là, je crois, un péché prémédité ; c’est comme si l’on disait à Dieu : « Seigneur, bien que cela vous déplaise, je ne laisserai point de le faire ; je vois que vous le voyez, je sais que vous ne le voulez pas, et je le comprends, mais j’aime mieux suivre mon caprice et mon goût que votre volonté. » Et un péché de cette sorte serait peu de chose ! Non, non, je ne le crois pas ; la faute pourra être légère, mais il est mal, très mal de la commettre... L’âme qui aime Dieu se sent résolue à ne commettre pour rien au monde un seul péché. » (Le chemin de la perfection ; édit. Bouix-Peyré ; ch. 43.)