SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

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Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Je soutiens qu'un chrétien n'a jamais de sujet légitime pour
craindre qu'on le mette au rang des hypocrites et des faux dévots :
pourquoi ? parce qu'il lui est aisé , pour peu qu'il fasse de
réflexion sur sa conduite, de se garantir de cette tache, parce
qu'il sait fort bien comment il peut servir Dieu de telle sorte que
le monde même soit convaincu de sa doiture ; parce qu'il ne tient
qu'à lui d'allier, quand il voudra, l'exercice d'une piété solide
devant Dieu , et la réputation d'une parfaite sincérité devant les
hommes. Car, quoiqu'en matière de religion il y ait eu en tout
temps de l'artifice, quoiqu'il soit vrai que les apparences sont
trompeuses, quoique le discernement en soit quelquefois difficile,
et que les hommes s'y laissent assez souvent tromper,
il faut
après tout convenir que la vraie vertu a certains traits éclatants
par où elle se fait bientôt connaître. C'est une lumière , dit saint
Augustin , qui en découvrant toutes choses se découvre encore
mieux elle-même; c'est un or pur qui se sépare sans peine de
tous les autres métaux ; c'est un modèle qui ne peut être si bien
contrefait qu'il ne se distingue toujours de ses copies. J'avoue
que la sainteté a des caractères équivoques , capables de séduire :
mais aussi en a-t-elle d'infaillibles, qui, lui étant uniquement
propres, ne peuvent être suspects.



Une humilité sans affectation, une charité sans exception et
sans réserve, un esprit de douceur pour autrui et de sévérité
pour soi-même, un désintéressement réel et parfait,
une égalité uniforme dans la pratique du bien,
une soumisson paisible dans la souffrance , tout cela est
au-dessus des jugements mauvais, et l'on ne s'avise point de donner à
tout cela le nom d'hypocrisie.
Nous avons donc tort de prétexter
pour excuse de nos relâchements dans la voie de Dieu cette
malignité du siècle, qui, en fait de dévotion, confond le vrai
avec le faux. La malignité du siècle ne va point jusque-là. Soyons
humbles, renonçons à nous-mêmes, marchons simplement et
de bonne foi; et le monde, tout injuste qu'il est, nous fera
justice. Tenons-nous dans le rang où Dieu nous a mis , par un
saint attachement à ses ordres, et on ne nous confondra point
avec ceux qui falsifient ou qui altèrent son culte. Faisons luire,
selon la règle de l'Évangile, cette lumière de notre foi par l'édification
de nos oeuvres; et les hommes, glorifiant Dieu dans
nous, seront les premiers à nous en rendre le témoignage.



Que jamais donc une crainte vaine d'être pris pour ce que nous ne
sommes pas, j'entends pour hypocrites, ne nous empêche d'être
constamment ce que nous devons être, je veux dire chrétiens.



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Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Il en est de même des deux autres effets du scandale que je
combats. Vous dites que le malheur de la piété , d'être exposée
au soupçon de l'hypocrisie , est ce qui vous en fait naître le dégoût :
et moi je vous réponds avec saint Jérôme que c'est ce qui
vous en doit inspirer le zèle ; et que s'il y a une raison qui vous
oblige indispensablement de prendre à coeur ses intérêts, c'est
cette même iniquité des hommes dans la liberté qu'ils se donnent
de soupçonner et de juger ceux qui la professent. Pourquoi cela?
parce que c'est à vous de vous opposer à cette iniquité , de détruire
ces soupçons, de réfuter ces jugements, et de montrer par
votre vie que, quoi qu'en pense le monde, Dieu ne manque point
encore de vrais serviteurs.



C'est à vous, dis-je, d'en être une preuve , et d'en convaincre le libertinage :
car qui le fera , si ce n'est vous qui connaissez Dieu, et qui, par l'expérience des dons
de sa grâce , savez combien il est honorable et avantageux d'être
à lui ?
Mais comment le ferez-vous, si vous vous dégoûtez de
son service , et si par votre délicatesse , ou plutôt par votre lâcheté,
vous vous éloignez de la piété par la raison même qui
vous engage à être encore plus zélé pour elle, et à vous y attacher
avec plus d'ardeur ? Ainsi ce que vous alléguez pour justifier
ce dégoût est justement ce qui le rend criminel.



En effet, chrétiens, il est hors de doute que, dans les temps où l'hypocrisie
règne le plus, c'est alors que les véritables fidèles ont une
obligation plus étroite de s'intéresser pour Dieu et pour la pureté
de son culte : et comme nous pouvons dire , à notre honte , que
le siècle où nous vivons est un de ces siècles malheureux ,
puisqu'il est certain que jamais l'abus de la dévotion apparente et
déguisée n'a été plus grand qu'il l'est aujourd'hui ,
de là je conclu:
que jamais Dieu n'a exigé de nous plus de ferveur, et que ce
qu'il y a parmi nous de vrais chrétiens , bien loin de s'affliger et
de se refroidir dans cette vue , doivent s'enflammer d'un feu tout
nouveau pour la loi de Dieu, s'en déclarant tout haut comme ce
brave Machabée, et y attirer les autres par leur exemple.
Omni
qui habet zelum legis, exeat post me. (Machab. 2.)



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Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Mais pour cela , direz-vous , il faut se résoudre à être persécut
du monde ? Hé bien! mon cher auditeur, quelle conséquence
tirez-vous de là ? Quand il s'agirait d'être persécuté , devriez-vous
renoncer au parti de Dieu ? Faudrait-il abandonner la piété par
ce que le monde lui est contraire ?
Ces persécutions que le libertinage
vous susciterait auraient-elles quelque chose de honteux
pour vous ? en pourriez-vous souhaiter de plus glorieuses ? La
seule consolation de les endurer pour une si digne cause ne devrait-
elle pas , non seulement vous remplir de force , mais de
joie ?
Ah , chrétiens ! quels sentiments doivent produire en nous
ces paroles du Sauveur,
Qui me erubuerit et meos sermones,
hunc Filius hominis erubescet quum venerit in majestate sua

(Luc, 9) : Si quelqu'un rougit de moi devant les hommes, je
rougirai de lui devant mon Père.
Une telle déclaration, qui a
inspiré tant de hardiesse et tant de courage aux confesseurs de la
foi, ne suffit-elle pas pour détruire au moins dans votre esprit
le scandale de votre propre faiblesse ? et si vous y succombiez ,
que pourriez-vous répondre à Jésus-Christ, je ne dis pas dans le
jugement exact et rigoureux que vous aurez un jour à subir,
mais dès à présent et dans le secret de votre conscience ? Seriez-vous
bien reçus ou bien recevables à dire que vous n'avez pu
consentir qu'on vous traitât d'hypocrites, et que cela seul a ralenti
votre zèle, et vous a empêchés de rien entreprendre ni de
rien exécuter pour Dieu ?
Et qu'auriez-vous donc fait , mon cher
auditeur, si vous aviez été aussi rudement attaqué que les martyrs ?
Comment auriez-vous soutenu les affreuses épreuves par
où ils ont passé ? Comment auriez-vous résisté jusqu'à l'effusion
de votre sang , si vous ne tenez pas contre une légère contradiction ?



Voilà ce que je pourrais vous répondre. Mais je n'ai pas
même besoin de tout cela pour vous faire voir combien ce prétendu
scandale que vous cause l'hypocrisie est mal fondé. La
seule erreur où vous êtes que le monde, sous le nom d'hypocrisie,
persécute la vraie piété, est ce qui vous a fait prendre
jusques ici de si fausses mesures.
Vous vous trompez, chrétiens ;
le monde, tout impie qu'il est, ne persécute point absolument
la vraie piété. Autant qu'il a de peine à en convenir et à la reconnaître
pour vraie, autant, dès qu'il la connaît telle, est-il déterminé
à l'honorer. C'est un hommage qu'il lui rend, et dont
il ne se peut défendre. Et quoique, en la respectant, il se condamne
lui-même, aux dépens de lui-même, il la respecte jusqu'à
sa propre condamnation.
Pratiquez la piété avec toutes les conditions
que je vous ai marquées, le monde que vous craignez
vous donnera les justes éloges qui vous seront dus. Ainsi vous
n'aurez nul prétexte de vous scandaliser, par faiblesse, de l'hypocrisie
d'autrui; et il ne vous restera plus qu'à ne vous y laisser
pas surpendre par simplicité.
C'est le sujet de la troisième partie.


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Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

TROISIÈME PARTIE.


C'est une remarque de saint Chrysostome , que s'il n'y avait
point dans le monde de simplicité , il n'y aurait point de dissimulation
ni d'hypocrisie ; et la preuve qu'il en donne est convaincante :

Parce que l'hypocrisie, dit-il, ne subsiste que sur le fondement
et la présomption de la simplicité des hommes, et qu'il
est évident que l'hypocrite renoncerait à ce qu'il est, s'il ne
s'assurait qu'il y aura toujours des esprits faciles à tromper, et
capables d'être surpris par ses artifices.
En effet, chrétiens, on
s'y laisse surprendre tous les jours; et, ce qui est bien terrible
quand on l'examine selon les règles de la conscience et du salut,
on s'y laisse surprendre jusqu'à quitter le parti de la vérité pour
embrasser celui de l'erreur, et jusqu'à se déclarer contre le bon
droit pour favoriser l'injustice.
Deux désordres sources d'un
million d'autres , et qui , pour l'importance de leurs suites , demanderaient
un discours entier, si l'heure ne me pressait de
finir.



On quitte le chemin de la vérité, et on s'égare dans des erreurs
pernicieuses, parce qu'on se laisse éblouir par l'éclat d'une spécieuse
hypocrisie ;
et c'est par là , comme l'observe le chancelier
Gerson, et comme je vous l'ai donné moi-même plus d'une fois
à connaître ,
c'est par là que presque toutes les hérésies ont fait
des progrès si surprenants, et qu'elles ont corrompu la foi de tant
de chrétiens.
Car voici, mes chers auditeurs, ce qui arrivait et
ce que Dieu permettait, par un secret impénétrable de sa providence.

On voyait des hommes qui , pour donner crédit à leurs
nouveautés et pour autoriser leurs sectes, prenaient tout l'extérieur
de la piété la plus scrupuleuse et la plus rigide, et qui,
s'introduisant par cette voie , répandaient leur venin dans les parties
les plus saines de l'Eglise. Ils n'avaient qu'à paraître revêtus
comme parle l'Évangile , de cette peau de brebis qui les couvrait
pour attirer les peuples à leur suite. Au seul nom de réforme
qu'ils faisaient partout retentir, chacun applaudissait,- les ignorants
étaient prévenus; les gens de bien, gagnés; les dévots
charmés.
Tout cela, dans la plupart, n'était que l'effet d'une sim-
plicité populaire, je l'avoue; mais cette simplicité, séduite par
l'hypocrisie, ne laissait pas de faire des approbateurs, des fauteurs,
des sectateurs de l'hérésie, c'est-à-dire des prévaricateurs
de leur foi et des déserteurs de la vraie religion.
S'ils avaient su
que ces hérésiarques travestis en brebis étaient au fond des loups
ravissants, ils auraient été bien éloignés de s'attacher à eux; mais
parce qu'ils étaient simples sans être prudents , ils les suivaient
en aveugles, et tombaient avec eux dans le précipice.



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Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Voilà ce qui touche l'intérêt de la vérité. En est-il de même de
l'équité et de la justice dans le commerce et la société des hommes ?
Oui, mes frères, répond saint Bernard, traitant ce même sujet.
Comme par l'illusion et par la surprise de l'hypocrisie on s'engage
dans l'erreur au préjudice de la vérité, aussi par la même surprise
s'engage-t-on souvent à soutenir l'injustice contre le bon
droit, le crime contre l'innocence, la passion contre la raison,
l'incapacité contre le mérite : et cet abus est encore plus commun
que l'autre.
Vous savez, chrétiens, ce qui se pratique, et
l'expérience du monde vous l'aura fait connaître bien mieux qu'à
moi.
Qu'un homme artificieux ait une mauvaise cause, et qu'il se
serve avec adresse du voile de la dévotion, dès là il trouve des solliciteurs
zélés, des juges favorables, des patrons puissants, qui,
sans autre discussion, portent ses intérêts, quoique injustes, et
qui , sans considérer le tort qu'en souffriraient de malheureuses
parties , croient glorifier Dieu en lui donnant leur protection et
en l'appuyant.
Que sous ce déguisement de piété un homme ambitieux
et vain prétende à un rang dont il est indigne, et qui ne
lui est pas dû, dès là il ne manque point d'amis qui négocient,
qui intriguent , qui briguent en sa faveur, et qui ne craignent ni
d'exclure pour lui le plus solide mérite, ni de se charger devant
Dieu des conséquences de son peu d'habileté : pourquoi ? parce
qu'ils sont, pour ainsi dire, fascinés par le charme de son hypocrisie.

Enfin, qu'un homme violent et passionné, mais en même
temps hypocrite, exerce des vexations, suscite des querelles,
trouble par ses entreprises le repos de ceux qu'il lui plaît d'inquiéter,
et qu'en tout cela il fasse le personnage de dévot, dès
là il est sûr d'avoir des âmes dévouées qui loueront son procédé,
qui blâmeront ceux qu'il opprime, et qui, ne jugeant des choses
que par cette première vue d'une probitié fausse et apparente,

justifieront les passions les plus visibles , et condamneront la vertu
même.
Car c'est ainsi que l'hypocrisie, imposant à la simplicité,
lui fait commettre sans scrupule les plus grossières injustices,
et je serais infini si j'en voulais produire toutes les espèces.



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Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

On demande donc si ceux qui se laissent surprendre de la sorte
sont excusables devant Dieu. Ecoutez, chrétiens, une dernière
vérité, d'autant plus nécessaire pour vous que peut-être n'en
avez-vous jamais été instruits. On demande, dis-je, si les égarements
dans la foi et si les défauts de conduite qui blessent la
charité et la justice envers le prochain seront censés pardonnables
au tribunal du souverain juge , parce qu'on prétendra avoir
été trompé et séduit par l'hypocrisie.
Et moi je réponds que cette
excuse sera l'une des plus frivoles dont un chrétien se puisse servir :
pourquoi cela ? par deux raisons tirées des paroles mêmes
de Jésus-Christ, et qui ne souffrent point de réplique. Parce que
Jésus-Christ, prévoyant les maux que devait produire cet éclat
de la fausse piété, ne nous a rien tant recommandé dans l'Evangile
que de nous en donner de garde , que d'y apporter tout le
soin d'une sainte circonspection et d'une exacte vigilance, que de
ne pas croire d'abord à toute sorte d'esprits, que de nous défier
particulièrement de ceux qui se transforment en anges de lumière :
en un mot, que de nous précautionner contre ce levain dangereux
des pharisiens, qui est l'hypocrisie : Attendite a fermento pharisaeorum ,
quod est hypocrisis.
(Luc, 12.)
Faites-y attention,
défendez-vous-en, attendite.
Or c'est à quoi nous ne pensons
jamais, vivant sur cela dans une négligence, ou, pour mieux
dire, dans une indifférence extrême ; donnant à tout, ne discernant
rien , nous comportant comme si nous étions peu en peine
d'y être surpris, et même comme si nous voulions l'être. Et ne
le voulons-nous pas en effet, surtout quand cette illusion satisfait
notre vanité ou notre curiosité ?
D'où je conclus que, s'il en
arrive des désordres, c'est-à-dire si notre foi ou notre charité
viennent à en être altérées, bien loin de mériter grâce, nous
sommes doublement coupables auprès de Dieu , et du désordre
causé par notre erreur, et de notre erreur même, parce que l'un
et l'autre vient de notre désobéissance, en n'observant pas ce
précepte du Sauveur : Attendite a fermento pharisaeorum.



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Re: SUR L'HYPOCRISIE, sermon du R.P. Bourdaloue

Message par InHocSignoVinces »

Car enfin, mes frères, disait saint Bernard, si l'on avertissait
un voyageur qu'il y a un précipice dans son chemin dont il doit
se préserver, et que, négligeant cet avis salutaire, et marchant
au hasard , il s'y jetât par son imprudence , ne serait-il pas inexcusable
dans son malheur ? Or voilà justement notre état.
Jésus-Christ
nous a dit en termes exprès :
Prenez bien garde , parce
qu'il s'élèvera de faux prophètes, qui viendront sous mon nom,
qui auront l'apparence de la sainteté, qui feront même des prodiges,
et qui, par ce moyen, en pervertiront plusieurs; et je
vous le prédis , afin qu'ils ne vous séduisent pas :
Videte ne quis
vos seducat.
(Matth., 24.) C'est ainsi qu'il nous a parlé; et
cette leçon, encore une fois, est celle de tout l'Evangile que ce
divin Maître semble avoir eu plus à coeur de nous faire comprendre.

Cependant c'est celle que nous voulons comprendre le
moins. Notre unique règle est de nous abandonner sur ce point
à notre caprice; et il n'y a rien où nous affections davantage
d'agir par la préoccupation de nos idées, sans vouloir écouter
notre raison ni notre foi, pour peu que notre foi et notre raison
s'opposent à notre goût et contredisent les sentiments de notre
coeur. Après cela , si nous faisons de fausses démarches, et si nous
nous égarons dans les voies du salut , pouvons-nous prétendre
que notre simplicité soit un sujet légitime de justification pour
nous ?
Mais, quelque précaution que l'on y apporte, il est difficile
de n'être pas trompé par l'hypocrisie. Vous le dites, et moi je soutiens
qu'après les règles admirables que Jésus-Christ nous a données,
il n'est rien de plus aisé que d'éviter cette surprise dans les choses
dont nous parlons, qui sont celles de la conscience et du salut
éternel. Car en matière de religion, par exemple, cet Homme-
Dieu nous a déclaré que la preuve infaillible de la vérité était la
soumission à son Église; que hors de là toutes les vertus qui se
pratiquaient n'étaient qu'hypocrisie et que mensonge; et que quiconque
n'écoutait pas son Église , fût-il un ange descendu du ciel,
il devait être regardé comme un païen et comme un publicain.
S'il arrive donc que , sans avoir égard à une instruction si positive
et si importante , nous nous attachions à un parti où cet esprit
de soumission ne se trouve pas , dès là , quoique séduits par
l'hypocrisie, nous sommes criminels, et notre erreur est une
infidélité. Et voilà ce qui confondra, dans le jugement de Dieu,
tant d'ames réprouvées qui, par une simplicité pleine d'indiscrétion,
ont adhéré aux sectes et aux hérésies sous ombre d'une
réforme imaginaire. Car de quelque bonne foi qu'aient été, à ce
qu'il semble, ceux qui se sont engagés dans le schisme de Luther
ou dans celui de Calvin, s'ils avaient suivi la règle du Fils de
Dieu, et s'ils en avaient fait la juste application qu'ils en pouvaient
et qu'ils en devaient faire , ils auraient aisément découvert
le piège qu'on leur dressait, et l'écueil où ils se laissaient conduire.



Et il ne faut point me répondre qu'ils allaient où ils croyaient
voir le plus grand bien ; car c'est par là que tant d'âmes chrétiennes,
quittant la voie simple de la piété pour marcher dans des voies
plus hautes , mais détournées , se sont perdues et se perdent tous
les jours; malheur que sainte Thérèse déplorait autrefois, et
pour lequel Dieu la suscita, afin de nous donner dans sa personne
l'idée d'une conduite prudente et droite; c'est, dis-je, par
là que le démon , sous prétexte non seulement du bien , mais du
plus grand bien , les fait tomber dans l'abîme : démon que Marie,
toute remplie de grâces qu'elle était , appréhenda , quand elle se
troubla à la vue d'un ange, se défiant d'autant plus de ce qu'il
lui proposait, que c'étaient des mystères plus sublimes : démon
dont saint Paul , tout ravi qu'il avait été au troisième ciel , craignait
les ruses et les artifices, quand il disait , Nous n'ignorons
pas ses desseins , et nous ne savons que trop que cet esprit de
ténèbres se montre souvent sous la forme d'un esprit de lumière :
démon que les apôtres eux-mêmes redoutaient, lorsque, voyant
Jésus-Christ ressuscité , ils s'écriaient que c'était un fantôme , ne
se fiant pas à leurs propres yeux ni à la présence de cet Homme-
Dieu : démon, dit saint Bernard, qui, des quatre persécutions
dont l'Église a été affligée, en entretient la plus dangereuse.

La première a été celle des tyrans qui , par la cruauté des supplices,
ont voulu arrêter l'établissement de la foi; la seconde, celle des
hérésiarques qui, par la nouveauté de leurs dogmes, ont corrompu
la pureté de la doctrine ; la troisième , celle des catholiques
libertins , qui , par leurs relâchements , ont perverti la discipline
des moeurs : mais la dernière et la plus pernicieuse est
celle des hypocrites , qui , pour s'insinuer et pour se faire croire,
contrefont la piété, et la plus parfaite piété. Il est donc de notre
devoir et d'une nécessité indispensable d'user de toute notre vigilance
pour nous tenir en garde contre eux. Sans cela , Dieu
nous menace de nous comprendre dans l'anathème qu'il lancera
sur leur tête : Et partem ponet cum hypocritis. (Matth., 24.)

Et parce que le Sauveur des hommes nous avertit de joindre
toujours la prière à la vigilance, c'est encore une obligation pour
nous d'avoir recours à Dieu , et de lui dire souvent avec son prophète :
Notam fac mihi viam in qua ambulem, quia ad te
levavi animam meam.
(Psal. 142.) Montrez -moi, Seigneur,
la route où je dois marcher ; ne permettez pas qu'une trompeuse
illusion m'aveugle. Le monde est rempli de faux guides d'autant
plus à craindre qu'ils sont plus adroits à se cacher, et que leurs
Intrigues sont plus secrètes. C'est pour cela que je m'adresse à
vous, ô mon Dieu ! afin que vous m'aidiez des lumières de votre
grâce, et qu'à la faveur de cette clarté divine je puisse heureusement
parvenir au terme de la gloire où nous conduise, etc



FIN
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