Famille de Saint Grégoire le Grand

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gabrielle
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Pour en revenir à Jean, patriarche de Constantinople, on croit qu'il se rendit aux admonitions du saint Pape, car il est certain qu'il continua de reconnaître l'autorité du Saint-Siège, et de renvoyer au Pape le jugement définitif des causes ecclésiastiques. Dans un de ces cas, Grégoire découvrit et démontra aux envoyés de Jean que le concile de Chalcédoine et celui d'Ephèse se trouvaient falsifiés dans l'église de Constantinople ; il leur recommanda donc de rechercher des exemplaires plus anciens de ces conciles, et il leur dit en passant que la vérité se conserve bien mieux chez les Latins que chez les Grecs, car les Latins, qui n'ont pas tant d'esprit, usent moins d'impostures ; solide critique et d'histoire et de mœurs. Dans un autre cas, il renvoya absous, après l'avoir jugé dans un concile, Jean, prêtre de Chalcédoine, contre lequel on avait prononcé une injuste sentence, au nom du patriarche de Constantinople : précédemment un moine faussement accusé de manichéisme, et battu de verges, par ordre du même patriarche, en ayant appelé au Pape, celui-ci l'avait jugé de nouveau, cassé la sentence du patriarche, et fait à ce dernier une sévère réprimande, l'exhortant à renvoyer un favori qui abusait de sa confiance, et à demander pardon à Dieu ; si vous refusez,lui disait-il, de garder les canons de l'Eglise, je ne sais qui vous êtes.

Nous ne pouvons nous lasser de considérer ce grand Saint, qui, à tous les instants et sur tous les points du globe, veille, scrute toutes choses, et s'il aperçoit que la liberté des âmes, que l'honneur de Dieu, que les intérêts de la religion, de la civilisation souffrent, vient aussitôt à leur secours. L'empereur et ses mille fonctionnaires empiétaient sans cesse sur des choses que notre Saint était obligé de défendre. En 592, l'empereur Maurice défendit, par un édit, aux soldats d'embrasser la vie monastique. Saint Grégoire reçut cet édit comme tous les patriarches pour le notifier aux laïques de son district. Il écrivit à l'empereur pour lui représenter qu'il attentait aux lois de Dieu et aux droits de la conscience ; il lui rappelle habilement l'origine de ce pouvoir dont il abuse, et l'invite à penser au jugement dernier, où le Christ lui dira : « Je t'ai fait de secrétaire, comte des gardes ; de comte, césar; de césar, empereur; ce n'est pas assez, je t'ai fait père d'empereur. J'ai soumis mes prêtres à ta puissance, et toi tu retires tes soldats de mon service. Dites, seigneur », continue-t-il, « dites à votre serviteur ce que vous pourrez répondre à Celui qui, au jour du jugement, vous parlera ainsi ». Le sujet demeurait toujours fidèle dans ce grand Pape. Il donna à sa remontrance le nom de supplique, et il l'accompagna de tous les termes obséquieux alors en usage : de plus, il expédia la loi, contre laquelle il réclamait, dans les diverses provinces. « Par là», disait-il à Maurice, « j'ai rempli mon double devoir ; obéi à l'empereur en publiant son édit, et rempli mon ministère en représentant que cet édit ne s'accordait point avec les intérêts de la gloire de Dieu ». Si cette réclamation déplut d'abord à l'empereur, elle l'éclaira pourtant ; il modéra la rigueur de sa loi en permettant de recevoir les soldats à la profession monastique, après un noviciat de trois ans. Saint Grégoire l'annonça et en témoigna sa joie, dans une lettre aux évêques de l'empire.
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gabrielle
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Maurice fut du reste un des empereurs grecs qui eurent le plus de respect pour les canons ; notre saint Pape loue sa piété et son zèle pour l'Eglise. Mais il fut cruellement puni de son avarice. Douze mille prisonniers grecs, qu'il refusa de racheter aux Avares, furent massacrés. Il se repentit de ce crime sans se corriger du vice qui en était le principe. En 602, il réduisit son armée à vivre de pillage, au pays ennemi, pendant l'hiver. Les troupes se révoltèrent et mirent sur le trône un officier nommé Phocas, qui fit égorger l'empereur avec ses six fils, puis son frère, l'impératrice et ses trois filles. Ce monstre, comme l'appelle M. de Montalembert, envoya, après ce massacre, son image et celle de sa femme à Rome, où le sénat et le peuple, selon leur honteuse habitude, les reçurent avec acclamation. On reproche à notre Saint de s'être associé à ces acclamations, et d'avoir écrit à Phocas une lettre de félicitation, où il blâme la conduite de Maurice. On avoue que c'est la seule tache qu'on trouve sur cette glorieuse vie ; on reconnaît d'ailleurs que les intentions de saint Grégoire étaient pures, que les termes dont il se sert, étaient en quelque sorte du style officiel de ce temps-là pour chaque changement de règne. On admet que ce qu'il blâme dans Maurice était blâmable ; que, par ce blâme, il conseillait à Phocas de ne pas tomber dans les mêmes fautes ; qu'il devait, dans l'intérêt de l'Italie, ne pas irriter le nouvel empereur ; qu'après les félicitations d'usage, il l'exhortait à faire régner la justice, la paix et la liberté parmi ses sujets. Avec ces réserves, nous sommes d'avis qu'on ne devrait pas tenir aujourd'hui, et que saint Grégoire ne tiendrait certainement pas, s'il vivait, la même conduite.

Pendant qu'il suivait l'intégrité de la foi, la liberté de l'Eglise, du côté du Bas-Empire, notre Saint n'oublia pas les peuples barbares qui venaient d'envahir presque tout l'occident et le midi de l'Europe. Il se fit leur ami, leur éducateur, leur maître, pour les civiliser et les faire entrer dans le sein de l'Eglise. Nous ne pouvons qu'esquisser ces nobles entreprises. Virgile, évêque d'Arles, lui ayant écrit et fait écrire par le roi d'Austrasie, Childebert, pour lui demander le pallium, le Pape lui accorde sa demande (595), le nomme son vicaire en ces contrées, sans préjudice du droit des métropolitains, et le prie de s'entendre avec le roi et tous les évêques pour extirper deux vices qui rongeaient le sacerdoce gallo-franc : la simonie et l'élection des laïques à l'épiscopat . Il écrivit pour le premier sujet plusieurs lettres aux évêques et au roi. Il dit au jeune Childebert, pour lui faire comprendre son rôle de roi catholique, environné d'ariens, de païens, et commandant à des sujets encore à moitié barbares : " Autant la dignité royale est au-dessus des autres hommes, autant votre royaume l'emporte sur les autres royautés des nations. C'est peu d'être roi quand d'autres le sont, mais c'est beaucoup d'être catholique, quand d'autres n'ont point de part au même honneur. Comme une grande lampe brille de tout l'éclat de sa lumière dans les ténèbres d'une profonde nuit, ainsi la splendeur de votre foi rayonne au milieu de l'obscurité volontaire des peuples étrangers. Afin donc de surpasser les autres hommes, par les œuvres comme par la foi, que votre Excellence ne cesse pas de se montrer clémente envers ses sujets. S'il y a des choses qui vous offensent, ne les punissez point sans discussion. Vous commencerez à plaire davantage au Roi des rois, quand, restreignant votre autorité, vous vous croirez moins de droit que de pouvoir ». Ce langage ne paraît-il pas d'une lumière, d'une mansuétude, d'une sagesse surhumaines, si l'on pense que nous sommes à l'époque de Frédégonde et de Brunehaut, époque ténébreuse et sanglante, où nos rois étaient plutôt des monstres que des hommes ? Les Papes ont su voir, dans ce chaos, et en tirer le royaume très-chrétien.

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gabrielle
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Les relations de ce père de la famille chrétienne n'étaient pas moins cordiales avec la nation espagnole. L'Espagne, évangélisée dès les premiers siècles, était devenue arienne avec les Visigoths, qui l'avaient envahie dans le commencement du ve siècle; mais la foi catholique finit par triompher et s'assit même sur le trône avec Récarède, en 587.

Saint Léandre, évêque de Séville, fut le principal auteur de cette conversion des Visigoths. Etant l'intime ami de notre Saint, il lui écrivit, lui et plusieurs évêques, et plus tard aussi le roi, pour annoncer au Pape cette heureuse nouvelle; puis ils lui demandent ses ouvrages, surtout le Pastoral et les Expositions sur Job; ils le consultent sur des cas embarrassants, ils lui demandent des avis comme on ferait au directeur de sa conscience. « Je vous supplie, par la grâce de Dieu, qui surabonde en vous », lui écrivait Licinien, évêque de Carthagène, « de ne point rejeter ma prière, mais de vouloir bien m'apprendre ce que je confesse ignorer : car, ce que vous enseignez, nous sommes dans la nécessité de le faire ». Puis, après lui avoir exposé les cas dont il désire recevoir la solution, il ajoute : « Daignez nous envoyer et l'ouvrage sur Job, et vos autres livres, dont vous parlez dans votre Pastoral, car nous sommes a vous, et nous aimons à lire ce qui vient de vous ». Le roi Récarède envoya à saint Grégoire un calice d'or, orné de pierreries, en le priant, dans sa lettre, de vouloir bien l'offrir au prince des Apôtres. « Nous prions aussi votre Altesse, ajoute ce prince, de nous honorer de ses saintes lettres, quand elle en aura l'occasion ».

" Vous n'ignorez pas, je le pense, avec quelle sincérité je vous aime : ceux que la distance sépare, la grâce du Christ les unit comme s'ils se voyaient. Ceux-là mêmes qui ne vous contemplent pas de près, savent par la renommée combien vous êtes bon ». Le saint Pape, dans sa réponse, remercie tendrement le roi de ses sentiments et le félicite d'avoir converti la nation des Goths : il s'accuse, par un excès d'humilité, d'être, lui, paresseux et inutile, et tremble de paraître au jugement dernier, les mains vides, tandis que le roi y paraîtra suivi d'une multitude de nouveaux fidèles, qu'il vient d'attirer à la grâce. Il l'exhorte à conserver, au milieu d'un si beau succès, l'humilité du cœur et la pureté du corps, car il est écrit : « Quiconque s'élève sera humilié » ; lorsque, pour nous enfler l'esprit, dit-il, l'esprit malin nous rappelle le bien que nous avons fait, rappelons-nous nos fautes. Quant à la pureté du corps, l'Apôtre a dit : " Le temple de Dieu est saint, et c'est votre corps qui est ce temple ; un chrétien doit s'abstenir de la fornication et posséder son corps comme un vase sacré, dans la sainteté et dans l'honneur, et non point dans la convoitise. Il faut aussi qu'à l'égard de vos sujets », continue-t-il, « votre gouvernement soit tempéré par une grande modération, de peur que la puissance n'aveugle l'esprit, car un royaume est bien gouverné, quand la gloire de gouverner ne domine point l'âme. Il faut encore se précautionner contre la colère et ne point faire trop vite tout ce qui est permis : car la colère, lors même qu'elle punit les fautes des coupables, ne doit point précéder la raison, sa maîtresse, mais la suivre comme une servante, et ne se présenter devant elle que quand elle en reçoit l'ordre. En effet, quand la colère s'est une fois emparée de l'âme, on regarde comme permis tout ce qu'on fait de cruel. Aussi est-il écrit : que tout homme soit prompt à écouter, mais lent à parler, et lent à se mettre en colère. Je ne doute pas que, par la grâce de Dieu, vous n'observiez tout cela; mais, trouvant l'occasion de vous présenter quelques avis, je m'associe furtivement à vos bonnes actions, afin que dorénavant vous ne soyez plus seul à les faire ». Telle était l'influence de ce saint Pape; nous ne sommes certes l'ennemi d'aucun contrôle, qui modère dans ses excès, sans l'entraver dans son exercice légitime, la puissance des rois : mais ne gagneraient-ils pas, eux et leurs sujets, à recevoir encore aujourd'hui filialement des leçons célestes qui n'ont point pour but de réprimer les actes, mais de les épurer dans leur source, dans le cœur ?


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gabrielle
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Cette sollicitude paternelle de notre Saint s'étendit encore sur l'Afrique, ou il écrivit quarante lettres, rétablissant la juridiction troublée, rendant la justice, portant le dernier coup à l'hérésie des Donatistes, et faisant racheter des captifs sur le marché de Barca, car c'était là le principal usage que l'Eglise romaine faisait du revenu des riches patrimoines qu'elle possédait en Afrique, en Gaule et en Italie. L'Eglise a été, dès qu'elle l'a pu, propriétaire, parce qu'il n'y a pas de meilleur moyen d'avoir régulièrement ici-bas l'indépendance nécessaire à une religion qui ne doit pas être sujette des puissances terrestres. Deux choses rendent les propriétés de l'Eglise les plus sacrées de toutes : leur origine, qui fut ordinairement une donation, et leur usage, qui est de secourir les pauvres et d'aider à la propagation de la foi.

Toujours par ses instructions aussi solides que paternelles, mais aussi par sa charité, par son invariable équité, il ramena à l'unité catholique presque tous les schismatiques de l'Istrie. Voici quelques exemples de son admirable conduite. Ayant appris que deux évêques d'Istrie, Pierre et Providentius, désiraient le venir trouver, pour lui demander des explications, si on leur promettait de ne leur faire aucune peine, il leur écrivit, au mois d'août 595, une lettre pleine de charité : il les presse de venir à lui avec toute confiance, eux et tous ceux qui voudraient, promet de les satisfaire pleinement, et, soit que Dieu leur fasse la grâce de se réunir à lui, soit qu'ils aient le malheur de continuer dans leur dissension, il les renverra chez eux, sans qu'il leur soit fait aucun mal. Les habitants de Côme, pressés par Constantius, évêque de Milan et ami de saint Grégoire, de se réunir à l'Eglise, répondirent que la manière dont on les traitait ne les attirait pas, que plusieurs catholiques retenaient leurs biens injustement, entre autres l'Eglise romaine, qui avait usurpé sur eux une certaine terre. Le saint Pape, ayant été informé de ces plaintes par Constantius, lui répondit : Si cette terre leur appartient, nous voulons qu'elle leur soit rendue, quand même ils ne se réuniraient pas à l'Eglise. L'évêque Natalis, à qui saint Grégoire reprochait, entre autres choses, ses festins trop somptueux, essaya de se justifier par des passages de l'Ecriture comme celui-ci : « Que celui qui ne mange point ne juge pas celui qui mange ». Grégoire répondit : « Ce passage ne convient point du tout, car il n'est pas vrai que je ne mange point, et saint Paul ne parle ainsi que pour ceux qui jugent les autres dont ils ne sont point chargés. Vous souffrez avec peine que je vous aie repris de vos grands repas; et moi, qui suis au-dessus de vous par ma place, quoique non par mes mœurs, je suis prêt à recevoir la correction de tout le monde, et je ne compte pour amis que ceux dont les discours me font effacer les taches de mon âme avant la venue du Juge terrible ».


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Mais une des choses où le zèle de saint Grégoire parut avec plus d'éclat, fut la conversion des Anglais. Il choisit un religieux nommé Augustin, prieur du monastère de Saint-André de Rome, qu'il envoya en Angleterre accompagné de plusieurs autres. On croit qu'ils étaient quarante; mais le démon, prévit la perle qu'il allait faire : il leur mit dans l'esprit des difficultés qui qui leur parurent invincibles; ils s'arrêtèrent donc en chemin et envoyèrent saint Augustin au souverain Pontife pour lui représenter les motifs qu'ils avaient de ne pas passer outre. Le Saint, bien loin de condescendre à leur faiblesse et d'écouter les raisons que la pusillanimité leur avait suggérées, leur écrivit, l'an 596, la lettre qui suit :

« Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, et serviteur de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

" Gomme il eût été plus expédient de ne pas entreprendre le bien que de l'abandonner après l'avoir entrepris, il faut, mes très-chers frères, que vous vous efforciez d'achever, avec la grâce de Dieu, la bonne œuvre que vous avez commencée. Ne vous épouvantez pas de la longueur du chemin ni des embûches des méchants ; poursuivez généreusement et avec ferveur le dessein que vous avez entrepris par l'ordre de Dieu, parce qu'assurément les plus grands travaux seront récompensés d'une plus grande gloire dans le ciel. Obéissez en toute chose avec humilité à votre supérieur Augustin, qui s'en retourne vers vous, et que j'ai désigné pour être votre abbé, étant persuadé que tout ce que vous ferez par son conseil sera profitable à votre âme. Que Dieu tout-puissant vous conserve et vous assiste de sa grâce, et qu'il me la donne à moi pour jouir au ciel du fruit de vos travaux, et participer à la récompense que vous en recevrez : car, bien que je ne puisse aller avec vous, j'ai néanmoins la volonté de travailler aussi bien que vous ».


Les religieux ayant reçu cette lettre, reprirent courage, résolurent de passer outre, et abordèrent enfin heureusement en Angleterre, grâce aux prières et aux mérites de celui qui les envoyait. Ils y furent très-bien reçus, et firent connaître Jésus-Christ à Ethelberl, roi de Cantorbéry, et à une grande partie de ses sujets : Dieu bénit tellement leur zèle, qu'ils demandèrent de nouveaux ouvriers à Grégoire, afin de faire une moisson plus abondante. Le Saint en reçut une très-grande joie et leur envoya encore d'autres religieux pour y prêcher l'Evangile. Mellite, Juste, Paulin et Rutinien furent de ce nombre, et portèrent avec eux tout ce qui était nécessaire pour la décoration des églises : des vases sacrés, de riches ornements, de précieuses reliques avec des livres propres au service divin. Il nomma Augustin archevêque de l'île, et lui envoya le Pallium; il ordonna douze évêques suffragants de Cantorbéry; il ne voulut pas qu'on abattît les temples des Gentils, mais seulement qu'ils fussent purifiés avec de l'eau bénite, et consacrés au vrai Dieu vivant. Il recommanda à saint Augustin d'introduire peu à peu la religion chrétienne en ce pays-là, et de ne pas arracher tout d'un coup et avec violence, quelques coutumes, quand même elles ne seraient pas tout à fait louables, pourvu qu'elles ne se trouvassent pas absolument incompatibles avec la religion; de dissimuler et de passer par dessus, jusqu'à ce que cette nouvelle plante fût plus forte et capable d'embrasser entièrement toute la rigueur de la discipline ecclésiastique. Il l'avertit aussi de ne pas trop s'attacher aux coutumes de l'Eglise, mais de prendre des autres Eglises ce qu'il jugerait être le plus profitable, selon la disposition et la nécessité du pays; « parce qu'il ne faut pas », dit-il, « aimer les choses à cause des lieux, mais aimer les lieux pour les bonnes choses qui y sont ».
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Nous passons sous silence plusieurs autres instructions qu'il donna à ce zélé disciple et à ses compagnons, à qui Dieu accorda la grâce des miracles pour achever de gagner cette nation à la religion chrétienne. Ces soins incomparables du saint Pontife lui ont fait mériter le titre d'Apôtre de l'Angleterre. Car, quoique cette île eût auparavant reçu la connaissance de Jésus-Christ, puisque l'hérésie de Pélage s'y était glissée dès le temps du grand saint Augustin ; néanmoins, comme ces peuples, qui étaient Bretons, avaient depuis été subjugués par les Anglais, qui donnèrent un nouveau nom à l'île, ils avaient aussi changé de religion et étaient retombés en leur ancienne idolâtrie ; ainsi ils avaient besoin d'un nouvel apôtre. On appelle saint Grégoire l'Apôtre de l'Angleterre, comme nous appelons chez nous saint Rémi l'Apôtre de la France, quoiqu'il ne soit pas le premier qui ait prêché l'Evangile.

Saint Augustin rendait un compte exact à saint Grégoire des affaires de sa mission, et ils s'écrivaient l'un l'autre ; voici ce que le saint Pape lui mande dans une de ses lettres : « Je sais que Dieu tout-puissant a fait, par votre moyen, de grands miracles au milieu de cette nation qu'il a élue; c'est pourquoi il est nécessaire que vous jouissiez modestement de ce don céleste et redoutable, et que vous ne le possédiez qu'avec crainte et frayeur; vous devez vous réjouir de ce que l'âme des Anglais est attirée par ces miracles extérieurs à la grâce intérieure ; mais vous devez craindre que ces prodiges ne vous donnent des pensées de présomption, et ne vous fassent tomber dans la vaine gloire ». Et dans les Morales, il dit : « Les Anglais, qui ne savaient auparavant qu'une langue barbare, ont commencé à louer Dieu en langue hébraïque; et l'Océan, qui était auparavant enflé et furieux, est maintenant sujet et vassal des serviteurs de Dieu. Les peuples fiers, que les , princes de la terre ne pouvaient dompter par les armes, ont été subjugués par la simple parole des prêtres : et la nation infidèle, qui ne redoutait point les escadrons armés, depuis qu'elle est fidèle, tremble à un mot d'hommes pauvres et humiliés 1 ».


1. Saint Grégoire avait formé une petite bibliothèque pour saint Augustin, apôtre de l'Angleterre, et ce dernier la mit dans son monastère de Cantorbéry. Il en reste encore un livre des Evangiles, qui est dans la bibliothèque bodléienne à Londres : il y en a aussi un exemplaire dans la bibliothèque de Corpus Christi a Cambridge. Les autres livres que saint Grégoire avait donnés à saint Augustin étaient des psautiers, le Pastoral, le Passionarium sanctorum, etc. Voir le catalogue des Mss. saxons, par M. Wanley, à la, fin du Thesaurus du docteur Hickes, p. 172.

Ou gardait aussi autrefois, dans le monastère de Cantorbéry, des ornements précieux, des vases, des reliques et un pallium que saint Grégoire avait donnés a saint Augustin. On voit encore dans la bibliothèque harléienne, à Londres, l'inventaire manuscrit de tous ces effets, qui avait été fait par Thomas Elmham, sous le règne de Henri V. II a été publié par la savante dame Elstob, à la fin d'un panégyrique de saint Grégoire, en langue saxonne.
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Maintenant, que nous avons essayé de peindre la vigilance et l'action souveraine de Grégoire sur les principales régions du monde, laissons le Père Giry nous raconter ses vertus et ce qu'il fit pour ainsi dire au cœur même de l'Eglise. Il n'est pas aisé d'exprimer sur le papier les merveilles qu'a faites ce très-digne Pontife ; soit que nous considérions l'ordre qu'il a établi dans l'Eglise pour la réformation des mœurs et pour l'édification des fidèles ; soit que nous regardions ce qui concerne l'assistance des pauvres, la consolation des affligés, le rétablissement de la discipline ecclésiastique, et le lustre et l'ornement de la religion chrétienne.

Il mit d'abord un fort bel ordre dans son palais, n'ignorant pas que la maison du prince doit être un modèle et un exemple de vertu pour les sujets. Il n'y reçut point de séculiers, mais seulement des ecclésiastiques d'une piété, d'une bonté, d'une doctrine et d'une prudence reconnues. Il y admit aussi quelques religieux, afin de vivre lui-même toujours en religieux autant qu'il lui serait possible. Il n'avait point égard, dans la collation des bénéfices, ni aux richesses, ni à la pauvreté des personnes, mais seulement à la sainteté de la vie, à l'excellence de la doctrine et aux autres qualités requises pour bien s'acquitter de ses devoirs. Aussi, pendant son pontificat, les arts et les sciences, soit humaine, soit divines, furent en une si grande réputation dans Rome, que plusieurs patriciens quittèrent l'épée pour se donner à l'étude. Il assembla un concile, où quantité d'abus furent retranchés, et plusieurs choses salutaires et avantageuses utilement établies pour le service de Dieu et pour l'édification des fidèles. Il eut un soin particulier de l'office divin et des cérémonies ecclésiastiques qui y doivent être observées, et régla les antiennes, les oraisons, les épîtres et les évangiles qui se disent pendant le cours de l'année à la messe, ainsi qu'on peut le voir dans son Antiphonaire et dans son Sacramentaire.

Ce fut, selon quelques-uns, ce grand Pape qui institua les grandes litanies, ou (ce qui est plus certain) qui ordonna que la procession générale, qui se faisait déjà en chantant les litanies, fût conduite à Saint-Pierre, ainsi que nous l'apprenons de lui-même, au commencement du second livre du Registre, cité par le cardinal Baronius en ses Remarques sur le martyrologe, au 25 avril, où il parle de l'institution de cette cérémonie. Il augmenta aussi les principales stations de Rome, et réforma le chant ecclésiastique, qui s'appelle encore aujourd'hui, à cause de cela, le chant Grégorien. Pour cet effet, il fit bâtir deux maisons : l'une, proche de Saint-Jean-de-Latran, et l'autre près de Saint-Pierre, pour y instruire des enfants destinés au chœur; son zèle pour le service de Dieu était si ardent, que, même dans les plus grandes douleurs de la goutte, dont il était extrêmement incommodé, il se faisait transporter à la maison où étaient ses élèves, et les enseignait, couché sur un petit lit, tenant une petite baguette à la main pour reprendre ceux qui manquaient : humilité digne du vicaire de Jésus-Christ, qui nous a si fort recommandé la pratique de cette vertu. Le diacre Jean, qui, le premier, a écrit cette histoire, rapporte que, de son temps, on montrait encore avec dévotion le lit sur lequel le Saint se faisait porter, et la houssine dont il se servait pour corriger ces jeunes enfants. Dieu approuva par des miracles le grand zèle de ce saint Pape pour le culte de la Religion.
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Un jour, voulant consacrer à l'usage des catholiques l'église de Sainte-Agnès, profanée par les Ariens, pour le faire avec plus de solennité, il porta en procession les reliques de saint Sébastien et de cette Sainte, et les posa lui-même sous l'autel ; pendant qu'il y chantait la messe, un animal immonde sortit, dit-on, de l'église tout grondant et faisant un grand bruit : ce qui fit croire que le démon, qui y avait établi sa demeure, fut obligé de s'enfuir en la présence des saintes reliques. Plusieurs lampes de cette église s'allumèrent d'elles-mêmes, sans que personne y mît la main. Une nuée très-éclatante éclaira tout l'autel, et il se répandit une odeur très-agréable dans l'église; quoique cette église fût ouverte, personne n'osait y entrer, tant ce météore miraculeux avait imprimé de respect et de révérence dans le cœur des fidèles.

Il se fit aussi un autre prodige pour la confirmation de la vérité de l'Eucharistie. Notre Saint célébrait un jour le saint sacrifice de la Rédemption; la femme qui avait offert le pain à consacrer, s'approcha pour communier ; mais lorsqu'il proférait ces paroles : « Que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ conserve votre âme pour la vie éternelle », il s'aperçut que cette femme souriait ; il la priva de la communion, reporta le Saint Sacrement à l'autel et acheva la messe ; après quoi il commanda à la femme de déclarer, en présence de tout le peuple, pourquoi elle avait commis l'irrévérence de rire, étant sur le point de recevoir le corps de Jésus-Christ; elle répondit, après plusieurs instances, que c'était parce qu'il avait dit que ce pain, qu'elle avait pétri de ses mains, était le corps de Jésus-Christ. Le Saint, entendant cela, se mit à genoux au pied de l'autel, et commença des prières avec le peuple, conjurant le Père des lumières d'éclairer l'âme de cette pauvre femme incrédule. Et aussitôt les espèces se changèrent en chair ; Grégoire la fit voir à toute l'assistance et à cette femme infidèle, qui se convertit par ce miracle ; et le Saint ayant fait une seconde oraison, l'hostie reprit sa première figure. Ces merveilles ne servirent pas peu à confirmer les chrétiens dans la foi à la présence réelle de Jésus-Christ dans la sainte Eucharistie.
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En ce même temps, des ambassadeurs étant à Rome, le supplièrent de leur faire part de quelques reliques, afin d'honorer leurs églises; le saint Pontife prit un linge blanc, le fit toucher aux corps des Saints, et, l'ayant mis dans une boîte, suivant une coutume d'alors, il la scella avec beaucoup de révérence et la donna aux ambassadeurs pour l'emporter en leur pays. Lorsqu'ils furent en chemin pour s'en retourner, curieux de savoir ce qu'ils emportaient, ils trouvèrent le linge seul, sans nulle relique. Fort étonnés, ils revinrent à Rome et se plaignirent au Pape de ce qu'il les avait abusés en leur donnant un haillon au lieu des ossements des Saints. Le saint Père prit le linge et le posa sur l'autel, et, s'étant mis à genoux, pria la Bonté divine de faire voir ce qui était contenu en ce linge, afin d'instruire les fidèles avec quelle révérence et quelle foi ils doivent recevoir tout ce qui est donné pour relique par le Saint-Siège ; puis il se leva, et, en présence des ambassadeurs, perça le linge avec un couteau, et il en sortit aussitôt du sang en abondance; les ambassadeurs, confus, reprirent ce linge sacré, avec la boîte, et s'en allèrent en leur pays avec toute la satisfaction possible.

Cette coutume d'envoyer du linge qui avait reposé sur les reliques sacrées, ou touché les corps saints, était alors fort pratiquée dans Rome, comme nous voyons en la réponse que notre Saint fit à l'impératrice Constance. Elle lui avait demandé la tête de saint Paul, pour la mettre dans une église magnifique qu'elle faisait bâtir à Constantinople, sous le nom de cet Apôtre des Gentils; saint Grégoire lui répondit que les souverains Pontifes n'avaient pas coutume de donner les reliques des corps saints, ni même de les toucher, sinon avec beaucoup de respect; mais, qu'au lieu de reliques, ils envoyaient un bandeau, ou un linge, par lequel la main de Dieu opérait des merveilles. Il lui envoya, comme un rare présent, des limures des chaînes de saint Paul, ainsi qu'on peut le voir en son épître, qui mérite bien d'être lue, pour apprendre avec quelle vénération il faut toucher les saintes reliques.
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Sa vigilance ne regardait pas seulement le service et l'ornement extérieurs de l'Eglise ; elle ne s'étendait pas moins sur les temples vivants de Dieu, qui sont les fidèles, ayant soin tout ensemble du spirituel et du temporel de ses ouailles. Sa charité envers les pauvres était selon le cœur de Jésus-Christ : aussi fut-elle récompensée par des faveurs considérables. Comme c'était son ordinaire de faire manger quelques mendiants à sa table, un jour il voulut, par humilité, donner lui-même à un pauvre pèlerin de quoi se laver : mais pendant qu'il prit l'aiguière et le bassin, le pauvre s'évanouit, et, la nuit suivante, Notre-Seigneur lui apparut et lui dit : « Vous me recevez ordinairement en mes membres, mais vous me reçûtes hier en ma personne 1 ».

Une autre fois, il avait commandé à un aumônier d'amener douze pauvres à dîner; quand il se mit à table, il en trouva treize : il voulut savoir pourquoi l'on avait excédé le nombre qu'il avait prescrit; l'aumônier lui répondit qu'il n'en avait amené que douze, et qu'ils n'étaient pas davantage : en effet, cet homme n'en voyait que douze. Le Saint vit bien qu'il y avait quelque mystère en cela, et, jetant les yeux sur le treizième, il le considéra attentivement, et remarqua qu'il avait changé plusieurs fois de figure pendant le repas, ayant paru jeune au commencement, et paraissant à la fin comme un vénérable vieillard. Après le dîner, il le tira à part et le conjura de lui dire son nom et qui il était. Il lui répondit : « Pourquoi voulez-vous savoir mon nom, qui est admirable? Je suis, pour ne le vous point celer, ce marchand infortuné à qui vous fîtes donner douze écus d'aumône et l'écuelle d'argent de votre mère. Croyez assurément que c'est pour cette bonne œuvre que Dieu a voulu que vous fussiez successeur de saint Pierre, et que ce qu'il avait déterminé de toute éternité, s'exécutât en vous. Comme vous êtes fidèle imitateur de Pierre, et que vous avez autant de soin des pauvres, il a eu un soin particulier de vous ». — « Comment savez-vous cela ? » lui dit saint Grégoire. — « Parce que je suis », répondit le pauvre, « l'ange même que Dieu avait envoyé pour vous éprouver ». A ces paroles, saint Grégoire se trouva extrêmement surpris; mais l'ange lui dit : « Ne craignez point, Grégoire, le Dieu du ciel m'a envoyé vers vous pour vous assister et vous garder jusqu'à la fin, et vous accorder, par son ministère, tout ce que vous lui demanderez ». Alors le saint Prélat se prosterna le visage contre terre, disant avec crainte et révérence : « Si Dieu m'a fait pasteur de son Eglise pour si peu de chose, je puis bien espérer davantage de sa main libérale, si je le sers de grande affection et si je partage aux pauvres tout ce qui est à lui ». Cette vision augmenta merveilleusement le zèle qu'il avait à secourir les nécessiteux; il n'y avait point d'église, ni de monastère, ni d'hôpital, ni de maison de dévotion, qui ne se ressentît de sa libéralité. Il avait écrit dans un livre les noms des pauvres qui étaient dans Rome, aux faubourgs et aux lieux circonvoisins, et il leur donnait l'aumône selon leur qualité et leur nécessité. Il envoyait tous les jours quelque plat de sa table aux malades et aux pauvres honteux. Ayant su que l'on avait trouvé un pauvre mort dans un village écarté de la ville, il en fut si contristé que, craignant que cet homme ne fût mort de faim ou de quelque autre incommodité, par sa faute, il demeura, par pénitence, quelques jours sans dire la messe.
1 Membra prius quasi me suscepti sed heri me. — Une verrière de Cantorbery du XII e siècle reproduit cette légende.
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