LÉGENDES DES CROISADES

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Monique
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X. — BATAILLE DE DORYLÉE.

Tout périssait, mais tout fut sauvé dès qu'il parut. MAIMBOURG.

On était dans l'été de l'année 1097. Les corps commandés par Bohémond, par Tancrède et par Robert de Normandie prirent la gauche; ceux qui obéissaient à Godefroid de Bouillon, à Hugues de Vermandois, à l'évêque Adhémar, au comte de Flandre et à Raymond, se dirigèrent par la droite. Le 1er juillet, dès le matin , la colonne de gauche aperçut des nuages de poussière. Ils annonçaient l'approche de l'ennemi. Les croisés savaient qu'une armée de Turcs devait les attaquer. Tout le monde aussitôt prend les armes. Les chrétiens avaient devant eux une petite rivière, et derrière eux un marais couvert de roseaux. Ils barricadèrent leurs flancs avec les chariots et improvisèrent des palissades au moyen des pieux qui soutenaient les tentes dans leurs campements. On avait mis au centre les prêtres, les enfants et les femmes.

A peine les premiers préparatifs sont terminés que les Turcs paraissent. Impétueux et hardis, ils font pleuvoir une grêle de flèches.

On n'était séparé d'eux que par la petite rivière. Les chevaliers chrétiens, impatients de se mesurer avec un ennemi qu'ils ont déjà battu, la franchissent en colère et tombent sur les musulmans, qui fuient, se dispersent, mais, selon leur coutume, reviennent bientôt à la charge, et le combat s'anime avec une fureur inouïe. A chaque instant on voit les Turcs devenir plus nombreux; les soldats de la Croix ne suffisaient plus à leurs ennemis. Guillaume, frère de Tanorède, est tué ; Tancrède lui-même n'est sauvé que par la valeur de Bohémond. Le vaillant Robert de Paris et quarante chevaliers qui l'entourent reçoivent la mort. Après une longue défense, le camp est pris, les femmes sont captives des infidèles. Bohémond, Tancrède, Bobert de Normandie ne peuvent plus soutenir le choc. Tout semble perdu, — quand subitement le courage des chrétiens se relève. Ils ont vu briller au loin des bannières amies. Les rayons du soleil se reflètent sur les casques et les boucliers de la seconde colonne, qui s'avance au pas de charge. Godefroid de Bouillon, Hugues de Vermandois, Robert de Flandre, prévenus du péril de leurs frères, accouraient en toute hâte.

A la tête de cinquante chevaliers, Godefroid devance ses bataillons; et sa seule approche jette l'épouvante parmi les infidèles. Le sultan de Roum, comptant que Godefroid n'oserait l'attaquer sur ces montagnes, l'ait sonner la retraite. Biais les Turcs emmenaient des captifs, et les guerriers francs reconnaissaient leurs compagnons mourants sur le champ de bataille que l'ennemi abandonnait. Ils poussent leur terrible cri de guerre : Dieu le veut ! ils gravissent les rochers, mettent de nouveau les Turcs en désordre, reprennent les prisonniers, et vengent par la mort de vingt mille infidèles la défaite du matin.

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Monique
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Le camp , les tentes et les trésors de l'ennemi tombèrent dans les mains des chevaliers vainqueurs, qui s'en revinrent chargés de butin, ramenant des coursiers arabes, dont ils sentaient tout le prix dans ces contrées, et des chameaux, montures pour eux toutes nouvelles.

Les croisés n'avaient perdu que quatre mille hommes, à qui on rendit le lendemain les honneurs funéraires, et que l'on regarda comme des martyrs. Après quoi, on partagea les robes flottantes, les flèches légères et les sabres recourbés que l'on avait conquis. Cette victoire avait eu lieu dans le voisinage de Dorylée.

En avançant dans ce pays brûlant, au milieu de l'été, les croisés eurent beaucoup à souffrir. Presque tous leurs chevaux périrent; et l'on vit des chefs montés sur des ânes, sur des chameaux, sur des bœufs,. Les chiens et les chèvres traînaient les bagages.

La soif causa aussi des maladies parmi les pèlerins. Une foule d'aventures varient l'aspect de ces vieux récits. Un jour que Godefroid de Bouillon s'était un peu écarté dans une forêt où il cherchait de la fraîcheur, il entendit les cris d'un soldat que l'on avait chargé de ramasser du bois, et qui allait succomber, attaqué par une ourse affamée. Il courut au secours du soldat, affronta la bête monstrueuse, et la tua d'un grand coup d'épée. Mais lui-même, grièvement blessé à la cuisse dans cette lutte dangereuse, il sentit qu'il perdait son sang et tomba épuisé. Il fallut que le soldat qui lui devait la vie le rapportât sur ses épaules.

La terreur à ce spectacle s'empara de tous les croisés, qui voyaient dans Godefroid leur chef et leur père. Les soins les plus tendres lui furent prodigués; des prières publiques furent récitées dans tout le camp pour demander au ciel la conservation d'un chef aimé de tous ; et l'on se remit en marche, portant le noble prince dans une litière, entouré d'une garde attentive.


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XI. — AVENTURES DE BAUDOUIN

LES PIRATES CROISÉS.

Sous la Croix, l'expiation , BRIDAINE.

Quelques jours après, Baudouin, frère de Godefroid, et le hardi Tancrède s'écartèrent avec leurs détachements pour aller à la découverte.

Ils enlevèrent aux Turcs la ville de Tarse. Puis ils se la disputèrent. Baudouin en resta maître par la violence, et força Tancrède à chercher d'autres conquêtes. Cependant Baudouin disposait de peu de guerriers, et il avait tout à redouter des infidèles. Bientôt une vive alerte lui fut donnée; ce fait de l'histoire, dont le fond est incontesté, a été l'objet d'une légende que nous devons rapporter, sans en garantir tous les détails :
Par une chaude soirée du mois de juillet de l'année 1097, deux vaisseaux de l'empereur Alexis Comnène, montés par des Grecs de Constantinople, supportaient un rude combat en vue des côtes de la Cilicie. Dix petits bâtiments bons voiliers entouraient les deux gros navires. Ces petits bâtiments portaient tous à leur avant un lion grossièrement sculpté et varié dans ses attitudes. Ils étaient montés par des pirates, qui savaient fuir quand ils n'étaient pas les plus forts, et vaincre lorsqu'ils se décidaient à attaquer. Depuis dix ans, ces pirates couraient impunément les mers. Toutes les côtes de la Méditerranée les connaissaient, et quelques villes leur payaient un tribut pour avoir le droit de naviguer en sûreté.

Ces pirates étaient des Français, des Flamands et des Bataves, qui, ayant fait quelque temps le commerce et la pêche, avaient, fini par trouver qu'il était plus commode de prendre que d'échanger, et s'étaient mis à écumer la mer, comme déjà on disait alors. Leur force consistait en quatre ou cinq cents hommes déterminés , à la fois marins et soldats, qui d'une main faisaient la manœuvre et de l'autre maniaient habilement la hache d'abordage.

Les deux vaisseaux grecs portaient une troupe plus nombreuse, qui allait rejoindre les croisés, avec des intentions que nous ne connaissons pas. Ils se défendaient de leur mieux; et le combat se trouvait chaudement engagé. Les pirates faisaient jouer de grandes machines qu'ils appelaient la fronde et l'arbalète : c'étaient d'énormes bascules, au moyen desquelles ils lançaient au loin des paniers de cailloux, des pièces de bois armées de fer, et des flèches entourées de résine ardente. Avec des faux emmanchées à de longues perches, ils coupaient les cordages et déchiraient les voiles. Puis ils jetaient des harpons qui saisissaient le bord du navire; et ils l'entraînaient avec eux.

Il y avait une heure que le combat durait, très meurtrier pour les Grecs, qui se défendaient sur leurs ponts, moins funeste aux pirates, qui, dans leurs manœuvres, s'abritaient au fond de leurs petits bâtiments. Les cordages et les voiles des vaisseaux de l'empereur étaient en pièces, et la moitié de leur équipage hors de combat. Mais, comme on était près de la côte, ils refusaient de se rendre et cherchaient à gagner l'embouchure du Gydnus, quand Wimer de Boulogne, l'un des chefs des pirates, appela ses plongeurs. Des hommes aussitôt se jetèrent à la mer, munis d'énormes tarières; d'instant en instant on les voyait reparaître pour respirer quelques secondes, puis ils plongeaient de nouveau autour du plus grand navire grec.

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Au bout d'un quart d'heure, on vit le vaisseau qu'ils avaient percé de tous côtés faire eau si vivement qu'il s'enfonçait d'une manière sensible. Les Grecs alors se rendirent; les pirates leur donnèrent la vie, mais ils prirent exactement tout ce que portaient les deux navires; et, avant de permettre aux soldats d'Alexis de gagner le large sur le seul vaisseau qui leur restait, les chefs des corsaires détachèrent trois de leurs bâtiments, chargés d'aller vendre à la ville voisine les objets qu'ils venaient de conquérir. C'étaient des étoffes, des provisions et des armes.

Les pirates détachés de la flottille remontèrent le Cydnus pour aller à Tarse, qui était à une lieue et demie de la mer. Leur surprise fut grande en apercevant sur les murailles l'étendard de leur pays et des hommes armés qui portaient l'habit des Francs. Leur cœur endurci palpita au souvenir de leur patrie. La garnison de Tarse, qui les avait pris pour des Sarasins qu'il fallait combattre, les reconnut en même temps et leur tendit les bras. Ce fut une grande joie; ils débarquèrent en tumulte. On les conduisît au palais, où dominait un guerrier de leur pays. C'était Baudouin. Déjà il s'était revêtu de son armure de fer. Il tressaillit d'allégresse en reconnaissant Zegher, Ghérart et surtout Wimer de Boulogne, avec qui autrefois il avait fait la guerre. Un avis fut expédié aux sept-autres navires, qui entrèrent bientôt dans le port de Tarse.

Baudouin avait fait préparer un grand festin pour recevoir les pirates, tous également étonnés de celte rencontre. Ils avaient bien entendu dire que les chevaliers de l'Occident, ayant pris la croix, étaient partis pour la conquête de Jérusalem. Mais ils savaient que les trois premières armées avaient péri en chemin. Ils ignoraient que de nouvelles phalanges, conduites par des chefs dont les plus remarquables étaient leurs compatriotes, poursuivaient plus heureusement leur pèlerinage héroïque.

Baudouin leur raconta tout le grand voyage des croisés, leur marche à travers l'empire qu'ils avaient intimidé, la prise de Nicée, malgré sa double enceinte, la victoire de Dorylée. Il leur apprit que Godefroid de Bouillon s'avançait sur Antioche, pendant que lui, Baudouin, allant à la découverte de quelque principauté, s'était emparé de Tarse. Il se mit ensuite à les exhorter :

— Vous menez mauvaise vie, leur dit-il ; cependant vous êtes chrétiens comme nous. Il vous faut venir à repentance. Nous sommes ici dans la renommée ville de Tarse; ici est né le bienheureux apôtre saint Paul, ici est enterré le grand prophète Daniel. Que des lieux si sacrés vous touchent! Nous sommes les soldats de Jésus-Christ, et vous, nos compatriotes, vous êtes les soldats du diable.
Mes frères, poursuivit-il en pleurant, car alors les plus rudes guerriers pleuraient sans honte, abandonnez le métier de pirates et suivez-nous. Notre but est noble et digne; nous venons délivrer la patrie du Seigneur. Allez avec mon frère Godefroid à la conquête de Jérusalem, ou suivez ma fortune, et si vous m'aidez de cœur, je vous ferai gagner de bonnes seigneuries. Les pirates applaudirent et se mirent à crier tous : — La croix! la croix! si nous en sommes dignes. — Elle expiera tous vos péchés, répliqua Baudouin.

On apporta aussitôt, sur de grands plats, des croix de drap vert, que les pirates s'attachèrent à l'épaule. Dès lors ces voleurs de mer, transformés en soldats de la croisade, marchèrent sous les étendards de Baudouin, à qui ils rendirent d'éminents services, et ceux qui survécurent aux hasards de la guerre devinrent de bons chevaliers.

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Ce renfort permit à Baudouin de laisser dans Tarse une garnison, et il rejoignit Tancrède. La petite armée de ce chef, lui reprochant de l'avoir dépouillé de Tarse, attaqua ses chevaliers. Les Italiens, battus par lui, furent un sujet de douleur pour les capitaines de la guerre sainte, et Godefroid de Bouillon, quand son frère reparut au camp, lui reprocha d'avoir oublié le serment des pèlerins de la Croix. Mais alors Baudouin était ambitieux-, il voulait pour lui-même une principauté. Il fît voir, par la manière hautaine avec laquelle il reçut le blâme de ses chefs, qu'il avait suivi l'armée pour sa fortune personnelle, en même temps que pour la délivrance du Saint-Sépulcre.

La mort de sa femme Gondechilde, qui l'avait pieusement accompagné et qui rendit le dernier soupir à Marésie, ne le ramena pas à des sentiments plus chrétiens. Ayant appris que le conseil des croisés voulait l'empêcher désormais de s'écarter de l'armée, il s'en détacha de nouveau pendant la nuit, à la tête des siens, s'engagea encore dans la Cilicie, et s'avança jusqu'à Édesse, où s'étaient réfugiés tous les habitants chrétiens de la contrée.

Ville autrefois royale (1), Édesse n'avait alors la paix qu'en se reconnaissant tributaire des Sarasins. Elle était gouvernée par un prince grec, qui commandait au nom de l'empereur Alexis. Baudouin n'avait pu amener qu'un petit nombre de guerriers. Mais tous les chrétiens s'étant déclarés pour lui, il fut bientôt proclamé prince d'Édesse, élu par le peuple, qui s'était révolté et avait tué son gouverneur.

Il accepta cette fortune. Peu de jours après il enleva Samosate, et, par un mariage qu'il contracta avec une princesse arménienne, il étendit ses possessions jusqu'au Taurus. Une partie de la Mésopotamie et les deux rives de l'Euphrate reconnurent son autorité.

L'Asie vit alors un chevalier franc régner sans obstacle sur les plus riches provinces de l'ancien royaume d'Assyrie. Cet audacieux coup de main de Baudouin fut utile, ajoute Michaud (1). La principauté d'Édesse servit à contenir les Turcs et les Sarasins; et jusqu'à la seconde croisade, ce fut le premier boulevard des chrétiens en Orient.
(1) Édesse, avant l'ère moderne, avait eu des rois, et tout le monde sait quelque chose de la légende du roi d'Édesse, contemporain de Notre-Seigneur. Voici toutefois cette légende, rapportée par Thévenot {Voyage du Levant):
Abgare, roi d'Édesse, ayant entendu parler des miracles du Fils de Dieu, lui envoya, dit-on, mi peintre habile, afin d'avoir son portrait. Ce prince était malade de la lèpre, et il disait • « Si je puis seulement voir l'image de Jésus, je serai guéri. » Mais l'éclat divin qui brillait sur le visage du Sauveur empêchait l'artiste d'en copier les traits. Alors le Fils de Dieu, voulant satisfaire à l'ardent désir du roi d'Édesse et récompenser sa foi, posa son visage sur un voile, auquel toute sa ressemblance s'imprima aussitôt, et l'envoya au prince.

Comme les messagers revenaient à Édesse, ils furent poursuivis par des voleurs. Celui qui portait le voile précieux se hâta de le jeter dans un puits, pour le sauver, et gagna promptement la ville. Le lendemain matin, Abgare vint en pompe chercher la précieuse image. Il trouva les eaux du puits accrues jusqu'à ses bords ; le voile surnageait au-dessus. Il le prit, le contempla avec adoration, fut aussitôt guéri de sa lèpre et se fit chrétien à l'instant. Tout son peuple suivit son exemple.

Les Turcs, au dix-septième siècle (et nous citons le témoignage de Thévenot), attribuaient encore aux eaux de ce puits révéré un grand nombre de miracles.

Évagre dit que, la ville d'Édesse étant assiégée par Chosroès, les habitants portèrent ce voile sur les remparts ; que les machines des ennemis prirent feu aussitôt et qu'Édesse fut délivrée. La ville garda cette sainte relique jusqu'au jour où elle fut obligée de la livrer à l'empereur Constantin VIII pour se sauver du pillage. L'église de Saint-Silvestre à Rome croit aujourd'hui la posséder.


(1) Histoire des Croisades, liv. II.



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XII. — LE SIÈGE D'ANTIOCHE.

PHIROUS ET BOHÉMOND.

Via aspera et longa.
Gesta Dei per Francos

Les croisés cependant poursuivaient leur marche. Mais, ayant négligé de laisser des garnisons derrière eux, ils perdirent bientôt leurs communications avec l'Europe.

Ils traversèrent, par un soleil accablant, les montagnes du Taurus, respirèrent un moment dans la Syrie, repoussèrent plusieurs attaques des Turcs, prirent Arthésie (l'ancienne Chalcis), et enfin ils aperçurent Antioche, cette ville où saint Pierre avait siégé, où les apôtres avaient laissé tant de traces augustes, ville immense que protégeait l'Oronte, que trois lieues de murailles entouraient, hérissées de trois cent soixante-quatre tours.

Il fallait, pour s'approcher d'Antioche, franchir le pont de l'Oronte, qu'on appelait le Pont de fer, et qui était protégé par deux tours énormes, revêtues de fer et défendues par de vaillants guerriers. Les musulmans étaient, des deux côtés, rangés en bataille. Le duc de Normandie et le comte de Flandre s'élancèrent les premiers sur le pont. Ils attaquèrent l'ennemi si vivement que le passage fut enlevé. Les Turcs se replièrent en fuyant sur Antioche, dont la forteresse passait pour imprenable, dont les remparts étaient baignés par de vastes fossés, par l'Oronte qui était là un grand fleuve, et par de profonds marais. L'émir Accien gardait la place avec vingt-sept mille guerriers.

Ce siège parut si difficile, qu'une partie des croisés ne voulait pas qu'on l'entreprît. On manquait de machines. Le plus grand nombre des chefs demandaient que l'on attendît les secours promis par l'empereur Alexis. Godefroid de Bouillon pensa que les délais seraient plus favorables aux musulmans qu'aux chrétiens. Il rappela aux croisés leurs précédents exploits. Il leur fit voir quelle serait leur force lorsqu'ils seraient maîtres d'Antioche, et six cent mille pèlerins, dont plus de deux cent mille portaient des armes, investirent la ville.

Les postes, comme devant Nicée, furent partagés entre les diverses nations qui composaient l'armée de la Croix. Les Français et les Flamands, sous la conduite de leurs chefs, furent placés à l'orient, entre la porte de Saint-Paul et la porte du Chien; les autres guerriers dans la longue distance qui s'étend de la porte du Chien à l'Oronte. On négligea au commencement d'investir le côté occidental, que bordait le fleuve ; les assiégés continuèrent de recevoir par là des secours. Dès qu'on s'en fut aperçu, Godefroid de Bouillon ayant établi sur l'Oronte un pont de bateaux, la ville fut bloquée enfin de tous côtés. Les Turcs faisaient des sorties imprévues, principalement par la porte du Chien : les croisés, avec d'énormes fragments de rocher, murèrent cette porté.

Mais au milieu d'une foule d'actions éclatantes, l'hiver s'avança, humide et destructeur. Toutes les calamités qui découragent survinrent : la disette, les épidémies, les sanglantes rencontres. En vain d'intrépides excursions amenèrent dans le camp quelques mulets chargés de vivres; ces secours fortuits étaient insuffisants. L'armée ne recevait plus rien de l'Europe. De soixante-dix mille chevaux qui étaient arrivés devant Antioche, il n'en resta bientôt plus que deux mille, qu'on ne pouvait plus nourrir. Plusieurs chefs désertèrent; le vicomte de Melun et Pierre l'Ermite lui-même voulaient retourner en Europe. Il fallut toute l'autorité de Tancrède pour les en détourner.

Un dernier malheur frappa les soldats chrétiens : Godefroid, blessé grièvement dans un combat, resta malade sous sa tente.

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On avait envoyé à l'empereur de Constantinople des messagers qui ne revenaient point. Il faut lire, à cette époque, les vieux chroniqueurs et les légendaires. « Un soir, disent-ils, plusieurs chevaliers entrèrent dans la tente de Godefroid malade. Les communications avec Constantinople étaient rompues; les vaisseaux de la Hollande, de la Flandre et de Gênes n'apportaient plus de vivres ; le port de Saint-Siméon, situé à trois lieues d'Antioche, ne recevait plus de navires amis. Le premier guerrier qui entra venait de Laodicée. Échappé de celte ville, que les perfides Grecs avaient surprise pour la remettre aux infidèles, il annonçait que ceux des pirates croisés à qui Baudouin avait confié la garde de Tarse étaient prisonniers. Un autre chevalier raconta que l'archidiacre de Toul, s'étant retiré la veille avec trois cents pèlerins à quelques milles du camp, dans une vallée où il comptait trouver des vivres, venait d'être massacré par les Turcs, ainsi que tous ses compagnons. On apprenait de toutes parts le meurtre des croisés, qui, désertant pour trouver à manger sous les tentes ennemies, n'y rencontraient qu'une prompte mort. Ces nouvelles pleines de tristesse et de douleur, selon l'expression de Guillaume de Tyr, ajoutaient au sentiment de toutes les calamités qu'on éprouvait.

« Un autre guerrier venu de loin parut; il était encore souillé du sang des batailles. En le voyant, Robert de Flandre lui demanda ce qu'il avait fait de Swenn, que les chroniqueurs appellent Suénon. Suénon était un jeune et brillant prince, fils du vieux roi de Danemark Olaw, et frère du roi régnant Erik III. Sur l'invitation du comte de Flandre, ce prince du Nord, son allié, avait aussi pris la croix; il amenait quinze cents guerriers danois. La veille, on avait appris qu'il arrivait, et des hauteurs du camp on avait aperçu ses bannières à l'horizon.

» — Suénon n'est plus, messeigneurs, dit l'homme que le comte de Flandre avait interrogé. Hélas! ce noble chevalier, à la stature de géant, à la blonde chevelure, au visage d'ange, au bras si puissant, la mort ne l'a pas épargné. Nous sommes maudits à cause de nos péchés, et Suénon avait l'âme trop pure pour combattre au milieu de nous. Une jeune fille, la princesse Florine, si pieuse et si sainte, et si renommée pour sa beauté et ses grâces, généreuse fille du noble duc de Bourgogne et de Mathilde la Belle, Florine, vous le savez, était fiancée avec le héros danois. Selon leurs vœux, le mariage ne devait se célébrer que dans Jérusalem, après la délivrance du saint Sépulcre. Florine elle-même avait pris la croix. Animée de la même piété qui brûlait au cœur de Suénon, elle avait voulu partager tous ses dangers. Elle marchait auprès de lui sous la bannière du Seigneur.

» La nuit dernière, pendant que Suénon reposait et que Florine, encore en prières, songeait à Dieu et à l'objet de ses chastes affections, elle entendit un bruit; elle reconnut le pas des infidèles; elle courut éperdue à la tente de Suénon : il était déjà trop tard, le camp danois était investi par les Sarasins. II fallut combattre dans les ténèbres et sans espoir de vaincre, car le nombre des ennemis était immense. Après une heure de carnage, Suénon tomba percé de cent blessures mortelles. L'ardente Florine, armée de l'épée comme nous, n'avait cessé de combattre aux côtés du chevalier qui devait être son époux. Protégée longtemps par nos efforts, elle succomba, quand Suénon pour la dernière fois lui tendit sa main défaillante, et leur hymen est consacré par la mort. »

C'étaient presque tous les jours d'aussi lugubres nouvelles.

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Cependant l'horrible hiver passa. Dès que le temps devint plus doux, l'évêque Adhémar, qui ne désespérait pas de sa mission, fit labourer et ensemencer les terres autour du camp, pour montrer aux infidèles que les assiégeants comptaient persévérer. Godefroid, guéri de sa blessure, avait tout ranimé. Son frère Baudouin, à qui il avait demandé des secours, venait d'envoyer de l'argent et des grains. On construisit pour l'armée des moulins à vent, machines que les chrétiens avaient trouvées pour la première fois en Asie. La disette cessa enfin, et l'armée reprit confiance.

Sur ces entrefaites, des ambassadeurs du kalife de l'Égypte se présentèrent devant les chefs des croisés. Le kalife, sachant, dirent-ils, que les chrétiens étaient venus pour délivrer Jérusalem, s'obligeait, s'ils voulaient mettre bas les armes, à relever les églises de la ville sainte et à leur permettre d'y entrer en pèlerins. Mais s'ils allaient plus avant, lui, le kalife, était prêt à lancer contre eux tous les hommes armés de l'Égypte et de l'Éthiopie, et tous les musulmans de l'Asie et de l'Afrique.

Ce discours irrita les croisés. Godefroid répondit au nom de tous qu'ils étaient venus pour affranchir Jérusalem, dont les chrétiens voulaient être seuls les gardiens et les maîtres; qu'ils ne redoutaient ni l'Égypte, ni ses alliés, et qu'ils ne pouvaient faire de traités qu'avec les princes qui juraient au nom de Jésus-Christ.

En même temps que ces Égyptiens se retiraient, une armée de vingt mille Sarasins, venus d'Alep et de Damas, s'approchait pour secourir Antioche. Elle fut en quelques heures taillée en pièces par les guerriers francs et par les soldats de Bohémond.

Le comte de Flandre, voulant ajouter une démonstration à la réponse que Godefroid venait de faire aux ambassadeurs de l'Égypte, fit courir après eux et leur envoya, sur des chameaux, deux cents têtes d'infidèles. Deux cents autres furent lancées dans la ville assiégée.

Peu de jours après , une flotte génoise étant entrée dans le port de Saint-Siméon, des pèlerins, sous la conduite de Bohémond, allèrent recevoir les provisions qu'elle apportait. Comme ils s'en revenaient chargés, ils furent attaqués par quatre mille musulmans qui les épiaient et qui les mirent en déroute. Bohémond lui-même commençait à fuir. Godefroid, surveillant tout, vole à leur secours avec son frère Eustache et quelques chevaliers à qui il ne dit que ces paroles : — Suivez-moi. Il se précipite, l'épée à la main, au milieu des ennemis, et les infidèles tournent le dos, s'enfuyant vers la ville. Accien, qui la défend, fait sortir un renfort d'élite pour soutenir ces alliés qui lui arrivent. A l'appel de Godefroid, le nombre des croisés se grossit en même temps. La bataille s'engage plus sérieuse. Godefroid, par un mouvement habile, se place de manière à couper à l'ennemi la retraite dans Antioche. Tous les musulmans furent massacrés. Ceux qui cherchèrent à fuir, pressés par les chrétiens, se noyèrent dans l'Oronte, au nombre de deux mille.

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Dans cette journée, où la valeur des soldats de la Croix éclata par des prodiges, Godefroid faisait voler en éclats les casques et les cuirasses. On lit dans les chroniques qu'un Sarasin de taille démesurée, l'ayant assailli, mit du premier coup son bouclier en pièces. Godefroid, furieux, s'élance sur son gigantesque adversaire , se dresse sur ses étriers, et, laissant tomber avec force sa lourde épée, partage le corps du Sarasin en deux parts, dont l'une roule dans la poussière, tandis que l'autre, emportée par son cheval , rentre dans la ville qu'elle épouvante.

Les croisés vainqueurs ramenèrent le soir dans le camp, avec leurs provisions sauvées, les chevaux, les armes et les vêtements de soie des infidèles.

Le siège néanmoins était toujours sans autres résultats, faute de machines. Dans l'intérieur des murs, les Turcs se vengeaient de leurs défaites sur les chrétiens qui habitaient Antioche et sur les prisonniers qu'ils pouvaient faire. Un jour ils amenèrent sur les remparts un chevalier captif; il se nommait Raymond Porcher; il avait les mains enchaînées. On lui enjoignit d'engager les chefs de la croisade à le racheter, s'il ne voulait pas qu'on lui coupât la tête. Raymond, élevant la voix, cria aux chrétiens :
— Ne faites pour moi aucun sacrifice ; il est bon que je meure. Mais pressez le siège ; cette ville maudite ne peut plus vous résister longtemps. Restez fidèles à la foi de Jésus-Christ qui est avec vous.

Accien, s'étant fait traduire ces paroles, fut étonné d'une telle grandeur d'âme. Il offrit les plus hauts honneurs au chevalier, s'il voulait embrasser la religion de Mahomet, la mort s'il persistait dans sa croyance. Raymond Porcher, pour toute réponse, se mit à genoux, tourna ses regards vers l'Orient, et fit sa dernière prière, bénissant Jésus-Christ. On lui trancha la tête. On jeta ensuite d'autres chrétiens dans un bûcher.

Mais la ville était tombée à son tour dans une disette si profonde, que le fier Accien se vit réduit à demander une trêve. Les chrétiens, abattus par de longues fatigues, l'accordèrent. Baudouin, sur ces entrefaites, envoya d'Édesse quelques sommes d'argent, et on prit dans le camp un peu de repos. Il y eut des pourparlers entre les Turcs et les croisés. Un Arménien, nommé Phirous, qui avait abjuré le Christianisme pour se ranger sous les étendards de Mahomet, et qui commandait trois des tours d'Antioche, offrit secrètement alors à Bohémond de lui livrer la ville. Voici comment la chose se passa...

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Re: LÉGENDES DES CROISADES

Message par Monique »

Phirous, honoré de la confiance de l'émir, avait avec lui son fils et son frère, apostats comme lui, et investis de commandements sous ses ordres. Avant de chercher à gagner son frère, qu'il savait très-dévoué à la cause des Turcs, il ébranla son fils, lequel entra dans ses projets. Sans admettre d'autres tiers au complot, il descendit le jeune homme dans le fossé par une échelle de cuir et le chargea de faire des ouvertures à l'un des chefs croisés. Le jeune homme, à la faveur de la nuit, se présenta aux portes du camp. On le conduisit à Bohémond. Le prince de Tarante reçut avec joie des propositions qui allaient terminer tant de maux. Il renvoya l'émissaire à son père avec de séduisantes promesses, et fit sur-lechamp rassembler en conseil secret les chefs de la croisade.

Ils commencèrent par rejeter les offres de l'Arménien , en disant que la trahison était indigne de leur cause et honteuse pour leur valeur, mais peut-être intérieurement jaloux de Bohémond, qui prétendait, s'il gagnait Antioche par stratagème, considérer cette ville comme son domaine. On décida de reprendre le siège, en arrêtant que chacun des chefs commanderait sept jours, et que la ville appartiendrait à celui qui serait de semaine lorsqu'elle se rendrait.

Le commandement de la première semaine fut donné à Bohémond, et, dès le lendemain du conseil secret, on apprit que Kerbogà, prince de Mossoul, après avoir ravagé la Mésopotamie, amenait au secours d'Antioche une armée que l'on disait forte de deux cent mille hommes. De vives alarmes se répandirent dans le camp. Ceux qui étaient le plus opposés à la proposition du prince de Tarente vinrent le presser d'exécuter ce qu'il avait dit.

Bohémond, ayant fait prévenir Phirous, osa la nuit suivante monter lui-même à la tour, au moyen de l'échelle de cuir. L'Arménien était prêt. Il livra son fils en otage pour sûreté de son engagement. Le jeune homme, arrivé au camp, fut présenté aux chefs. Tout était conduit dans cette affaire avec une discrétion extrême. Bohémond, qui devenait maître de l'entreprise, voulant inspirer une fausse sécurité aux assiégés, fit sonner les trompettes, déployer les bannières et donna l'ordre de se mettre en marche, en annonçant partout avec bruit qu'on allait à la rencontre du prince de Mossoul.

Cette manœuvre occupa toute la journée. Aussitôt qu'il fut nuit, les nombreux corps des armées de la Croix reçurent le commandement de faire volte-face, et furent ramenés, dans le plus grand silence, sous les murs d'Antioche. Ils s'arrêtèrent dans un vallon, au pied de la tour des Trois-Sœurs, où commandait Phirous, et tous apprirent là ce qui se préparait.

A suivre...
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