LÉGENDES DES CROISADES

Avatar de l’utilisateur
Monique
Messages : 694
Inscription : mar. 23 janv. 2007 1:00

Re: LÉGENDES DES CROISADES

Message par Monique »

Un grand orage s'était élevé, mêlé de vent et de tonnerre. Les croisés virent dans ce tumulte des éléments une marque certaine de la protection du ciel, qui empêchait ainsi les sentinelles de rien entendre. Le complot de Phirous allait donc se consommer.

Comme l'Arménien n'attendait plus que l'heure convenue, le bruit vague d'une trahison se répandit tout à coup dans la ville. On en accusait le peu de chrétiens qui s'y trouvaient. On soupçonnait plus vivement peut-être les apostats, gens en qui on n'a jamais une confiance entière. On nommait sourdement Phirous : on disait qu'il entretenait des correspondances avec les croisés. Accien le fit venir et l'interrogea , fixant sur lui un de ces regards qui fouillent dans les plus intimes pensées. Le sang-froid de l'Arménien le sauva. Lui-même proposa avec calme des mesures de sûreté.

— Il faut changer, dit-il, tous les gardiens, des tours et mettre aux fers tous les chrétiens. — C'est ce que je ferai demain, répondit l'émir en le renvoyant.

Phirous retourna à son poste, plus pressé que jamais d'en finir. Mais son frère n'était pas encore prévenu, et il ne pouvait rien faire sans son concours , parce qu'il commandait la tour voisine de la sienne. Il alla le trouver.

— Vous savez ce qui se passe, lui dit-il. On arrête tous les chrétiens. Demain matin, avant le jour peut-être, tous seront mis à mort. C'est pour moi une vive douleur; je ne puis oublier que nous sommes nés dans la même religion et que nous avons été leurs frères.

— Et c'est une raison de plus pour les avoir en horreur, répondit froidement l'autre apostat. Depuis que ces croisés sont venus, nous ne vivons que dans les alarmes. Puissent-ils périr tous et les traîtres avec eux !

Le frère de Phirous avait, en disant cela, un air si menaçant et si farouche, que l'Arménien vit bien qu'il ne deviendrait jamais son complice. Il n'hésita pas un instant. Se précipitant sur lui avec violence, il lui plongea son poignard dans le cœur, et jeta aussitôt le cadavre dans le fossé.

Un peu rassuré alors, il descendit une échelle de cuir. Un émissaire de Bohémond, posté au pied de la tour, monta pour s'entendre avec Phirous.

— Nous n'avons qu'une seule ressource, dit l'Arménien, c'est que tous les intrépides de l'armée viennent ici par l'échelle flottante. Dès que nous serons en nombre , nous irons ouvrir une des portes.

Pendant qu'il parlait ainsi, un officier de ronde se présenta tout à coup avec une lanterne. Phirous n'eut que le temps de cacher le croisé sous les coussins du divan. Pourtant son air calme ne laissa rien soupçonner.

L'officier loua sa vigilance, examina tout avec sa lanterne et ne vit rien.

Lorsqu'il se fut retiré, l'Arménien fit descendre l'émissaire, en lui recommandant bien de dire à Bohémond qu'une heure de retard perdrait tout.

Mais à ce moment suprême, la frayeur s'empare des chrétiens. Tous calculent le danger. Tous s'épouvantent. Personne ne veut se hasarder sur la tremblante échelle. En vain Bohémond donne l'exemple en montant le premier ; en vain il prie; personne ne le suit. Les paroles mêmes de Godefroid de Bouillon n'excitent pas les braves.

Robert de Flandre s'approche alors, suivi de soixante guerriers d'élite.

— Nous irons donc, nous autres, dit-il.

L'élan était donné; une foule de soldats montent intrépidement. Dix tours sont en quelques minutes au pouvoir des croisés. Une porte est enfoncée; Godefroid de Bouillon entre dans Antioche au son des trompettes, au cri de guerre Dieu le veut! La garnison turque est exterminée, et au point du jour on voit flotter sur les remparts la bannière rouge de Bohémond.

Accien, voulant s'enfuir, fut tué par un bûcheron qui le reconnut, et qui apporta aux chefs des croisés sa tête énorme, aux oreilles longues et velues, à la longue barbe blanche.

A suivre...
Avatar de l’utilisateur
Monique
Messages : 694
Inscription : mar. 23 janv. 2007 1:00

Re: LÉGENDES DES CROISADES

Message par Monique »

XIII. — LA SAINTE LANGE. — KERBOGA.

La victoire est à Dieu.
BOSSUET


La prise d'Antioche eut lieu au commencement de juin de l'année 1098, après un siège de huit mois. Il y avait peu de jours que les chrétiens se reposaient de leurs longs travaux; et ils se réjouissaient de leur triomphe, quand l'armée du prince de Mossoul , — forte en effet de deux cent mille hommes, — se montra en vue d'Antioche. Vingt-huit émirs marchaient, avec leurs corps d'armée, sous les ordres de Kerbogâ. Il s'avançait comme un homme sûr de vaincre.

Un détachement de chevaliers sortit à la rencontre de ce nouvel ennemi. Sans doute qu'ils vendirent chèrement leur vie, mais aucun d'eux ne revint.

Un nouveau corps d'armée, qui allait au secours du premier détachement, fut obligé de rentrer précipitamment dans la ville, investie une heure après par les bannières innombrables des musulmans ; et les croisés, d'assiégeants qu'ils étaient la semaine précédente, se trouvèrent tout à coup assiégés, sans avoir eu le temps de s'approvisionner.

Des sorties de tous les jours produisirent alors mille faits héroïques , mais n'amenèrent aucun succès; et parmi les chrétiens, bloqués dans un cercle qui semblait se resserrer à chaque heure , la disette vint de nouveau. Ce fut bientôt la plus hideuse famine. On mangea les chiens, puis les chevaux de bataille, puis les cuirs des baudriers et des chaussures. Les chefs partageaient les peines des soldats.

On savait que l'empereur Alexis amenait enfin des secours, et on prenait courage. Le comte de Blois, ayant fait une percée dans les rangs compactes de l'ennemi, trouva le moyen de s'échapper; il courut à la rencontre de l'empereur, qui s'avançait en effet. Il le pressa d'accélérer sa marche. Mais Alexis ne venait que pour partager les victoires des croisés. Dès qu'il apprit la situation d'Antioche, il rebroussa chemin et s'en retourna lâchement dans Constantinople. Le comte de Blois, découragé, n'osa revenir et reprit le chemin de la France.

Abandonnés ainsi, les croisés, dans leur misère, ne songeaient plus qu'à mourir. Quelques chefs firent même offrir à Kerbogâ de lui rendre la ville, s'il leur voulait permettre de s'en retourner dans leur pays. Le prince de Mossoul se refusa à cette transaction, dont Godefroid n'apprit la pensée que pour la blâmer sévèrement. Car, au milieu de l'abattement général, il y avait encore parmi les chrétiens quelques hommes qui conservaient de l'enthousiasme. Godefroid de Bouillon, Robert de Flandre, Tancrède, juraient que tant qu'il leur resterait soixante chevaliers , ils ne renonceraient pas à l'espoir d'aller délivrer Jérusalem.

On raconta bientôt des visions prodigieuses, qui semblaient annoncer un terme à tant de maux. Un déserteur passait à l'ennemi; il s'en revint de lui-même, disant qu'il avait été arrêté par son frère, mort dans un précédent combat. Le fantôme lui avait révélé qu'à la prochaine bataille, tous ceux qui avaient succombé sous la bannière de la Croix se lèveraient de leurs tombes et viendraient combattre dans leurs rangs.

A suivre...
Avatar de l’utilisateur
Monique
Messages : 694
Inscription : mar. 23 janv. 2007 1:00

Re: LÉGENDES DES CROISADES

Message par Monique »

Pour mettre le comble à ces merveilles, un bon et saint prêtre marseillais, nommé Pierre Barthélemi, eut une révélation plus importante. Un matin, il annonça, tout ému, que saint André s'était montré à lui, en réalité ou en songe, et qu'il lui avait déclaré le lieu où était enterrée, dans l'église vénérée de Saint-Pierre d'Antioche, la lance qui avait percé le côté et ouvert le cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le saint apôtre avait ajouté que cette lance, devenue auguste et sacrée, donnerait la victoire aux chrétiens.

On trouva en effet, au lieu désigné, la précieuse relique, après avoir fouillé assez longtemps. Des épreuves et des miracles signalèrent sa sainteté. L'abattement s'évanouit alors, et tout le monde voulut de nouveau marcher au combat. L'ermite Pierre fut envoyé à Kerbogâ, à qui il demanda fièrement, au nom des chrétiens, s'il souhaitait une bataille générale, ou s'il ne préférait pas un combat d'un certain nombre de chevaliers croisés contre un nombre égal de musulmans.

Le prince de Mossoul, souriant de dédain, répondit qu'il ne traitait pas avec des mourants. Il renvoya ainsi le parlementaire.

Toute l'armée chrétienne se mit donc en prières. Un reste de vivres, que l'on trouva et qui fournit un repas frugal à tous les guerriers, parut un nouveau miracle. Le lendemain matin, 29 juin, jour même où l'on fête les bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul, cent mille croisés, après avoir tous communié, sortirent d'Antioche avec tous les chefs, précédés du pieux évêque Adhémar, qui portait la cuirasse sous sa robe épiscopale, et auprès de qui marchait Raymond d'Agiles, l'un des historiens de la croisade, élevant dans ses mains la sainte lance.

L'armée s'avançait en chantant le psaume de la sainte guerre : Exurgat Deus : « Que le Seigneur se lève! Que ses ennemis soient dispersés! » Tous ceux qui étaient sans armes priaient à genoux sur les remparts. Presque tous les soldats de la Croix étaient à pied. Les chefs avaient pour monture des ânes et des chameaux. Il ne restait qu'un cheval, qu'on avait donné à Godefroid de Bouillon.

Lorsqu'on annonça au prince de Mossoul que les chrétiens sortaient de la ville, dont les tours venaient d'arborer le drapeau noir, il crut qu'ils s'avançaient humblement pour implorer sa clémence. Mais ses premiers détachements violemment dispersés l'obligèrent bientôt à quitter son jeu d'échecs et à monter à cheval. II divisa rapidement son armée en quinze bataillons. Les chrétiens, de leur côté, s'étaient partagés en douze corps, sous la protection des douze saints apôtres. Tous ces arrangements furent détruits en un moment. La mêlée devint subitement générale.

La bataille s'engagea sur tous les points, avec tant de courage de la part d'hommes que l'on croyait exténués, que Kerbogâ, pris de peur, envoya à son tour proposer aux princes chrétiens ce qu'il avait refusé la veille, d'éviter le carnage en se bornant à faire combattre des deux parts l'élite des guerriers. Les croisés à leur tour méprisèrent des offres qui redoublaient leur confiance.

Une petite pluie vint les rafraîchir, en même temps qu'un vent assez vif poussait leurs flèches vers l'ennemi. Ils reconnurent là encore la protection de Dieu. Godefroid de Bouillon, Robert de Flandre, qu'on surnomma, à cause de ses exploits dans cette grande journée , le fils de saint Georges, le comte de Hainaut, Baudouin du Bourg, Tancrède, tous les capitaines se montraient aux postes les plus avancés. Ils voyaient tomber autour d'eux les plus braves Sarasins. L'armée immense de Kerbogâ fut mise en pleine déroute.

A suivre...
Répondre

Revenir à « Origines et motivations des croisades »

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 4 invités