LÉGENDES DES CROISADES

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Monique
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La carrière qu'il devait parcourir avec tant d'honneur s'éclaira pour lui par une victoire. Sa valeur mûre et son sang-froid intrépide avaient contribué à la bataille qui se livra près de Leyde, et qui vit la défaite de Robert le Frison. Le duc Godefroid, ce duc que Yoigt représente comme le modérateur des Pays-Bas au onzième siècle, ravi de son noble neveu et n'ayant point d'enfants, le désigna pour l'héritier de tout ce dont il pouvait disposer, c'est-à-dire des fiefs féminins, car les autres domaines rentraient sous la main de l'empereur.

Ce bon duc, ayant été assassiné à Anvers par un scélérat qui échappa à toutes les recherches, Godefroid, âgé alors de seize ans, fut mis en possession du duché de Bouillon et de tous les biens que son oncle lui avait légués. L'empereur Henri IV, pour récompenser en lui les services qui lui avaient été rendus par sa famille, l'investit en même temps du marquisat d'Anvers, et s'allia à lui, de plus près encore, en épousant sa sœur Praxède, comme déjà nous l'avons dit.

La comtesse Mathilde, cette femme héroïque, appelée dans l'histoire la grande Italienne, était la veuve du duc Godefroid V. Elle conçut alors contre son neveu une prévention qui s'explique par l'attachement que le jeune chevalier vouait à l'empereur, dont il ne soupçonnait pas les crimes, et dont la pieuse Mathilde, si fidèlement dévouée au Saint-Siège, était justement l'ennemie. Le comte Albert de Namur fut, dit-on, encouragé par elle à revendiquer les domaines légués à Godefroid. A la tête de ses troupes, Albert marcha sur le château de Bouillon; cette forteresse, presque imprenable, eût servi de clef à ses États. Il ne se dissimulait pas les difficultés de l'entreprise. Mais il comptait sur la jeunesse et le peu d'expérience de Godefroid. Voyant pourtant que le jeune prince s'était renfermé en hâte dans le château, avec une petite escorte, il le fit sommer de le lui livrer, sous peine de voir tout mettre à feu et à sang. Sur le refus net de Godefroid, il se disposa à tenter l'assaut. Mais tout à coup il fut averti que des troupes arrivaient, amenées par Pierre, le vaillant et prévoyant gouverneur de Godefroid. Il comprit le danger de sa position et leva le siège. Peu d'instants après, la garnison sortit pour s'unir à la petite armée qui s'approchait en hâte, et les deux troupes firent la chasse au comte Albert. Ce dernier dut rendre grâces à la modération du prince qui, après l'avoir battu, s'arrêta sans entrer dans ses domaines et lui accorda la paix.

Nous devons passer d'autres petits faits d'armes. L'empereur Henri IV cependant gouvernait si mal et avec tant de tyrannie, qu'il était obligé de soutenir des guerres continuelles contre ses vassaux. A la fin ses odieuses atteintes aux droits les plus sacrés de l'Église le firent excommunier. Ses nombreux ennemis élurent alors pour leur empereur Rodolphe, comte de Rheinsfeld, duc de Souabe et beau-frère de Henri IV, dont il avait épousé la sœur. C'était en l'an 1077; et une guerre civile s'ouvrit dans l'empire d'Allemagne pour le désoler pendant trois longues années, avec des succès et des revers des deux parts.

Le tyran déchu avait appelé autour de lui tous ceux qui lui étaient dévoués. Le jeune Godefroid se crut obligé, par son serment envers son suzerain, qui était aussi son beau-frère. Il ignorait, dit-on, que l'excommunication le dégageait; car avant de partir, il fit acte de piété en mettant l'église de Bouillon sous la juridiction de l'abbaye de Saint-Hubert (1); après quoi il rassembla tout ce qu'il put réunir de troupes dans ses États, et se mit en marche, ne songeant pas qu'il allait soutenir la bannière d'un ennemi de Dieu et de l'Église. Il traversa l'Allemagne bouleversée; il rejoignit Henri IV, qui le reçut avec joie et lui confia l'étendard de l'empire.
(1) L'abbaye de Saint-Hubert était alors déjà très-célèbre par l'affluence des fidèles qui s'y rendaient de toutes parts pour révérer les reliques du
premier évêque de Liège et obtenir par son intercession la guérison de la plus effroyable des maladies, la rage, qui ne s'est jamais guérie que là.

A suivre...
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Monique
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Après trois années de luttes désastreuses, l'excommunié, se croyant relevé par quelques succès achetés cher, rassembla toutes ses forces et marcha contre Rodolphe, qui était aussi, lui-même, à la tête de son armée. Le 15 octobre 1080, les deux ennemis se joignirent dans les plaines de Volksheim, en Saxe. La bataille fut engagée avec un acharnement égal des deux côtés. Cependant, les troupes de Rodolphe faisaient plier celles de Henri, lorsque Godefroid s'élança contre l'ennemi de son suzerain, et ne voyant toujours en lui qu'un rebelle, il lui plongea le fer de sa lance dans le côté, au défaut de la cuirasse.

Sans ce coup, la victoire était gagnée par les adversaires de Henri IV. On cite comme preuve la dernière parole de Rodolphe, qui, se sentant blessé mortellement, demanda à ceux qui l'entouraient : — A qui la victoire ? — A vous, seigneur, à vous, répondirent toutes les voix. — J'accepte donc avec joie le sort que Dieu me fait, répliqua Rodolphe; la mort est belle au milieu d'un triomphe; et il rendit l'âme (1).

Une autre preuve est dans ce fait que Henri ne resta pas maître du champ de bataille. Les chefs de ses ennemis se réunirent pour donner à Rodolphe un successeur; et ils élurent Herman de Luxembourg, qui rallia sur-le-champ les troupes. Alors enfin, Henri comprit qu'il fallait chercher à sa source la fin de cette guerre. Il se décida donc à se rendre à Rome, non encore pour se soumettre, mais pour forcer le souverain pontife, qu'il avait odieusement trahi, à le reconnaître solennellement et à le couronner.

Avant de suivre Henri, disons encore un mot du caractère de Godefroid. Quoique généreux et humain , il avait nécessairement les préjugés de son époque, préjugés qui vivent encore dans la nôtre. Ainsi le duel ne pouvait être pour lui qu'une institution légitime. C'était dans les moeurs. Les différends se vidaient par le duel chez les peuples qu'il gouvernait. Les deux plaideurs, qu'on appelait alors les deux champions, couverts d'une armure peinte en rouge, armis tecti miniatis; devaient se battre dans un champ de vingt pieds carrés. Celui qui terrassait son adversaire était réputé innocent; car, par une persuasion téméraire, l'issue de ces combats était regardée comme un témoignage de la Divinité en faveur de l'innocence; d'où leur est venu le nom de jugements de Dieu.

Or, un seigneur eut avec Godefroid une discussion violente, relativement à des possessions qu'il prétendait devoir lui être remises, et que le jeune prince, fort de son droit, tenait à conserver. Tout arrangement devint impossible. L'empereur lui-même, voulant intervenir dans le différend, ne put rien obtenir, et le duel fut résolu. Godefroid, dès qu'il fut dans la lice en présence de son adversaire, se précipita sur lui et lui donna un coup de son épée sur son casque; mais le casque résista et l'épée fut brisée, de sorte que le pommeau seul resta dans la main du jeune prince. Un cri général s'éleva : la lutte devenait tellement inégale que l'intérêt qu'on portait à Godefroid se manifesta hautement. Plus furieux encore à la vue de ce pressant danger, le jeune prince frappa de nouveau son ennemi, qui était resté étourdi par la violence du premier coup, et il le renversa. Mais à ce moment, le noble caractère du jeune héros reprit le dessus; il laissa la vie à son adversaire.
(1) Ceux qui ont dit que Godefroid avait coupé la main avec laquelle Rodolphe
avait juré fidélité à Henri IV n'ont admis ce conte que pour faire de l'effet.
Les fidèles de Rodolphe, aussitôt qu'ils l'avaient vu blessé, l'avaient enlevé.


A suivre... IV. — LE SIÈGE DE ROME.
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Monique
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IV. — LE SIÈGE DE ROME.

Taisez-vous sur cette victoire ;
Tâchez d'en étouffer l'histoire,
Car un jour vous en rougirez.
P. NÉLIS.


L'empereur Henri IV partit donc pour Rome. Il traversa rapidement le Tyrol, la Lombardie, et, croyant intimider le pape, il mit le siège devant la ville éternelle. Le pape , c'était Grégoire VII, se retira dans le château Saint-Ange, mais ne refusa pas d'entrer en pourparlers avec Henri. Celui-ci, loin de chercher ainsi à réparer ou du moins à pallier ses torts, ne travaillait qu'à se procurer des intelligences dans la ville. En même temps, il déposait le pape de sa seule autorité, et faisait nommer l'antipape Guibert.

Il est assez curieux que ce soit un protestant, le savant professeur Voigt, qui ait, de nos jours, défendu et relevé, dans une histoire consciencieuse, les généreux faits du saint pape Grégoire VII. Celui que Voltaire et sa livrée, comme disait madame Geoffrin , appelaient le fougueux Hildebrand est reconnu aujourd'hui, chez les ennemis mêmes de la papauté, pour le sauveur de l'Europe et de la civilisation au onzième siècle.

Dans cette guerre obstinée que l'empereur Henri IV faisait au grand pontife, on remarquait surtout deux guerriers, unis par l'affection, par le courage et par le mérite. Tous deux étaient loyaux chrétiens, hommes d'énergie, hommes de cœur et de droiture; mais ayant fait le serment féodal à Henri, leur souverain , ils ne voulaient pas croire aux forfaits dont il était souillé; et campés devant Rome, chrétiens abusés qu'ils étaient, ils ne voyaient pas encore que cette guerre devenait impie.

Et pourtant, dans la balance qui eût pesé les deux bannières, il y avait, du côté de Henri, la débauche, la tyrannie, les penchants barbares, la hideuse hypocrisie; du côté de Grégoire VII, la sainteté, le droit, la justice, la religion , la grandeur et le progrès. Tandis que l'empereur vendait les dignités de l'Église, trafiquait des abbayes, usurpait tous les pouvoirs et sacrifiait les revenus de l'empire à d'indignes orgies, le pape ne songeait qu'à rendre l'espèce humaine à sa dignité, qu'à reconstituer la société perdue, qu'à ramener quelque liberté parmi les hommes. C'est cet illustre pontife qui, le premier, avait prêché avec autorité la guerre sainte pour la délivrance de Jérusalem. Il voyait là le germe de tous les grands sentiments; elle devait affranchir les chrétiens, esclaves ou martyrs dans l'Orient, éclairer dans l'Occident les masses, expier les crimes, ramener à la religion ses splendeurs, rapprocher les seigneurs de leurs serfs dans la communauté des dangers, renouveler la face de l'Europe.

Constantinople menacée réclamait depuis longtemps les secours de l'Occident, et promettait, si on la sauvait des Turcs, de sortir du schisme pour rentrer dans l'Église romaine. Cinquante mille guerriers avaient répondu, comme nous l'avons dit, à l'ardent appel de Grégoire. Déjà Jérusalem tressaillait d'allégresse. Mais au lieu d'aller glorieusement délivrer le tombeau de Jésus-Christ, Henri IV avait mieux aimé poursuivre ses tyrannies dans l'Occident; et les périls de l'Église romaine, clouant Grégoire sur son siège, l'avaient empêché de recueillir les fruits qu'il avait semés.
A suivre...
Dernière modification par Monique le ven. 26 août 2016 17:40, modifié 1 fois.
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Le siège de Rome dura deux années. Les troupes de l'empereur étaient campées dans les prairies de Néron, devant le fort Saint-Pierre; et elles étaient exposées sans cesse à des sorties, à des attaques, à des revers, à des défaites, à des souffrances variées. Les deux guerriers dont nous avons parlé et qui, avec une multitude d'hommes vaillants, rassemblés sous l'étendard de l'empereur, se préparaient à l'assaut de Rome, ne soupçonnaient pas non plus qu'ils seraient bientôt eux-mêmes les exécuteurs du vœu suprême de ce pontife dont ils servaient alors les ennemis. Le premier était jeune; il avait vingt-quatre ans; noble et beau, vaillant et fort, il avait déjà illustré son nom. C'était Godefroid de Bouillon; l'autre, son ami fidèle, âgé d'environ quarante ans, était Pierre, son maître. Petit et dépourvu des agréments extérieurs, il était doué d'une âme ardente et d'un cœur formé pour les grandes choses.

Le 21 mars 1084, après de longs efforts, une large brèche ayant été faite aux murailles de Rome, l'assaut fut ordonné. Godefroid de Bouillon fut le premier, disent les vieilles chroniques, qui mit le pied dans Rome par la brèche. Il alla aussitôt ouvrir à l'armée de l'empereur la porte de Latran (1). Mais au milieu de cette triste victoire, qui sans doute n'était pas pour lui sans quelque trouble, il se sentit frappé subitement d'une maladie grave; et alors, plus éclairé et pressé par une conscience inquiète, il fit le vœu d'aller, s'il guérissait, expiera Jérusalem, devant le tombeau du Christ, les plaies qu'il venait de faire à son Église.

Pierre, atteint du même mal et souffrant à côté de lui, se lia par le même serment, sans prévoir plus que Godefroid les desseins de Dieu. Ils avaient fait prisonnier le savant et pieux Eudes ou Odo, évêque d'Ostie et cardinal de la sainte Église romaine, né au diocèse de Reims, de l'illustre maison de Châtillon-sur-Marne. C'est lui qui, bientôt élevé au Saint-Siège sous le nom d'Urbain II, travaillera avec eux au grand œuvre de la croisade.

Au moment de cette invasion, Grégoire VII s'était retiré à Salerne. Il y mourut l'année suivante. L'empereur, maître de Rome, voulant récompenser les services que Godefroid lui avait rendus, l'investit du duché de Lotharingie. Mais peu après il répudia Praxède ; et cet outrage fut le premier châtiment que subit Godefroid. Il se retira dans son duché de Bouillon, y entretint les dispositions belliqueuses de ses sujets, sans prendre part désormais aux guerres que l'empereur continua de soutenir, et se prépara,, en donnant à son pays de bonnes et ages lois, à l'exécution de son vœu, qui devait l'en tenir éloigné assez longtemps. Pierre l'avait quitté aux premiers symptômes de leur convalescence, et, réfugié dans un ermitage, il y commençait son expiation , lorsqu'il apprit l'année suivante le départ des pèlerins qui partaient pour Jérusalem, sous la conduite de Robert le Frison. Il se joignit à eux, comme nous l'avons dit, en l'année 1085, mais il ne revint pas avec eux, et sa vie solitaire à Jérusalem lui maintint le nom de Pierre l'Ermite.
(1) Chroniques du mont Cassin, liv. III, ch. I.III. Elles démentent ainsi ce que disent les historiens postérieurs, que, sans attendre ce dernier assaut, les partisans que Henri avait à Rome (et il n'en avait guère) lui ouvrirent la porte de Latran, le 21 mars 1084, et qu'il entra pompeusement dans la ville sainte , accompagné de l'antipape Guibert.


A suivre... V. — LE HÉRAUT DE LA CROISADE.
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V. — LE HÉRAUT DE LA CROISADE.

Il était, aux yeux des hommes, de peu d'apparence ;
mais Dieu le rendit suffisant.
Gesta Dei per Francos.


Plus heureux que Godefroid, retenu en Europe avec ses embarras et ses inquiétudes-, Pierre avait donc pris en 1085 le bâton de pèlerin, et, remplissant son vœu, il était parti pour la terre sainte. Ses compagnons ne le connaissaient que sous le nom de Pierre l'Ermite, qui lui est resté. Il débarqua dans la Palestine, où les enfants du Koran profanaient tous les lieux sanctifiés par les mystères de la vie et
de la mort de Jésus-Christ. Il vit le Croissant remplaçant la Croix et dominant les tours désolées de la ville sainte. Mais il ne se contenta pas de s'être humilié avec les autres pèlerins devant le tombeau de son Dieu; malgré le peu de cas qu'il faisait de lui-même, il crut se sentir appelé à une haute mission.

Pendant que ceux des pèlerins qui avaient pu adorer aux saints lieux regagnaient consolés leur patrie, il demeura dix ans dans la terre sainte, subissant avec joie les ignominies, les injures et l§s mauvais traitements. Il visita tous les lieux consacrés par les merveilles divines; il put mesurer les douleurs des fidèles et les profanations des barbares. Il conçut enfin le ferme projet de parcourir l'Europe, en appelant tous les chrétiens aux armes. Il exposa son dessein au vénérable Siméon, patriarche de Jérusalem, qui tout d'un coup vit en lui l'instrument destiné par Dieu même à la délivrance. Il l'embrassa en pleurant, le bénit avec effusion, et le chargea, comme messager de Dieu, d'aller appeler à la guerre sainte les enfants de l'Europe.

Avant de quitter Jérusalem pour prêcher la guerre de la Croix, Pierre passa toute une nuit en prières dans l'église du Saint-Sépulcre. Là une heureuse vision l'encouragea à poursuivre sa résolution généreuse. Notre-Seigneur lui-même lui apparut et lui dit : Levez-vous, partez promptement et faites sans peur ce qui vous est inspiré, car je serai avec vous (1).

Le lendemain matin, il demanda la bénédiction du patriarche, qui lui donna des lettres pour le souverain pontife; et il s'embarqua sur-le-champ. On lit dans son épitaphe, que Molanus a conservée, qu'il était prêtre en même temps qu'ermite (2) ; et on présume qu'il avait reçu les ordres sacrés à Jérusalem. Il débarqua en Italie, plein d'ardeur et de foi, au printemps de l'année '1095, et se dirigea vers Rome, où il alla se jeter aussitôt aux genoux du pape. C'était son ancien prisonnier, l'évêque d'Ostie, maintenant Urbain II.

Dès que le pape eut entendu le héraut de la croisade , il confirma les paroles de Siméon, et, répétant comme par inspiration celles de Notre-Seigneur, il le chargea à l'instant d'aller prêcher la guerre sainte.
(1) Surge, propera, et quae tibi sunt injiincta intrepidus perage ego eaim tecum ero. eaim tecum ero. MOLANUS , Vie du B. Pierre l'Ermite.
(2) Venerabilis sacerdos et eremita. Molanus, que nous venons de citer, établit aussi que Pierre l'Ermite et Godefroid de Bouillon étaient
tous deux nés en France, mais qu'ils habitaient la Belgique. Sa notice est empruntée de Guillaume de Tyr, l'historien contemporain des croisades.
Uterque origine Francus, sed hàbitatione Belga.
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Le messager de Dieu, animé du zèle et de la flamme des prophètes, traverse l'Italie, franchit les Alpes, parcourt l'Allemagne, les Pays-Bas et la France : il cheminait sans faste, monté sur un âne, vêtu de sa robe d'ermite, rude et grossière, le corps ceint d'une corde, la tête découverte, les pieds nus, ne se comptant pour rien, mais ne doutant pas de Celui dont il appuyait sa parole. Dans les cités, dans les hameaux, sur les places publiques et à la porte des églises, dans les nobles manoirs et sous les toits de chaume, il annonçait aux chrétiens que le moment était venu de délivrer le tombeau de Jésus-Christ.

Sa parole remuait les cœurs. Il racontait, avec une poitrine bouleversée de sanglots, les douleurs de la terre sainte, et peignait sous des couleurs énergiques le deuil de Jérusalem. Les guerriers qui l'entendaient croyaient, gémissaient et pleuraient avec lui, l'interrompaient au milieu de ses récits déchirants, secouaient leurs armes et murmuraient de frémissantes paroles qui étaient déjà le serment de combattre.

Partout on regarda Pierre comme l'envoyé du Ciel. On touchait avec respect son vêtement flétri. On s'estimait heureux, de posséder quelques poils de sa pauvre monture. Une fermentation inouïe gagnait toutes les têtes. Tout ce qui portait un cœur vaillant avec une âme chrétienne demandait à marcher sous la bannière de la Croix et à mourir ou vaincre pour la cause de Jésus-Christ.

Le pape Urbain II, ému de cet élan universel, convoqua sur-le-champ un concile pour y décider la guerre de Jérusalem. II se réunit à Plaisance. Quatre mille ecclésiastiques et trente mille laïques s'y rendirent, et l'assemblée se forma dans une plaine.

Mais l'Italie, troublée comme l'Allemagne par Henri IV, était froide et insensible. Ce concile ne put rien produire. Urbain en convoqua donc un autre dans des régions plus zélées, sur le sol des Francs. Le rendez-vous fut donné à Clermont, en Auvergne. L'affluence y fut plus grande qu'à Plaisance; et, quoique au mois de novembre, toutes les plaines qui environnent Clermont devinrent un camp immense où se pressaient cent mille guerriers.
A suivre...VI. — CONCILE DE LA CROISADE
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VI. — CONCILE DE LA CROISADE.

Voici la guerre qui va expier tous les crimes.
Discours d'Urbain II.


Le concile préluda par des mesures de police générale; la paix de Dieu, qui interdisait les guerres particulières, fut proclamée comme loi pour tous. Des anathèmes furent lancés contre tout homme qui oserait la violer. On déclara sacrés, et spécialement sous la tutelle de Dieu , les orphelins et les veuves, les marchands et les laboureurs. Toutes les églises, toutes les chapelles, toutes les croix placées aux carrefours, furent décrétées solennellement asiles contre la violence (1).

La dixième séance du concile, attendue de tous, se tint sur la grande place de Clermont, au milieu d'une foule innombrable. Le pape, entouré de ses cardinaux, s'avança sur l'estrade. Dès qu'on vit à sa droite l'ermite Pierre, sous son pauvre vêtement, le silence le plus profond domina les masses compactes. Le souverain pontife parla le premier. Son discours nous a été conservé parmi les actes du concile. C'est le style du temps, hérissé de citations, d'expressions figurées, de locutions de l'époque. Nous en citerons pourtant quelques beaux passages.

« Les fils de l'Egypte esclave occupent par la violence le berceau de noire salut et la patrie de notre Dieu, dit gravement le chef de l'Église. Ce tombeau, où la mort n'a pu garder sa victime, est souillé par ceux qui ne doivent ressusciter un jour que pour servir d'aliment au feu éternel. Ainsi, le peuple que le Christ a béni gémit et succombe. Et si les gardiens du Calvaire, si les chrétiens de Jérusalem, concitoyens de l'Homme-Dieu, restent encore au milieu de tant de misères, c'est qu'ils craignent de laisser sans prêtres et sans autels une terre couverte du sang de Jésus-Christ.

« Malheur sur nous, guerriers! poursuivit-il, si nous demeurons calmes quand la ville du Seigneur va périr. Que la guerre sainte s'allume donc ! Que ce soit désormais la charité et l'amour de nos frères qui nous entraînent aux combats! Que cet amour soit plus fort que la mort même, contre les ennemis de Jésus-Christ! Souvenez-vous des victoires de Charles Martel et de Charlemagne. Vos pères ont sauvé l'Occident du joug des Sarasins. Des exploits plus grands encore vous appellent aujourd'hui. Vous qui aimez à combattre, réjouissez-vous; voici une guerre que Dieu même ordonne. Voici le moment de montrer si vous êtes vaillants et courageux. Vous qui vendiez votre bras pour un vil salaire, allez maintenant, armés du glaive des Machabées, défendre la maison d'Israël. Ce ne sont plus les injures des hommes, c'est l'injure de Dieu lui-même que vous allez venger. Voici la guerre qui va expier tous les crimes et ouvrir aux braves les portes du ciel. Si vous triomphez, les royaumes de l'Asie seront votre partage; si vous succombez, vous mourrez dans les lieux augustes où Jésus-Christ est mort, et Dieu n'oubliera pas ceux qu'il aura vus sous sa bannière. »

Un frémissement universel agitait l'assemblée. Pierre l'Ermite parla à son tour, d'une voix ardente et attendrie. Il retraça de nouveau la vive peinture des outrages faits par une race infidèle au tombeau de Jésus-Christ, les angoisses des chrétiens, les sacrilèges des musulmans. Il représenta les autels du Christ envahis par les barbares et les vases sacrés profanés durant les saints offices , les prêtres foulés aux pieds et battus de verges au milieu de leurs fonctions les plus augustes, les fidèles meurtris et abreuvés de sanglantes avanies, aux jours surtout où expira le Sauveur, où il demeura dans le cercueil, où il se releva d'entre les morts....
(1) Sur la paix de Dieu et la trêve du Seigneur : « D'horribles désordres régnaient en ce temps-là. Il y avait si peu de respect pour ,les lois, que chaque particulier prétendait qu'il lui était permis de se faire justice à lui-même par les armes. Pour apporter quelque remède à ces excès, les évoques et les barons avaient fait en certains lieux des règlements qui mettaient absolument à couvert des violences les églises, les clercs, les religieux, les femmes, les laboureurs et les moulins. C'est ce qu'on appelait la paix de Dieu. Ensuite, il était défendu d'agir par les voies de la violence contre les personnes et les choses non protégées par cette paix, depuis le mercredi au soir jusqu'au lundi matin. Ce respect rendu aux jours consacrés par les derniers mystères de la vie de Jésus-Christ s'appelait la trêve du Seigneur. Le concile de Clermont confirma et sanctionna ces dispositions. Il déclara excommuniés les violateurs de la paix de Dieu ou de la trêve du Seigneur. Us devaient en conséquence être bannis ou punis de mort, selon la mesure de leurs méfaits. Les trois conciles qui suivirent celui de Clermont donnèrent leur sanction à ces mesures. » (MAIMBOCRG.)
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Lorsque aux récits de ces horreurs, qui n'étaient que l'expression nue de la vérité, Pierre vit l'assemblée tout en pleurs, il s'écria : — Eh bien, vous tous qui m'écoutez, que répondrez-vous à Dieu, le jour du jugement, lorsqu'il vous demandera ce que vous avez fait de vos armes ?

Une sourde clameur mêlée de sanglots roulait comme les approches d'un ouragan sur toutes les têtes de la foule immense. On ne pouvait distinguer que ces mots : — La guerre! la guerre! — qui éclataient en accents étouffés. Urbain II fit aussitôt un second discours :

« Vous venez d'entendre avec nous, mes frères, reprit-il, et nous ne pouvons en parler sans une profonde douleur, par combien de calamités, par combien de souffrances, par combien de cruelles misères, nos frères les chrétiens, membres de Jésus-Christ comme nous, à Jérusalem, à Antioche et dans le reste des villes de l'Orient, sont flagellés, sont opprimés, sont injuriés. Ce sont des frères, sortis du même sein, destinés au même héritage. Ils sont fils comme vous du même Christ et du même Dieu. Eh bien, dans leurs propres demeures héréditaires, ils sont faits esclaves par des maîtres étrangers. Les uns sont chassés de leurs maisons et de leurs pays, et viennent mendier chez vous. Les autres, plus malheureux encore, sont déchirés de coups et vendus sur leur propre patrimoine. Ce sang qui se verse est du sang chrétien, il a été racheté par le sang de Jésus-Christ. Cette chair qui est livrée aux opprobres et aux tourments est de la chair chrétienne, de la même nature que la chair elle-même de Jésus-Christ... »

Un torrent de voix interrompit le souverain pontife. — La guerre! Dieu le veut! Dieu le veut! — criaient cent mille assistants. — Oui, Dieu le veut! reprit encore Urbain. Dieu le veut ! Que ce soit donc votre cri de guerre. Dieu le veut! Allez, soldais de Dieu. C'est Dieu qui vous ouvre la carrière! Tous les assistants, debout, emportés, entraînés, jurèrent, dans un enthousiasme unanime, de marcher pour la délivrance du tombeau de Jésus-Christ.
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Re: LÉGENDES DES CROISADES

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Au milieu de ce grand mouvement, Àdhémar, évêque du Puy en Velay, s'avança sur l'estrade, et s'approchant du pape, le visage rayonnant, il se mit à genoux, demandant, avec la bénédiction du Sain-tPère, son congé pour aller en terre sainte. Non seulement Urbain lui accorda cette demande, mais il le nomma aussitôt vicaire apostolique de l'expédition.

Alors un des cardinaux lut à-haute voix une formule de confession générale, comme il s'est fait quelquefois pour les armées au moment d'une bataille. Tout le monde tomba à genoux en se frappant la poitrine, et le souverain pontife , élevant les mains qui délient, au nom du Seigneur Jésus, donna à tous ceux qui venaient de jurer la guerre sainte et qui se repentaient de leurs fautes l'absolution générale.

Les guerriers, pour se reconnaître désormais, s'attachèrent au même instant - sur l'épaule une petite croix de drap rouge; ce qui leur fit donner le nom de croisés, et à la guerre qu'ils avaient jurée le nom de croisade.

Parmi les hommes vaillants qui ce jour-là décidèrent par acclamation la guerre sainte, on remarquait en majorité immense les enfants de cette vieille Gaule à qui Clovis avait conquis le titre de tille aînée de l'Église. Ils devaient y briller au premier rang. Tous firent bénir par le Saint-Père leurs croix, leurs épées, leurs étendards; et quand la voix du vicaire de Jésus-Christ eut appelé le regard de Dieu sur ces armes et sur ceux qui allaient s'en servir pour la défense de la Croix, les chevaliers reprirent à la hâte le chemin de leur pays, et s'en vinrent assembler leurs hommes d'armes.

» Ainsi donc, dit Joseph de Maistre (1) en parlant de Pierre l'Ermite, c'est un simple particulier qui n'a légué à la postérité que son nom de baptême , orné du modeste surnom de l'Ermite, qui, aidé seulement de sa foi et de son invincible volonté, va soulever l'Europe, épouvanter l'Asie, briser la féodalité, ennoblir les serfs, transporter le flambeau des sciences et changer l'Europe. »
(1) Du Pape. Discours préliminaire.
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VII. —DÉPART DES CROISÉS.

Ce fut lui qui accrut la gloire de son peuple, et son épée était la protection de tout le camp.
Les Macchabés.


Ces contrées qui autrefois portaient le nom de Gaules, et qui sont aujourd'hui la France, la Belgique , les Pays-Bas, les provinces Rhénanes, se divisaient alors, depuis les invasions normandes, en une multitude de petites principautés. Philippe Ier était roi de France, mais ne possédait qu'un État peu étendu, de la grandeur environ de quatre ou cinq de nos départements d'aujourd'hui; toutes les provinces avaient leurs souverains, ducs ou comtes. Godefroid de Bouillon était duc de Lotharingie.

Tous les princes du pays des Francs prenaient part à la croisade, décidés à y marcher en personne, ou, si des intérêts graves les retenaient dans leurs États, à envoyer sous la bannière de la Croix leurs hommes d'armes et leurs plus vaillants chevaliers.

Il en était ainsi dans toutes les contrées dont les prédications de Pierre l'Ermite avaient convoqué les guerriers au concile de Clermont. On ne s'occupait que de la croisade. Les plus exaltés prenaient les devants , partaient en désordre pour Jérusalem, armés comme ils pouvaient, sans chefs et sans guides. Les marchands, les laboureurs, les artisans, ne rêvant plus d'autre avenir, s'élançaient en tumulte vers la Palestine, avec une croix rouge sur l'épaule. Les femmes mêmes se croisaient.

Les barons et les seigneurs, ne soupçonnant pas les distances, allaient devant eux avec leurs chiens de chasse, leurs faucons et leurs serviteurs, demandant de temps en temps s'ils étaient toujours sur le chemin de Jérusalem , et s'ils n'y arriveraient pas bientôt. Les brigands et les voleurs de grands chemins, qui pullulaient alors, confessaient leurs péchés, et voulaient, disaient-ils, les expier en combattant les infidèles. Ce vœu était si général, qu'on ouvrait partout les prisons aux détenus pour dettes et aux coupables dont les délits pouvaient s'atténuer, dès qu'ils manifestaient le désir de se croiser.

Une comète qui parut alors acheva d'échauffer les têtes. On raconta mille prodiges. On disait qu'on avait vu l'ombre de Charlemagne exciter les chrétiens à marcher, et ils marchaient; mais dans ce premier élan, « c'était un mélange bizarre et confus de toutes les conditions et de tous les rangs. Le plus grand nombre allait à pied; quelques cavaliers paraissaient au milieu de la multitude ; plusieurs voyageaient montés sur des chars traînés par des bœufs ferrés; d'autres descendaient les fleuves dans des barques. Ils étaient diversement vêtus, armés de lances, d'épées, de javelots, de massues de fer. On voyait la vieillesse à côté de l'enfance, l'opulence près de la misère; le casque était confondu avec le froc, la mitre avec l'épée, le seigneur avec les serfs., le maître avec les serviteurs. Tous juraient d'exterminer les Sarasins; et de toutes parts retentissait le cri de guerre des croisés : — Dieu le veut! Dieu le veut (1) »
(1) Michaud, Histoire des Croisades, liv. I.
Dernière modification par Monique le mer. 14 sept. 2016 22:21, modifié 1 fois.
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