Jésus, prenant donc les pains, les bénit, dit saint Luc , ix , 16. Décrivant cette bénédiction, saint Jean rapporte qu'il rendit grâces à son Père. Car c'était l'usage de Jésus-Christ Notre- Seigneur de ne pas rompre un morceau de pain sans célébrer les louanges divines et l'action de grâces. Aussi à la fin de la dernière cène, il récita une hymne avant de se retirer sur le mont des Oliviers. Rappelant ce bienfait du pain quotidien, le Prophète nous invite à louer le Seigneur, « qui a établi la paix dans nos frontières, et qui nous nourrit des sucs du froment. » Qui posuit fines tuos pacem, et adipe frumenti satiat te » . Ps. CXLVII, 14. Ce précepte fut accompli par le saint patriarche qui disait avec effusion : « Que vous bénisse le Dieu en la présence de qui ont marché vos pères, le Dieu qui m'a nourri depuis que j'ai reçu l'être. » Gen. XLVIII, 15. Le même patriarche reconnaissait tenir de Dieu ,non-seulement la nourriture, mais aussi tout ce qu'un vulgaire ignorant appelle les biens de la fortune, et qu'il attribue à la fortune : « Seigneur, disait-il, je suis indigne de toutes vos miséricordes et de la fidélité avec laquelle vous avez accompli les promesses faites à votre serviteur. J'ai passé ce fleuve du Jourdain n'ayant qu'un bâton, et je retourne maintenant avec ces deux troupes.» Gen. XXXII, 10. Contre ceux qui oublient ce bienfait de tous les jours, le Seigneur s'élève par l'organe de Jérémie : « Ils n'ont pas dit : Craignons le Seigneur qui nous donne à propos les premières et les dernières pluies , et qui nous conserve chaque année une abondante moisson. » Jerem . V , 24 .
Tout cela, frères, accuse fortement ceux qui, nageant dans l'affluence des biens de la terre, et assis chaque jour à une table couverte de mets de tout genre, ne lèvent jamais les yeux au ciel, ne regardent pas le dispensateur de tels présents, ne rendent pas, les actions de grâces dues pour tant de bienfaits. Il ne leur vient jamais à l'esprit de se demander de qui viennent tous ces biens dont leurs tables sont chargées et embellies ; et pourtant il n'est rien qui ne découle de cette source inépuisable de la bonté divine. Sur l'ordre de Dieu , et en vertu de sa providence, les fleuves coulent, les brises soufflent , la terre se couvre de fleurs et les forêts de feuillages, les animaux se multiplient, les mers procréent des poissons avec une merveilleuse fécondité , les cieux arrosent la terre à époques fixes par des pluies abondantes , enfin toute créature enfante pour les besoins de l'homme corporel. « Levez les yeux en haut, dit Isaïe , et considérez qui a créé les cieux , qui fait marcher dans un si grand ordre l'armée des étoiles, et qui les appelle toutes par leur nom . » Isa. XL, 26. « C'est lui qui envoie la lumière, et elle part aussitôt; il l'appelle, et elle lui obéit avec tremblement. Les étoiles répandent leur lumière , chacune au poste qui lui est assigné; appelées, elles ont dit : Nous voilà . » Qui emittit lucem , et vadit, et obedit illi cum tremore. Stella quoque steterunt in custodiis suis, vocatæ sunt, et dixerunt : Ad sumus. Baruch » , III, 33-35 .
Quand nous sommes comblés de tant de bienfaits, quand nous nageons dans une telle affluence des présents de Dieu, d'où vient une telle négligence , une telle léthargie ? d'où vient que nous sommes si ingrats, et si oublieux des magnifiques dons de la munificence divine ? Si un étranger accueilli par un hôte bienveillant, traité avec tous les égards et toutes les prévenances possibles, restauré par un copieux repas, partait le lendemain sans même dire adieu à son hôte, sans lui donner le moindre témoignage de reconnaissance, ne dirions - nous pas avec raison que c'est un insensé, ou un stupide, et un soliveau plutôt qu'un homme ?
Vous donc qui êtes dans l'abondance, nourri, pourvu de tous les biens par les largesses toutes gratuites de la divine miséricorde, ne laisserez-vous pas échapper de ce cour de fer au moins quelque parole de louange et de reconnaissance, qui proclame Dieu auteur de tous ces biens ? Pourquoi, assis à votre table somptueuse et chargée de superflu, n’agitez- vous pas dans votre pensée, combien de vos semblables ont à peine en ce jour un morceau de pain pour assouvir leur faim ? Combien croiraient nager dans les délices, s'ils jouissaient seulement des restes de votre table ? Combien , au prix d'immenses fatigues, de dangers effrayants affrontés sur terre et sur mer, combien, au péril non seulement de leur vie, mais même de leur âme, cherchent à gagner une nourriture que le Seigneur vous fournit assez largement pour que vous daigniez, au moins à ce titre, lui rendre grâces de ce qu'au milieu de tant d'indigents, de tant de malheureux, vous trouvez, par son bienfait, sans peine ni travail, abondance de toutes choses ?
Le Fils de Dieu, le Christ, rend grâces pour un pain d'orge; vous, pour tant de délices, vous ne remerciez pas le Seigneur. Si vous n'êtes point reconnaissant par justice, par devoir, soyez-le au moins par intérêt. Car la reconnaissance pour les bienfaits anciens, en attire de nouveaux et de plus grands. C'est l'accomplissement de ce mot de Salomon : « Les fleuves retournent au même lieu d'où ils étaient partis, pour couler encore. » Eccle . I, 7. Les bienfaits retournent à Dieu , lorsque nous l'en remercions, et que nous lui en payons comme le prix par l'action de grâces. Et ensuite les mêmes bienfaits refluent sur nous; parce que l'ingratitude est comme un vent brûlant, desséchant les courants de la grâce divine; tandis que la reconnaissance est comme le vent pluvieux du midi, qui verse sur nous la pluie abondante de la divine grâce .
Aussi le Prophète unit toujours à la prière les louanges divines ; en célébrant les bienfaits passés, il s'en prépare de nouveaux. Il dit : « Je louerai, j’invoquerai le Seigneur, et je serai délivré de mes ennemis. » Ps . XVII, 4. J'obtiendrai facilement son appui et sa miséricorde , en le servant, et en me montrantre connaissant de ses bienfaits passés. Ailleurs , où nous lisons : Sicut adipe et pinguedine repleatur anima mea, d'autres ont traduit : Tanquam adipe et pinguedine satiabitur anima mea , cum labiis exsultationis laudabit os meum . Ps. LXII, 6. « Mon âme sera rassasiée, et comme engraissée des viandes les plus délicieuses , lorsque ma bouche fera retentir vos louanges avec des transports de joie. » C'est-à-dire : Je serai dans l'affluence des délices spirituelles, je regorgerai de tous les biens, lorsque, Seigneur, je glorifierai dans des hymnes d'allégresse votre admirable bienfaisance à mon égard.
Voilà donc pourquoi le Sauveur, avant de distribuer les pains, rend grâces à son Père. C'est afin de nous engager, par son exemple, à témoigner la même reconnaissance pour les bienfaits sans nombre que nous en avons reçus; afin que, repassant chaque jour dans notre esprit avec une vive gratitude les bienfaits divins, nous rappelant tout ce qui nous a été départi, et célébrant sans interruption avec le Prophète les miséricordes de Dieu, nous méritions d'être comblés par lui chaque jour de nouveaux bienfaits, non-seulement dans la vie présente,mais encore dans la vie à venir .