Sermon pour la fête de Saint Jean l’Évangéliste.

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Laetitia
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TROISIÈME PARTIE.

Ce qui rend la faveur odieuse, c'est de voir un sujet, sous ombre et par la raison seule qu'il est favori, dispensé des lois les plus inviolables, exempt de tout ce qu'il y a d'onéreux; vivant sans peine, tandis que les autres gémissent; et tellement traité, qu'on peut dire de lui ce que disait le Prophète royal, parlant de ceux que l'iniquité du siècle a élevés aux plus hauts rangs de la fortune humaine : il semble qu'ils ne soient plus de la masse des hommes, parce qu'ils ne ressentent plus les misères communes des hommes : In labore hominum non sunt, et cum hominibus non flagellabuntur (Psal., LXXII, 5.). Voilà ce qui excite non-seulement la jalousie, mais l'indignation et la haine : car si le favori avait part aux obligations pénibles et rigoureuses des autres sujets; s'il portait comme eux le fardeau; si, malgré son élévation, on ne l'épargnait en rien ; dès là, quelque chéri qu'il fût d'ailleurs, sa faveur ne serait plus un objet d'envie, et nul n'aurait droit de la regarder d'un œil chagrin et d'en murmurer. Or tel est, Chrétiens, le troisième et dernier caractère de la faveur de saint Jean. Il a été le disciple bien-aimé, j'en conviens; mais cet avantage et ce titre de bien-aimé ne l'a point déchargé de ce qu'il y a de plus pesant et de plus sévère dans la loi de Jésus-Christ. Au contraire, plus il a eu de distinction entre les autres disciples, plus il a éprouvé les rigueurs de cette loi : selon qu'il a été favorisé et considéré de son Maître, il a été destiné à de plus grands travaux : de sorte que cette prérogative dont le Fils de Dieu l'honora, bien loin d'être un privilège pour lui, ne fut qu'un engagement particulier aux croix et aux souffrances.

Et c'est, mes chers auditeurs, ce que Jésus-Christ voulut faire entendre, lorsque la mère de ce saint disciple s'approchant du Sauveur des hommes et l'adorant, elle le pria d'accorder à ses deux fils les deux premières places de son royaume, et d'ordonner qu'ils fussent assis l'un à sa droite et l'autre à sa gauche : ceci est bien remarquable. Que fit Jésus-Christ ? Au lieu de contenter la mère, il se mit à instruire les enfants, et à les détromper de leur erreur. Allez, leur dit-il, vous ne savez ce que vous demandez : Nescitis quid petatis (Matth., XX, 22.). Vous pensez que ma faveur est semblable à celle des hommes, qui ne se termine qu'à de vaines prospérités, et qu'on ne recherche que pour être plus heureux en ce monde : or, rien n'est plus opposé à mes maximes. Mais pouvez-vous, leur ajouta le même Sauveur, pouvez-vous boire le calice que je boirai, et être baptisés du baptême dont je serai baptisé ? Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum (Ibid.)? Ce calice plein d'amertume qui m'est préparé, ce calice de ma passion, pouvez-vous le partager avec moi ? car j'aime mes élus, mais d'un amour solide et fort; et pour les aimer, je n'en suis pas moins disposé à les exercer.. Mon calice donc et mon baptême, c'est-à-dire mes souffrances et ma croix, voilà d'où ma faveur dépend : voyez si vous pouvez accepter et accomplir cette condition : Potestis ? Et comme ils répondirent qu'ils le pouvaient : Possumus (Matth., XX, 22.) ; quoique Jésus-Christ n'eût rien, ce semble, à exiger de plus, et qu'en apparence il dût être content de leur résolution, il ne voulut pas néanmoins s'expliquer sur le point de leur demande, ni leur en assurer l'effet.

C'est la réflexion de saint Grégoire, pape. Il ne leur dit pas pour cela : Je vous reçois donc au nombre de mes favoris, vous serez donc placés dans mon royaume, vous y tiendrez donc les premiers rangs : non, il ne leur dit rien de semblable; pourquoi ? parce qu'un tel discours eût suscité contre eux tout le reste des disciples, encore faibles et imparfaits, et par conséquent ambitieux et jaloux. Il leur dit seulement qu'ils auront part à son calice, et qu'ils le boiront; qu'ils seront persécutés comme lui, calomniés comme lui, sacrifiés et livrés à la mort comme lui : Calicem quidem meum bibetis (Ibid., 23.). Parole bien capable de réprimer le murmure des uns et la cupidité des autres. Je sais que les apôtres ne laissèrent pas de s'élever contre saint Jean et contre son frère : Et audientes decem indignati sunt de duobus fratribus (Ibid., 24.) ; mais vous savez aussi la sainte et sage correction que leur fit le Sauveur, lorsque, leur reprochant sur cela même leur grossièreté et leur ignorance dans les choses de Dieu, il leur, remontra que c'était ainsi que raisonnaient les partisans du monde ; qu'il n'en serait pas de même parmi eux, et que l'avantage qu'auraient quelques-uns d'être en faveur auprès de lui ne serait point une grâce odieuse comme la faveur des grands de la terre, parce que celui qui, parmi les siens, voudrait être le premier, devait s'attendre à devenir le serviteur et l'esclave de tous, à être le plus chargé de soins, le plus accablé de travaux, le plus exposé à souffrir, et le plus prêt à mourir. Divine leçon qui calma bientôt les disciples, et qui effaça pour jamais ces impressions et ces sentiments d'envie qu'ils avaient conçus contre la personne de saint Jean.
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Laetitia
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Et en effet, Chrétiens, saint Jean, qui fut le favori et le bien-aimé du Fils de Dieu, est, à le bien prendre, celui de tous les apôtres qui passa par de plus rudes épreuves. On demande s'il a été martyr; et moi je soutiens qu'au lieu d'un martyre que les autres ont souffert, il en a enduré trois : le premier au Calvaire, que j'appelle le martyre de son cœur ; le second dans Rome, que nous pouvons regarder comme son martyre véritable et réel ; et le troisième dans l'exil où il mourut. Que ne souffrit-il pas, lorsqu'étant au pied de la croix, il vit expirer son maître, couvert de malédictions et d'opprobres, lui qui brûlait de zèle pour cet Homme-Dieu, lui qui en connaissait tout le mérite et toute la sainteté ? Ah! dit excellemment Origène, il n'était pas nécessaire, après cela, qu'il y eût pour saint Jean une autre espèce de martyre; il ne fallait plus, pour éprouver sa foi, ni épées, ni roues, ni feu ; cela était bon pour les autres apôtres, qui n'avaient pas été présents au cruel spectacle du crucifiement de Jésus-Christ : n'ayant pas senti comme saint Jean ce martyre intérieur, il leur en fallait un extérieur, parce que d'une ou d'autre manière, ils devaient être, selon l'expression de l’Écriture, les témoins de Jésus-Christ mourant; mais saint Jean, qui l'avait été au Calvaire, était dégagé de cette obligation, il y avait satisfait par avance; et bien loin qu'il eût été dispensé du martyre, il était devenu par là le premier martyr de l’Église : oui, Chrétiens, martyr de zèle et de charité, de cette charité qui est l'esprit du martyre même, et qui en fait tout le mérite; car, comme raisonne saint Cyprien, ce que notre Dieu veut de nous, ce qu'il cherche en nous, ce n'est pas notre sang, mais notre foi : Non quærit in nobis sanguinem, sed fidem. Saint Jean, par l'excès de sa douleur, en voyant Jésus-Christ crucifié, lui avait déjà rendu le témoignage de sa foi; c'était assez : Jésus-Christ ne demandait plus le témoignage de son sang.

Mais je me trompe : le martyre du sang n'a pas manqué à saint Jean, non plus que celui du cœur; l’Église, autorisée de la tradition, nous l'apprend bien, lorsqu'elle célèbre le jour bienheureux où ce zélé disciple, combattant à Rome pour le nom de son Dieu, souffrit devant la porte Latine : quel tourment, si nous en croyons Tertullien et le récit qu'il nous en fait ! un corps vivant plongé peu à peu dans l'huile bouillante ! cette seule idée ne vous saisit-elle pas d'horreur ? J'avoue que saint Jean, fortifié d'une grâce extraordinaire, eut la vertu de résister à ce supplice, et que Dieu , par le miracle le plus authentique, l'y conserva : mais, suivant le cardinal Pierre Damien, ce miracle fut un miracle de rigueur, un miracle que Dieu opéra pour mettre saint Jean en état de souffrir et plus longtemps, et plus vivement ; un miracle, pour lui faire boire à plus longs traits le calice qui lui avait été présenté, et qu'il avait accepté; un miracle plus affreux que la mort même; car voilà, Chrétiens, si je puis ainsi m'exprimer, les miracles de la faveur de Jésus-Christ, miracles que saint Pierre ne comprenait pas, quand Jésus-Christ lui disait, parlant de Jean : Que vous importe , si je veux que celui-ci demeure jusqu'à ce que je vienne ? Si eum volo manere donec veniam, quid ad te (Joan., XXI, 22.) ? La conséquence qu'en tira saint Pierre fut que Jean, par un privilège particulier, ne mourrait point; mais, ajoute saint Jean lui-même, ce n'était pas ce qu'avait dit le Sauveur ; il avait seulement marqué que Jean ne mourrait pas, comme les autres, d'un court et simple martyre, mais qu'il leur devait survivre pour accomplir un troisième genre de martyre à quoi Dieu l'avait réservé. Quel est-il, ce dernier martyre ? C'est, Chrétiens, le rigoureux exil où notre apôtre eut tant de persécutions à essuyer, tant de calamités et de misères : se trouvant relégué dans une île déserte, séparé de son Église, arraché d'entre les bras de ses disciples, sans consolation de la part des hommes, sans soutien, et destitué enfin de tout secours dans une extrême vieillesse, et jusqu'au moment de sa mort.
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Laetitia
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Voilà comment saint Jean fut traité, et voilà quel fut son partage; c'est donc une erreur d'en prétendre un autre, et l'illusion la plus grossière est de nous promettre que plus nous aurons part aux bonnes grâces de notre Dieu, plus nous serons exempts de souffrir. Dire : Je suis aimé de Dieu, donc j'ai droit de lui demander une vie heureuse et tranquille ; ou dire, au contraire : Ma vie est pleine de souffrances, donc je ne suis pas aimé de Dieu : raisonnement d'infidèle et de païen. Cela pourrait convenir au judaïsme, où l'on mesurait les faveurs de Dieu par les bénédictions temporelles; mais dans le christianisme, les choses ont changé de face, et Dieu s'en est hautement déclaré. Depuis l'établissement de la loi de grâce, plus de privilèges pour les élus du Seigneur, à l'égard des biens de ce monde; plus d'exemptions pour eux, ni de dispenses à l'égard des croix de cette vie : pourquoi cela ? Ah ! mes Frères, répond saint Augustin, y a-t-il rien de plus juste ? le bien-aimé du Père ayant souffert, était-il de l'ordre que les bien-aimés du Fils ne souffrissent pas ? Jésus-Christ, le prédestiné par excellence, ayant été un homme de douleurs, était-il raisonnable qu'il y eût après lui des prédestinés d'un caractère différent ? Il est donc pour vous et pour moi d'une absolue nécessité que nous buvions le calice du Fils de Dieu ; mais le secret est que nous le buvions comme ses favoris, et c'est ce que nous n'entendons pas ; c'est ce que n'entendait pas saint Jean lui-même quand Jésus-Christ lui demandait : Potestis bibere calicem ? Mais qu'il le conçut bien dans la suite, en souffrant les trois genres de martyre dont je viens de vous parler ! Tous les jours, Chrétiens, nous buvons malgré nous, et sans y penser, le calice du Sauveur : tant de disgrâces qui nous arrivent, tant d'injustices qu'on nous fait, tant de persécutions qu'on nous suscite, tant de chagrins que nous avons à dévorer, tant d'humiliations, de contradictions, de traverses, tant d'infirmités, de maladies, mille autres peines que nous ne pouvons éviter, c'est pour nous la portion de ce calice que Dieu nous a préparée. Nous avalons tout cela (permettez-moi d'user de cette expression), et de quelque manière que ce soit, nous le digérons ; mais parce que nous ne le considérons pas comme une partie du calice de notre Dieu, de là vient que ce calice n'est point pour nous un calice de salut, et c'est en quoi notre condition est déplorable, de ce que buvant tous les jours ce calice si amer, nous n'avons pas appris à le boire comme il faut; c'est-à-dire à le boire, non-seulement sans impatience et sans murmure, non-seulement avec un esprit de soumission et de résignation, mais avec joie et avec action de grâces; de ce que nous ne savons pas encore faire volontairement et utilement ce que nous faisons à toute heure par nécessité et sans fruit. S'il dépendait de nous, ou d'accepter ou de refuser ce calice, et que la chose fût à notre choix , peut-être faudrait-il des raisons, et même des raisons fortes, pour nous résoudre à le prendre : mais la loi est portée, elle est générale, elle est indispensable; en sorte que si nous ne buvons ce calice d'une façon, nous le boirons de l'autre ; si nous ne le buvons en favoris, nous le boirons en esclaves ; si, comme parle l’Écriture, nous n'en buvons le vin, qui est pour les justes et les prédestinés, nous en boirons la lie, qui est pour les pécheurs et les réprouvés. Ne sommes-nous donc pas bien à plaindre de perdre tout l'avantage que nous pouvons retirer d'un calice si précieux, et d'en goûter tout le fiel et toute l'amertume, sans en éprouver la douceur ?

Voilà , Chrétiens , la grande leçon dont nous avons si souvent besoin dans le monde; voilà , dans les souffrances de la vie , quelle doit être notre plus solide consolation, de penser que ce sont des faveurs de Dieu, qu'elles ont de quoi nous rendre agréables à Dieu, et les élus de Dieu ; que la prédestination et le salut y sont attachés, et qu'on ne peut autrement parvenir à l'héritage des enfants de Dieu. Gravez profondément ces maximes dans vos esprits et dans vos cœurs ; elles vous formeront, non point précisément à souffrir, (car où est l'homme sur la terre qui ne souffre pas ?) mais à souffrir chrétiennement et saintement. Le pouvez-vous ? c'est la question que vous fait ici le Sauveur du monde, après l'avoir faite à saint Jean ; le pouvez-vous ?et le voulez-vous ? Potestis ? Ah ! Seigneur, nous vous répondrons, avec toute la confiance que votre grâce nous inspire : Oui, nous le pouvons, et nous nous y engageons : Possumus. Nous ne le pouvons de nous-mêmes, mais nous le pouvons avec vous et par vous ; nous le pouvons, parce que vous l'avez pu avant nous, et qu'en le faisant, vous nous en avez communiqué le pouvoir. Daignez encore nous en donner le courage, afin que nous en recevions un jour la récompense éternelle..
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