Considérations sur le jeûne et les mortifications corporelles

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Laetitia
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Considérations sur le jeûne et les mortifications corporelles

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Pour compléter les dossiers du Jeûne et de l'abstinence, de La Sainte Quarantaine et le sermon du St Curé d'Ars sur la pénitence ...

CONSIDÉRATIONS SUR LE JEÛNE ET LES MORTIFICATIONS CORPORELLES .
(BIENHEUREUX LOUIS DE GRENADE - Œuvres complètes , traduction de M. l'abbé Bareille.)

I. Considérations générales.

Au moment d'aborder ce sujet, il me semble voir la nature se soulever et s'opposer de vive force à mon entreprise. Les mortifica­tions blessent l'amour que nous nous portons à nous-mêmes, aussi bien que notre faiblesse, et cette inclination à tout ce qui flatte les sens, laquelle bouleverse le monde, épuise les vents, fatigue les mers pour se procurer une couche molle, des vêtements précieux et une table délicate.

Elles blessent encore les habitudes de notre vie; car nous avons toujours traité le corps, quant aux soins qu'il ré­clame, comme notre meilleur ami.

Or, combattre une nature si puis­sante, soutenue d'ailleurs par des habitudes opiniâtres, c'est bien naviguer contre vents et marée. Pour moi, dira l'un, il faut que je fasse deux ou trois repas par jour. Si j'en omets quelqu'un, mon estomac souffre, ma tête s'embarrasse, mon sommeil est compro­mis. — J'occupe une position honorable, dira un autre : par con­séquent, une certaine recherche dans les habits et dans la nourri­ture devient nécessaire. Chacun ainsi allègue quelque raison que lui suggère la philosophie d'une chair empressée à défendre sous l'ap­parence du bien ses préventions et ses plaisirs.

Quel remède opposerons-nous à ce mal ? Je n'en vois aucun, sinon celui que l'on a coutume d'appliquer dans les circonstances difficiles.

Quand le cultivateur est tenté de renoncer au travail et à ses fatigués ; quand le marchand se met à redouter les périls de la navigation, et le soldat ceux de la guerre, on leur représente les avantages de profit ou d'honneur qui en résulteront; et ils se détermineront bientôt à braver fatigues et périls; un sentiment surmontant un autre sentiment, la crainte de la peine cédant à l'amour du gain ou de la gloire.

C'est ainsi que nous procéderons : nous allons exposer les principaux avantages des mortifications corporelles, dans l'espérance que ce tableau atténuera l'effet rebutant des difficultés qu'elles re­présentent. Si mes efforts n'étaient point au-dessous de ma tâche, nul ne serait assez ennemi de soi-même, et assez aveuglé, pour ne pas embrasser de bonne grâce les jeûnes et les austérités.
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Le bienheureux Louis de Grenade a écrit :
DES BIENS SPIRITUELS QUE PROCURENT LE JEÛNE ET LES MORTIFICATIONS CORPORELLES.

II. Des biens qui leur sont communs avec les autres vertus.

Ce que les mortifications corporelles ont de commun avec les autres vertus, est que, pratiquées en état de charité, elles nous méritent un degré de grâce et de gloire. En les pratiquant, nous pratiquons tou­jours la tempérance et l'obéissance toutes les fois que l'Eglise les ordonne. Chaque jeûne donc nous mérite une certaine mesure de grâce et une couronne de gloire correspondante ; en sorte que la faim et la peine d'un jour seront récompensées par une satiété et une fidélité éternelles.
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III. De la vertu satisfactoire du jeûne.

Un autre avantage du jeûne consiste en ce qu'il nous permet de satisfaire pour nos offenses passées, et pour ces dettes dont cha­que jour nous avons à demander la rémission. Quoique la vertu satisfactoire n'appartienne pas en propre au jeûne, elle lui est ce­pendant attribuée d'une manière particulière par les Conciles et les saints Docteurs, en même temps qu'à la prière et à l'aumône. Comme rien n'est plus apte à expier le plaisir de la faute que le support de la peine, le jeûne, l'aumône et la prière étant à charge à notre nature, sont d'excellents moyens de satisfaction.

La doctrine catholique nous enseigne que les lois divines ne sont pas plus dépourvues de sanction que les lois humaines. Celles-ci dé­terminent les châtiments réservés aux transgresseurs. De même, la justice divine a réglé les châtiments qui atteindront les violateurs de ses lois. Ces châtiments, nous devons les subir inévitablement en cette vie ou en l'autre; dans l'enfer, dans le purgatoire ou sur la terre. Les peines de l'enfer sont éternelles. La durée des peines du purgatoire aura une limite; mais elles seront d'une intensité telle que, au sentiment de saint Augustin (1), aucune des souffrances de ce monde, ni celles des martyrs, ni celles de notre Sauveur sur la croix, quelque grandes qu'elles aient été, ne sauraient leur être comparées. Or, les mortifications corporelles nous exemptent de ces châtiments si redoutables. Elles leur sont, il est vrai, bien infé­rieures comme peine; mais Dieu regardant la volonté et non la grandeur du sacrifice, et reconnaissant à la souffrance choisie libre­ment un prix plus élevé qu'à la souffrance endurée par nécessité, la vertu satisfactoire de nos austérités ici-bas compense les châtiments que nous mériterions après la mort.

On demandera sans doute pourquoi la pénitence ne remet pas, ainsi que le baptême, et la faute et le châtiment tout entier. — A cela je réponds qu'il existe une différence notable entre ces deux sacrements. Le baptême est une nouvelle génération, une vraie naissance spirituelle. Or, une chose qui naît, dépouille complète­ment la forme qu'elle avait pour revêtir celle qu'elle prend : quand, par exemple, l'arbre naît de la semence, la semence cesse d'être, et une nouvelle forme apparaît. Par suite, dans la régénération spi­rituelle, le vieil homme, l'enfant de colère est anéanti pour faire place à l'homme nouveau, à l'enfant bien-aimé, à l'enfant purifié de toute faute et exempt de tout châtiment. La pénitence au con­traire nous délivre des fautes passées en qualité de médecine, et non de régénération. Les médecines, on le sait, n'extirpent pas tou­jours les racines du mal : il leur arrive de laisser après elles cer­taines faiblesses, dont un régime sage pourra seul, à la longue, venir à bout. C'est ainsi que le sacrement de pénitence, tantôt efface le péché et la peine due au péché; tantôt, en effaçant le péché, laisse subsister une partie de la peine qui lui était due. De là il ré­sulte que si les personnes dans lesquelles ce sacrement rencontre une parfaite contrition, comme sainte Madeleine (2), n'ont rien à expier; celles dont la contrition est imparfaite ont à satisfaire à la justice de Dieu, soit dans la vie présente, soit dans la vie future. Au fait, sous nos yeux les choses ne se passent pas autrement. Sup posez un citoyen qui ait encouru, pour certain crime, la condamna tion capitale. Il peut assurément être à même de rendre au souverain de tels services, qu'il mérite en récompense une grâce complète.

(1)Sup. Psal. XXXVII.
(2) Luc. VII.
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Il peut aussi ne mériter qu'une grâce partielle, la substitution du ban­nissement, par exemple, à la peine de mort. Ce fut la conduite de David envers Absalom. Justement indigné contre ce meurtrier de son propre frère (1), il le bannit de sa présence. Puis il lui pardonna, sous cette condition toutefois qu'il ne paraîtrait ni dans le palais, ni devant sa face. Lorsque notre contrition est entachée de quelque défaut, tout en nous remettant avec nos fautes la peine éternelle, Dieu n'entend pas que nous paraissions dans son palais et devant sa face, avant que nous soyons entièrement purifiés. Or, ce sont les mortifications corporelles, nous le répétons, qui, en cette vie, opèrent cette purification. Elles sont comme une lime qui ronge la rouille de nos péchés, comme un brasier qui dépouille notre âme de ses sco­ries, et lui ouvre ainsi l'entrée de ce ciel où tout est or pur, où rien de souillé ne saurait pénétrer (2).

Une pénitence de ce genre obtint aux Ninivites la révocation de la sentence que, dans sa colère, Dieu avait prononcée contre eux. Déjà le glaive menaçait leur tète ; mais à la voix de Jonas, ils em­brassent le jeûne le plus rigoureux et le plus universel que l'on ait jamais vu, les animaux eux-mêmes prennent leur part de cette affliction publique. De tous côtés, ce ne sont que gémissements et que larmes. La fureur divine ne résiste pas à ce spectacle, et elle se change en miséricorde (3).

Un prophète reproche ses crimes à l'idolâtre et homicide A.chab (4). Aussitôt le monarque se couvre d'un cilice, jeûne et s'humilie. Alors le Seigneur l'exempte du châtiment qu'il lui avait réservé, et il en renvoie l'exécution après sa mort. Instruite par ces exemples, la sainte Eglise notre mère fait, dès le premier jour du temps de la pénitence, un appel général à ses enfants : elle désire que l'on prenne une trompette, qu'elle retentisse dans Sion, et que l'on observe un jeûne religieux. Elle semble nous tenir ce langage : Laissez, laissez les plaisirs et les sensualités du monde. Voici le temps de pleurer et de mortifier votre chair pour offrir au Seigneur une juste satisfaction de vos péchés. « Car, dit saint Grégoire , il est très-juste de s'interdire les plaisirs permis quand on a recherché les plaisirs défendus; de s'affliger en de petites choses , quand on a le malheur de commettre de grandes fautes (5). »

(1) II. Reg., XIV.
(2) Apoc, XXI.
(3) Jon., III.
(4) III. Reg., XXI.
(5) Hom. 20.
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IV. Des rapports intimes du jeûne et de la prière.

D'intimes rapports unissent le jeûne et la prière. Nous avons eu l'occasion de constater que l'Écriture les rapprochait souvent, comme dans ces paroles de David : « J'affligeais mon âme par les jeûnes ; et je me livrais à la prière dans le secret de mon cœur (1). » La cause de cette liaison a été indiquée ailleurs (Voir 2° partie, c. 2, § 12, et c. 3, § 10).

Du reste, le passage suivant de saint Bernard la rappellera suffisamment au lecteur : « Je m'abstiendrai de vin, dit le saint docteur (2), parce que dans le vin est la luxure. Je m'abstiendrai de chair, de crainte qu'en renouvelant la substance de mon corps, elle ne lui communique ses vices. Je n'userai de pain qu'avec mesure, afin que l'estomac chargé d'aliments ne me rende pas trop pesant pour l'oraison. Quand l'homme s'est rassasié de nourriture, il est beaucoup plus prêt à rire qu'à pleurer, à dor­mir, qu'à veiller, à converser avec ses semblables qu'avec Dieu et ses anges. »

Le législateur des Hébreux, avant de gravir la mon­tagne sainte, passa quarante jours sans boire ni manger, afin de ne point apporter d'obstacle à la divine lumière dont il allait être éclairé (3). Aussi saint Basile appelle-t-il le jeûne une des ailes sur lesquelles la prière s'élève de la terre aux cieux.

Selon saint Ber­nard (4), nous puisons dans la prière la force de nous mortifier, et la mortification nous mérite la grâce de bien prier. De manière que le jeune porte à la prière, et la prière au jeûne qu'elle présente à Dieu. « A quoi bon jeûner, conclut le pieux docteur, si nous res­tons attachés à la terre ? Élevons-nous donc sur les ailes de la prière. »

Un jeûne parfait, comme l'enseigne saint Isidore, est in­séparable de la prière. Quand l'homme extérieur se mortifie, il faut que l'homme intérieur prie : ses désirs pénétreront alors plus facile­ment jusqu'au Seigneur. Le faucon ne chasse ni volontiers, ni bien à moins que l'abstinence ne lui fasse sentir l'aiguillon du besoin. De même, nous ne sommes en excellente disposition pour prier que lorsque nous nous préparons à la prière par le jeûne.

(1) Psal., XXXIV, 13.
(2) Serm. LXVI, sup. Cant.
(3) Exod., XXXIV.
(4) In Quadr., Serm., IV
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V. Du rapport du jeûne avec les consolations spirituelles.

Le jeûne est un très bon moyen pour obtenir du Saint-Esprit les célestes consolations. L'âme ne saurait vivre en l'absence de tout plaisir. Si, par amour envers Dieu, elle renonce aux plaisirs de la terre; il est raisonnable qu'elle trouve un dédommagement dans les plaisirs du ciel.

C'est pourquoi dès que le chrétien s'arrache aux consolations de la chair, il est bientôt favorisé des consolations de l'Esprit. Le vin surnaturel dont les apôtres furent enivrés au jour de la Pentecôte ne s'accorde point à ceux qui s'enivrent de conso­lations mondaines, mais à ceux qui s'en abstiennent pour l'honneur de la souveraine majesté.

Par la raison que l'on envoie le médecin aux malades, et non aux gens qui se portent bien, le divin Conso­lateur visite les cœurs pieusement affligés, et non ceux qui nagent dans la joie et dans l'abondance. Le Seigneur a promis qu'on le trouverait certainement quand on le chercherait dans l'amertume de son âme (1).

Or, il semble que le chercher ainsi, n'est pas seu­lement le chercher par des paroles ou des larmes dans l'oraison, choses faciles à tout le monde; mais plutôt en recourant aux jeûnes et aux afflictions corporelles, choses que tout le monde ne pratique pas. Une mère n'écoute pas toujours son enfant réclamant le sein par ses cris; mais quand il pleure, se désole et se déchire de ses petites mains, elle ne peut le lui refuser.

Le Seigneur qui, au témoignage du prophète (2), a pour nous des entrailles plus tendres que celles d'une mère, ne répond pas non plus toujours à nos cris. Mais quand aux cris se joignent les macérations, à la prière, les austérités, il ne peut pas ne pas nous répondre, et ne pas changer notre affliction en allégresse, selon cette parole du Psalmiste : « Au­tant la douleur avait meurtri mon âme, autant vos consolations, Seigneur, l'ont charmé (3). »

(1)Jerem.XXXIX
(2)Isa., XLIX
(3) Psal. XCIII, 19
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VI. Des rapports du jeûne avec le souvenir de Jésus-Christ.

Les mortifications corporelles sont encore très-propres à réveiller chez le chrétien le souvenir de Jésus-Christ, et à diriger vers lui les mouvements de l'âme. Tourmentés par la faim, rebutés par une nourriture grossière, humiliés par la rudesse des vêtements, brisés par la dureté de notre couche, affligés en un mot par des austérités endurées pour l'amour du Sauveur, qu'avons-nous à faire, sinon à nous rappeler sa croix avec ses douleurs et ses déchirements de toute sorte, et à renouveler notre courage, à la vue de ce que l'inno­cent a souffert pour le coupable, le juste pour l'injuste, le bon pour le méchant, Dieu même pour sa créature ?

Que faire alors, sinon nous féliciter de ressembler en quelque chose à Notre-Seigneur, nous offrir à lui en sacrifice, et lui demander la grâce de ne jamais céder au découragement ?

Des pensées et des considérations de ce genre sont ordinairement la conséquence des mortifications; car la nature lassée de leur poids sent le besoin d'être soulagée, et la grâce lui suggère que le meilleur soulagement est le souvenir des exemples du Sauveur des hommes.

La satiété jointe à la délicatesse engendre au contraire l'oubli de Dieu. « Mon peuple, dit-il lui-même par la bouche d'Osée (1), regorgeait de froment et de vin : c'est pourquoi il s'est éloigné de moi. » « Vous aviez le remède entre vos mains, dit-il ailleurs, et vous n'avez pas daigné le demander ? » C'est qu'on ne songe pas à frapper à la porte d'autrui, quand on est dans l'a­bondance et qu'on n'éprouve aucun besoin.

(1) Ch. VII, v. 14.
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VII. Des rapports du jeûne avec la tempérance.

La vertu de tempérance est un effet du jeûne, tandis qu'elle est détruite par la gourmandise et la gloutonnerie. C'est un enseigne­ment commun à tous les saints que ce dernier vice est l'un des plus propres à obscurcir l'intelligence et à la dévoyer (1). — De même, dit à ce propos un docteur, qu'en temps d'hiver il se forme à la sur­face de la terre d'épaisses vapeurs qui obscurcissent le ciel, et dé­robent la lumière aux regards; de même il s'élève d'un estomac chargé de nourriture d'épaisses vapeurs qui obscurcissent les facul­tés secondaires de l'intelligence, et qui, en embarrassant leurs opé­rations, rendent l'opération de la faculté principale fort imparfaite. Ajoutez à cela l'influence du travail de la digestion sur l'âme, lequel l'alourdit et lui rend presque inabordable la spéculation des choses divines.

Aussi, jamais n'est-on mieux disposé à une œuvre de réflexion que le matin, alors que les opérations digestives ont complètement cessé, et l'on n'est jamais en plus mauvaise disposition qu'après un repas prolongé. Les saints personnages qui ont pratiqué l'exercice de la contemplation, ont tous été des hommes d'abstinence, parce que l'abstinence leur facilitait cet exercice.

Nous pouvons déduire de ces considérations la dignité du jeûne et de la vertu à laquelle il est attaché. L'acte le plus propre à l'homme est assurément l'acte de la réflexion et du raisonnement.

Conséquemment, l'homme ne sera jamais moins homme que dans le cas où sa gloutonnerie lui interdira cet acte; et il ne le sera jamais plus qu'en se maîtrisant soi-même, et en écartant tout ce qui pourrait gêner les actes de son intelligence. Voilà pourquoi le grand Salomon, désirant, quoique rempli de sagesse, se livrer tout entier à sa recherche, résolut de n'user pas de vin (2).

Saint Dominique, notre père, employa dans ce même but, pendant deux ans, une pareille abstinence : car il comprenait que le vin pris sans mesure absorbe plutôt les hommes, selon l'expression de saint Augustin (3), que les hommes ne l'absorbent.

Parlerai-je de ces trois jeunes hommes qui préféraient aux mets et aux vins précieux de la table du monarque assyrien, des légumes et de l'eau fraîche ? C'est ainsi qu'ils méritè­rent la communication de la sagesse divine.

C'est ainsi que l'obtint saint Bernard, malgré le peu de soins qu'il accordait aux lettres humaines.
Ainsi l'obtint saint Grégoire, dont la nourriture habi­tuelle consistait en légumes, que sa mère, sainte Silvie, lui prépa­rait.
Ainsi l'obtint saint Jérôme, qui nous apprend lui-même ses effrayantes austérités.
Ainsi l'obtint le grand saint Basile, l'un des premiers théologiens et orateurs du catholicisme. Sa mortification dans les aliments, les habits et le sommeil, fut extraordinaire. Il ne portait qu'une seule robe sur sa chair; il couchait toujours sur la dure, et il passait la plus considérable partie de la nuit à de pieux exercices.

Rien ne saurait mieux établir la nécessité de la tempérance que l'exemple de ces hommes consommés en sagesse et en sainteté.

(1) S. Thom., 2-2, q. 14, art. 6.
(2) Eccli., II.
(3) Tract, de sobriet. et castit.
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VIII. De la puissance et de l'efficacité du jeûne.

Une chose bien digne d'attirer au jeûne notre estime est sa puis­sance et son efficacité. Le jeûne, joint à la prière, comme nous le supposons toujours, pénètre les cieux, fléchit la Miséricorde divine et lui arrache tout ce qu'il veut. Les trésors et la porte même du paradis lui sont ordinairement ouverts; car il s'y présente si souvent, que l'entrée libre a dû lui être accordée. Comment exposer les vic­toires, les révélations, les consolations, les faveurs et les vertus dont le jeûne a été la source ?

Daniel raconte que, pendant trois semaines, il ne mangea que du pain grossier, qu'il n'entra dans sa bouche ni pain ni viande, et qu'il n'usa point de parfums (1). Son occupation unique fut de prier et de gémir devant Dieu; et il en fut récompensé par la magnifique révélation que le Seigneur lui envoya. C'est par le jeûne qu'il apaisa la faim dévorante des lions, et qu'il les força à ne point toucher à des membres que l'abstinence avait sanctifiés (2).

Le jeûne est l'arme avec laquelle Judith trancha la tête d'Holopherne, et délivra Israël de la servitude.

Le jeûne d'Esther, de ses femmes et de son peuple dissipa le courroux d'Assuérus, et retourna contre son auteur la cruelle sentence qui les avait un instant menacés (3).

C'est à jeûn, observe saint Ambroise, qu'Elie, d'une seule parole, rendit le ciel d'airain; à jeun, qu'il le chargea de nuées; à jeun, qu'il ressuscita le fils de la veuve; à jeun qu'il fit descendre le feu qui dévora les ministres du crime; à jeun, qu'il eut sur la montagne sa glorieuse vision; à jeun, qu'il fut enlevé sur un char de feu (4), comme si le jeûne l'eut dépouillé de sa pesanteur naturelle, et rendu incorruptible.

Nous avons déjà cité l'exemple de Moïse se préparant par le jeûne à gravir la cime enflammée du Sinaï. Mais pendant qu'il y recevait la loi de la main du Seigneur, le peuple dit l'Ecriture (5), se mit à manger et à boire, puis à se récréer et à adorer le dieu qu'il s'était fabriqué. A ce spectacle, le prophète indigné brise les tables de la loi. Ainsi, l'ivresse et la gourmandise suffirent pour annuler le résultat de l'entretien que Moïse avait eu durant quarante jours avec Dieu.

N'est-ce pas le jeûne qui fit en partie la force de Samson, et le rendit invincible ? car il lui avait été ordonné, avant sa naissance, par la bouche de l'ange, de ne pas boire de vin, ni de rien prendre de ce que produit la vigne (6).

Et la vie de saint Jean-Baptiste fut-elle autre chose qu'un jeûne continuel ? Pour lui point de lit, ni de table, ni de champs, ni de bœufs, ni de blé; rien, en un mot, de ce qui paraît le plus nécessaire au commun des hommes. C'est lui néanmoins que la Vérité même a proclamé le plus grand des hommes.

Saint Paul compte ses jeûnes et ses mortifications parmi les travaux qui lui méritèrent son ravissement au troisième ciel (7).

Voilà quelques-unes des merveilles opérées par la grâce. Saint Basile, qui les énumère, conclut en ces termes : « Le jeûne en­gendre les prophètes, redouble la vigueur des forts, inspire aux législateurs la sagesse. Il est le plus ferme rempart de l'âme, le soutien des corps, l'arme du soldat, l'exercice de l'athlète. C'est lui qui éloigne les tentations et produit la chasteté. Source de cou­rage dans le combat, il nous instruit à bien user du repos. Il sanctifie le nazaréen, perfectionne le prêtre..., forme la jeunesse, embellit la vieillesse. Partout vous le verrez encore représenté comme le frein des hommes, l'ornement des femmes, le protecteur du mariage, le père de la virginité, le dispensateur des dons célestes, le soutien des voyageurs, le compagnon fidèle de notre exil, et la garantie du salut. »

Ce n'est pas qu'il procure à lui seul tous ses biens ; mais il y concourt puissamment. Si Notre Seigneur a fait précéder la prédication de son Evangile d'un jeûne de quarante jours, il n'a point agi de la sorte par nécessité, mais afin de nous apprendre que sans jeûne il n'y a point à espérer, dans une entreprise impor­tante, de grands et sérieux résultats.

(1) Dan., X.
(2) Dan., VI.
(3) Esther., IV.
(4) III. Reg., XVII, 9; et IV. Reg., I, 3.
(5) Exod., XXXII.
(6) Judith., XIV.
(7) II. Cor.,XI, 27.
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IX. De la ressemblance que les mortifications nous donnent avec Jésus-Christ.


Ce qui a été dit suffirait abondamment à l'éloge du jeûne et des mortifications corporelles. Cependant nous ne pouvons passer sous silence la ressemblance qu'ils nous donnent avec Jésus-Christ, le modèle et le type de toute perfection.

Aucun de nous n'ignore que de la crèche au Calvaire la vie du Sauveur fut une croix continuelle, non-seulement parce qu'il eut toujours présentes à sa pensée la croix et les souffrances de sa passion, mais parce qu'il fut sans cesse en proie aux fatigues, aux chagrins, aux persécutions, aux larmes, à la pauvreté, et à une foule d'autres épreuves qui lui mé­ritèrent, de la part d'Isaïe, le nom d'homme de douleurs (1), et qui lui faisait dire, par la bouche du Psalmiste : « Je suis pauvre et dans la peine depuis mon enfance (2). »

Or, la vie du Sauveur étant un exemplaire sans tache de la vraie perfection; plus on lui res­semblera, plus on sera parfait, et conséquemment plus on souffrira pour son amour, plus on lui sera semblable. Ce sont en grande partie les mortifications corporelles qui produiront cette ressem­blance; car saint Paul n'oublie pas de mentionner, comme nous l'avons vu, les veilles, la faim, le froid, le dénuement qu'il avait endurés parmi ses titres de gloire (3). Il apprend même aux fidèles qu'ils doivent s'assujétir à de pareilles mortifications. « Les dis­ciples du Christ, écrivait-il aux Galates, ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises (4). »

Saint Pierre nous rappelle (5), que, Jésus ayant souffert pour nous, il faut nous armer de cette pensée, et nous déterminer à souffrir pour lui. D'ailleurs, si nous participons à ses souffrances, nous participerons à sa gloire.

C'est l'Apôtre des Gentils qui nous l'enseigne (6), et il ajoute que Dieu a choisi et prédestiné de toute éternité les hommes qui doivent re­produire l'image de son Fils, sur la terre, en buvant au calice de ses amertumes; dans le ciel, en buvant au calice de sa félicité.

Il y a sans doute plusieurs manières de boire au calice de la passion du Fils de Dieu; mais la plus simple et la plus facile est sans contredit la mortification de son propre corps. Nul besoin dans ce cas-ci de pharisiens, de Dioclétien, d'Antéchrist et de semblables persé­cuteurs du christianisme. Il n'est pas non plus nécessaire de par­courir le monde, comme un saint Paul, à travers mille obstacles. Chacun trouvera, s'il le veut, en lui-même, et les instruments et le mérite de la persécution.

(1) Isa., LIII.
(2) Psal., LXXXVIIl, 16.
(3) II. Cor., XI.
(4) Galat., V, 24.
(5) I. Petr., IV.
(6) Rom., VIII.
(à suivre)
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