Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche de Lætare

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le dimanche de Lætare

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  Louis de Grenade a écrit :

PREMIER SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME,
Explication de l'Évangile.



Sequebatur eum multitudo magna, quia videbant signa quæ faciebat super
his qui infirmabantur.
Une grande foule de peuple le suivait, parce qu'ils voyaient les miracles
qu'il faisait sur les malades.

Joan. VI, 2.


Nous sommes déjà, mes frères, arrivés insensiblement au quatrième dimanche de ce saint temps,dimanche appelé vulgairement in Lætare, parce que la messe de ce jour commence par ce mot de réjouissance. Que signifie donc cette invitation si inattendue à la joie ? Car « un discours à contre-temps est comme une musique pendant le deuil. » Musica in luctu, importuna narratio. Eccli. XXII, 6. Pourquoi, au milieu du deuil quadragésimal où retentit toujours à nos oreilles cette voix lugubre du Seigneur : « Convertissez-vous à moi de tout votre cœur, dans les jeûnes, dans les larmes et dans les gémissements, » Joel. 11, 12, l’Église nous appelle-t-elle maintenant, non plus à la douleur, mais à la joie ? La cause en est, mes frères, que l’Église se persuade que beaucoup de ses enfants ont profité de ce saint temps pour revenir à des sentiments meilleurs, et pour sortir de la mort du péché. Ceux-là seulement, elle commence à les soutenir par la confiance, elle les excite à espérer le pardon, et à se réjouir spirituellement de leur résurrection.

Voilà pourquoi elle dit : Réjouissez-vous, non pas tous, mais vous seulement qui avez été dans la tristesse ; vous sentirez la joie merveilleuse de la consolation divine, suivant ce témoignage du Seigneur : « Heureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. » Matth. V, 5. Ils méritent, en effet, consolation et joie, les vrais affligés, « parce que la tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable. » Tristitia quæ secundum Deum est pænitentiam in salutem stabilem operatur. IIvCor. VII,10. Si pour célébrer le retour d'un fils perdu, le Père céleste fait tuer le veau gras, et solenniser une fête dans sa maison, Luc. XV, 23 ; si les anges mêmes se réjouissent dans le ciel pour un seul pécheur faisant pénitence, à combien plus forte raison le pénitent lui-même doit-il se réjouir de son propre salut ?« Vrai pénitent, dit saint Augustin, ayez de la douleur, et réjouissez-vous de votre douleur ; car la douleur des blessures est un signe de santé. » Comme le bois vert, jeté au feu, pleure et brûle tout à la fois, que le vrai pénitent soit aussi en même temps dans la tristesse et dans la joie.

N'a-t-il pas raison de se réjouir, celui qui a vaincu le péché, qui a rompu ses chaînes et ses fers, qui a triomphé de Satan, qui en a secoué le joug, qui est rentré en grâce avec Dieu, et qui, par le secours divin, a été rappelé de la mort du péché à la vie ? Aussi le bon père dit-il au fils économe : « Il fallait faire festin et nous réjouir, parce que votre frère était mort, et qu'il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé. » Luc. xv, 32. Oui, frères, il est juste que, vous qui avez semé dans les larmes, vous moissonniez dans l'allégresse ; que vous qui avez passé par le feu et l'eau, c'est-à-dire, par le feu de la douleur, et les larmes de la componction, vous arriviez à la consolation de l'espérance et de la joie. Mais, je le répète, frères, cette joie n'appartient qu'à ceux qui ont été dans la tristesse, non à ceux qui sont encore engagés dans la fange du péché, et qui, au milieu de ce carême, non seulement n'ont pas confessé leurs crimes, mais n'ont pas même résolu de fuir les occasions de péché, qui les enlacent comme autant de liens. Non, l’Église ne les appelle pas à la joie spirituelle et à l'hérédité céleste, aussi longtemps qu'ils demeurent dans cet état; elle sait qu'il est écrit : « Que les méchants périssent devant Dieu, comme la cire fond devant le feu. Que les justes soient comme dans un festin, qu'ils se réjouissent en présence de Dieu, qu'ils se livrent à l'allégresse. PS. LXVII, 3. A ceux-là sont dénoncées la mort et la perdition ; ceux-ci sont invités au banquet céleste, et à la joie spirituelle. Cette joie, frères, fruit d'une tristesse salutaire, implorons-la donc d'une voix suppliante auprès de Dieu, par l'entremise de la très-sainte Vierge, afin que nous ayons droit de nous réjouir aujourd'hui avec l’Église. Ave Maria.
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Laetitia
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« Jésus s'en alla au delà de la mer de Galilée, qui est le lac de Tibériade ; et une grande foule le suivait, parce qu'ils voyaient les miracles qu'il faisait sur les malades. » Tous ceux-là suivaient le Seigneur, mais l'intention, qui les portait à suivre, n'était pas pure chez tous. Sous le voile de la piété, beaucoup cherchaient non pas tant Jésus-Christ Notre-Seigneur, qu'eux-mêmes et leurs avantages. Et quoique l’Évangéliste dise qu'ils le suivaient, parce qu'ils le voyaient opérer des miracles; un peu plus bas cependant le Seigneur interprète ainsi leurs intentions : « En vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non à cause des miracles que vous avez vus, mais parce que je vous ai donné à manger, et que vous avez été rassasiés. » Joan. VI, 26. C'est-à-dire, ce n'est pas parce qu'à la vue de tant de prodiges vous avez fait des progrès dans la foi, but de ces prodiges, mais c'est parce que vous regardiez avant tout votre utilité. C'était donc la nourriture du corps seulement qu'ils cherchaient dans les miracles, et non la foi. Ici apparaissent clairement la perversité et l'ingratitude des hommes, qui abusent en mille manières des bienfaits de Dieu. Car il est constant que tous les miracles, accomplis par le Seigneur pendant sa vie mortelle, avaient pour objet d'abord la santé de l'âme, puis celle du corps ; il se proposait de guérir dans l'âme la blessure de l'infidélité, et de délivrer les corps de toutes les maladies. Mais les Juifs voulaient bien de la santé du corps; quant à la guérison de leur blessure d'incrédulité, c'était leur moindre souci. Au reste, ils prouvaient qu'ils étaient bien malades sous ce dernier rapport, eux qui demandaient au Seigneur un nouveau miracle en ces termes : « Quel miracle donc faites-vous, afin que le voyant nous croyions en vous ? Que faites-vous d'extraordinaire ? » Joan. VI, 30.

Si, à cause de cela, ils étaient blâmables, nous ne le sommes guère moins, nous qui chaque jour faisons à peu près la même chose. Car il est évident que tous les bienfaits de la nature, et ce monde lui-même tout entier, ont été institués surtout pour nous porter à admirer et à aimer notre Créateur, notre bienfaiteur; et ensuite pour que les productions incessantes de cette nature pourvussent aux besoins de notre corps. La pensée du Seigneur a donc été de nous amorcer en quelque sorte par ces bienfaits matériels, afin que, séduits par les biens du corps, dont nous sommes si avides,nous excitions en même temps dans notre cœur et la foi et l'amour, et que ces biens soient une espèce d'intermédiaire pour nous faire passer de la santé du corps à la santé de l'âme. Mais nous, que faisons-nous ? Nous sommes si attachés aux choses de la terre, nous usons si à contre-sens des choses créées que, poursuivant avec passion celles seulement qui sont utiles et avantageuses au corps, nous repoussons avec dédain comme superflues, et ne nous concernant en rien, celles qui pourraient sauver l'âme; et cependant c'est en considération de ces dernières que toutes les autres ont été établies.

En cela, nous ressemblons à ces serviteurs infidèles qui, ayant reçu de leur maître une assez forte rémunération à condition de le servir, sont enchantés du salaire reçu par eux, mais ne veulent plus entendre parler de service. C'est ce que nous faisons, nous qui usant, pour la réfection de nos corps, de tous les bienfaits de Dieu contenus dans les diverses parties de ce monde, ne levons pas même les yeux au ciel pour reconnaître le dispensateur de dons si merveilleux. Et, ce qui est bien plus grave, il en est qui non-seulement oublient leur généreux bienfaiteur, mais même qui usent et abusent de ses bienfaits jusqu'à l'outrager, comme il s'en plaint lui-même par la bouche du Prophète : « Je les ai rassasies, et ils sont devenus des adultères ; ils couraient dans la maison d'une prostituée. » Jerem. V, 7. Ainsi l'abondance qu'ils tenaient de la libéralité du Seigneur, et qui devait exciter leur reconnaissance, suivant ces paroles divines : « Les pauvres mangeront et seront rassasies, ils loueront le Seigneur et le rechercheront, » Ps. XXI, 27, a été pour eux une occasion, non de louer le Seigneur, mais de se livrer à la débauche et de violer les prescriptions de Dieu. Gorgés de vins et de viandes, ils servent leurs passions et leurs plaisirs ; c'est là leur dieu.

Je ne saurais mieux comparer leur impudence qu'à la perversité d'Hanon, roi des Ammonites. Il venait de perdre son père qui avait été lié d'amitié avec David ; et David, par déférence, lui avait envoyé à cette occasion des ambassadeurs pour lui adresser des compliments de condoléance. Bien loin de reconnaître ce procédé, Hanon, traitant les envoyés comme des espions, leur fit raser la moitié de la barbe, leur fit couper la moitié des habits jusqu'au haut des cuisses, et, après cet ignoble outrage, les congédia. II Reg. X, 1 et seq. A ce prince sans pudeur ressemblent ceux qui abusent des bienfaits divins; qui, à cette occasion, au lieu d'honorer, de servir, de louer Dieu, se livrent à la débauche et à l'orgueil. Vous voyez, frères, que nous ne différons pas beaucoup de ceux-là, lorsque, dans les œuvres divines, nous recherchons si avidement ce qui est pour le corps, et que nous négligeons entièrement ce qui a rapport au salut de l'âme. Voilà comme les Juifs suivaient le Christ, non pour recueillir la foi, que leur proposaient tant de miracles, mais pour engraisser leurs corps de la pâture que leur donnait le Seigneur.
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Par suite de ce désordre, toutes les fois que nous sommes travaillés par les maladies, par la peste, par la famine, par la guerre, ou quelque grave incommodité du corps, alors enfin nous courons dans les temples, nous demandons des prières publiques, chacun fait célébrer le saint sacrifice, ou fait des vœux, ou entreprend nu-pieds de lointains pèlerinages : pourquoi tout cela ? l'un pour être délivré de sa maladie, l'autre pour obtenir une heureuse navigation ; celui-ci pour réussir dans une entreprise matrimoniale qui lui tient fort à cœur, l'autre pour gagner un procès qu'il a intenté. Et quand les hommes se conduisent ainsi dans de telles circonstances, vous en trouverez à peine un qui vous demande une messe pour être affranchi de la maladie d'orgueil, de colère, d'envie, de haine, de luxure, qui le dévore ; ou bien pour acquérir les vertus d'humilité, de charité, de chasteté, de patience. Le Seigneur fait connaître leurs pensées et leurs désirs par l'organe d'Osée : « Ils ne cherchent que du blé et du vin, et, quand ils en ont, ils s'éloignent, de moi. » Super triticum et vinum ruminabant, et discesserunt a me. Ose. vii, 14. C'est-à-dire, tous leurs soins, tous leurs soucis sont pour le blé, pour le vin, pour l'huile, et autres biens de cette sorte ; quant à moi, qui les répands sur eux avec tant de libéralité, ils me négligent. Si donc l'âme est tellement supérieure au corps, si ses biens et ses maux sont infiniment plus grands que ceux du corps, comment qualifier notre démence, à nous qui, tourmentés sans cesse à l'occasion de ceux-ci, vivons dans la plus complète indifférence sur ceux-là ?

D'après ce qui précède, chacun de nous peut voir à quelle bannière il appartient. Car la principale différence entre les justes et les méchants, c'est que les justes, surtout ceux qui aspirent à la perfection, n'ont qu'une seule préoccupation sur laquelle se concentrent tous leurs efforts, toute leur énergie : c'est de servir Dieu, et de veiller au salut de leur âme; c'est là le seul objet de tous leurs vœux, au point qu'ils se feraient scrupule de demander la moindre chose relative au bien-être ou à la santé du corps, qu'ils regardent avec le dernier mépris. Les méchants, au contraire, « ceux qui donnent leurs noms à leurs domaines, » Ps. XLVIII, 12, les citoyens endurcis de Babylone, s'occupent uniquement de leur corps, comme s'ils n'avaient ni âme, ni foi, ni espérance en la vie future. Pour eux, le souverain bien, c'est la prospérité de ce corps, son bien-être, ses plaisirs ; c'est à lui qu'ils rapportent tous les travaux de la vie, toutes les choses divines et humaines ; de sorte que si quelquefois il leur prend fantaisie, ou de chercher Dieu, ou de l'invoquer, ou de se le rendre propice par leurs veux, c'est moins Dieu qu'eux-mêmes qu'ils cherchent, parce que leur mobile c'est non pas l'amour de Dieu, mais l'amour d'eux-mêmes. De ce nombre étaient ceux qui suivaient le Seigneur, soit pour être guéris de leurs maladies, soit pour être rassasies de pains; et qui cependant, nous l'avons dit, ne croyaient pas encore en lui.

Eh quoi, direz-vous, tu nous défends donc de recourir humblement à Dieu dans nos calamités ? Nullement. Bien au contraire, je le demande de toutes mes forces. C'est même souvent pour cela que le Seigneur nous envoie des épreuves, afin qu'avertis au moins par ces plaies, nous revenions à lui. De là ces paroles du Prophète : « Couvrez, Seigneur, leur visage d'ignominie, et ils chercheront votre nom. » PS. LXXXII, 17. Le même Seigneur, par la voix d’Isaïe, se plaint que les hommes, accablés de maux, ne se réfugient pas dans son sein : « Le peuple n'est pas revenu vers celui qui le frappait. » Isa. IX, 13. Et encore : « Vous les avez frappés, et ils ne l'ont pas senti ; vous les avez broyés, et ils n'ont pas voulu se soumettre au châtiment. » Percussisti eos, et non doluerunt ; attrivisti eos, et noluerunt recipere disciplinam. Jerem. V, 3. Ceux qui, dans toute calamité, recourent au Seigneur, je ne les accuse donc pas, je les approuve fortement; ce dont je me plains, c'est que toute leur sollicitude est pour les maladies du corps, et nullement pour celles de l'âme: c'est que nous ne comprenions pas que, par ces maux du corps, le Seigneur veut procurer le salut de notre âme. Cela prouve clairement que nous sommes charnels, puisque nous n'avons de goût et de souci que pour ce qui est de la chair, et non pour ce qui est de l'âme.
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Le Seigneur ayant donc résolu de nourrir cette multitude qui le suivait, dit à Philippe : « Comment nous procurer assez de pain pour tant de monde ? Il disait cela pour le tenter. » Tenter, comme vous le savez, c'est vouloir connaître quelque chose au moyen d'expériences, et sonder le fort ou le faible. Toutefois le Seigneur n'avait pas besoin de cette épreuve, lui qui connaît toutes choses avant qu'elles arrivent; mais les hommes ont besoin d'expériences, afin de connaître plus sûrement, et eux-mêmes, et les soins de la providence divine. Par cette interrogation, il voulait éprouver la foi de Philippe, et voir si, après tant de miracles, il aurait pleine foi à ce qui allait suivre. Pour que vous compreniez mieux, il est bon de faire observer ici une différence entre les justes et les impies, entre les parfaits et les moins parfaits. C'est que les justes profitent tellement des œuvres et des bienfaits divins, qu'au moyen du passé ils apprennent à conjecturer et à attendre l'avenir.

Ainsi, lorsqu'Abraham envoya son serviteur, pour chercher à son fils Isaac une épouse de sa race et de sa parenté, le serviteur manifesta des inquiétudes sur le succès de sa mission. Mais Abraham, fort des bienfaits de Dieu, rendit par ces paroles la confiance au serviteur chancelant : « Le Seigneur du ciel et de la terre, qui m'a tiré de la maison de mon père, et m'a dit : Je donnerai cette terre à ta race, lui-même enverra son ange avec toi, et tu recevras une épouse pour mon fils. » Genes. XXIX, 7. Voyez-vous comme le passé lui était garant de l'avenir ?

Ainsi encore, réduit à la plus grande détresse, parce que tout Israël, conjuré pour le détrôner, suivait de tout son cœur Absalon son fils, David, fuyant avec une petite troupe, II Reg. xv, passim, était cependant si plein de confiance, qu'il disait : « J'ai dormi et me suis reposé, etc. » Ego dormivi et soporatus sum. Au lieu de ces mots, comme en hébreu les temps du passé et du futur se confondent, d'autres ont traduit plus clairement : Ego cubabo et dormiam, meque ipsum excitabo, quia Dominus sustentat me. « Je me coucherai, je dormirai, et me réveillerai, parce que le Seigneur me soutient. » Ps. 111, 6. Il s'appliquait ainsi à lui-même cette promesse du Seigneur : « Vous dormirez, sans qu'il y ait personne qui vous épouvante. » Sophon. 111, 13. Voilà pourquoi il dit : « Je dormirai, et je me réveillerai ; » ce ne sera ni le bruit des chevaux, ni l'éclat de la trompette, ni le cliquetis des armes, qui me réveilleront; mais moi-même, quand j'aurai assez dormi, je me réveillerai. — Quoi donc ? d'où vient ta confiance, pour que dans cette guerre périlleuse et acharnée, tu te promettes une telle paix ? — Il ajoute aussitôt la cause : Parce que le Seigneur me soutient. — Comment sais-tu qu'il te soutient ? — Par le passé je juge de l'avenir. « Parce que vous avez frappé tous mes adversaires, et brisé les dents des pécheurs. » Ps. III, 8. Comme s'il avait dit : Au milieu de tant de périls qui m'environnent de toutes parts, je serai plein de calme et de confiance ; parce que, Seigneur, jamais vous ne m'avez manqué dans mes traverses. Vous avez terrassé Saül, mon implacable et perpétuel ennemi; vous avez rendu vaines la violence et la fureur des méchants qui attentaient à ma vie, soit à découvert, soit dans l'ombre. Voilà comment le souvenir de vos bienfaits passés fortifie mes espérances, et m'est garant contre les dangers à venir ; puisque vous, Seigneur, vous êtes toujours le même, et que de vous, en pareilles circonstances, je me promets toujours la même protection et la même miséricorde. C'est pour la même raison que ce Prophète a écrit le long psaume LXXVII, commençant ainsi : « Peuple, écoutez ma loi. » Il y rappelle, pour animer les Hébreux à l'espérance, et à la pratique des divins commandements, tous les bienfaits dont Dieu combla leurs pères : « Nous annoncerons les louanges du Seigneur, sa force et les œuvres merveilleuses qu'il a faites. » Ibid. 4. Pourquoi ? — « Afin qu'ils mettent en Dieu leur espérance, qu'ils n'oublient pas les œuvres de Dieu, et qu'ils gardent ses commandements. » Ibid. 7. Car je sais que ces connaissances et ces contemplations entretiennent merveilleusement l'espérance en Dieu, et qu'elles portent les hommes à aimer, à pratiquer les lois divines.
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Laetitia
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Revenons à notre histoire. A quel point de cette philosophie chrétienne Philippe était-il arrivé ? Les miracles et les bienfaits passés lui avaient-ils appris que le Seigneur pouvait pourvoir à la nécessité présente, tout aussi bien qu'il l'avait fait ailleurs ? C'est pour l'éprouver à cet égard que le Seigneur l'interroge. Mais Philippe et les autres, avant l'arrivée du Saint-Esprit, étaient restés bien ignorants, et de prémisses si évidentes ils n'étaient pas en état de tirer une conclusion si facile. Nous lisons dans saint Matthieu que le Seigneur, en une autre circonstance, leur reprocha vivement cette ignorance. Ils venaient de traverser le lac, et n'ayant pas de pain, ils étaient inquiets, lorsque le Seigneur leur dit : « Hommes de peu de foi, pourquoi vous entretenez-vous ensemble de ce que vous n'avez de pains ? Ne comprenez-vous pas encore, et ne vous souvient-il pas que cinq pains ont suffi pour cinq mille hommes, et combien vous en avez remporté de paniers ? et que sept pains ont suffi pour quatre mille hommes, et combien vous en avez remporté de corbeilles ? » Matth. XVI, 8 et seq. Voyant une autre fois le Seigneur marcher sur la mer, quoi qu'il les appelât de sa voix qui leur était connue, ils pensèrent que c'était un fantôme. Matth. xiv, 26. « Ils n'avaient pas fait assez d'attention sur le miracle des pains, parce que leur cœur était aveuglé. » Marc. VI, 52.

On voit par là, (Cajétan le remarque), que la foi est un don spécial de Dieu, puisque la vue de tant de miracles ne fit faire aux disciples que peu de progrès dans cette vertu. Pour moi, j'ajoute que ni miracles, ni fléaux, ni bienfaits de Dieu, quelque grands qu'ils soient, ne suffisent, sans un souffle particulier de Dieu, pour éclairer convenablement nos intelligences.Immenses furent les bienfaits que reçut Adam dans le paradis; immenses furent les plaies qui frappèrent Pharaon en Égypte ; assez éclatants étaient les miracles que les Juifs virent en Jésus-Christ ; et néanmoins, Adam, comblé de tant de bienfaits, succomba dans le paradis ; et Pharaon, broyé sous tant de fléaux, persista dans le mal; et les Juifs, à la vue de tant de miracles, restèrent obstinés dans leur incrédulité. Hélas ! s'il en est ainsi, quelle espérance me restera-t-il de voir nos paroles, nos cris, servir en quelque chose au salut de nos auditeurs, à moins que le secours du ciel n'intervienne ; puisque ni tant de bienfaits, ni tant de fléaux, ni tant d'admirables miracles n'ont été d'aucune utilité pour les hommes ? — C'est là, frères, la croix bien lourde et presque intolérable de ceux qui, prêchant avec zèle la pure doctrine du Christ, voient que tant de veilles, de travaux, d'études et d'efforts portent si peu de fruit.
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II.


Que reste-t-il donc ? — Il reste que le fidèle s'abaisse jusqu'au fond de l'abîme; et que, reconnaissant sa petitesse et sa misère, il s'attache tout entier à Dieu, ne dépende que de Dieu, et lui crie sans cesse : Ne m'abandonnez pas, ne me rejetez pas de votre face, ne me retirez pas votre main. Sans cette main, ni l'ange dans le ciel, ni dans le paradis le premier homme, ni à l'école du Sauveur un apôtre choisi par lui, ne furent à l'abri du danger ; soutenus par elle, au contraire, le bienheureux Job fut en sécurité sur son fumier, André au gibet, et les saints martyrs sur le chevalet.

Voilà, frères, le premier et le souverain remède ; voici le second : instruits par les erreurs des disciples du Seigneur, concluons de ses bienfaits passés à ses bienfaits à venir, et en ayant reçu de nombreux et d'immenses, apprenons à en espérer de moindres, pour ne pas perdre courage dans l'adversité. Ainsi, chacun pourra se dire : Dieu m'a donné cette âme par laquelle je vis, ce souffle que je respire, cette foi par laquelle je suis chrétien. De préférence à tant de milliers d'hommes, il m'a mis au nombre de ses enfants par la grâce du baptême, et m'a fait entrer en participation de la nature divine. Pour moi il est descendu du ciel; pour moi il s'est fait non-seulement homme, mais opprobre des hommes ; que ne dois-je pas attendre d'un père si aimant ? Lui qui a conféré de si grands biens, comment en refuserait-il de moindres ? Lui qui a pourvu à mes besoins au prix de si grands sacrifices, comment me manquerait-il dans mes périls, quand il n'y a plus lieu pour lui à aucuns travaux ? Si mes transgressions m'ôtent cette confiance, est-ce que sa bonté et sa miséricorde ne sont pas au-dessus des péchés du monde entier ? Voilà, frères, notre philosophie. Eusebe Emissène l'a dit : Que l'homme reconnaissant des biens qu'il a reçus, apprenne à espérer ceux qui lui sont promis ; et que la bonté passée de son Dieu lui soit caution des biens à venir.

Mais, en parlant ainsi je rougis, s'il faut avouer franchement ma pensée ; car je crains de parler à des sourds, ou à des gens qui regardent mes paroles comme une chanson. En effet, combien y en a-t-il qui, dans la détresse et quand tout secours humain leur manque, persistent avec constance et fermeté dans cette espérance en Dieu ? Quelle est l'âme, si elle n'a pas d'appui ailleurs, qui cherche à se rafraîchir dans la confiance en la divine miséricorde ? Et, ce qui est plus déplorable, quoique dans les tribulations nous recourions si peu à la consolation de cette espérance, cependant dans la perpétration du péché nous nous appuyons si bien sur cette même espérance en la divine miséricorde, qu'il semble que nous y puisions des encouragements au mal. Les méchants ne vantent donc et ne célèbrent la miséricorde de Dieu que pour en prendre occasion de vivre avec plus de licence, et de commettre tous les forfaits. Toutefois eux qui donnent ainsi tant d'étendue à la miséricorde divine, ils la rapetissent singulièrement d'une autre manière. Car il arrive souvent que tel individu se défie de pouvoir obtenir autrement que par la fraude et l'injustice beaucoup de choses qu'il croit nécessaires aux usages de la vie ; et il n'a pas une assez haute idée de la divine miséricorde pour avoir la confiance qu'il pourra en obtenir ces mêmes choses par ses prières. Que fait-il donc ? Il ne craint pas de violer les lois de Dieu, pour arriver à l'objet de sa convoitise, et il espère le pardon de son crime de cette miséricorde dont il ne croit pas pouvoir tirer des secours pour sa vie. Peut-on rien imaginer de plus absurde ? En effet, demandez à un usurier, à un marchand indélicat, à un plaideur de mauvaise foi, à un avocat injuste, à un juge inique, pourquoi il s'enrichit par des voies illicites ; il n'apportera pas d'autre raison que les besoins de sa famille, et la miséricorde de Dieu qui pardonne facilement les offenses. A un tel homme voici le langage que je puis tenir :

Ô homme, dites-moi, puisque vous avouez que Dieu est assez bon, assez miséricordieux pour vous pardonner vos crimes ; pourquoi plutôt ne concevez-vous pas de lui cette espérance, qu'il pourvoira à vos besoins sans qu'il faille perpétrer tant de forfaits ? Pourquoi faites-vous Dieu si miséricordieux à pardonner, si barbare et si négligent à secourir votre indigence ? Pourquoi, quand vous lui accordez ce qui est plus grand, lui retirez-vous ce qui est moindre ? Car la miséricorde qui pardonne les transgressions est autrement grande, que celle qui pourvoit aux nécessités du corps. La première donne la vie éternelle, la seconde entretient la vie temporelle. L'une donne le prix du sang d'un Dieu ; l'autre, une nourriture qu'elle ne refuse pas même aux fourmis et aux vermisseaux. Si donc vous avez assez de confiance en la miséricorde divine, pour en espérer un bien si précieux, comment se fait-il que vous n'osez pas en espérer une chose si vile ? Ainsi, vous exaltez la miséricorde de Dieu, pour l'offenser avec plus de licence, et non pour tout attendre de lui, renoncer au péché, et vous abandonner à lui sans réserve.
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Quoi donc ? ne comprenez-vous pas que ce sont là des machinations du diable, qui cherche à vous enlacer ? Avez-vous oublié ce conseil : « Ne mettez point votre confiance dans l'injustice et dans les rapines ? » Nolite sperare in iniquitate, et rapinas nolite concupiscere. Ps. LXI, 11. De grâce, quel bien pouvez-vous vous promettre de ce que vous avez acquis par l'iniquité ? Pour y parvenir, vous vous faites un ennemi de celui sans qui rien ne peut réussir. Vous allez même jusqu'à vous servir de Dieu en guise d'un marche-pied, au moyen duquel vous puissiez atteindre à ce que vous convoitez. Je vous le demande, qui s'est jamais bien trouvé d'avoir offensé Dieu ? Car Dieu, jaloux de sa gloire, pour qu'aucun forfait ne soit heureux en ce monde, confond si bien les projets des impies, que les mêmes moyens qu'ils emploient pour arriver au bonheur, les conduisent à leur perte. Si cette raison ne vous convainc pas, vous qui voulez vous enrichir par des moyens injustes, en voici une qui doit vous convaincre : c'est que, si Dieu ne le favorise et ne lui est propice, personne ne saurait acquérir ni richesses, ni tout ce que le vulgaire appelle des biens. Tout le psaume CXXVI n'est qu'un développement de cette vérité. Dans presque tous les autres psaumes, le royal Prophète dépeint le bonheur et les trésors que les âmes justes trouvent en Dieu seul; mais, dans ce psaume CXXVI, il ajoute que, sans la volonté et le bienfait de Dieu, nul ne saurait avoir ni biens terrestres, ni sécurité, ni paix, ni héritage, ni postérité. « Si Dieu ne bâtit la maison... Si Dieu ne garde la ville, etc » Mais à ses bien-aimés le Seigneur donnera la paix et la tranquillité, pour qu'ils dorment paisiblement, et que rien ne les effraie ; il leur donnera une postérité, des enfants à qui ils laissent leur héritage.

La même pensée est exprimée dans ce verset : « Il ne nous viendra du secours ni de l'Orient, ni de l'Occident, ni du désert, parce que c'est Dieu qui est le juge. » Ps. IXXIV, 7. C'est-à-dire, malgré Dieu, ou sans la faveur de Dieu, aucun artifice, aucun moyen, aucun travail ne procurera aux hommes richesses, puissance, ou dignités, parce que la dispensation de ces choses appartient à celui-là seul qui, arbitre équitable du monde, départit à chacun, suivant qu'il lui plaît, soit les récompenses, soit les supplices mérités. Ainsi « tel sort de prison pour régner, et tel, qui est né roi, tombe dans la pauvreté. » Eccle. IV, 14.

Personne, frères, ne peut douter de la vérité de nos assertions, puisqu'elles s'appuient sur le témoignage des saintes Lettres. S'il en est ainsi, quelles ne doivent pas être, dans toutes leurs traverses, la paix et la tranquillité des justes, qui ont au ciel un tel père et un tel protecteur ? Ils peuvent dire à bon droit avec le Prophète : « Je dormirai et reposerai en paix ; parce que, Seigneur, vous m'avez merveilleusement établi en espérance ; ou, comme traduit saint Jérôme : « parce que vous m'avez fait habiter en espérance et en sécurité. » Ps. IV, 9. Les impies peuvent aussi apprendre par là, combien sont vains et impuissants les efforts de ceux qui, en opposition avec Dieu,cherchent à s'assurer la sécurité, les richesses, et les biens de la terre. Ils ont beau suer, user toute leur énergie ; ils perdent leur temps et leur peine; et, instruits par
leurs stériles tentatives, ils apprendront à leurs dépens que le Prophète a dit vrai : « Vous concevrez du feu, et vous enfanterez de la paille. » Concipietis ardorem, et parietis stipulam. Isa.XXXIII, 11. C'est-à-dire, les projets que vous formez seront, par leur impuissance et leur inanité, comparables à du chaume broyé ; l'ouvrage qu'enfin vous enfanterez avec les efforts d'une femme en travail, sera comme une paille sèche. Mais revenons.
(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon de Saint Louis de Grenade pour le dimanche de Lætare

Message par Laetitia »

III.


Philippe et André n'avaient donc pas répondu convenablement à la question proposée. Cependant le Seigneur ordonne à ses disciples de faire asseoir la foule, et de la préparer à prendre son repas. Ici il faut rendre justice à l'obéissance des disciples : n'ayant pas de quoi pourvoir aux besoins d'une telle multitude, ils n'hésitent pas; ils n'apportent ni objection, ni retard ; ils exécutent les ordres du Seigneur, et font asseoir le peuple. Le Seigneur prit donc les pains, et, rendant grâces, il les rompit ; puis les donna aux disciples, pour qu'ils les distribuassent à la foule. Remarquons ici d'abord qu'il lui était également facile de rassasier ce peuple, et avec ces pains, et sans ces pains; cependant le Seigneur ne crut pas devoir négliger ce faible approvisionnement, qu'il multiplia en vertu de sa bénédiction et de sa puissance. Il y a là pour nous un grand enseignement. Sans doute c'est par un bienfait particulier de Dieu que nous sommes justifiés et que nous avançons de vertu en vertu ; ce qui fait dire à saint Augustin : « Seigneur, c'est votre grâce qui nous excite, nous élève, nous enflamme, nous fait avancer ; par elle, nous pouvons, dans cette vallée de larmes, faire monter notre cœur vers vous, et chanter le cantique des degrés. » Mais quoique l'entrée et le progrès dans la vie spirituelle soit un bienfait particulier de Dieu, cependant il exige de nous quelque chose ; il ne veut donner du sien, c'est-à-dire donner le principal, qu'à la condition que nous lui donnerons du nôtre, quelque peu que ce soit.

Oui, ce que Dieu nous accorde l'emporte infiniment sur ce qu'il nous demande. Que n'a-t-il pas souffert pour notre salut ? Et que nous demande-t-il autre chose que la pénitence et la charité, ce résumé de la loi ? Cependant, si nous ne donnons pas ce peu, nous n'obtiendrons pas le souverain bien. Par la grâce de Dieu offrons donc ce que nous pouvons, c'est-à-dire, quelques semences de vertus ; le Seigneur multipliera cette semence, et fera fructifier notre justice. Car, il a été dit avec vérité : « Il sera donné à celui qui a, et il nagera dans l'abondance ; » c'est-à-dire, à qui donnera un peu, on donnera beaucoup. Or, il serait bien déplorable que, ne voulant pas, par insouciance, accorder le peu qui nous est demandé,nous perdissions la grâce du Christ. Quant aux moyens à employer pour obtenir le pardon de nos fautes, pardon qui est l'objet de ce saint temps, que pouvait-on exiger de moins que la pénitence et la confession ? Car quelle plus grande clémence que celle qui accorde à une confession suppliante et contrite la grâce de la rémission, tandis que Jésus-Christ Notre-Seigneur ne nous l'a méritée qu'au prix de son sang ? Mais combien peu veulent se procurer cette grâce, même à si bon marché ? Comment ? dira quelqu'un. Mais il n'y a pas de fidèle qui, en ce saint temps, ne s'approche du sacrement de pénitence ? — Je le veux bien. Mais combien y en a-t-il qui fassent une bonne confession ? Car, puisqu'il y en a tant qui, une fois leur confession achevée, ne changent rien à leur première vie, et se souillent des mêmes fautes, haines, débauches, médisances, parjures, mensonges,dont ils étaient les esclaves ; quel signe aurai-je pour penser qu'ils ont recueilli, par la vertu des sacrements, l'Esprit et la grâce du Christ ? Si vous me demandez quels sont les défauts de leurs confessions, je répondrai que ces défauts sont nombreux, et voici les principaux : d'abord la plupart n'examinent pas, ne scrutent pas leur vie, mais viennent remplir ce devoir sans réflexion, sans aucune préparation ; ensuite ils ne fuient pas les occasions du péché, ne restituent pas les objets dérobés, ne font pas amende honorable au prochain pour la réputation qu'ils lui ont ravie. Ces choses et autres semblables pourront être traitées, à l'occasion, avec plus de développements, par les prédicateurs. Qu'il me suffise de leur avoir préparé la voie.

Le Seigneur prend donc les pains d'orge, et commence par rendre grâces à son Père ; nous enseignant par son exemple qu'avant le repas nous devons élever notre âme à Dieu, qui nous fournit tout en abondance, dont le bienfait pourvoit à notre nourriture, dont la Providence nous gouverne, dont la volonté nous soumet toutes les créatures, et qui a tout mis sous nos pieds, brebis, bœufs, animaux du désert. Ps. VIII, 8. Cependant les mœurs du peuple chrétien ont tellement dégénéré que, si un homme de quelque distinction, avant de prendre son repas, faisait une prière, il.n'en manquerait pas qui riraient de lui, comme d'un inepte et d'un stupide. Ce seul indice ne suffit-il donc pas pour caractériser la malheureuse corruption de ce siècle, où la doctrine et les exemples du Christ, où le Christ lui-même sont méprisés au point qu'imiter le Christ est tenu un opprobre ? « Quel est, dit Salvien, l'honneur du Christ chez les chrétiens, où la religion est une ignominie ? »

Dès que tous furent rassasiés, le Seigneur ordonna à ses disciples de recueillir les morceaux qui restaient, afin que rien ne fût perdu. Que vous importe donc à vous, Seigneur, de voir se perdre quelques débris de pains d'orge, multipliés par le seul contact de vos mains ? Certes, si vous ne laissez pas perdre ces vils débris, comment laisserez-vous périr les âmes, que vous avez rachetées, non par le contact, mais par les blessures de vos mains ? Si vous êtes sensible à la perte de restes de pains d'orge, nourriture des bêtes autant que des hommes, quels ne seront pas vos sentiments en voyant périr tant d'âmes que vous avez créées à votre image ? à l'empire desquelles vous avez soumis ciel, terres, mers, et tout le reste ? pour le salut desquelles vous êtes descendu du ciel sur la terre, et avez bravé la mort la plus cruelle ? Il s'ensuit donc de là que, s'il pouvait encore souffrir, il ne verrait pas sans une vive douleur tant d'âmes dans le monde courir à leur perte. Car celui qui, au rapport de saint Marc (v1, 34), eut compassion de ceux qui le suivaient, parce qu'ils étaient comme des brebis sans pasteur, comment n'aura-t-il pas pitié, en voyant maintenant tant d'âmes dans la gueule des loups ?

Tâchons donc, frères, d'épargner au Sauveur cette cause de douleur. Pour y parvenir, ressuscitons, en ce saint temps, de la mort à la vie par une vraie pénitence, condamnons les crimes de notre vie passée, retranchons vaillamment et invinciblement toute occasion de péché, commençons une vie nouvelle, et, à la faveur de la grâce divine, persévérons-y jusqu'à la fin ; nous mériterons ainsi de recevoir, des mains du Seigneur, l'éternelle vie pour laquelle nous avons été créés.
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