LE BIENHEUREUX BERNARD DE ALZIRA ET SES SOEURS GRATIA ET MARIE. EN L'ANNÉE 1180.
Alzira est une petite ville du diocèse de Valence que nos martyrs ont illustrée. Le père de Bernard se nommait Almanzor et avait reçu du roi musulman Zaën le gouvernement de deux villes, Pintarrafes et Carlete. Il avait un frère aîné qui portait le nom de son père et deux soeurs appelées Zaïda et Zoraïda. Bernard s'appelait d'abord Amet. Amet se distinguait par son intelligence et sa rare habileté dans le maniement des affaires. Il se convertit au christianisme en entendant le chant des religieux cisterciens, à Lérida en Catalogne, reçut au baptême le nom de Bernard et fit profession dans l'ordre de Cîteaux. Il surpassa bientôt tous ses confrères dans l'exercice des vertus. Il résolut d'entreprendre la conversion de ses parents : il réussit à convertir sa grand'tante, échoua auprès de son frère aîné, mais parvint à gagner ses deux soeurs qui changent de nom au baptême. Son frère Almanzor, furieux, le chassa de son palais. Il se retira dans un bois voisin, où devaient le rejoindre, la nuit suivante, ses deux soeurs et tous les membres de sa famille qu'il avait convertis.
Déjà la nuit avait couvert la terre d'épaisses ténèbres, un silence profond régnait partout, les hommes étaient plongés dans un lourd sommeil. Les vierges se levèrent alors pour aller au-devant de l'Epoux auquel elles avaient été fiancées ; elles réunirent les fidèles qui devaient les accompagner et, traversant les gardes endormis, elles sortirent d'abord du palais, puis de la ville. Faire une lieue à pied n'était pas une fatigue ordinaire pour nos fugitifs, surtout pour Marie et Gratia, qui, élevées au milieu du luxe de la cour, étaient plus habituées à être portées qu'à marcher ; en outre, leur marche était embarrassée, retardée par les ténèbres qui rendaient les chemins invisibles, par les pierres inaperçues qui faisaient trébucher et maints autres obstacles. Mais elles avaient reçu avec la foi la charité, et avec la charité l'ensemble de toutes les vertus ; aussi se sentaient-elles un courage non seulement au-dessus de leur sexe, mais même plus que viril. Aux premières lueurs de l'aurore, elles arrivèrent dans le bois, et aperçurent leur frère Bernard venant à leur rencontre. Elles fondirent en larmes et s'écrièrent : « Qui donc, désormais, pourra nous séparer de la charité du Christ ? Ce ne sera ni la mort ni la vie, ni le péril ni le glaive. Qu'Almanzor se mette à la recherche de ses soeurs s'il le veut, qu'il les découvre s'il le peut : pour nous, ou bien nous vivrons chrétiennes, ou bien nous mourrons pour le Christ. Si nous demeurons cachées, nous jouirons de la société des fidèles ; si nous sommes découvertes, nous jouirons de celle des anges. Ainsi donc, que nous vivions ou que nous mourions, nous appartenons à Dieu. » Tous pénétrèrent donc dans le bois pour s'y tenir cachés jusqu'à ce qu'on cessât de rechercher Bernard.
BOLL., Acta sanct., 21 aug., IV, p. 452-463 ; . GALLARDO, Bibl. españa (1866), II, 308.
LES MARTYRS
TOME V
LE MOYEN-AGE
Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle
TRADUITES ET PUBLIÉES
Par le R. P. Dom H. LECLERCQ