L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique

Si vis pacem
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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 234-235) a écrit :
Quelques années après, au contraire, ayant traversé les extases douloureuses et étant arrivée au mariage spirituel, Thérèse écrit en 1576 dans sa Relation au Père Alvarez à propos de ses blessures d'amour : « C'est une sorte de blessure qui semble véritablement faite à l'âme, comme si quelqu'un lui enfonçait une flèche au travers du cœur ou d'elle même. Cette blessure cause une douleur intense qui fait pousser des cris plaintifs, mais tellement délicieuse qu'on ne voudrait point la voir finir. Cette douleur n'est pas dans les sens du corps ; ce n'est pas une blessure matérielle;on l'éprouve dans l'intérieur de l'âme (1). » Thérèse parle toujours d'une flèche qui la transperce, mais cette fois il est évident qu'il ne s'agit de rien de corporel. Quand l'année suivante, écrivant le Château, elle reparlera des blessures d'amour dans les chapitres 2 et 11 des sixièmes Demeures la « flèche » réapparaîtra, mais de nouveau dans un contexte tout spirituel : « Que les choses spirituelles sont différentes de tout ce que nous pouvons voir et comprendre ici-bas, puisque je ne trouve aucune comparaison pour vous expliquer cette faveur … Elle opère un tel effet que l'âme se consume de désirs … Je sais seulement que cette peine semble la pénétrer jusqu'aux entrailles et quand la flèche qui l'a blessée en est retirée, il semble vraiment qu'elle les entraîne à sa suite tant est vif le sentiment d'amour qu'elle éprouve (2). » Il paraît donc clair que la Sainte se sert d'un langage imagé pour exprimer ce qu'elle ressent dans l'âme. On le voit mieux encore au ch. 11 où elle nous parle de la « flèche » qui cause l'extase douloureuse. Elle dit : « Il lui vient, sans qu'elle sache d'où ni comment, un coup, ou comme une flèche de feu. Je ne dit pas que ce soit une flèche, mais, quoi que ce soit, on voit clairement que cela ne vient pas de nous. Ce n'est pas non plus un coup, bien que j'emploie ce terme, car la blessure est très sensible ; et cette blessure n'est point fait, ce me semble, à cet endroit où nous sentons les peines ordinaires de la vie, mais au plus profond et au plus intime de l'âme (3). » Thérèse continue donc à se servir des comparaisons si expressives qui lui furent suggérées par la vision de 1559, mais il ne semble nullement qu'elle leur attribue une signification « matérielle ». Dans les VII° Demeures Thérèse ne reparle ni de flèche, ni de dard enflammé ; pas plus que dans l'admirable relation de son âme à l'évêque d'Osma, en 1581 (4). La petite vieille pleine d'infirmités qui nous y parle n'est même plus prise habituellement par le désir du ciel ; un autre désir la consume, une vraie passion : celle de s'épuiser au service de son Bien-Aimé. Parfois pourtant, quand la touche d'union se fait plus forte, la flamme s'élance et alors l'âme de Thérèse aussi gémit : « Rompe la tela de este dulce encuentro (5). »

Une plaie physique transperçant le cœur de Thérèse et servant à la fois de manifestation et de frein aux blessures d'amour intérieures semble donc s'accorder difficilement avec ce que nous savons de la vie de sainte Thérèse. Par contre, il est un moment de son existence où elle s’enchâsserait facilement : c'est celui de sa bienheureuse mort.



(1)Relación (2) au P. R. Alvarez, n. 17.
(2)Moradas VI, c. 2, n. 4.
(3)Moradas VI, c. 11, n. 3.
(4)Obras de S. Teresa (ed. Silv.) Tomo II, p. 39.
(5)Llama c. I, v. 6.

Si vis pacem
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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 235-236) a écrit :

La mort d'amour de sainte Thérèse



Il semble bien établi que Thérèse de Jésus est morte sous les assauts de l'amour divin.

La mort d'amour n'exclue d'ailleurs nullement l'intervention d'autres causes, mais le transport d'amour divin donne le coup de grâce. Parlant de la mort chez les âmes transformées le Docteur mystique écrit : « Elles succombent à quelque mal ou à l'âge, mais ce qui arrachera l'âme au corps ce sera uniquement un élan, une aspiration d'amour beaucoup plus ardent que celle des élans antérieurs, et qui cette fois aura la puissance et l'énergie nécessaires pour rompre la toile et emporter le joyau de l'âme (1). »

Les causes « naturelles » qui amenèrent la mort de Thérèse nous sont connues : une fatigue excessive occasionnée par son voyage de Burgos à Albe qui se fit dans de très mauvaises conditions. La Sainte arriva épuisée au monastère ; elle dut s'aliter et fut prise par un « flux de sang ». Ribera et Yepes en parlent ; le dernier nous donne même quelques détails un peu crus (2). Il doivent lui venir vraisemblablement des informations de la bienheureuse Anne de Saint-Barthélémy qui soigna la Sainte. Un mouchoir d'étamine servait à arrêter le sang qui suintait du corps de la mourante. Quand la bienheureuse Anne, trois ans après la mort, fit la toilette du corps incorrompu qu'on venait de transporter d'Albe à Avila, elle retrouva le mouchoir tout imprégné de sang frais (3). Thérésita, la nièce de la Sainte qui l'accompagnait également en voyage, dépose elle aussi « que les fatigues du voyage provoquèrent un flux de sang (4). » Ribera et Yepes affirment même tout simplement qu'elle en mourut (5).



(1)Llama B, c. I, n. 30 ; trad. Hoorn. p. 165-6.
(2) – L. II, c. 39 et 40.
(3) – Témoignage d'Anne de Saint-Barthélémy au procès d'Avila le 19 octobre 1595. Procesos I, p.170-171.
(4) – Témoignage de « Thérésita » à Avila le 22 janvier 1596. Procesos I, p. 197.
(5) – Ribera, l. III, c. 15. Yepes, l. II, c. 39. Yepes fait même entrer le « flux de sang » parmi les causes immédiates de la mort : « Son âme fut prise à tel point par la violence et l'impétuosité de l'amour que non seulement elle quitta les sens, mais même le corps ; la grande force qui la tenait absorbée et unie à son divin Époux causa un grand « flux de sang » et celui-ci entraîna la mort » (l. II, c. 39). Mais il semble bien que ce soit une interprétation personnelle. Le témoignage de Thérésita fait croire que le « flux de sang » commença plus tôt. Procesos I, p. 197.

Si vis pacem
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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 236-237) a écrit :
Les deux biographes nous ont donné une description circonstanciée de la mort de Thérèse. Ribera donne des détails que nous retrouvons dans la déposition de Térésita (1), mais il semble dépendre davantage de Maria de San Francisco présente à la mort de sainte Thérèse mais qui passa plus tard au monastère de Medina où elle fit sa déposition. Ce doit être elle la religieuse dont parle Ribera (2) — et après lui Jean de Jésus-Marie (3) — « qui observait la Sainte avec une grande attention » et qui nous a conservé de la sorte de précieux détails de cette mort bénie.

Il en est d'abord qui sont répétés unanimement par tous les témoins de la mort de la Sainte. La dernière communion, la veille de sa mort, fut particulièrement touchante. Quand on lui apporta la sainte Eucharistie, Thérèse, qui ne pouvait plus faire un mouvement sans être aidée, se dresse toute seule et s'agenouille. Son visage s'anime, prend une expression de gravité et de beauté toute particulière et des paroles enflammées s'échappent de ses lèvres. Ce sont les paroles de bienvenue à l'Époux qui enfin vient la prendre : « O mon Seigneur et mon Époux, l'heure tant désirée est enfin venue ; il est temps de nous voir !… Il est temps que je sorte de cet exil et que mon âme, ne faisant qu'un avec vous, jouisse de ce qu'elle a tant désiré (4). » La soirée se passa à donner ses dernières recommandations à ses filles mais surtout à répéter quelques versets des psaumes qui exprimaient ses sentiments profonds de contrition et de confiance. Humble et amoureuse, Thérèse le sera jusqu'à son dernier moment. La nuit fut particulièrement pénible. La Sainte souffrait beaucoup ; mais elle continuer à répéter ses versets.



(1)Procesos I, p. 197.
(2) - L. III, c. 15.
(3) - Vita B. V. Teresiæ, l. III c. 15. Op. oia III, p. 597
(4) - Ribera, l. III, c. 15. — Le récit de Ribera s'appuie sur la narration des personnes présentes au décès de la Sainte. Au sujet de ces détails si touchants, l'unanimité la plus parfaite existe parmi les témoins oculaires de la mort de sainte Thérèse. De notre étude patiente de la documentation nous avons reporté une impression profonde de grandeur morale et surnaturelle. Nous avons pu constater également que l'incorruption du corps de la Sainte, et en particulier l'état de fraîcheur de son sang après des mois et même des années de sépulture,sont attestés de la façon la plus absolue. Il n'y a pas à dire, un nimbe de merveilleux auréole le trépas de la Sainte.

Si vis pacem
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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 237-238) a écrit :
Le 4 octobre au matin, à 7 heures, la scène changea. Laissons ici la parole à Marie de San Francisco : « Le matin du jour de saint François, vers sept heures, elle se mit sur le côté dans la position où on peint sainte Madeleine. Son visage était tourné vers les religieuses et elle tenait en main un Christ. Sa face était très belle et enflammée ; sa beauté était si grande qu'il me paraît ne l'avoir jamais vue plus grande durant ma vie et je ne sais où allèrent se cacher ses rides qui étaient prononcées à cause de l'âge et des infirmités. Elle demeura ainsi en oraison avec une grande paix et quiétude, donnant quelques signes extérieurs tantôt de recueillement, tantôt d'admiration, comme si on lui parlait et elle à son tour répondait. Mais tout se passait dans la plus grande sérénité, tandis que son visage se transformait merveilleusement et devenait de feu et de flamme ; elle semblait un astre radieux (una luna llena) ; par intervalles elle émettait un parfum pénétrant. Tandis qu'elle persévérait dans l'oraison, égayée et joyeuse, par trois fois elle gémit suavement et dévotement comme une âme unie à Dieu dans l'oraison ; mais on l'entendit à peine, puis elle remit son âme au Seigneur. Son visage demeura merveilleusement beau et resplendissant comme un soleil en flammes … ! (1) »

Nombre de témoins ont noté cet état de profonde oraison de la Sainte que l'interrogatoire officiel du procès rémissorial nomme « une extase » de 14 heures (2). Il n'y a pas à douter, Thérèse, durant ses derniers moments, était élevée à une oraison mystique profonde ; c'étaient les derniers appels du Bien-Aimé et les dernières poussées de l'amour qui tendait vers son terme. Anne de Saint-Barthélémy, qui la soutenait et qui était elle-même, nous dit-elle, plus morte que vive, vit en esprit Notre-Seigneur aux pieds du lit. « Ce qui l'acheva, dit-elle, ce fut, à mon avis, le désir enflammé et l'amour fervent qui l'animaient envers Dieu notre Seigneur et l'impatience de se voir avec Lui pour jouir de Lui, ce qui la débilitait et la faisait défaillir … (3) » Il n'y a pas de doute, nous nous trouvons devant une âme qui subit les derniers assauts de l'amour. Mais l'amour ne blesse-t-il pas le cœur ?



(1) – Déposition de Maria de San Francisco au procès de Medina. N'ayant pas sous la main cette partie du procès, nous recopions ce témoignage dans l'édition de la Vie de Sainte Thérèse écrite par son chapelain Julian de Avila, édité par Vicente de la Fuente. Madrid, 1881, p. 363
(2) – Processus remissorialis, cité plus haut, fol. 4R, art. 94 : « in oratione posita magna pace et quiete absque ullo corporis motu tota die in extasi permansit usque ad horam nonam noctis ... »
(3)Procesos I, p. 170.

Si vis pacem
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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 238-239) a écrit :
Jean de Jésus-Marie estime que la force de l'amour divin entraîne parfois la rupture du cœur : « La jouissance est si grande que le cœur se dilate, ses pores s'ouvrent et il se détend en quelque sorte… Cette dilatation du cœur le blesse… et cette lésion peut devenir si forte qu'elle entraîne une bienheureuse mort. L'assaut de l'amour se fait plus fort, et le cœur est tellement pressé par le désir de voir Dieu qu'il succombe à la blessure. Telle fut, de l'avis de certains auteurs, l'heureuse mort de la Bienheureuse Vierge ; mais la bienheureuse mère Thérèse fut, semble-t-il, gratifiée d'une mort pareille comme elle le révéla elle-même après sa mort (1). »

Le vénérable Jean de Jésus-Marie parle ici de la révélation faite par sainte Thérèse à Catherine de Jésus du monastère de Béas, religieuse douée de vertus insignes. Cette révélation dûment attestée dans le procès de béatification, est rapportée dans la bulle de canonisation. Elle vient confirmer et expliquer ce que suggéraient les faits extérieurs : seul le transport d'amour qui lui vint à ses derniers moments donne la raison adéquate de la mort de Thérèse de Jésus (2).

Nous venons de voir que, pour le vénérable Jean de Jésus-Marie, il s'agit bien réellement d'un effet physique, d'une lésion produite par l'impétuosité de l'amour. Le Vénérable a-t-il eu connaissance de la découverte de la Mère Catalina ? Je ne sais. Après 1610, il aurait pu lire son témoignage dans les procès qu'il a certainement examinés ; mais sa Theologia mystica, à laquelle nous empruntons le texte cité est de 1607. Quoi qu'il en soit, d'autres théologiens de l'école répètent la même chose après lui. Thomas de Jésus, en deux endroits (3), se sert à peu près des mêmes paroles que notre Vénérable pour montrer que l'impétuosité de l'amour peut causer la mort ; et par deux fois il cite l'exemple de sainte Thérèse. Balthazar de Sainte-Catherine répète la même doctrine et cite même à l'appui saint François de Sales. Tous deux encore parlent à ce sujet de la mort d'amour de sainte Thérèse (4). Mais aucun de ces auteurs ne fait une mention explicite de la blessure existant au cœur de sainte Thérèse. Il n'y a que Philippe de la Trinité qui en parle expressément (5).Pourtant, quand il s'agit de la rattachée à une époque déterminée de l'existence de Thérèse, il ne se prononce pas : ou ce sera un effet de la vision du Séraphin, ou ce sera une transverbération causée par le dernier transport d'amour qui assaillit la Sainte. Nous avons exposé les motifs qui nous font choisir la seconde alternative. Durant tout le XVII° siècle il n'y a pas un des théologiens mystiques de l'école thérésienne qui nous contredit ; au contraire, nous venons de voir que leur doctrine permet de songer à une blessure causée au cœur par un impétueux transport d'amour.



(1) – Joannes a Jesu-Maria. Theologia mystica, c. VI, Op. Oia II, p.438.
(2) – Voici le texte de la bulle de canonisation : « Quin etiam post mortem cuidam moniali per visum manifestavit se non vi morbi, sed ex intolerabili divini amoris incendio vita excessisse. » Van der Mœren, o. c. n. 1391, p. 418. — Les Auditeurs du Rote en parlent à propos de la vertu de charité chez la Sainte. Cf. Van der Mœren, o. c. N. 1225, p. 386 — Voir aussi le témoignage de Thérésita. Procesos I, p. 117.
(3)De oratione divina, l. IV, c. 17 ; De raptu et ecstasi, disp. 2, c. 7.
(4)Splendori, p. 440 et 555-6. En ce dernier endroit il cite saint François de Sales, Traité de l'amour de Dieu, l. VII, ch. 11 : « Mais ce qui appartient au souverain degré d'amour, c’est que quelques-uns meurent d’amour… Et la bienheureuse mère Thérèse de Jésus révéla, après son trespas, qu'elle était morte d'un assaut et impétuosité d'amour... »
(5)Summa theologiæ mysticæ, P. III, tr. 3, d. 1, a. 1.

Si vis pacem
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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 239-240) a écrit :
Une objection pourtant demeure : la forme de la blessure qu'il est encore loisible de contempler de nos jours puisque le cœur se conserve toujours sans corruption dans le monastère des carmélites d'Albe. Le témoignage si circonstancié que nous avons rapporté plus haut ne nous oblige-t-il pas de la rapporter à la « vision » ou plutôt au « dard réel » du Séraphin aperçu par sainte Thérèse ? À notre avis ce rapport n'est nullement nécessaire. Nous croyons tout d'abord qu'il faut exclure que la blessure ait été faite avec un dard réel. Si le dard était « réel », la vision devait elle aussi être corporelle et extérieure et qui plus est, à moins d'un nouveau miracle, le dard devait également transpercer la poitrine et y faire une blessure dont la trace aurait dû se remarquer. C'est très logiquement que le Père François de Sainte-Marie, qui croyait à une vision corporelle, parlait d'une blessure faite à la poitrine ; mais nous avons déjà relevé plus haut que d'une pareille blessure il n'est aucunement question. Aussi Lopez Esquerra préfère-t-il recourir à un nouveau miracle ; à son avis, c'est merveille que le cœur fut blessé sans que la poitrine ne le fut (1). Mais l'un et l'autre auteur supposent que la vision fut extérieure ; or les visions de ce genre semblent bien exclues chez sainte Thérèse (2). D'ailleurs , il n'est nullement nécessaire de recourir à l'intervention d'un instrument réel pour expliquer la production de blessures mystiques à forme déterminée. Les stigmates, quand ils sont parfaits, n'imitent-ils pas les plaies formées par l'enfoncement de clous ? Et pourtant, ces plaies de forme bien déterminée ne se produisent-elles pas parfois « de l'intérieur à l'extérieur », sans qu'il faille donc songer nécessairement à l'intervention d'un instrument (3) ? Il ne faudrait pas oublier non plus que les plaies mystiques sont des plaies symboliques : elles « manifestent » et « signifient » la blessure de l'âme. Les stigmates signifient la profonde compassion amoureuse pour le Christ souffrant par amour ; la plaie du cœur signifie la blessure faite à l'âme par l'impétuosité de son amour. La vision du Séraphin, communiquée à Thérèse tandis que l'amour blessait son âme, lui expliquait « symboliquement » ce qui se passait en elle. Rien de plus « expressif » que ce dard qui transperce le cœur et les entrailles. Mais si Dieu a permis que la blessure d'amour qui arracha l'âme de Thérèse à son corps se « manifestât » sur son cœur, afin de donner aux fidèles un témoignage sensible de la mort d'amour de la grande mystique, il était opportun que cette blessure apparût comme faite par un dard de l'amour.


(1)Lucerna mystica, tr. V, c. 26, n. 280 : « ubi non solum miraculosa fuit, illaeso et integro thorace, vulneratio cordis intrinseca ... » — Bien entendu, il ne s'agit nullement de limiter la puissance divine, ou de restreindre sa prodigalité envers les âmes particulièrement chéries, mais il serait peu prudent de perdre de vue le principe : « non sunt multiplicanda entia (præsertim extraordinaria) sine ratione sufficienti. »
(2)Vida, c. 28, n. 4.
(3) – Dans sa biographie de la servante de Dieu (aujourd'hui Sainte) Gemma Galgani, le Père Germain de Saint-Stanislas rapporte que chez la sainte les stigmates se formaient de deux façons : « Ho poi detto che le accenate squarciature si formavano a poco a poco, e cioè in cinque o sei minuti, cominciando internamente nella pelle sotto l'epidermide, e terminando con la lacerazione di questa. A volte però non era cosi : il colpo che le produceva, era istantaneo e veniva dall'esterno a guisa di violenta trafittura. » Biografia della serva di Dio Gemma Galgani, c. 8. Roma, 1910, p. 91.

Si vis pacem
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Re: L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 240-241) a écrit :
Le jour où l'Église célèbre la bienheureuse mort de Thérèse elle chante dans sa liturgie :

                                                                                                                        « Sed te manet suavior
                                                                                                                        mors, poena poscit dulcior,
                                                                                                                        divini amoris cuspide
                                                                                                                        in vulnus icta concides.

                                                                                                                        Une mort plus suave te reste,
                                                                                                                        Une peine plus douce t'attend,
                                                                                                                        Tu tomberas blessé
                                                                                                                        Par le dard du divin amour
. »

Oui, c'est vraiment ce qui s'est passé : Thérèse est morte transverbérée par le dard de l'amour.

La Mère Catalina avait raison. Elle qui tint dans ses mains le cœur de la Sainte quand on le détacha de son corps, et qui fut, semble-t-il, la première à constater que s'était un cœur blessé, songea spontanément à la mort d'amour de sa sainte Mère. À la fin de notre recherche nous nous rallions à son interprétation.

Nous avons pu constater que celle-ci n'a contre elle aucune tradition primitive, vu que le rattachement de la blessure à la vision de 1559 semble ne s'être fait qu'un siècle après la mort de la Sainte. Elle s'encadre au contraire tout à fait dans les explications ébauchées par nos anciens théologiens de la mort causée par l'amour. Nous ne nous voyons plus forcés d'admettre chez Thérèse l'existence d'une plaie physique qui, selon les enseignements de saint Jean de la Croix, aurait dû être un « frein » pour les profondes blessures de son âme, une plaie qui aurait dû produire chez elle des souffrances qui s’enchâssent mal dans les témoignages de son expérience mystique et dans ce que nous savons de sa vie. Mais surtout elle met dans une splendide lumière que sainte Thérèse de Jésus est vraiment morte d'amour.



(1) – Hymne liturgique : « Regis supernis nuntia », str. 2
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Re: L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 241-242) a écrit :
À la fin de cette étude nous sommes forcés de constater que les théologiens de l'école thérésienne se sont très peu occupés des stigmates ; ils ont même quasi ignoré l'existence de la plaie réelle faite par l'amour au cœur de sainte Thérèse. Nous ne trouvons donc chez eux aucune « méthode de discernement » des stigmates « vrais ». Saint Jean de la Croix pourtant nous a laissé un précieux principe qui pourra nous servir en bien des cas pour « déblayer le terrain ». « Ordinairement, Dieu n'accorde aucune grâce au corps sans la faire préalablement et principalement à l'âme (1). » Les plaies extérieures sont une conséquence et une manifestation de la blessure d'amour qui est une grâce mystique élevée, et donc elles la supposent. Dès lors, un cas de stigmatisation qui apparaîtrait chez une personne encore débutante dans la vie spirituelle et n'ayant aucune vie mystique, se présenterait dans un « contexte » défavorable.

Le cas pourra être intéressant pour le psychiatre, mais le théologien mystique ou le directeur spirituel jugeront de suite qu'il y a très grande probabilité d'illusion. Si au contraire la personne en question a joui des blessures d'amour spirituelles, le « contexte » est favorable. Comme on voit, le critère a principalement une valeur négative. On pourrait trouver chez les auteurs thérésiens des directives plus positives en étudiant leur méthode de discernement des visions et révélations. À bien des points de vue le cas des stigmates doit se juger de manière analogue. Mais pour le moment cette étude nous mènerait trop loin. Je puis assurer toutefois qu'elle ferait ressortir une fois de plus l'attitude très réservée de nos théologiens pour tous les phénomènes mystiques d'ordre sensible. Visions, révélations, lévitation, stigmates, tout cela présente à leurs yeux un intérêt très secondaire. Pourquoi ? Parce que tout l'importance de la vie spirituelle profonde vers laquelle ils dirigent les âmes en maîtres prudents se trouve autre part : elle appartient tout entier à la vie d'amour. Et, « un peu de pur amour est plus précieux aux yeux de Dieu et de l'âme et est plus utile à l'Église … (2) » que tous les stigmates réunis !

Rome.          Collège International
                                                                                                                                                                                                               fr. Gabriel de Ste Marie-Madeleine,
                                                                                                                                                                                                               Lecteur de Théologie mystique.



(1)Llama B, c. 2, n. 13.
(2)Cántico B, c. 29, n. 2.

Si vis pacem
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Re: L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique

Message par Si vis pacem »

  
  Études Carmélitaines, octobre 1936, p. 242 a écrit :
NOTE DE LA RÉDACTION. — Nous avons l'avantage de donner ici le sentiment d'un éminent physiologiste sur l'étude précédente.

Je viens de lire le travail si remarquable du Père Gabriel dont nous avions déjà entendu l'exposé au Congrès d'Avon. Je suis d'accord avec lui pour estimer que sainte Thérèse est bien morte d'un transport d'Amour. Quant à la blessure indiquée à l'emplacement de l'artère coronaire (Les merveilles du cœur de sainte Thérèse. — Paris-Venise 1882, hors-texte) et décrite par le chirurgien Sanchez comme une plaie pénétrante (p. 230), une crevaison : coraçon reventado, dit le procès (p. 223), — bien que nous n'ayons pas pu l'examiner directement, il est permis de penser que, tout en ayant été causée par l'élan d'Amour surnaturel décrit par saint Jean de la Croix (p. 216), des symptômes réels de fatigue — que le Saint n'exclut pas (p. 216), — ainsi qu'il est attesté (p. 236) témoignaient d'une disposition favorable à la dilatation du myocarde et à sa rupture.

                                                                                                                                                                                                                                                                   Dr Jean Lhermitte.

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