Re: Du jeûne et de l'abstinence
Publié : mer. 13 mars 2019 22:57
Il y a plusieurs espèces de jeûnes.
Abbé Barbier, [i]Les trésors de Cornélius a Lapide, extraits de ses commentaires sur l'Écriture Sainte[/i], Paris 1876, tome II, pp. 629 s a écrit :
Il y a le jeûne de la volonté. Nous avons jeûné, dit-on, pourquoi Dieu n'a-t-il pas regardé nos jeûnes ? Parce que, dit Isaïe, vous suivez vos caprices et vos volontés en vos jours de jeûne : Ecce in die jejunii vestri invenitur voluntas vestra (LVIII.3). N'y a-t-il pas un jeûne de mon choix ? dit les Seigneur par la bouche d'Isaïe. Rompez les liens de l'iniquité, portez les fardeaux de ceux qui sont accablés, donnez des consolations aux affligés, brisez les liens des captifs : Hoc est jejunium quod elegi : Dissolve colligationes impietatis, solve fasciculos deprimentes, et omne onus disrumpe (LVIII.6). Partagez votre pain avec celui qui a faim, et recevez sous votre toit ceux qui n'ont point d'asile. Lorsque vous voyez un homme nu, couvrez-le, et ne méprisez point la chair dont vous êtes formé : Frange esurienti panem tuum, et egenos vagosque induc in domum tuam : cum videris nudum, operi eum et carnem tuam ne despexeris (LVIII. 7). Alors votre lumière brillera comme l'aurore ; et je vous rendrai la santé, et votre justice marchera devant vous, et vous serez environné de la gloire du Seigneur (LVIII.8). Alors vous invoquerez le Seigneur, et il vous exaucera ; à votre premier cri, le Seigneur répondra : Me voici (LVIII. 9).
Remarquez ici que le Seigneur enseigne et explique quel doit être le jeûne des chrétiens pendant le carême et les autres jours de jeûne. Il faut : 1° que l'âme s'abstienne des vices, comme le corps s'abstient de nourriture, dit saint Jérôme : Ut mens tam a vitiis quam corpus a cibo, jejunet (Ad Celant.). Car le but du jeûne est d'humilier le corps et de le soumettre à l'âme ; de soumettre l'âme à la raison, la raison à la vertu et à l'esprit, et l'esprit à Dieu ; et si vous ne tendez pas à cette fin, vous employez en vain le remède des jeûnes, de même que le malade prend inutilement un remède s'il ne s'abstient pas de ce qui pour lui nuire, dit saint Chrysostome : Sicut frustra aeger assumit remedium, si a noxiis non abstineat (In Gen.I, hol. VIII).
Le mérite de nos jeûnes, dit saint Léon, n'est pas dans la seule abstinence des aliments ; et il ne sert de rien d'ôter au corps sa nourriture, si l'âme n'est détournée de l'iniquité, et si la langue ne cesse de mal parler (1).
Si la bouche seule a péché, dit saint Bernard, que seule elle jeûne, et cela suffit ; mais si tout en nous pèche, pourquoi tout en nous ne jeûnerait-il pas ? Que l’œil donc jeûne et se prive des regards et de toute vaine curiosité ; que l'oreille jeûne, et qu'elle ne s'ouvre ni aux fables, ni aux rumeurs ; que la langue jeûne et se prive de médisance et de murmure ; que les mains jeûnent en fuyant la paresse ; mais que l'âme surtout jeûne et s'éloigne des péchés, et de sa propre volonté : car sans un semblable jeûne, les autres jeûnes sont rejetés de Dieu (2).
Il faut donc rendre méritoire le jeûne du corps par le jeûne de l'âme et du cœur, et par l'abstinence des péchés. C'est là le jeûne que prescrit le prophète Joël : Sanctifier votre jeûne : Sanctificate jejunium (I.25). Car, comme le dit saint Grégoire, sanctifier le jeûne, c'est, en offrant à Dieu l'abstinence de la chair, y joindre d'autres bonnes œuvres. Que la colère cesse, que les querelles s'assoupissent ; car c'est en vain qu'on mortifie le corps, si l'on ne met pas un frein à ses mauvais penchants (3).
Saint Jérôme de dit-il pas : Que sert-il d'affaiblir le corps par le jeûne, si l'esprit se soulève d'orgueil ? Quelle louange peut-on mériter de la pâleur que donne le jeûne, si l'on est rempli et souillé par l'envie ? Quelle vertu y a-t-il à ne pas boire du vin, et à s'enivrer de colère et de haine ? (4)
(1) Non in sola abstinentia cibi stat nostri summa jejunii, aut fructuose corporesca subtrahitur ; nisi mens ac iniquitate revocetur, et ab obtrectationibus lingua cohibeatur (Serm. IV de Quadrag.).
(2) Si sola gula pexxavit, sola jejunet, et sufficit : si vero peccaverunt et membra caetera, cur non jejunent et ipsa ? Jejunet ergo oculus a curiosis aspectibus et onn petulantia ; jejunet auris, nequiter pruriens, a fabulis et rumoribus ; jejunet lingua a detractione et murmuratione ; jejunet manus ac otiosis signis. Sed et multo magis anima ipsa jejunet a vitiis, et a propria voluntate sua. Etenim, sine jejunio hoc, caetera a Domino reprobantur (Serm. III de Jejun. Quadrag.).
(3) Nam jejunium sanctificare est, adjunctis bonis aliis, dignam Deo abstinentiam carnis ostendere. Cesset ira, sapiantur jurgia. Incassum enim car atteritur, si a pravis suis voluptatibus animus non refrenatur (Homil. XVI in Evang.).
(4) Quid prodest tenuari abstinentia corpus, si animus intumescat superbia ? Quam laudem merebitur de pallore jejunii, si invidia lividi sumus ? Quid virtutis habet vinum non bibere, et ira atque odio inebriari ? (Ad Celunt.)