Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de la Circoncision

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Laetitia
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Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de la Circoncision

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SECOND POINT.


En voilà assez, mes très-chers frères, sur la circoncision en général. J'entre maintenant dans le détail, et je vais vous dire sur quoi la circoncision spirituelle doit porter en nous, pour nous mériter l'amour de Dieu, qui est son but suprême. Je distingue en nous quatre obstacles principaux à cet amour, par conséquent quatre défauts à corriger et à extirper de nos âmes par la circoncision.

D'abord, chrétiens, la circoncision doit éteindre dans nos cœurs la soif immodérée des biens extérieurs, de telle sorte que nous ne poussions pas notre ambition au delà de nos forces,mais que nous nous contentions de ce que nos facultés peuvent naturellement atteindre. Le Roi-Prophète était dans cette disposition d'un cœur vraiment circoncis, quand il disait à Dieu : « Seigneur, mon cœur ne s'est point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés. Je n'ai pas marché sur les hauteurs, ni dans les désirs au-dessus de moi, » Ps.cxxx, 1, 2 ; ainsi que l'Apôtre dans ces paroles : « Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents, » Habentes autem alimenta et quibus tegamur, his contenti simus. I Tim. VI, 8. Ces richesses, la nature nous les a données ; elles sont nécessaires à notre vie ; la raison, la vertu, la condition de notre existence nous font un devoir de nous les procurer.

Mais elles sont suffisantes, comme nous le voyons par l'exemple des premiers mortels. Tous les autres biens, qui sont l'objet si ardent de nos convoitises, n'ont inondé la terre qu'à la faveur de l'intempérance, ou de cette fausse prudence humaine qui borne tous ses désirs à la terre : nous devons donc les écarter de nous de toutes nos forces. « Si le Seigneur me donne du pain pour me nourrir et des vêtements pour me couvrir, le Seigneur sera toujours mon Dieu, » Gen.XXVIII, 20, disait à Dieu le saint patriarche Jacob. La nature parle comme lui, et se contente de ces simples dons du ciel. Si nous nous en tenons strictement à cette loi et à ces besoins de la nature, ne trouverons-nous pas dans la maison des riches et des grands beaucoup d'ornements inutiles et superflus ? Grand Dieu ! quelle prodigalité déplacée dans les vêtements ! quel luxe dans les demeures ! quelle éclatante somptuosité dans les lambris dorés des cours ! quelle vaine recherche dans notre nourriture, dans nos parfums, et dans tous ces plaisirs, destinés par Dieu à fortifier notre faiblesse, et que nous faisons servir au contentement de nos caprices et de nos passions ! Cette abondance qui ne suffit pas encore à vos désirs, que de pauvres trouveraient leur profit à la partager avec vous ! Combien sont couchés sur la neige,nus et mourants de froid, qui se couvriraient avidement des vêtements dont vous n'avez que faire ! Savez-vous bien qu'en dissipant ainsi des dons si précieux, ou bien en en faisant un fol usage, vous volez aux pauvres un bien dont ils ont le droit de disposer ?

Vous connaissez cette parole d'un Père de l'Eglise (Saint Ambroise ) : « Donnez à manger à ceux qui meurent de faim ; ne pas les nourrir, c'est les tuer. » Saint Basile, s'élevant de toute l'énergie de son indignation contre cette avarice, s'écrie aussi : « Le pain que vous tenez ne vous appartient pas ; ces vêtements que vous entassez dans vos demeures sont la propriété de ceux qui n'en ont pas ; votre or est aux pauvres ; vous péchez en le gardant, et votre crime ne sera pas impuni.» Mais, chrétiens, cette avidité insatiable vous est aussi nuisible qu'aux pauvres, et vous vous rendez, en y succombant, un funeste service. Vous contentez toutes vos vanités, vous accordez tout à chacune de vos passions ; mais prenez garde. Il faut pour cela des dépenses étonnantes ; il faut aller au delà de ses ressources, si abondantes soient-elles, et à la fin il faut bien tomber dans ce gouffre hideux du libertinage et de la pauvreté coupable dont on ne sort jamais sans d'inexprimables difficultés.
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Laetitia
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C'est là ce que nous voyons chaque jour dans notre siècle, on pourrait même dire que c'est là son cachet particulier. La vanité, le plaisir, le luxe, le faste, et toutes ces délices honteuses qu'on rougit de nommer, couvrent la terre, et font croire que toute chair a corrompu ses voies. L'impossibilité de satisfaire et d'assouvir tous ces désirs coupables ou dangereux, fait bientôt tomber les hommes dans les deux écueils que je viens de vous signaler ; catastrophe épouvantable, qui ôte à ces victimes malheureuses tout sentiment du bien et même de l'honnête. Pour elles, plus de respect pour la religion ni pour la société, plus de droits, plus d'union entre les hommes, plus d'amour entre les membres d'une même famille : tout sens est perdu pour eux dans cette lamentable ruine. Eh quoi ! si nous voyons dans les temps d'extrême misère des mères ne pas épargner le fruit de leurs entrailles, et apaiser leur faim en dévorant leurs enfants, devrons-nous attendre qu'il existe rien de sacré pour celui que dévore la double soif du plaisir et de l'indigence ? Je vous en conjure donc, chrétiens, instruisez-vous à la vue de ces chutes, et prenez le glaive de la circoncision pour arracher de votre âme tous ces résultats de l'intempérance humaine : vous pourrez, en agissant ainsi, soulager les pauvres de Jésus-Christ, et surtout vous ne commettrez pas, sous l'empire de cette plaie du libertinage, des fautes propres à diminuer ou à éteindre en vous l'amitié que vous avez promise à Dieu. Mettez des bornes à votre ambition ; soyez contents du sort que la Providence vous a fait, et n'aspirez pas à monter au delà de vos forces. Ecoutez ce conseil que vous donne Salomon, de ne pas élever vos yeux sur des richesses que vous ne pouvez pas posséder, Prov. XXIII, 5, parce qu'elles se déroberont à vos efforts et s'envoleront loin de vous. C'est le seul moyen de vivre heureux, et d'éviter pour vous-mêmes de grands désastres. Il en serait de vous comme des Moabites, auxquels le Seigneur disait dans sa colère par la bouche de Jérémie : « Mon cœur gémira sur Moab, comme la flûte des jours de deuil; parce qu'ils ont fait au delà de ce qu'ils pouvaient, c'est pour cela qu'ils ont péri. » Propterea cor meum ad Moab quasi tibia resonabit : quia plus fecit quam potuit, idcirco perierunt. Jerem. XLVIII, 36.

La circoncision spirituelle doit en second lieu s'étendre aux membres et aux sens de votre corps, pour les purifier du vice de leur origine. Depuis le péché, tout a été changé dans la nature humaine ; il est nécessaire que la circoncision intervienne pour opérer la séparation entre le bien et le mal confondus en elle.

Il faut d'abord circoncire vos yeux, et demander à Dieu son secours, en lui faisant cette prière du Prophète : « Détournez mes yeux, afin qu'ils ne voient pas la vanité. » Ps. CXVIII, 37. Il faut circoncire vos oreilles, afin qu'elles ne donnent aucun accès aux paroles des impudiques et des flatteurs, ou bien aux conseils des méchants, suivant cette parole de Salomon : « Environne tes oreilles d'une haie d'épines ; n'écoute pas la langue perverse. » Eccli. XXVIII, 28.

Il faut aussi circoncire votre bouche, afin qu'elle se contente d'une nourriture frugale et simple, et qu'elle déteste les mets exquis et tous les raffinements que nous portons à notre entretien, comme des inventions de la chair, propres seulement à servir d'aliment à notre orgueil et d'encouragement à nos passions. Il faut circoncire vos mains, pour qu'elles ne commettent pas de vol, qu'elles ne s'enrichissent pas des dépouilles du pauvre, ou bien qu'elles n'en lèvent pas à l'ouvrier le prix de son travail. Surtout, mes très chers frères, travaillez à circoncire votre langue. Priez Dieu de vous accorder son secours dans cette œuvre si difficile, et dites-lui avec le Prophète : « Placez, Seigneur, une garde à ma bouche, et une porte à mes lèvres. » Pune, Domine, custodiam ori meo, et ostium circumstantiæ labiis meis. Ps. CXL, 3. Ce saint homme comprenait combien on triomphe difficilement de la langue ; on la comprime en effet avec une difficulté extrême, tant elle est portée à la calomnie, à l'outrage, au mensonge, tant elle se répand en propos inutiles et superflus, coupables et honteux, malgré le compte sévère qu'elle doit en rendre un jour. Demandons à Dieu qu'il contienne l'impétuosité de notre langue, afin que nous ne disions rien qui ne tourne à sa gloire, au bien du prochain et à notre propre salut. « L'homme, dit Salomon, prépare son âme, mais Dieu gouverne la langue. » Prov. XVI, 1.
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Laetitia
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Les affections intérieures et les mauvais désirs doivent être le troisième objet de cette même circoncision. Il y a au fond de nos cœurs un levain secret de concupiscence qui est la source de tous nos appétits déréglés et de toutes nos passions coupables ; si nous n'y prenions garde, nous sentirions bientôt s'allumer au dedans de nous les feux de tous les crimes. Dans ces abîmes reculés de notre cœur s'agitent en désordre l'ambition, le plaisir, l'avarice, la colère, l'envie, la discorde, la haine, la vengeance, l'égoïsme, et toutes ces passions violentes qui nous détournent des choses célestes pour nous ramener sur la terre. Les maux qui tourmentent l'esprit ont aussi leur origine dans ces replis cachés du cœur ; le Seigneur nous en avertit lui-même dans ces paroles : « C'est du cœur que viennent les mauvaises pensées, les homicides, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes. » De corde exeunt cogitationes malæ, homicidia, adulteria, stupra, furta, fulsa testimonia, convicia. Matth. XV, 19.

Comprenez-vous, après cela, qu'il soit utile de porter la cognée·au pied de l'arbre, et d'arracher jusque dans leurs racines les plus éloignées les germes de tous ces maux ? Moïse, dans l'ancien Testament, recommandait au peuple cette circoncision du cœur : « Ayez donc soin, lui disait-il, de circoncire votre cour, et ne vous endurcissez pas davantage. » Deut. X, 16. L'apôtre saint Paul explique et confirme ce précepte de la loi de Dieu en professant qu'il rejette loin de lui les intentions ténébreuses. Ainsi doivent faire ceux qui, armés du glaive de la crainte de Dieu, arrachent de leur cœur les germes innombrables du péché qu'il contient. Cette circoncision est réellement la circoncision spirituelle, figurée naguère par la circoncision de la chair, et annoncée déjà sous l'ancienne loi par la circoncision des arbres que le Très-Haut avait imposée à son peuple; témoignage frappant du prix que Dieu y attache.

Enfin, mes très-chers frères, le dernier objet de cette circoncision sera notre intelligence. Nous nous attacherons à la détacher de toutes les images terrestres qui peuvent la troubler et ternir la pureté de ses prières ; il faut à la prière un recueillement parfait et un isolement absolu de l'âme; si celle-ci n'est pas débarrassée des soucis extérieurs, qui sont comme les épines, elle ne priera jamais purement. Notre intelligence occupe si peu de place, qu'elle ne peut se porter à la fois pleinement sur deux objets différents ; si elle s'occupe de Dieu, elle ne songe pas à la terre, mais si elle ouvre sa porte aux vaines images terrestres, c'en est fait de la pensée de Dieu. C'est pourquoi, chrétiens, vous tous qui voulez prier Dieu dans toute l'ardeur de votre foi et de votre amour, vous écarterez de votre esprit, autant qu'il vous sera possible, toutes les pensées, toutes les préoccupations étrangères à la piété ; vous ne seriez à Dieu qu'à demi, si vous les laissiez pénétrer jusqu'à vous.

Pour en arriver là, ce n'est pas trop d'une vigilance continuelle et d'une lutte non interrompue; notre esprit inquiet et volage s'applique difficilement pendant longtemps à un même objet. Vos efforts seront stériles, si vous n'arrachez en même temps les racines du mal, c'est-à-dire l'amour des biens de la terre, parce que l'intelligence et le cœur marchent ensemble, comme le dit le Seigneur dans l'Evangile : « Votre cœur sera où est votre trésor ; » Ubi est thesaurus tuus, ibi est et cor tuum. Matth. VI, 21.Ne vous plaignez donc pas de l'aridité de vos prières ; n'accusez pas la nature des distractions qui vous assiègent quand vous priez ; c'est plutôt vous que vous devriez accuser ; c'est plutôt votre attachement aux biens de ce monde, qui est cause de vos aridités spirituelles. Insensé ! vous ne songez qu'à la terre, et vous vous étonnez d'être distrait par la terre ! Comment voulez-vous que votre entendement se détache de ce que vous poursuivez sans cesse de toute la violence de votre amour ?

(à suivre)
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Laetitia
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Telle est, chrétiens, la circoncision spirituelle que Dieu exige de nous. C'est à la condition d'être ainsi circoncis, que nous pourrons observer ce pacte de l'amour et le garder inviolable et sacré. Dieu, qui nous a créés, sait bien ce dont nous sommes capables ; il n'ignore pas que l'amour des choses du ciel croîtra en nous,dans la mesure de l'affaiblissement de l'amour des intérêts matériels et humains.

En parlant sur ce sujet, saint Grégoire disait : « Si nous refusons de servir la chair, ce sera au profit de l'intelligence. » Il faut que l'activité de l'esprit s'exerce ; défendez-lui de se produire au dehors, elle se produira au dedans; car l'esprit contenu, qui ne se répand pas sur les objets extérieurs, a besoin d'agir sur lui-même, et de vient l'objet même de ses propres réflexions. Ainsi un arbre, qui ne peut se développer par ses rameaux, croît et augmente forcément dans le sens de sa hauteur. Apportez à l'accomplissement de cette loi les dispositions que je vous ai suggérées ; efforcez-vous d'opérer en vous cette circoncision sérieuse et sincère de vos mauvaises inclinations et de vos fautes ; je ne doute pas, mes frères, que nous ne parvenions à une autre circoncision à la fin de notre vie. La vie est courte, et le huitième jour sera bientôt arrivé. Nous n'aurons plus à lutter contre l'impétuosité de notre nature et de nos penchants déréglés ;mais nous oublierons, dans la félicité d'une joie parfaite, nos travaux, nos douleurs, nos larmes et nos ennuis ; nous entendrons le divin Maître nous adresser ces douces paroles : « Courage, serviteur bon et fidèle ; parce que vous avez été fidèle dans les petites choses, je vous confierai une grande mission ; entrez dans la joie de votre Maitre. » Euge, serve bone et fidelis ; quia in pauca fuisti fidelis, supra multa te constituam ;. intra in gaudium Domini tui. Matth. XXV, 21. Puissions-nous ne jamais entendre d'autres paroles de la bouche de Jésus-Christ notre Seigneur, qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il
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