Homélie pour le XXIVe et dernier dimanche après la Pentecôte

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Homélie pour le XXIVe et dernier dimanche après la Pentecôte

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HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES DE TOUS LES DIMANCHES DE L'ANNÉE
par M. GRANET Curé archiprêtre de Séderon
Avec approbation de Mgr l'Évêque de Valence.
1860

XXIVe et dernier dimanche après la Pentecôte

ÉVANGILE.

Abomination dans le lieu saint. — Fuite. — Maux extrêmes. — Faux christs.
— Élus presque séduits. — Assemblée des aigles. — Soleil obscurci. — Avènement de Jésus-Christ.

« Quand vous verrez l'abomination de la désolation, qui a été prédite par le prophète Daniel, dans le lieu saint (que celui qui lit ceci entende bien ce qu'il lit, ) alors que ceux qui sont dans la Judée s'enfuient sur les montagnes ; que celui qui sera en haut du toit n'en descende point pour emporter quelque chose de sa maison, et que celui qui sera dans les champs ne retourne point chez lui pour prendre sa robe. Mais malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices en ce temps-là ! Priez donc que votre fuite n'arrive point durant l'hiver, ni au jour du sabbat. Car l'affliction de ce temps-là sera si grande qu'il n'y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde, et qu'il n'y en aura jamais. Et si ces jours n'avaient été abrégés, nul homme n'aurait été sauvé ; mais ils seront abrégés à cause des élus. Alors si quelqu'un vous dit : Le Christ est ici ou il est là, ne le croyez point. Car il s'élèvera de faux christs et de faux prophètes, qui feront de grands prodiges, et des choses étonnantes, jusqu'à séduire, s'il était possible, les élus mêmes. J'ai voulu vous en avertir auparavant. Si donc on vous dit : Le voilà dans le désert, ne sortez point. Le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, ne le croyez point. Car comme un éclair qui sort de l'orient paraît jusqu'à l'occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l'homme. Partout où se trouvera le corps les aigles s'y assembleront. Mais aussitôt après ces jours d'affliction, le soleil s'obscurcira, et la lune ne donnera plus sa lumière : les étoiles tomberont du ciel, et les vertus des cieux seront ébranlées. Et alors le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel ; et à cette vue tous les peuples de la terre s'abandonneront aux pleurs et aux gémissements ; et ils verront le Fils de l'homme qui viendra sur les nuées du ciel avec une grande puissance et avec une grande majesté. Et il enverra ses anges qui feront entendre la voix éclatante de leurs trompettes, et qui rassembleront les élus des quatre coins du monde, depuis une extrémité du ciel jusqu'à l'autre. Apprenez une comparaison prise du figuier : quand les branches sont déjà tendres, et qu'il commence à pousser ses feuilles, vous savez que l'été est proche. Ainsi lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez qu'il est près, et qu'il est à la porte. Je vous dis en vérité que cette génération ne passera point que toutes ces choses ne soient accomplies. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. » (Matth. , XXIV, 15-35 ; Marc., XIII, 14 et suiv.; Luc., XXI, 20 et suiv. )

HOMÉLIE.

Sicut enim fulgur exit ab oriente, et paret usque in occidentem : ita erit et adventus Filii hominis. Car comme un éclair qui sort de l'orient paraît tout d'un coup jusqu'à l'occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l'homme. (Tiré de l'évangile de ce jour. )

J'entre brusquement en matière, mes frères, et, appliquant au jugement particulier, que chacun de nous aura à subir, ce que Jésus-Christ dit ici de la subite apparition du Fils de l'homme, je dis à tous : Comme un éclair qui sort de l'orient paraît tout à coup jusqu'à l'occident, ainsi sera le jour de notre mort, de notre jugement par conséquent. Cette mort et ce jugement viendront tout à coup, au moment où nous y pensons le moins, et ils envelopperont, comme dans un immense filet, tous les hommes qui sont sur la terre, sans qu'un seul puisse leur échapper. (Luc, XXI, 34 et 35.)

Or, voici ce que je me propose de vous dire sur ce grave sujet, que vous écouterez, du reste, avec une religieuse attention, parce qu'il renferme pour nous de puissants motifs de crainte et d'amour de Dieu, d'horreur du péché, et aussi une raison de mériter, par une conduite régulière et chrétienne, les miséricordes du Juge souverain des vivants et des morts. Est-il bien vrai qu'il y ait un jugement particulier ? Quelles sont les circonstances de ce jugement ? O bienheureuse vierge Marie, toujours pure et immaculée, vous êtes tout à la fois la mère de Dieu et celle du pauvre coupable : O felix Maria, tu mater Dei, tu mater rei. O vous, mère du Juge terrible et du triste exilé : Tu mater judicis, tu mater exsulis. O Marie, notre unique espérance, puisque vous êtes la mère de deux enfants si différents, ne souffrez pas, ô Mère de miséricorde, que votre Fils juge perde pour l'éternité votre fils coupable : Cum sis ergo mater utriusque filii, ne sinas filium reum filio judice damnari.
Mais venez à notre secours, et inspirez-nous de vifs sentiments de repentir, afin que le Dieu qui pardonne, pressé par vos vives instances, nous appelle enfin dans la céleste patrie : Sed adjuva pœnitentem, ut filius Deus vocet filium exsulem in patriam.

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PREMIER POINT.


Est-il bien vrai qu'il y ait un jugement particulier? Je suis homme, je suis chrétien, et, en cette double qualité, je ne puis répondre que par un oui affirmatif : le doute n'est pas permis. La parole de Dieu, l'autorité de l'Église, et la raison elle-même établissent cette proposition, et me disent également qu'à la mort je dois être jugé. Reprenons.

La parole de Dieu. Ici, mes frères, les preuves surabondent : l'embarras n'est que dans le choix. De même qu'il a été résolu de toute éternité que l'homme doit mourir une fois, dit saint Paul, de même aussi il a été résolu que la mort doit être suivie du jugement particulier. (Heb. , IX, 27.) Vous le voyez, l'Apôtre ne prend pas la peine de prouver cette vérité ; mais il l'affirme simplement, il la suppose reconnue de tout le monde, sur laquelle il ne peut y avoir le moindre doute, à tel point qu'il s'en sert pour prouver et établir, contre les Juifs qui le contestaient, que Jésus-Christ était mort une seule fois pour expier les péchés des hommes. (Ibid., 28 ; I Pet. , n, 18. )

Le Sage n'est pas moins explicite, et ses paroles sont très-remarquables. Les voici : La malice des hommes est bien grande, dit-il ; le mal présent leur fait oublier la luxure épouvantable à laquelle ils s'abandonnent. Mais à la mort tout change, car à cette dernière heure arrive pour eux la manifestation éclatante de leur conscience : toutes leurs œuvres sont enfin découverte et connues : Et in fine hominis denudatio operum illius. (Eccli. ,XI, 29. )

Au reste, c'est dans la pensée de ce jugement qu'il se consolait, comme nous devons le faire nous-mêmes, en voyant les scandales du monde, l'impiété dans le lieu du jugement, et l'iniquité dans celui de la justice. Alors je me suis dit dans mon cœur : Le Seigneur jugera le juste et le coupable : ce sera le temps de la manifestation de toutes choses, car, après la mort, les justes et les coupables seront punis ou récompensés selon leurs œuvres. (Eccli., III, 16 et 17, et XI, 19.)

Vous le voyez, mes frères, pour être jugés, condamnés ou absous, nous n'aurons pas besoin d'attendre le jugement général, ces grandes assises du genre humain, ce jour que le Prophète appelle, par excellence, le grand jour du Seigneur : Dies Domini magnus. (Soph., 1, 14. ) Non, encore une fois, nous n'aurons pas besoin d'attendre ce grand jour du Seigneur, qui est proche, pour être jugés : car à la mort nous aurons tous à comparaître devant le tribunal de Dieu. Cités en sa présence, il faudra rendre compte, et un compte exact de tout ce que nous aurons fait, bon ou mauvais. (Eccli., XII, 14.) Vérité terrible sans doute, mais aussi infiniment salutaire. Job la rappelait aux hommes de son temps pour les engager à bien vivre. (Job, XIX, 29. ) Et saint Paul, pour un motif semblable, écrivait aux Corinthiens : N'oublions pas que tous, sans exception, nous aurons à comparaître devant le redoutable tribunal de Jésus-Christ, et à rendre un compte exact de toutes les actions bonnes ou mauvaises que nous aurons faites. (II Cor. , v, 10. ) Oui, nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ : Omnes enim stabimus ante tribunal Christi. (Rom., XIV, 10.) Sur ce point, pas la moindre incertitude, le moindre doute : nous n'échapperons pas plus à ce tribunal qu'à la mort, et, s'il est certain que je dois mourir, je suis également certain que je serai jugé : Statutum est hominibus semel mori, post hoc autem judicium.

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L'autorité de l'Église. Jésus-Christ a établi son Église pour être le fondement et la colonne de la vérité : Columna et firmamentum veritatis. (I Tim., n, 15. ) Il est avec elle pour l'empêcher de se tromper, et de nous induire en erreur : écouter l'Église, c'est écouter Jésus-Christ lui-même. (Luc., x, 16. ) Or, que nous dit-elle sur ce dogme du jugement particulier ?

J'ouvre le catéchisme qu'elle met entre les mains de ses enfants pour les instruire sur les éléments de la foi, et je vois qu'il y a deux jugements : le jugement particulier et le jugement universel. Le jugement particulier, qui se fait à la mort de chacun de nous, est la sentence que Jésus-Christ prononce, et cette sentence fixe notre sort pour l'éternité. L'Église a toujours été persuadée de cette vérité, comme toujours elle a voulu que ses ministres l'inculquassent dans l'esprit et le cœur de ses enfants.

Aussi, dit saint Jérôme, ce qui aura lieu pour tous les hommes au jugement dernier, a lieu et se voit pour chacun d'eux à la mort. D'où nous devons conclure, avec saint Ambroise et saint Augustin, que le jugement universel, qui se fera à la fin du monde, après la résurrection générale, et où tous les hommes se trouveront, ne changera rien à notre sort : il est irrévocablement fixé à notre mort, et tels nous sommes alors, tels nous serons au dernier jour : Qualem in singulis invenerit, talem judicio futuro reservat. (S. Amb., De bon. mort., cap. IV, n. 15. )

Or, quoiqu'il soit vrai de dire que le jugement dernier ne changera rien à notre sort, ne révisera point, n'adoucira point la sentence portée contre nous, nous devons ajouter cependant que, dans les vues de la Providence, ce jugement est nécessaire. Il doit servir à manifester la puissance de Jésus-Christ, glorifier les justes, et confondre publiquement les pécheurs, surtout les impies, ces faux chrétiens qui, sous le manteau de la vertu, cachent les crimes les plus abominables. Alors, dit saint Jean, les livres étant ouverts : Et libri aperti sunt (Apoc., XX, 12), la conscience des hypocrites sera clairement manifestée, les péchés les plus cachés, les plus honteux, ceux dont ils auront le plus à rougir, seront découverts et connus de tout le monde.

La raison enfin. Au langage de la foi, à l'autorité de l'Église, ajoutons les lumières de la raison : nous aurons alors la démonstration complète de cette importante vérité. Nous pourrions citer sur ce point le témoignage des païens d'autrefois, comme de ceux qui vivent aujourd'hui. Ces hommes, privés des lumières de la foi, nous disaient pourtant sur ce jugement particulier des choses qui feraient rougir de honte tous ces mauvais chrétiens, tous ces impies modernes qui osent douter de ce jugement, ou plaisanter sur ce qui doit s'y passer : nous en trouverions de cette force, même parmi nous. Mais je n'en ferai rien à quoi bon d'ailleurs ? Ils en doutent, et ils en plaisantent, il est vrai : seulement ils savent bien pourquoi, et dans le fond ils le craignent bien plus qu'ils ne le disent, parce qu'ils croient malgré eux, et plus qu'ils ne le voudraient. Il me suffit que ma raison me dise que Dieu existe, pour que je sois persuadé, abstraction faite de la foi, que Dieu ne peut me punir ou me récompenser sans un jugement préalable où ma cause sera examinée et discutée. Car il doit être au moins aussi raisonnable que nous qui ne punissons ou récompensons qu'après examen. La connaissance que j'ai de la justice de Dieu ne me permet pas de douter de cette importante vérité. D'ailleurs, saint Augustin nous apprend, dans le livre de ses Confessions, qu'au plus fort de ses désordres, et au milieu des diverses opinions qu'il embrassa successivement, il ne put jamais étouffer, dans son cœur, ni la crainte de la mort et du jugement qui doit la suivre, ni la pensée du sort différent réservé aux justes et aux pécheurs : parce que la chose lui paraissait trop évidente. (Confess., lib. VI, cap. XVI n. 26. )
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Or, mes frères, à la vue de ce qui se passe au sein du christianisme, au milieu de nous, ne suis-je pas en droit de vous demander si vous croyez à ce jugement ? Oui, j'y crois, dites-vous ; je crois qu'il y a un jugement particulier. Mais alors si vous y croyez, pourquoi ne le craignez-vous pas ? Il est dit, au livre des Actes, que le président Félix, entendant saint Paul prêcher devant lui sur le jugement à venir, la justice et la chasteté, fut saisi d'épouvante et d'effroi. Ne pouvant soutenir un état aussi violent, il dit à l'Apôtre : Pour le présent retirez-vous : je vous ferai appeler quand il sera temps : Tempore autem opportuno, accersam te. ( Act., XXIV, 25. ) Cet homme était païen : il ne croyait pas au jugement, et il le craignait pourtant. Vous, vous êtes chrétiens, vous croyez à ce jugement, vous le dites tous les jours en récitant votre symbole, et vous ne le craignez pas ! Renverrez-vous à vous en occuper à un temps plus opportun, comme le président Félix ? Ce temps n'est pas venu pour lui, et il pourrait bien ne jamais venir pour vous.

Vous y croyez ! Pourquoi donc ne faites-vous rien pour prévenir ce terrible jugement, et vous le rendre favorable ? D'où vient que vous vivez comme si réellement il n'existait pas, comme si vous n'aviez rien à en redouter, comme si tout devait finir pour vous à la mort ? Ah ! si à l'exemple de Job nous craignions le Seigneur, si nous redoutions la sévérité de ses jugements, comme le matelot craint les flots de la mer qui se dressent furieux devant lui pour l'engloutir ; si nos crimes pesaient sur nos consciences, comme ces lourds fardeaux qui écrasent l'homme le plus fort, nous mettrions alors la main à l'œuvre, nous amenderions notre vie, et nous nous sanctifierions. Et, peu contents de cela, nous prierions le Seigneur de ne point entrer en jugement avec nous car, quel est celui qui peut être trouvé juste devant lui ? (Job, XXXI, 23 et Ps. CXLII, 2.)

N'oublions donc jamais, mes frères, la certitude de ce jugement particulier que nous aurons tous à subir. Ceci nous regarde vous et moi, le pasteur plus encore que le troupeau, parce que le compte que nous rendrons à Dieu sera proportionné à ce que nous aurons reçu. (Luc., XII, 48. ) Voyons maintenant quelles sont les circonstances de ce jugement.

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SECOND POINT.




Que nous soyons justes ou pécheurs, les circonstances qui précèdent le jugement particulier sont identiquement les mêmes : car pour les uns comme pour les autres ces circonstances sont la vie, la maladie et la mort.

La vie que nous menons sur la terre, voilà la matière sur laquelle roulera le jugement que nous aurons à subir : le monde est le théâtre de nos crimes ou de nos vertus, et c'est ici que s'instruit notre procès. Tandis que nous sommes ici-bas, nous voyons que de deux hommes qui travaillent dans les champs, l'un est pris et l'autre laissé ; de deux femmes qui font moudre au même moulin, l'une est prise et l'autre laissée (Matth., XXIV, 40 et 41), sans qu'ils aient pensé le moins du monde à ce terrible jugement. Permettez-moi, mes frères, cette simple observation. Dans une matière d'une aussi grande importance, occupons-nous un peu moins des autres, et pensons davantage à nous.

Je viens de vous dire que la vie que nous menons est la matière de notre jugement. Or, pourriez-vous bien me dire ce que nous y faisons pour nous préparer à ce jugement ? Dans notre conduite faut-il beaucoup d'actions propres à nous faire grâce au tribunal de Dieu, à obtenir un jugement favorable ? Ou plutôt, n'avons-nous pas à craindre le sort réservé à l'édifice de bois, de foin et de paille, dont parle saint Paul, et qui ne peut résister à la violence du feu qui doit l'éprouver ? (I Cor., III, 13. ) L'Apôtre dit bien que si l'édifice que nous avons construit résiste au feu, nous serons sauvés et récompensés ; mais il ajoute aussi que si cet édifice est consumé, ce sera une perte pour nous. Dieu veuille que nous n'ayons à nous reprocher que des fautes légères, pour lesquelles nous ne serons pas précipités en enfer ; mais qui nous laisseront entrer au ciel, après avoir subi la peine du purgatoire : Ipse autem salvus erit ; sic tamen quasi per ignem.

Je ne parle pas de la maladie qui précède la mort. Car il arrive malheureusement tous les jours que l'on meurt d'une manière subite et imprévue, et que, transporté soudain au tribunal de Dieu, on tombe entre les mains redoutables de son juge, sans passer par l'intermédiaire de la maladie. Et cette circonstance, qui manque alors, loin de diminuer les chances mauvaises qu'il y avait déjà contre nous, les rend et plus nombreuses, et plus mauvaises, et plus redoutables : puisque nous n'avons pas le temps de nous préparer.

Et de la mort, dernière circonstance qui précède immédiatement le jugement, qu'en dirons-nous ? Nous avons tous les jours sous nos yeux le spectacle de la mort : c'est un père, une mère, des enfants, des amis, que nous voyons mourir, et cependant nous ne savons pas ce que c'est que mourir ! Je vais tâcher de vous l'apprendre.

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Mourir ! c'est quitter tout, absolument tout..., parents, amis, famille, plaisir, fortune, maison, propriétés, biens, titres, rangs dans la société. C'est quitter notre village, notre pays, notre patrie, notre propre corps : dire adieu à tout cela ; mais l'adieu le plus triste, le plus lugubre, le plus déchirant, un adieu sans retour possible, sauf pourtant l'adieu à notre corps ; car il nous sera rendu au dernier jour, mais pour notre gloire ou pour notre opprobre éternels. (Dan., XII, 2. )

Mourir ! c'est être abandonné forcément de tout ce que nous abandonnons nous-mêmes,... de nos parents, de nos amis, de nos connaissances, qui ne s'occuperont plus de nous, ou du moins fort peu, et fort peu de temps. .. de nos héritiers eux-mêmes, qui, cachant à peine, sous une tristesse simulée, la joie dont leurs cœurs sont remplis, s'empareront avidement de notre héritage et nous oublieront plus rapidement encore. Ou bien, s'ils pensent à nous, ce sera pour se moquer de notre avarice qui les enrichit, ou pour nous maudire peut-être, parce que, trompés dans leur attente, ils n'ont pas trouvé dans nos trésors ce qu'ils espéraient, et nous refuseront leurs prières. Nous serons abandonnés enfin de tous ceux que nous aurons le plus aimés, et qui, fatigués bientôt de pleurer une personne de laquelle ils n'ont plus rien à attendre, n'auront pas même pour nous le moindre souvenir : Et quem maxime diligebam, aversatus est me. (Job, XIX, 19 et seqq.)

Mourir ! c'est quitter nos palais, nos hôtels, nos maisons ou nos chaumières, la société de nos semblables, pour être jetés dans une fosse profonde, froide, obscure, étroite, à quatre ou cinq pieds sous terre, renfermés entre quatre planches, sans autre vêtement qu'un méchant drap, sans autre société que les vers. Et là nous attendrons le grand jour de la résurrection générale, après toutefois que notre âme aura subi le jugement particulier pour être punie ou récompensée selon ses mérites : Affligetur relictus in tabernaculo suo. (Ibid., XX, 26. )

Mourir ! c'est passer de la vie à l'état le plus humiliant, le plus voisin de la non-existence, du néant. C'est entrer dans la région des ténèbres les plus épaisses qu'on puisse imaginer, où nous ne verrons rien, pas même notre propre destruction : dans le silence le plus profond, où nous n'entendrons rien, pas même le bruit sourd et lugubre que fera la terre en tremblant sur notre cercueil : dans l'insensibilité la plus complète, où nous ne sentirons rien, pas même le travail des vers qui rongeront notre cadavre. Là, dit le Prophète, ce corps que nous avons tant aimé et dont nous étions si orgueilleux, cette fragile beauté qui nous a fait tant de jaloux, auront pour couche et couverture la corruption, les teignes et les vers. Subter te sternetur tinea, et operimentum tuum erunt vermes. (Isa., XIV, 11. ) Ou bien, pour me servir des expressions plus énergiques de Job, nous dirons à la pourriture : C'est vous qui m'avez engendré : vous êtes mon père et ma mère ; et aux vers : vous êtes mes frères et mes sœurs (Job, XI, 14.).

Mourir enfin ! c'est pour notre âme sortir tout à coup de ce monde, quitter son corps, et entrer, en un clin d’œil, dans une région inconnue qui se nomme éternité. La vie est comme un voile impénétrable qui cache notre juge et le dérobe à nos regards : la mort déchire ce voile d'une main, et nous lance de l'autre au pied du tribunal de notre souverain juge, de la bouche duquel nous allons apprendre quel sera le lieu de notre retraite pour toujours. Arrêtons-nous là, mes frères, et après avoir examiné les circonstances qui précèdent le jugement, voyons celles qui y sont comme attachées : le temps et le lieu ; l'accusé, les accusateurs ; la défense et le juge.

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Le temps et le lieu du jugement. Le temps d'abord. Mais ce temps, mes frères, ce temps n'existe pas, ou, si vous l'aimez mieux, l'estimation, la computation de ce temps est impossible, faute de moyens d'appréciation. Car alors le soleil et la lune sont éteints, les astres n'existent plus, et une fois morts et dans l'éternité, il n'y a plus d'horloge. Au sortir de cette vie et dans l'autre qui vient après, ce n'est plus le temps et les heures que l'on compte, mais bien la manière dont nous avons vécu. Non est enim in inferno accusatio vitæ. (Eccli., XLI, 7. ) Mourir, être jugé, condamné ou absous, c'est un seul et même moment.

Mais pour qu'il vous reste de ce que je dis quelque chose qui puisse vous frapper, rappelez-vous ce que vous avez vu, quand il vous a été donné d'assister à la mort d'un parent, d'un ami ou d'une personne quelconque : ce sera la même chose pour vous. Vous voilà donc arrivé à votre dernière heure, étendu sur un lit de douleur, n'ayant plus qu'un souffle de vie, luttant péniblement avec la mort, et vous débattant sous les étreintes de l'agonie. Je vois autour de vous vos parents, vos amis, vos enfants, votre garde-malade. La lampe à la main, au milieu du plus profond silence, ils interrogent vos yeux et vos lèvres pour y voir, y surprendre un signe, un souffle de vie : ils touchent votre pouls, ils mettent la main sur votre cœur, pour s'assurer s'il y a encore quelques pulsations, quelques battements. .. Il est mort, dit l'un ; pas encore, dit l'autre, il me semble que le cœur bat. On place une glace sur votre bouche, puis on la retire. Il est mort, dit l'un ; pas encore, dit l'autre. Voyez, la glace est ternie de son souffle. Et tandis que l'on se demande, que l'on examine si vous êtes mort, ou non, vous avez comparu devant votre juge, votre compte est rendu, vous êtes condamné ou absous, vous n'êtes plus du temps, vous êtes de l'éternité. Tout est fini pour vous ; mais aussi tout commence pour ne finir jamais. Je vous le répète de nouveau : mourir, être jugé, condamné ou absous, c'est l'affaire d'un seul, d'un même moment : un clin d'œil suffit. Donc, après la mort le jugement. Mais dans quel lieu serez-vous jugé ?

Et que vous importe de le connaître ? A quoi vous servirait de savoir le lieu où sera dressé le tribunal devant lequel vous allez comparaître ? Cela changera-t-il votre sort ? Vous serez jugé : voilà ce qu'il vous importe de savoir. Mettez donc le lieu du jugement où vous voudrez, peu importe encore une fois. Pour moi, je ne vois aucun inconvénient à ce que la procédure soit instruite dans le lieu où vous venez de mourir, et que le tribunal du juge soit dressé dans votre chambre, témoin peut-être de tant de dissolutions, sur les murs de laquelle je vois suspendus des tableaux propres à alarmer la pudeur, au milieu du fruit de vos rapines, de vos usures, de vos injustices, en face de votre lit. Votre âme est donc jugée en présence de son cadavre encore chaud, en présence de ceux qui vous environnent, témoins involontaires de votre mort, de la scène terrible qui se passe sous leurs yeux sans la comprendre, et sans songer qu'un jour, bientôt peut-être, ils en seront là. Il est mort, elle est morte, dit-on. Oh ! c'était une bien brave personne ! Silence : Dieu peut-être ne pense pas comme vous. Cette personne est jugée heureux ou malheureux, son sort est fixé pour toujours. Pensons-y sérieusement, prions pour le mort, tremblons pour nous, et préparons-nous bien. Voilà pour le temps et le lieu.
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L'accusé. L'accusé, mes frères, ce sera vous qui m'écoutez ; ce sera moi qui vous parle, nous tous enfin, et chacun à notre tour. Ce sera donc nous ; mais seuls, solitaires, nous garderons le silence devant notre juge, parce que son arrêt, comme un joug bien lourd, pèsera sur nous : Sedebit solitarius, et tacebit : quia levavit super se. (Thren., III, 28. ) Notre âme paraîtra seule devant Dieu : non pas précisément seule, car une nombreuse compagnie se trouvera avec elle, c'est-à-dire nos œuvres bonnes ou mauvaises, nos vices ou nos vertus nous suivront au tribunal de Dieu : Opera enim illorum sequuntur illos. (Apoc., XIII, 14.)

Et remarquons bien ceci : dans le ciel, les justes sont enivrés par l'abondance des biens que Dieu répand sur eux ; ils sont abreuvés dans un torrent de plaisirs ineffables, et c'est dans la lumière divine qui les environne qu'ils voient cette même lumière. (Ps. XXXV, 10.) Et nous aussi, pauvres et malheureux pécheurs, éclairés tout à coup par cette lumière de l'éternité, par la lumière de Dieu, qui dissipera les ténèbres épaisses et volontaires dont nous avions couvert notre intelligence pour ne rien voir, ne rien comprendre, afin de ne rien pratiquer, et de n'être point obligés à nous convertir (Act., XXXVIII, 27), nous verrons toutes nos œuvres. Mais ce n'est point assez : et si nos œuvres nous sont ainsi connues, nous connaîtrons de plus les motifs les plus secrets, les plus cachés, les plus honteux qui nous ont fait agir, et qui ont été comme l'âme de toute notre conduite. Hélas ! mes frères, sera-ce pour notre gloire ou pour notre honte ? (I Cor., IV, 5.)

Notre âme, embrassant alors d'un seul regard toute notre conduite, verra réunis dans un seul et même tableau, toutes ses pensées, tous ses désirs, toutes ses affections, toutes ses paroles, toutes ses actions ou omissions ; l'étendue des obligations de son état, les grâces abondantes que Dieu lui avait faites pour les accomplir, et dont elle a abusé (Job, XXIV, 23) ; le temps, ce bien si précieux qui lui était donné pour pratiquer la vertu, fuir le péché, réparer le mal qu'elle avait commis, et qu'elle a si mal employé. Je ne veux pas entrer dans le détail du compte que nous aurons à rendre que chacun de nous le fasse en son particulier. Nous nous verrons donc tels que nous sommes : In lumine tuo videbimus lumen. Dieu ! mes frères, quelle vue et quelle épouvantable situation !

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Un impudique en présence d'un Dieu si pur, qui ne se plaît qu'au milieu des lis de cette pureté infinie qui fait sa nourriture (Cant., I, 16) ; si pur, qu'il trouve des taches même dans ses créatures les plus parfaites (Job., IV, 18 et 25 ; v, 6).

Un orgueilleux en présence d'un Dieu anéanti dans son incarnation jusqu'à se faire homme, se faire chair et prendre la forme d'un vil esclave, d'un pécheur, du péché. (Joan., 1, 14 ; Phil., II, 6.)

Un envieux en présence de celui qui, d'une main libérale, répand ses dons sur toutes les créatures, fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et donne à tous la pluie qui féconde les champs, et nourrit les hommes et les animaux. (Matth., v, 45. )

Un avare en présence du Dieu de la crèche, venu pauvre au monde, né de parents pauvres. Le travail et la pauvreté la plus complète ont été le partage de toute sa vie ; il n'avait pas même un lieu pour reposer sa tête, et il est mort dans un tel dénûment, qu'il a eu besoin qu'on lui fît l'aumône d'un suaire et d'un tombeau.

Un gourmand, un sensuel, un homme de joyeuse vie en présence du Dieu du jardin des Olives, flagellé, couronné d'épines, couvert de crachats, souffleté, abreuvé de fiel et de vinaigre, mourant attaché à la croix par d'énormes clous.

Un homme colère, emporté en présence du Dieu qui se taisait devant son juge, et qui se laissait conduire à la mort sans ouvrir la bouche pour se plaindre.

Un vindicatif en présence de ce Jésus qui, après nous avoir ordonné de pardonner, d'aimer nos ennemis, meurt en faisant entendre du haut de sa croix ces paroles, qui seront à jamais la condamnation de nos haines, de nos vœux exaucés et de nos ressentiments éternels : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc, XXIII, 34. )

Un paresseux, qui a négligé tous ses devoirs d'homme et de chrétien, les affaires du temps, et plus encore celles de l'éternité en présence de Dieu, qui a voulu que l'homme, même innocent, travaillât, en présence de Jésus-Christ, qui nous a donné l'exemple du travail, dans lequel il a été toute sa vie, parce qu'il était pauvre. (Ps. LXXXVII, 16. )

Un indifférent en matière de religion, comme il y en a tant aujourd'hui en présence du Dieu qui nous commande de l'aimer de tout notre cœur, de toutes nos forces ; tandis que lui, ingrat et indifférent, ne pensait pas à son Dieu, et lui a refusé constamment et son amour et ses services.

Un pécheur, enfin, couvert de crimes en présence du Dieu trois fois saint, et qui devient maintenant pour lui un juge terrible. Oui, ce Dieu va prononcer contre lui un arrêt irrévocable, après avoir entendu toutefois les accusations ou les témoins qui vont déposer contre le coupable.
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Laetitia
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Re: Homélie pour le XXIVe et dernier dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

Les accusateurs. En ce moment suprême, dit saint Jérôme, il n'y aura plus lieu à se présenter devant Dieu avec impudence et effronterie ; il n'y aura pas moyen de nier les accusations qui pèseront sur nous. Cela est absolument impossible : les anges, les hommes, l'univers tout entier sont des témoins qui déposent contre le pécheur : Cum omnes angeli et mundus ipse testes sint peccatorum.

Oui, mes frères, le démon, les anges, notre conscience, ou plutôt nos œuvres, tels sont les accusateurs que Dieu assemblera contre nous : Instauras testes tuos contra me. ( Job., x, 17. ) Étonnons-nous après cela si le saint homme Job se plaint avec tant d'amertume, de ce que Dieu multiplie contre lui les effets de sa juste colère, et de ce que les maux qui l'affligent sont réunis autour de lui comme une armée d'ennemis implacables. (Ibid. )

Et d'abord, le démon. Un jour, est-il dit au livre de Job, il arriva que les enfants de Dieu, c'est-à-dire les anges, s'étant présentés devant le Seigneur, Satan se trouva au milieu d'eux. ( Job, 1, 6. ) Or, ce que fit le démon alors, il le fera également au moment de notre mort, et, se présentant devant le tribunal de Dieu en même temps que nous, il se constituera notre accusateur. Il prendra la parole contre nous et établira notre acte d'accusation sur les paroles par lesquelles nous nous étions engagés au service de Dieu Præsto aderit adversarius diabolus, et recitabuntur verba professionis nostræ (S. Aug. )

Homme, chrétien, confirmé, prêtre, il nous jettera à la face et nous reprochera brutalement tout ce que nous avons fait : il citera le jour, l'heure, le lieu où nous avons péché, opposant à ce mal le bien que nous étions obligés de faire. (Exerc. S. Ignat. )

(à suivre)
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