Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

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Laetitia
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Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

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Quarante-sixième sermon de Saint Vincent de Paul.

LE PARADIS.

Inebriabuntur ab ubertate domus tuæ, et torrente voluptatis tuæ potabis eos.
Ils seront enivrés de l'abondance des biens de votre maison, vous les abreuverez du torrent de vos délices.
(Psal. XXXV, 9. )

C'est assez, mes Frères, avoir fait retentir cette chaire des foudres et des carreaux de la justice de Dieu ; c'est assez vous avoir épouvantés et saintement effrayés des rigueurs de sa colère ; il ne faut pas toujours parler de la mort, du jugement et des peines du péché ; il faut dire quelque chose de la vie du ciel aussi bien que de celle de l'enfer. Il y a, dit saint Augustin, deux points qui font tous les mouvements de notre âme : la crainte et l'espérance.

La fin et le but de toutes nos missions est de porter les peuples à l'horreur du péché, à l'amour et à la poursuite de la vertu. Nous avons jusqu'ici tâché de vous y exciter par des motifs de crainte, en vous représentant les rigueurs épouvantables que la justice de Dieu exerce sur le péché et sur les pécheurs ; je veux aujourd'hui vous y conduire par des voies plus douces, c'est à dire par l'idée et la représentation de la récompense éternelle qui attend dans le ciel ceux qui seront fidèles à Dieu sur la terre.

Cette matière servira à deux sortes de personnes, aux bons et aux méchants : elle encouragera de plus en plus les bons au service de Dieu, quand ils considéreront la récompense infinie que Dieu leur prépare ; elle excitera les méchants à sortir de l'état malheureux du péché, en leur donnant à réfléchir sur les biens immenses dont ils seront à jamais privés, s'ils ne se convertissent et ne changent de vie conformément à cette pensée.

Je m'en vais vous représenter l'état de la gloire éternelle comme une lumière éclatante et divine qui élèvera l'entendement humain jusqu'à l’Être divin, et qui, dans le sein de la Divinité comme dans un miroir sans tache, lui faisant voir toutes les vérités éternelles et toutes les créatures, rendra les saints heureux de la même béatitude dont Dieu se rend lui-même bienheureux. Oh ! que cela est admirable ! Et c'est là mon premier point. Secondement, je vous montrerai la gloire éternelle comme un embrasement sacré des flammes de l'amour de Dieu, qui transforme en l'essence divine : voilà le deuxième. Troisièmement, je vous la ferai voir comme un torrent de plaisirs et un abîme de délices dont ils sont inondés pour toute la suite des siècles éternels : c'est le troisième. Voilà, mes chers Frères, mon dessein de ce jour. Plaise à Dieu qu'il réussisse ! C'est ce que nous demandons au Seigneur par l'entremise de la Reine de l'Église triomphante, qui est aussi la mère de l'Église militante, en lui disant avec l'Ange : Ave, Maria.

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PREMIER POINT.

Je dis donc, premièrement, que les bienheureux qui sont consommés d'amour dans le sein de Dieu et qui le posséderont dans tous les siècles dont se forme l'éternité, ne sont bienheureux que par la connaissance claire et parfaite de Dieu qu'ils voient, qu'ils découvrent et qu'ils contemplent face à face par la vertu de la lumière de gloire dont ils sont revêtus.

Voilà, mes Frères, une vérité constante de notre religion et un article de notre foi, qui est répandu dans toutes les pages sacrées de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance. C'est pour cela que le Thaumaturge ne demandait autre chose à Dieu que de voir sa face adorable : Seigneur, si j'ai été assez heureux pour vous rendre quelque agréable service, je ne vous demande autre chose, pour récompense, que de voir votre visage. Je ne m'étonne pas si les saints Pères de l'Ancien Testament n'ont point fait à Dieu ni de plus fervente prière, ni de plus ordinaire demande que de voir la face de Dieu : « Seigneur, accordez - nous un rayon de votre vue adorable ; faites-nous envisager votre face adorable, et nous serons sauvés, et notre bonheur sera éternellement consommé. » (Psal. LXXIX, 5, 8, 20. ) Ô regard de la Divinité, quand est- ce que nous vous posséderons ? Âme chrétienne, tu travailles à diminuer tes passions, tu te fais violence, tu crucifies ta chair, tu macères ton corps, tu es toujours en armes contre les inclinations de la nature corrompue, tu prends en patience les injures, les outrages, les douleurs, la pauvreté, en un mot tu souffres pour conserver la pureté de ton cœur ; mais courage ! tu seras bienheureuse et la vue de la face de ton Dieu fera bientôt le comble de ta félicité : Domine, ostende faciem tuam, et salvi erimus. Le Fils de Dieu l'a dit plus clairement encore : « Bienheureux les purs de cœur, car ils verront Dieu ! » (MATTH., V, 8. )

Mes chers Auditeurs, vous vous trompez lourdement ; vous cherchez votre bonheur, mais vous ne le trouvez pas, parce que vous le cherchez où il n'est pas. Vous le cherchez ici-bas, dans les biens de la terre, dans les plaisirs, dans les honneurs ; vous vous trompez, encore un coup : Hæc est vita æterna. Ah ! qu'on ne cherche point en ce monde d'autre vie que celle de la grâce, point d'autre que celle de la gloire dans l'éternité. Dans ce monde, la grâce de la foi nous fait connaître Dieu ; et cette connaissance et cette vue nous préparent à la gloire de la vie éternelle.

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Il est écrit de Salomon que sa face était si majestueuse et si éclatante en beauté qu'elle charmait tous ceux qui la contemplaient, que tous les rois étrangers désiraient avec passion en voir les traits ravissants : Omnesque reges terrarum desiderabant videre faciem Salomonis. ( II Par., IX, 23. ) Dieu du ciel, quelle doit être votre face adorable ! si charmante et si belle que non-seulement les princes et les rois désirent la contempler, mais même les Chérubins, les Séraphins et tous les esprits bienheureux : In quem desiderant Angeli prospicere. (I PETR., 1, 12. ) Quel contentement de voir Dieu face à face, et comme il est en lui-même !

Je ne suis plus surpris de tant de soupirs poussés par les Saints, de tant d'extases qu'ils ont éprouvées, de tant d'empressement qu'ils ont témoigné dans leurs écrits, pour aller à Dieu et pour voir Dieu, particulièrement les Chrysostome, les Augustin, les Cyrille, les Cyprien, les Bernard et tant d'autres Desiderium habens dissolvi, et esse cum Christo, s'écriait saint Paul, « je souhaite et je désire de mourir pour m'unir à Dieu. (Phil., I, 23. ) Ah ! que je suis misérable d'être séparé de vous ! Ah ! que je m'estime infortuné de ne vous pas posséder ! ah ! vue de Dieu ! ah ! connaissance de Dieu, quand est-ce que je vous posséderai ? Ah ! divin regard ! ah! divine face ! quand est-ce que j'aurai le bonheur de vous voir ? Voilà, mes Frères, les désirs, les extases et les saints empressements de ces grands hommes ; pourquoi tout cela ? C'est parce que le premier de tous les maux, le seul mal, est la privation de Dieu ; et le premier de tous les biens, le seul bien, est la possession de Dieu ; et cette félicité des Saints ne s'obtient que par la connaissance et la claire vue de Dieu.

Mais, me direz-vous, comment se fait cette vision de la face et de la majesté de Dieu ? comment le Créateur peut- il être envisagé par les faibles yeux de la créature ? Je réponds avec les théologiens, en disant que ce grand Dieu, là-haut dans les cieux, se communique et se fait voir aux âmes bienheureuses, s'unissant à elles par le moyen de la lumière de gloire, qui est une qualité surnaturelle, un renfort céleste, une vertu toute divine élevant l'entendement humain au-dessus de ses forces et le rendant capable de voir l'essence divine. Cela est fondé sur ces paroles du Prophète royal : In lumine tuo videbimus lumen. (Psal. XXXV, 10.)

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Ah ! que n'ai-je le temps de vous expliquer ici tous les effets de la lumière de gloire, en suivant la grandeur de ce mystère ! Je dirai seulement, pour abréger, que cette lumière de gloire élève l'esprit humain au-dessus de toute chose, de sorte qu'un Saint est au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu, et ne connaît que Dieu au-dessus de soi. Et comme une âme, avec un seul degré de grâce, est au-dessus de ce qu'il y a de plus excellent et de plus noble dans la nature ; de même une âme, avec un seul degré de gloire, est au-dessus de ce qu'il y a de plus charmant dans l'état de la grâce. C'est aussi pour cela que saint Cyrille appelle l'état d'un bienheureux : Consortium divinitatis. C'est-à-dire qu'étant bienheureux, je suis le compagnon de Dieu, je suis l'associé de Dieu, je suis élevé jusqu'à la Divinité, et ce que Dieu est par nature, je le suis par participation et par dépendance : Consors divinæ naturæ, et il n'y a quasi rien qui nous sépare l'un de l'autre.

Cette élévation nous est merveilleusement bien représentée en la personne du patriarche Joseph. Pharaon le tire des fers, l'élève jusqu'au trône, le fait ministre de son État, l'établit son lieutenant général par tout son empire : Tu eris, lui dit-il, super domum meam. (Gen., XLI, 40. ) « Je te fais le surintendant de ma maison, » je veux que tu commandes à mes peuples et que tous mes sujets t'obéissent ; tu auras un pouvoir souverain et tu disposeras de toutes les charges de mon État ; je t'associe à mon empire ; en un mot, je ne serai élevé au-dessus de toi que d'un seul degré : Uno tantum regni solio te præcedam. Ô béatitude des Saints ! ô lumière de gloire, que ton élévation est grande ! Dieu peut dire aux bienheureux : Uno tantum regni solio te præcedam. Je sais que c'est un Dieu, que je suis auprès d'un Dieu, j'adore sa majesté ; mais la lumière de gloire m'élève si haut, que tout Dieu qu'il est, tout-puissant qu'il est, il ne peut m'élever plus haut, de sorte que tout ce qui n'est pas Dieu est au-dessous de moi.
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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

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Disons quelque chose de plus, sans craindre de nous trop avancer, savoir, que la lumière de gloire rend l'âme du bienheureux semblable à Dieu. Qui le croirait, mes Frères, si Dieu ne nous en avait assurés par la bouche de saint Jean ? Scimus enim quod cum apparuerit, similes ei erimus ( I JOAN., III, 2 ) : « Nous savons que si nous avons le bonheur de voir un jour notre Dieu face à face, nous serons semblables à lui. » Cela est bientôt dit, mais non pas sitôt compris.

Ainsi, les âmes des bienheureux étant pénétrées de la Divinité et rendues semblables à Dieu par la vue de cette adorable majesté et de toutes ses infinies perfections, il ne se peut dire ce que la lumière de gloire leur découvrira.

Elle leur fera voir tout ce qu'il y a en Dieu et tout ce qui est hors de Dieu ; elles verront toutes les grâces qui les ont sanctifiées, tous les soins que Dieu a pris pour elles, tous les secours que sa majesté leur a envoyés, toutes les vérités de l'Évangile qui nous paraissent présentement si obscures ; elles verront comment Dieu répand ses bénédictions dans les âmes, comment il sanctifie les uns par sa grâce et damne les autres par sa justice, comment il favorise les prédestinés sans faire tort aux réprouvés ; elles verront clairement tous les mystères de notre religion, l'économie merveilleuse de l'Incarnation, l'entreprise de la Rédemption ; mais surtout elles pénétreront les abîmes du mystère adorable de la Trinité ; elles contempleront éternellement comment, par une voie d'entendement, le Père éternel engendre son Fils, comment le Père et le Fils, s'entr'aimant mutuellement, produisent le Saint- Esprit ; ce grand mystère sera clairement exposé à leurs yeux, et c'est cela particulièrement qui les remplira de tant de joie et de douceur qu'on ne peut l'exprimer. On peut bien le sentir, mais non pas le dire.

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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

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Cependant il faut finir ce premier point par une moralité, en pleurant l'insensibilité de la plupart des chrétiens, qui vivent comme si Dieu ne les avait pas créés pour la gloire.

Je vous avoue que j'ai souvent déploré le pitoyable aveuglement d'une partie du peuple de Dieu, celui des fils de Ruben et de Gad. ( Num., XXXII, 1 et seqq. ) Ils avaient déjà passé la mer Rouge, et traversé pendant l'espace de quarante ans les plus vastes déserts et d'affreuses solitudes ; ils étaient tout prêts à franchir le Jourdain et sur le point d'entrer dans la terre de promission. Ces malheureux, au lieu de s'encourager à faire une dernière démarche pour prendre possession de cette terre de bénédiction, demandent à Moïse, comme une grâce singulière, qu'il leur permette de ne pas passer le Jourdain, parce que, lui disent-ils, dans celle de Jazer et de Galaad, nous trouvons des lieux fertiles et commodes pour la nourriture de nos bestiaux ; nous nous en contentons. C'est pourquoi nous vous supplions très humblement de nous l'accorder pour partage ; et pour cela nous renonçons de grand cœur et publiquement à notre portion dans la terre de promission. Hélas ! malheureux et pauvres aveugles, vous n'avez plus que le Jourdain à passer ; voilà déjà ses eaux qui par respect remontent vers leur source pour vous y faire un chemin à pied sec ; vous voilà sur le bord de cette terre qui regorge de douceurs, de commodités et de biens et pour vous et pour vos bestiaux.
― N'importe, disent-ils, nous y renonçons, et nous vous supplions de nous laisser ici. ― Encore si vous disiez que c'est une terre convenable pour des hommes, on vous comprendrait ; mais vous n'apportez d'autre raison de votre préférence, sinon qu'elle est propre à nourrir des bêtes !

Ah ! voilà bien la brutalité et l'insensibilité de la plupart des chrétiens de notre temps. Ils sont indifférents pour la gloire éternelle, et Dieu a beau la leur promettre avec serment, pourvu qu'ils remplissent ce qu'ils appellent leurs devoirs de chrétiens, ils vivent comme des personnes qui ne prétendent en rien à la gloire ; le présent l'emporte pour eux sur l'avenir ; la terre les touche plus que le ciel ; l'attache qu'ils ont aux biens de ce monde fait qu'ils ont à peine de faibles et légères pensées pour les biens du ciel ; ils souhaiteraient que Dieu les laissât toujours sur la terre, et ils renonceraient de grand cœur à leurs prétentions sur le ciel.
Mais il n'y a plus que le Jourdain à passer ; il n'y a plus que quelques difficultés à essuyer pour arriver au paradis. ― N'importe, la terre leur paraît plus désirable ; et pourquoi ? Regio uberrima est ad pastum animalium (Ibid., 4), parce qu'ils y trouvent de quoi paître des bêtes, de quoi contenter leurs passions et leurs sensualités.

Pourquoi, ô Chrétiens, qui êtes les vrais rejetons de l'âme et de l'esprit de Jésus-Christ, qui êtes les germes et les semences de l'éternité, pourquoi vous dégradez-vous si lâchement, et oubliez-vous ainsi la noblesse de votre nature ? Pourquoi vous rendez-vous si insensibles à votre unique bien ? Pourquoi trahissez-vous vos droits ? Pourquoi trompez-vous à ce point vos espérances ? Vous êtes destinés à voir Dieu face à face, à en jouir, à le posséder à jamais. Et, bien que vous ne sachiez pas ce que vaut Dieu, bien que vous ne voyiez pas le bonheur qui vous attend, demeurez fermes dans votre foi : State in fide. (I Cor., XVI, 13. ) Résistez à vos passions, je vous en conjure par les intérêts de votre salut et de votre éternité ; non-seulement vous êtes destinés à contempler à tout jamais la face adorable de votre Dieu ; mais encore à être consommés, enflammés, embrasés des divines flammes de son amour éternel : c'est le second degré du bonheur des Saints, et c'est aussi le second point de mon discours.

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SECOND POINT.

Je vous ai représenté l'état de la gloire comme une éclatante lumière qui pénètre les âmes des bienheureux, les élève jusqu'à l’Être divin et les rend capables de connaître et de voir clairement et face à face l'essence et la nature divine ; d'où il suit nécessairement, et c'est ce que j'ai à vous montrer dans le second point, que cette claire vision étant d'un objet infiniment parfait, infiniment beau et infiniment aimable, fait sur le cœur des Saints des impressions d'amour et de charité qui sont inconcevables et qui les transforment en Dieu ; de sorte que le cœur de l'homme qui a une capacité, une étendue infinies, et ne peut être rempli que de Dieu dans la gloire, se trouve tout pénétré et tout rempli des flammes de la charité et de l'amour.

Je vous demande, mes Frères, si vous comprenez jusqu'où va l'excès des flammes amoureuses qui embrasent les cœurs des Saints. Pour en connaître un échantillon, représentez-vous l'embrasement général qui fera la clôture des siècles et la consommation de tout cet univers. O Dieu ! Quel brasier ! quel incendie ! que de flammes, depuis l'orient jusqu'à l'occident, depuis le midi jusqu'au septentrion !

Pouvez-vous comprendre ce que c'est que ce feu ? Pouvez-vous vous figurer l'étendue, la hauteur, la largeur, la profondeur, la longueur et la violence de ces flammes ? Ce n'est pas tout ; ramassez par la force de votre imagination cent millions d'embrasements semblables à celui-là ; et après, dites que tout cela n'approche en rien du premier degré des flammes de la charité et de l'amour dont les cœurs des bienheureux brûlent éternellement.

Voulez-vous savoir les sources d'où se tire l'excès des flammes amoureuses qui embrasent les cœurs des bienheureux.

La première, c'est la lumière de gloire, la connaissance claire et évidente de la Divinité, dans laquelle ils rencontrent des perfections infinies, des amabilités infinies qu'ils aiment nécessairement d'un amour qui est en quelque façon infini ; et plus ils ont de lumière et de pénétration dans la Divinité, plus aussi ont-ils de flammes d'amour et de charité : Quanto plus vident et intelligunt, dit saint Bernard, tanto plus ardent et diligunt. Il en va de même en cette vie ; les plus capables, les plus savants, les plus éclairés, et ceux qui ont le plus de lumières et de connaissances sur la Divinité, ne sont pas toujours ceux qui ont le plus d'amour pour Dieu ; c'est ce qu'a bien remarqué saint Augustin, quand il dit que les idiots et les ignorants ravissent le ciel, pendant que les plus savants et les plus éclairés se précipitent dans les enfers. Il n'en va pas de même dans le ciel : plus les bienheureux puisent de connaissances dans cette source infinie de lumières, plus aussi ils sont remplis des flammes de la charité et de l'amour de Dieu.

Mais je trouve une seconde raison de l'excès des flammes d'amour qui embrase les Saints dans le ciel : c'est que cet incendie sacré a été allumé par le souffle du Saint-Esprit, lequel, dans la pensée de saint Paul, est l'auteur de l'amour et de la charité : Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum. (Rom., v, 5. )

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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

Message par Laetitia »

Quels sont maintenant les effets et les suites de cet excès d'amour des Saints ? Je n'en veux rapporter que deux, dont le premier est qu'ils entrent avec Dieu en unité, en société et en participation de tout ce que Dieu est ; et c'est pour lors que s'accomplit en eux la demande que Jésus-Christ faisait à son père éternel en faveur de tous ses prédestinés : Mon Père, je demande qu'ils soient un avec nous comme vous et moi sommes un. » (JOAN., XVII, 21. )

Je sais bien, mes chers Frères, que l'essence de Dieu est infiniment simple, infiniment éloignée de toute composition et de tout mélange ; cependant il est vrai de dire que, selon nos manières de concevoir fondées sur l'Écriture, on peut distinguer en Dieu quatre choses : 1° ses opérations ; 2° sa vie ; 3° sa gloire et sa félicité ; 4° sa nature et son essence.

Or, cela supposé, je dis, et j'entreprends de le prouver par les paroles sorties de la bouche de Dieu même, qu'entre Dieu et les bienheureux il y a unité de ces quatre choses : unité d'opérations, unité de vie, unité de gloire et de félicité, enfin unité de nature. Mon Dieu ! que cela est grand et admirable ! le pourrai-je bien faire concevoir ?

Commençons : Je dis donc 1° que les deux opérations qui sont en Dieu sont communes à Dieu et aux Saints : l'une, quant à la connaissance ; puisque la lumière de gloire par laquelle Dieu se connaît et toutes choses en lui, est la même lumière par laquelle les Saints connaissent Dieu : In lumine tuo videbimus lumen; l'autre, quant à l'amour ; quel est le principe d'amour dont Dieu s'aime ? c'est Dieu ; or c'est une vérité de notre foi que c'est le même Dieu qui est le principe et la cause de l'amour dont nous aimons et aimerons Dieu dans l'éternité : Deus charitas est, et qui manet in charitate in Deo manet. ( I JOAN., iv, 16. ) Voilà la première unité qui se trouve entre Dieu et les Saints.

Je dis 2° qu'il y a entre eux unité de vie. Le libertin ne vit-il pas en Dieu ? Il est bien vrai de dire qu'il vit en Dieu : In ipso enim vivimus et movemur et sumus. (Act., XVII, 28). II vit dans le sein de Dieu, dans le centre de la Divinité, et entre les bras de sa justice épouvantable, où il allume les flammes qui le brûleront éternellement. Mais ce serait un blasphème de dire qu'il vit de la vie de Dieu : c'est le juste qui vit de Dieu, parce qu'il vit de la grâce de Jésus-Christ, qui est une participation de la nature divine ; le prédestiné, le bienheureux vit de la vie de Dieu, parce qu'il vit de son chef, qui est Jésus-Christ, et dont il est le membre ; or, Jésus-Christ vit de l'âme de son Père, par conséquent les bienheureux vivent de la vie de Dieu.

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Message par Laetitia »

Je dis 3° qu'il y a unité de gloire et de félicité entre Dieu et les Saints. Pour entendre ceci, il faut remarquer que là sainte Écriture, pour nous faire connaître la gloire de Dieu, nous la représente sous trois idées : sous l'idée de trône, de sceptre et de couronne. Écoutez comme Dieu parle dans l'Apocalypse : Moi, qui suis Dieu, je vous déclare que je sais bien récompenser mes fidèles serviteurs, et que je serai magnifique envers ceux qui auront travaillé pour ma gloire. Celui qui aura combattu généreusement contre mes ennemis, qui sont le diable, le monde et la chair ; celui qui se sera fait violence pour surmonter ses passions, pour déraciner ses mauvaises habitudes et pour détruire le péché ; j'y engage ma parole, je le ferai asseoir dans mon trône, et il sera l'objet de ma complaisance et de mon amour éternel : Qui vicerit, dabo ei sedere mecum in throno meo. ( Apoc., 1, 21. )

4° Il y a unité de sceptre et de couronne entre Dieu et les bienheureux. Nous avons une belle figure et une belle expression de cette vérité dans l'Ancien Testament. Le roi Assuérus, voyant venir la noble Esther, lui commanda de monter sur son trône et d'y prendre possession de son sceptre. Et comme elle le refusait, il lui mit son diadème sur la tête et la fit reine. Que veut dire cela ? Belle expression du bonheur des Saints, et de l'occupation de Dieu durant toute éternité ! Venite, dira Dieu aux bienheureux ; venez, pauvre homme qui avez croupi dans la misère, venez vous jeter entre mes bras ; venez vous fondre dans mon cœur, venez vous abîmer, vous liquéfier, vous consommer dans moi-même. Tout cela montre qu'il n'y aura jamais de séparation entre Dieu et les bienheureux, et qu'ils partageront avec lui son sceptre et sa couronne.

Mais je n'ai pas encore achevé ; il me reste quelque chose de plus profond à vous exprimer : « Mon Père, je suis en eux et vous en moi. » ( Joan., XVII, 23. ) D'où il suit qu'entre Dieu et les bienheureux il y a unité non-seulement d'opérations, de vie et de gloire, mais encore d'essence et de nature. Quoi ! grand Dieu, cela est-il possible ? et l'union qui est entre Dieu et les bienheureux peut-elle aller jusque là ? Oui, mes Frères, mais je n'ai pas assez de temps pour vous le faire entendre.

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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

Message par Laetitia »

Je sais qu'il n'y a qu'un Dieu, et que cette divine nature ne peut être multipliée ; cependant, j'ose dire qu'encore qu'il soit impossible de multiplier réellement la divine essence, néanmoins Dieu la produit moralement par autant de moyens qui communiquent sa gloire aux bienheureux : Divinæ consortes naturæ. Voilà une vérité de foi ; je ne comprends pas comment cela se fait ; mais, pour ne le pas comprendre, je ne dois pas moins croire ce qui est.

Eh bien ! mes chers Frères, n'êtes-vous pas surpris de la magnificence de Dieu ? Si Dieu fait entrer les bienheureux en unité d'opérations, de vie, de gloire et d'essence, concluez quel sera votre bonheur, si vous êtes assez heureux pour le posséder. Car c'est ici encore un deuxième effet de l'amour dont ils sont embrasés dans le ciel.

Je dis donc, Chrétiens, mais en deux mots, sans avoir le loisir de le prouver ni de m'étendre autant que je le désirerais, que le bienheureux possède Dieu, parce qu'il voit et aime Dieu, parce qu'il est étroitement lié et uni à Dieu. Non-seulement le bienheureux possède Dieu, mais il possède tout Dieu ; toute la Divinité est le domaine, les richesses et la possession du bienheureux. Ah ! mes Frères, que n'ai-je le pouvoir de vous exprimer cette vérité ? Qu'en dites-vous ? S'il est vrai que la possession d'un bien passager et la jouissance d'une chétive créature est capable de renverser l'esprit le plus fort ; si un échantillon de la gloire de Jésus-Christ a fait tomber saint Pierre en pâmoison et lui a fait désirer de poser pour jamais sa tente sur le Thabor, si un seul rayon de lumière échappé de la main de Dieu a fait languir les Saints et les a fait se retirer dans les déserts où ils sont demeurés quarante et cinquante, soixante et quatre-vingts années, faisons cette réflexion : Si vous et moi, mes Frères, avons le bonheur de posséder Dieu dans le paradis, quels seront nos extases et nos transports, et qui pourrait comprendre les torrents des divines voluptés, des délices et des plaisirs qui inonderont nos âmes avec celles des bienheureux dans toute la suite des siècles éternels ? C'est mon troisième point.
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