Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

Message par Laetitia »

TROISIÈME POINT.

Jusqu'à présent, mes chers Frères, je vous ai représenté la gloire du paradis comme une lumière éclatante qui fait voir Dieu face à face à tous les Saints bienheureux ; deuxièmement, comme un grand brasier d'amour qui les transforme dans l'essence divine qu'ils possèdent tout entière, et avec laquelle ils ont des liaisons qui nous sont incompréhensibles.

Pour conclure, je vais vous représenter cette même gloire des Saints comme un abîme de délices et un torrent de plaisirs dont ils seront inondés dans toute la suite des siècles qui composent l'éternité. C'est ce qui fait la consommation et le dernier point de perfection de la félicité des Saints ; c'est la joie, c'est le plaisir infini dont ils sont pénétrés, et qui les met dans la dernière possession de leur bonheur ; c'est pour lors que toute l'étendue et la capacité infinie de leur âme est remplie, qu'elle se repose, et qu'elle n'a plus rien à désirer. Car encore que l'esprit soit rempli de lumière, qu'il en soit tout pénétré, et que la volonté soit embrasée des flammes de l'amour, le plus saint néanmoins ne serait pas parfaitement heureux, si l'esprit et le cœur n'étaient remplis de joie et de plaisirs.

Ah ! cœur de l'homme, s'écriait une fois saint Grégoire de Nazianze, que tu as d'étendue, puisqu'il faut tout un Dieu pour te remplir ! Il faut pour ton bonheur achevé que tout soit une plénitude d'amour dans ta volonté, et une plénitude de joie et de plaisirs dans toute la substance de ton âme.

Mais, Chrétiens, qui pourrait comprendre ce que les Saints ressentent dans la gloire ? Il n'appartient qu'au Saint Esprit de nous le dire ; aussi nous a-t-il représenté ces contentements éternels sous l'idée d'un torrent, d'une mer de délices et de plaisirs. C'est par la plume du Prophète royal : Grand Dieu, lorsque j'aurai le bonheur de contempler votre divine face, et que je coulerai devant vous mon éternité, levant toujours mes yeux et mes regards sur votre visage adorable, je sentirai couler du fond de votre essence dans la substance de mon âme des torrents de joie, de délices et de plaisirs, qui seront si excessifs qu'ils me jetteront dans une extase éternelle : Adimplebis me lætitia cum vultu tuo. (Psal. XV, 11. )

(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

Message par Laetitia »

C'est encore ce que Jésus-Christ nous veut faire entendre dans l'Évangile par ces paroles : Ouvre ton cœur, mon enfant, dira Dieu à un bienheureux, dilate ton âme : Intra in gaudium Domini tui. ( MATTH., xxv, 21. ) Eh ! mon Dieu, que voulez-vous faire ? Je veux mettre ma joie dans ton cœur ; je le veux remplir de plaisirs, je ne veux pas qu'il y ait du vide ; et non-seulement je veux y verser la joie à pleines mains, mais je l'y veux entasser ; je veux qu'elle t'inonde, je veux qu'elle déborde de toutes parts, et qu'elle se répande surabondamment dans toutes les puissances de ton âme et dans toutes les parties de ton corps : Mensuram supereffluentem dabunt in sinum vestrum. ( Luc., VI, 38. ) Mes Frères, je vous en fais les juges ; si un petit plaisir dans le monde est capable d'enlever l'esprit et le cœur de l'homme, ô Dieu ! quel doit être l'état d'un bienheureux quand son âme est remplie et plus que comblée de joie et de plaisirs éternels ! Elle est transformée en Dieu ; elle se plonge en Dieu ; elle s'abîme dans les plaisirs de Dieu ; elle nage dans les torrents des délices et des contentements de Dieu.

Et ce qui fera le comble du bonheur de ces Saints, c'est la saveur et le goût qu'ils en auront, c'est la réflexion éternelle qu'ils feront sur l'objet de leur félicité qu'ils posséderont éternellement. Voilà, Chrétiens, la plus efficace source des contentements, des délices et des plaisirs des Saints : l'assurance infaillible de la durée éternelle de ces biens et de ces plaisirs dont ils ne pourront jamais être privés pendant toute l'éternité et pendant tous les moments infinis qui composent l'éternité. Ils penseront et repenseront aux biens, aux bonheurs, à la gloire, aux plaisirs dont ils devront jouir pendant tous les siècles infinis de l'éternité ; et cette éternelle réflexion leur sera aussi une source inépuisable de plaisirs ineffables : Memoriam abundantiæ suavitatis tuæ eructabunt. (Psal. CXLIV, 7. ) Que veut dire le Prophète ? C'est qu'éternellement ils auront la mémoire remplie des douceurs et des suavités qu'ils goûteront et savoureront dans la jouissance de leurs plaisirs. Et ainsi, la pensée de Dieu, qui est le principe de leur bonheur, sans cesse réitérée, fera le comble de leur joie et de leurs délices éternelles.

S'il est vrai qu'un des plus grands rois du monde, étant extrêmement affligé et ne trouvant aucune joie parmi les sceptres et les couronnes, comme il le dit lui-même : Renuit consolari anima mea (Psal. LXXVI, 3), et venant à penser à Dieu, se trouva tout à coup rempli de consolation, vit sa douleur s'adoucir, sa tristesse se dissiper et son chagrin s'évanouir : Memor fui Dei, et delectatus sum (Ibid. ) ; si, dans cette vie qui est exposée à tant de traverses et de disgrâces, le seul souvenir de Dieu a été capable de remplir de consolation le cœur d'un père persécuté par ses enfants et par ses ennemis ; quand vous et moi, Chrétiens, nous aurons Dieu présent à nos yeux, que nous le contemplerons face à face, que nous aurons les yeux collés sur sa majesté ineffable, quelle joie, quelle sainte volupté pour nous de penser et de repenser sans cesse à notre bonheur ! C'est ce qu'on peut bien sentir, mais non pas exprimer.

Quelle différence, Chrétiens, entre les plaisirs du monde et les plaisirs du Ciel, entre des plaisirs d'un moment et des plaisirs éternels ! Il y a entre eux si peu de proportion, comme le marque saint Augustin, que la moindre joie du paradis surpasse infiniment tous les plaisirs de ce monde.
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

Message par Laetitia »

Ramassez, si vous le pouvez, par la force de votre jugement et de votre esprit, tous les contentements, toutes les délices et tous les plaisirs que tous les hommes ensemble ont goûtés depuis tantôt six mille ans que le monde est monde, et qu'ils goûteront jusqu'à la fin des siècles, cela n'approchera pas de la moindre goutte des plaisirs que les Saints goûtent dans le Ciel. D'où saint Augustin tire cette conséquence, que si un homme avait, lui seul, souffert tous les martyres et tous les tourments que tous les Saints de la gloire ont endurés en ce monde, et que, pour récompense, Dieu se fit voir à lui un seul moment, il serait, dit saint Augustin, surabondamment récompensé et infiniment trop récompensé !..... D'où le même Père tire encore cette autre conséquence, qu'il y a plus de proportion entre une goutte d'eau et toutes les eaux de la mer, qu'entre tous les plaisirs du monde rassemblés ensemble et un seul petit rayon des joies et des plaisirs du Ciel.

Après cela, mes Frères auditeurs, que dites-vous de la félicité des Saints ? N'est-ce pas une joie consommée ? N'est-ce pas un plaisir qui ne peut être compris que de Dieu seul ? J'en ai trop dit, il est vrai ; mais avec tout cela, ce que j'en ai dit n'est rien en comparaison de ce que j'en voudrais dire, et ce n'est vraiment pas là parler de la gloire des âmes des bienheureux !

Oubliez donc, mes Frères, oubliez tout ce que je vous ai dit, pour vous souvenir de ces deux mots : Il n'y a qu'une seule chose qui mérite nos larmes ; il n'y a qu'une seule chose qui nous doive donner de la joie. La seule chose qui mérite nos larmes, c'est le péché ; et quoi encore ? le péché. Oui, le péché est la seule chose qui mérite nos larmes, puisqu'il a mérité les larmes de Jésus-Christ ! Mais quel doit être le sujet de notre joie ? Il n'y a que la bonne conscience et l'espérance du paradis, fondée sur une bonne et sainte vie, l'unique voie qui conduit à une sainte mort ; cela seul doit nous donner de la joie et du plaisir. Vous vous trompez, disait Jésus-Christ à ses Apôtres, vous tressaillez de joie de voir que vous chassez les démons : In hoc nolite gaudere. (Luc., x, 20. ) Ah ! ce ne doit pas être là le sujet de votre joie : Gaudete autem quod nomina vestra scripta sunt in cælis : « Réjouissez-vous au contraire de ce que vos noms sont écrits dans le Ciel. » Et moi je vous dis, mes Frères, ne vous réjouissez pas d'avoir des richesses, parce qu'elles en ont perdu mille pour un qu'elles ont sauvé ; ne vous réjouissez pas d'être en autorité et en crédit, mais réjouissez-vous de l'espérance que le témoignage d'une bonne conscience vous donne d'être prédestinés.

Ah ! Paradis ! Ah ! félicité éternelle ! seras-tu un jour ma possession ? Ah! de grâce, Dieu d'amour, Dieu de miséricorde, faites que je ne vive que de votre esprit !

(à suivre)
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

Message par Laetitia »

Finissons, mes Frères, finissons ; mais avant de finir, souffrez que je vous adresse encore trois paroles de moralité. Dites-moi, n'est-il pas vrai que votre religion est presque éteinte ? Mettez la main sur la conscience et avouez que vous n'avez plus rien que l'écorce et l'apparence, que vous n'avez plus qu'une foi languissante et mourante. Ah ! Chrétiens, si vous êtes persuadés de ces vérités, considérez, au nom de Jésus-Christ, voyez si vous n'êtes pas en état de péché mortel, et, si vous y mourez, quelle perte vous ferez ! Faites-vous justice et demandez à vos âmes si elles croient ces vérités. Ou je les crois, ou je ne les crois pas. Si je ne les crois pas, je suis un infidèle et un hérétique, parce que ce sont des vérités de foi ; c'est ma religion, c'est la croyance de l'Église. Si je les crois, vivant en péché, et en péché mortel, j'y puis mourir ; et si j'y meurs, je perds pour jamais la vue de la majesté d'un Dieu, la possession et la jouissance de tous ses biens et de tous ses trésors ; je me prive et pour jamais de la même félicité, des mêmes plaisirs qui le rendent bienheureux. Ah ! quelle perte ! cela me fait frémir.

Mais passons à une deuxième réflexion. Dès le moment de votre mort, ou vous serez unis à Dieu, ou vous en serez privés et séparés pour jamais. Si vous devez posséder Dieu éternellement, pourquoi voulez-vous maintenant en être privés et séparés pour toujours ? Ah ! ne vous hâtez point ; cette privation, cette séparation n'arrivera que trop tôt pour vous : Ne festines recedere a facie ejus ( Eccl., VIII, 3), vous dit le Saint-Esprit, neque permaneas in opere malo (ibid. ) : « Ne persévérez pas plus longtemps dans le mal et dans vos crimes ; sortez de l'ordure de votre péché, et craignez que la mort ne vous surprenne dans ce funeste état. » Pourquoi le démon ne s'empare-t-il pas de vous pour vous dévorer ? Pourquoi n'êtes-vous pas de ceux qui sont tous les jours emportés par une mort subite, et précipités dans les enfers ? Craignez cet horrible malheur, et apprenez que, de toutes les choses du monde, vous n'en avez qu'une à faire et une autre à éviter ; c'est ma troisième réflexion.

Pourvu que j'aille en paradis et que j'évite l'enfer, je ne me mets pas en peine du reste ; la seule chose que j'aie à faire, c'est mon salut. Faites votre affaire, dit le Saint Esprit, avant le temps de la mort ; c'est votre affaire ; il n'y a que celle-là qui vous regarde. Faites votre affaire avant la mort ; dans ce temps-là, ou vous n'en aurez pas la pensée, ou vous n'en aurez pas la volonté, ou vous n'en aurez pas la grâce. Dans quel triste état serez-vous donc réduit pour lors ? Mais quand sera-ce ? Peut-être dans trois jours ! etc. Travaillez donc à votre salut et ne vous mettez point en peine du reste.
Avatar de l’utilisateur
Laetitia
Messages : 2607
Inscription : ven. 20 oct. 2006 2:00

Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur le Paradis

Message par Laetitia »

Ah ! pauvre femme ! și votre mari meurt aujourd'hui, ne vous mettez point en peine de ce que deviendront vos enfants, mais mettez-vous en peine de votre salut : c'est la seule chose que vous ayez à faire. La seule chose que vous ayez à éviter, c'est la perte de Dieu. On se console avec le temps de tout ce qu'on peut perdre en ce monde ; mais de la perte de Dieu, on ne s'en consolera jamais. Ah ! j'ai perdu Dieu, j'ai donc tout-perdu ; ma perte est irréparable ; je suis et serai à jamais sans consolation : Nolite flere mortuum (JER., XXII, 10) :

Ah ! dit le prophète Jérémie, « ne donnez point de larmes à la mort, mais pleurez et pleurez éternellement celui qui est sorti du sein de Dieu et n'y retournera jamais. » Plangite eum qui egreditur, quia non revertetur ultra (ibid. ) ; ah ! je suis séparé de Dieu ! je ne rentrerai jamais dans son aimable sein ; ce sont mes péchés qui m'en ont séparé ! Ô rage ! Ô désespoir ! Voilà, mes Frères, la seule chose à éviter. Quand je posséderais moi seul tous les biens du monde et que je les perdrais, si je ne perds pas Dieu, je n'ai rien perdu. Mais si je perds Dieu, j'ai tout perdu. Ô Dieu de miséricorde, Dieu d'amour, centre de charité, séparez-moi de tout ce qui me peut séparer de vous ; séparez-moi de moi-même ; séparez moi de mon jugement ; séparez-moi de ma volonté ; séparez-moi de mes passions ; séparez-moi de toutes les créatures, et ne me séparez pas de vous-même ! Adieu richesses ; adieu grandeurs ; adieu dignités ; adieu plaisirs ; adieu mes inclinations ; adieu toutes les créatures. Je me sépare de vous pour m'unir à Dieu ; je veux éternellement être uni à mon principe ; je veux avoir avec Dieu unité de connaissance et de lumière, unité d'amour et de charité, unité de gloire, unité de béatitude ; je ne veux savoir et connaître que Dieu ; je ne veux brûler que des flammes de l'amour de Dieu ; je ne veux vivre que de la vie de Dieu ; je ne veux d'autres plaisirs que les délices de Dieu ; je ne veux point d'autre félicité que la félicité de Dieu ; enfin, par Jésus-Christ et en Jésus-Christ, je me veux lier et unir au Père, au Fils et au Saint Esprit pour le temps et pour l'éternité. Ainsi soit-il.
Répondre

Revenir à « Temporal&Sanctoral de l'année liturgique »

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité