En voici deux ou trois importantes qu'on peut faire sur la nécessité de la mort. La mort est inévitable ; donc je dois me détacher des choses du monde ; donc je dois beaucoup m'humilier ; donc je dois me préparer à une bonne mort.
Il faut mourir ; donc il ne faut avoir aucune attache criminelle aux choses du monde. Car à quoi les grandeurs, les plaisirs, les richesses, les honneurs, se terminent-ils ? A la mort et au tombeau ; c'est là toute leur destinée, et c'est là où toutes les choses vont se perdre confusément ; mais que nous en restera-t-il au moment de notre mort, si nous y avons eu une attache déréglée, sinon un regret inutile de les quitter et un juste sujet de craindre d'être sévèrement châtiés en l'autre vie de l'abus que nous en aurons fait ?
Ah ! que cette réflexion est capable de faire de puissantes impressions sur le cœur de plusieurs pour les porter à une véritable conversion ! Se peut-il faire qu'un avare qui médite sérieusement la nécessité de mourir, ne se dise aussitôt ce que Dieu dit à un riche avare dans l'Évangile : Stulte, hac nocte, animam tuam repetent a te : quæ autem parasti cujus erunt ? (Luc. , XII, 20.) Et pourquoi travailler avec tant d'empressement à amasser des richesses corruptibles, souvent avec injustice, puisque je mourrai peut-être cette nuit ? Pourquoi ne pas restituer le bien d'autrui que j'ai si mal acquis, puis qu'on me l'ôtera malgré que j'en aie ? Et quelle consolation aurai-je alors ? Je laisserai des enfants riches, il est vrai, mais ce seront des héritiers ingrats, qui feront bonne chère, tandis qu'en punition de mes injustices et de mon avarice je serai dans les flammes éternelles de l'enfer. Ne vaut-il pas mieux travailler à amasser des richesses spirituelles, qui sont les mérites des bonnes œuvres, qui me serviront au jugement de Dieu pour me rendre éternellement heureux, que d'amasser des biens corruptibles dont je n'emporterai rien que le regret de les quitter, lorsque je croyais en jouir plus longtemps ? Et ces crimes que j'ai commis en les amassant, ne m'accompagneront-ils pas au jugement de Dieu pour lui demander vengeance contre moi des injustices dont je me suis rendu coupable contre cette veuve, ces orphelins et ces autres personnes que j'aurai dépouillés de leurs biens ? Il faudrait avoir perdu le jugement pour n'être pas touché de cette sérieuse réflexion.
Mais le grand secret de triompher de la passion la plus tendre et la plus insinuante de toutes, et par conséquent la plus difficile à vaincre, qui est l'amour déréglé des plaisirs de la vie, c'est certainement la pensée de la mort. Ah ! hommes sensuels, si vous faisiez réflexion que pour satisfaire votre corps qui doit bientôt être mangé des vers, vous exposez votre âme au péril de la damnation, je ne doute point que vous ne renonciez à ces plaisirs des sens et à cette délicatesse qui vous rendent très-criminels devant Dieu. Faites, je vous prie, la réflexion que fit autrefois un jeune gentilhomme qui, étant tous les jours dans la bonne chère et les plaisirs mondains, y renonça entièrement, parce que voyant passer le convoi d'un jeune homme qu'il connaissait, il fit cette sérieuse réflexion : Il n'y a pas longtemps que celui qu'on porte en terre était comme moi de toutes les parties de divertissements ; il se faisait admirer dans toutes les compagnies par l'enjouement de son esprit ; toujours le premier au bal et aux bonnes tables ; une fièvre l'a attaqué au milieu de ses divertissements, et ne l'a pas quitté qu'elle ne l'ait mis au tombeau ; ce n'est plus maintenant qu'un cadavre pourri et une charogne hideuse. Mais en quel état est son âme ? Ah ! qu'il y a sujet de craindre qu'elle ne soit avec le mauvais riche, qui n'a été damné, du moins l'Écriture n'en rapporte pas d'autres causes, que parce qu'il était toujours dans les festins et la bonne chère : Epulabatur quo tidie splendide (Luc. , XVI, 19) ; la même chose peut m'arriver en peu de temps, car je ne suis pas plus près de Dieu que lui ; c'est pourquoi je me veux faire sage à ses dépens ; et je vous promets, ô mon Dieu ! de renoncer sans délai à toutes les sensualités, afin de vous servir fidèlement. Il exécuta sa résolution, et devint un grand saint.
Mes chers Frères, qui que vous soyez, si vous êtes engagés dans les plaisirs dangereux du siècle, faites, je vous en supplie, cette réflexion avec loisir, et je suis persuadé que vous imiterez ce jeune homme dans le changement de vos mœurs ; et si vous ne vous rendez pas comme lui religieux dans quelque ordre particulier, vous accomplirez du moins infailliblement les vœux que vous avez faits dans votre baptême, qui sont de renoncer aux œuvres de la chair et aux pompes de Satan : Memorare novissima tua, et in æternum non peccabis.