Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

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Laetitia
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Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

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Onzième sermon de saint Vincent de Paul

DE LA MORT.


Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris.
Souvenez-vous, homme, que vous êtes poudre et que vous retournerez en poudre.
(Genes. , III, 19. )

Plût à Dieu, âmes chrétiennes, que quelques-uns des morts qui sont ensevelis dans cette église, et que vous foulez aux pieds tous les jours, sortissent aujourd'hui de leur tombeau, et que, par le commandement de Dieu, ils prissent ma place pour vous apprendre ce qu'ils savent et ce qu'ils ont expérimenté de la mort ! Je ne doute point que vous n'écoutassiez ces prédicateurs avec une attention extraordinaire, et que leurs paroles ne fissent de puissantes impressions sur vos cœurs pour les détacher des choses de ce monde. Mais c'est un miracle que vous ne devez pas attendre de Dieu, parce qu'il n'est pas nécessaire ; car ce que je prétends vous dire aujourd'hui de la mort n'est pas moins véritable que si un défunt vous le disait ; je ne ferai en ce moment que prêter ma langue à la mort ; ce sera elle qui vous parlera par ma bouche, et elle vous parlera si haut que vous l'entendrez tous. Ce sera ce jeune homme qui est mort depuis un an, cette jeune femme que vous avez tous connue, qui vous prêchera par ma bouche : son cadavre puant et infect ne lui permet pas de parler, c'est son silence même qui parle et bien éloquemment. Il nous donne des leçons de la dernière conséquence, que nous devons écouter avec d'autant plus d'attention que nous y avons plus d'intérêt, d'autant que c'est une image de ce que nous serons un jour.

Voici, mes Frères, ce qu'il nous dit : J'ai été vivant, et je suis mort ; je suis mort plus tôt que je ne croyais, et la mort m'a surpris lorsque j'y pensais le moins : la même chose vous arrivera si vous n'y prenez garde ; la mort m'a servi de passage à une éternité conforme à la vie que j'ai menée : elle fera la même chose à votre égard. Ces trois leçons ou ces trois vérités, que la mort attaque tout le monde, qu'elle surprend tout le monde, qu'elle sert de passage à l'éternité, jointes à quelques conclusions utiles que nous en retirerons, feront tout le partage de ce discours et le sujet de vos attentions, après que nous aurons invoqué, etc. Ave.

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PREMIER POINT.

Il est vrai que si nous n'eussions pas péché dans la personne de notre premier père, Dieu, par sa bonté toute-puissante, aurait tellement modéré le combat qui est entre les quatre qualités comparées dont notre corps est composé, que pas une n'aurait prévalu sur les autres, et que nous serions demeurés immortels par une grâce particulière ; mais depuis que nous avons transgressé sa divine loi, il a retiré de nous, par un juste châtiment, cette grâce particulière qui nous rendait immortels, il a laissé agir les quatre qualités contraires de notre corps, et les ayant livrées à leur rage et à leur fureur, il nous a condamnés à la mort par un arrêt irrévocable : Memento, homo, quia pulvis es, etc.

C'est ce que la foi et la raison nous apprennent ; c'est aussi de quoi l'expérience ne laisse aucun lieu de douter : Omnes morimur, et sicut aquæ dilabimur in terram quæ non revertuntur (II Reg., XIV, 14), disait autrefois cette sage Thécuite à David. Nous mourons tous, et de même que les gouttes d'eau d'une rivière, après avoir arrosé pendant leur cours quelques campagnes, s'écoulent pour ne plus reparaître et tombent les unes après les autres dans le sein de la mer d'où elles étaient sorties ; ainsi, dans le grand fleuve de la vie présente, nous allons tous les uns après les autres comme des gouttes d'eau, pour rentrer dans la terre d'où nous sommes sortis et ne paraître jamais plus dans le monde. Le père meurt, le fils lui succède, et le fils, après avoir laissé des enfants au monde, suit son père, et ainsi des autres.

Voilà ce que l'expérience nous démontre ; il y avait autant d'empereurs, de rois, de princes, de gentilshommes, de papes, d'évêques, de prêtres, de religieux, de marchands, de laboureurs, d'artisans, etc., il y a cinquante ans, qu'il y en a maintenant ; et néanmoins pas un d'eux n'a évité la mort : elle les a tous terrassés, malgré les remèdes de la médecine. Ils sont tous morts, parce qu'ils étaient tous hommes et pécheurs ; nous devons donc aussi, tous tant que nous sommes, attendre le même sort : Memento.

Ce n'est pas là une nouvelle bien extraordinaire à vous apprendre, mes Frères, vous en êtes aussi convaincus que moi. Ce n'est pas non plus mon dessein de m'arrêter plus longtemps à vous prouver la nécessité de la mort ; mais mon intention est de vous faire faire de salutaires réflexions sur cette indispensable nécessité ; car quoiqu'on ne doute pas qu'il faille mourir, on n'y pense pas aussi souvent et aussi sérieusement qu'on le devrait ; le démon ne nous dit plus comme à : « Vous ne mourrez pas ; » car il sait bien qu'on ne serait pas assez insensé pour le croire ; il fait seulement son possible pour nous empêcher de penser à la mort, parce qu'il sait que si cette pensée nous était familière elle nous ferait faire des réflexions utiles à notre salut : Me morare novissima tua, et in æternum non peccabis. (Eccli. , VII, 40.) Je vous prie de les faire aujourd'hui avec moi, et de les faire ensuite dans votre particulier.

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Laetitia
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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

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En voici deux ou trois importantes qu'on peut faire sur la nécessité de la mort. La mort est inévitable ; donc je dois me détacher des choses du monde ; donc je dois beaucoup m'humilier ; donc je dois me préparer à une bonne mort.

Il faut mourir ; donc il ne faut avoir aucune attache criminelle aux choses du monde. Car à quoi les grandeurs, les plaisirs, les richesses, les honneurs, se terminent-ils ? A la mort et au tombeau ; c'est là toute leur destinée, et c'est là où toutes les choses vont se perdre confusément ; mais que nous en restera-t-il au moment de notre mort, si nous y avons eu une attache déréglée, sinon un regret inutile de les quitter et un juste sujet de craindre d'être sévèrement châtiés en l'autre vie de l'abus que nous en aurons fait ?

Ah ! que cette réflexion est capable de faire de puissantes impressions sur le cœur de plusieurs pour les porter à une véritable conversion ! Se peut-il faire qu'un avare qui médite sérieusement la nécessité de mourir, ne se dise aussitôt ce que Dieu dit à un riche avare dans l'Évangile : Stulte, hac nocte, animam tuam repetent a te : quæ autem parasti cujus erunt ? (Luc. , XII, 20.) Et pourquoi travailler avec tant d'empressement à amasser des richesses corruptibles, souvent avec injustice, puisque je mourrai peut-être cette nuit ? Pourquoi ne pas restituer le bien d'autrui que j'ai si mal acquis, puis qu'on me l'ôtera malgré que j'en aie ? Et quelle consolation aurai-je alors ? Je laisserai des enfants riches, il est vrai, mais ce seront des héritiers ingrats, qui feront bonne chère, tandis qu'en punition de mes injustices et de mon avarice je serai dans les flammes éternelles de l'enfer. Ne vaut-il pas mieux travailler à amasser des richesses spirituelles, qui sont les mérites des bonnes œuvres, qui me serviront au jugement de Dieu pour me rendre éternellement heureux, que d'amasser des biens corruptibles dont je n'emporterai rien que le regret de les quitter, lorsque je croyais en jouir plus longtemps ? Et ces crimes que j'ai commis en les amassant, ne m'accompagneront-ils pas au jugement de Dieu pour lui demander vengeance contre moi des injustices dont je me suis rendu coupable contre cette veuve, ces orphelins et ces autres personnes que j'aurai dépouillés de leurs biens ? Il faudrait avoir perdu le jugement pour n'être pas touché de cette sérieuse réflexion.

Mais le grand secret de triompher de la passion la plus tendre et la plus insinuante de toutes, et par conséquent la plus difficile à vaincre, qui est l'amour déréglé des plaisirs de la vie, c'est certainement la pensée de la mort. Ah ! hommes sensuels, si vous faisiez réflexion que pour satisfaire votre corps qui doit bientôt être mangé des vers, vous exposez votre âme au péril de la damnation, je ne doute point que vous ne renonciez à ces plaisirs des sens et à cette délicatesse qui vous rendent très-criminels devant Dieu. Faites, je vous prie, la réflexion que fit autrefois un jeune gentilhomme qui, étant tous les jours dans la bonne chère et les plaisirs mondains, y renonça entièrement, parce que voyant passer le convoi d'un jeune homme qu'il connaissait, il fit cette sérieuse réflexion : Il n'y a pas longtemps que celui qu'on porte en terre était comme moi de toutes les parties de divertissements ; il se faisait admirer dans toutes les compagnies par l'enjouement de son esprit ; toujours le premier au bal et aux bonnes tables ; une fièvre l'a attaqué au milieu de ses divertissements, et ne l'a pas quitté qu'elle ne l'ait mis au tombeau ; ce n'est plus maintenant qu'un cadavre pourri et une charogne hideuse. Mais en quel état est son âme ? Ah ! qu'il y a sujet de craindre qu'elle ne soit avec le mauvais riche, qui n'a été damné, du moins l'Écriture n'en rapporte pas d'autres causes, que parce qu'il était toujours dans les festins et la bonne chère : Epulabatur quo tidie splendide (Luc. , XVI, 19) ; la même chose peut m'arriver en peu de temps, car je ne suis pas plus près de Dieu que lui ; c'est pourquoi je me veux faire sage à ses dépens ; et je vous promets, ô mon Dieu ! de renoncer sans délai à toutes les sensualités, afin de vous servir fidèlement. Il exécuta sa résolution, et devint un grand saint.

Mes chers Frères, qui que vous soyez, si vous êtes engagés dans les plaisirs dangereux du siècle, faites, je vous en supplie, cette réflexion avec loisir, et je suis persuadé que vous imiterez ce jeune homme dans le changement de vos mœurs ; et si vous ne vous rendez pas comme lui religieux dans quelque ordre particulier, vous accomplirez du moins infailliblement les vœux que vous avez faits dans votre baptême, qui sont de renoncer aux œuvres de la chair et aux pompes de Satan : Memorare novissima tua, et in æternum non peccabis.

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Laetitia
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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

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Et vous, pécheurs, qui languissez depuis si longtemps sous la tyrannie d'une honteuse passion, vous dites que vous voudriez bien être délivrés de cet humiliant esclavage, mais que vous ne pouvez briser les chaînes qui vous y tiennent attachés ; et moi je vous promets, de la part de Dieu, que vous les briserez bientôt, si vous pensez sérieusement à la mort Memorare, etc.

Pensez à votre mort, ou bien représentez-vous la créature que vous aimeriez le plus frappée d'une maladie mortelle ; déjà une sécheresse de poumons en a fait un affreux spectacle ; ce n'est plus qu'une peau livide et tendue sur les os ; il sort de sa poitrine ce que j'ai de la peine à dire, et qui vous la rend insupportable ; déjà cette femme tant admirée et tant aimée est devenue la proie de la maladie et de la mort ; et de tous les ornements qu'elle se procurait avec tant de peine, que lui reste-t-il ? le désespoir de se voir dépouiller, même pendant sa vie, et de n'être plus regardée qu'avec compassion, sinon avec horreur.

Mais je suppose que vous aimiez encore cette créature dans ses infirmités et dans ses maladies, de quel œil la regarderez vous morte et étendue sur un lit ? Ce n'est plus qu'une masse de boue et d'ordure, et il n'en sort plus qu'une odeur empoisonnée que la corruption produit. Est-ce là, de bonne foi, un objet digne de votre attachement ? et à moins que votre passion ne vous ait entièrement aveuglés, la simple description que je vous en trace ne vous fait-elle pas frémir ?
C'est pourtant ce qui arrivera, et à quoi se doivent terminer toutes les beautés du siècle : mais sachez que l'attache que vous avez eue pour elle vous coûtera bien cher, puisque vous ne pouvez l'aimer sans préjudice pour votre salut.

Pensez, je vous prie, sérieusement à ces vérités, et je suis persuadé que vous ne serez pas longtemps sans vous détacher de ces objets criminels, car la pensée de la mort vivement représentée a une merveilleuse efficace pour vaincre les passions de la sensualité. Elle n'en a pas moins pour abaisser les fumées de l'orgueil. Hommes fiers et superbes, pleins de bonne estime pour vous-mêmes, qui vous imaginez être quelque chose de grand, et qui, dans cette fausse imagination, voulez donner la loi à tout le monde, vous devez vous persuader que vous n'êtes que poudre et cendre ; pourquoi donc concevoir de si hautes idées de vous-mêmes, si vous ignorez ce que vous êtes ? Allez et considérez dans les cimetières le reste de ceux qui vous ont précédés en orgueil ; c'est ce qui les a précipités dans les enfers. Mais que leur reste-t-il sur la terre, sinon que leur mémoire est en exécration, et leurs os superbes foulés aux pieds de tout le monde ? Vous voulez vous élever au-dessus de tous les autres et les traiter avec mépris, parce que vous vous vantez d'être nobles, riches et revêtus de dignités ; et combien y a-t-il eu de riches et de puissants dans le monde, dont les crânes et les os sont mêlés parmi ceux des plus pauvres qu'ils traitaient autrefois avec mépris ? Et maintenant, quelle différence y a-t-il entre les uns et les autres, sinon peut-être que les pauvres, parce qu'ils ont vécu dans l'humilité et la charité chrétiennes, sont avec le pauvre Lazare dans le sein d'Abraham, et ces riches hautains avec le mauvais riche dans les enfers, d'où ils font entendre ces tristes paroles : De quoi nous a servi notre orgueil ? Qu'avons-nous tiré de la vaine ostentation de nos richesses ? Toutes ces choses ont passé aussi vite que l'ombre ; nous n'avons pratiqué aucune bonne œuvre ; nous sommes morts dans nos péchés, et nous avons été précipités dans les enfers. Voilà le terme des richesses, du faste et de l'orgueil du monde ; bien loin donc de vous en élever, c'est ce qui doit au contraire vous humilier beaucoup, et c'est le deuxième fruit que nous devons retirer de la pensée de la mort.
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Laetitia
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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

Message par Laetitia »

Le troisième est de nous préparer à une bonne mort, parce que de ce moment dépend notre bonheur ou notre malheur éternel : A momento pendet æternitas. N'est-il pas vrai que si vous aviez un ami condamné à la mort par les médecins, et que vous ne vissiez aucun remède, vous le presseriez avec tout le zèle et toute la charité dont vous êtes capables de songer à sa conscience. Ah ! mes chers Frères, ayez ce zèle et cette charité pour vous-mêmes ; vous n'ignorez pas que vous êtes des misérables condamnés à la mort, non pas par le parlement, mais par l'arrêt irrévocable de la justice de Dieu. Vous êtes dans le monde, mais vous en serez tirés pour être conduits à un supplice dont l'échafaud sera votre lit ; car personne ne meurt de sa mort naturelle, puisque cette mort est l'exécution d'un arrêt de Dieu qui nous y a condamnés ; pourquoi donc ne vous y préparez vous pas ?

J'entrevois ce qui vous en a empêchés ; vous dites qu'encore qu'il soit d'une très-grande conséquence de se bien préparer à la mort, cependant rien ne presse, parce qu'il n'en va pas de l'arrêt de mort que Dieu a prononcé contre nous, comme de l'arrêt d'un parlement. Celui-ci est exécuté au plus tôt ; on ne peut se promettre qu'un jour ou deux de vie, mais on peut vivre encore plusieurs années après que Dieu nous a condamnés. C'est donc l'espérance d'une longue vie qui vous empêche de penser sérieusement à la mort ?
Ah ! que cette espérance est trompeuse, puisque non-seulement nous mourrons tous, mais nous mourrons plus tôt que nous ne croyons, et nous serons surpris lorsque nous y penserons le moins : c'est la deuxième leçon que nous donnent les morts, et le sujet de mon second point.

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SECOND POINT.

Oui, mes Frères, les morts vous disent par ma bouche que vous ne vivrez pas longtemps, et que vous mourrez lorsque vous vous y attendrez le moins ; pourquoi cela ?
C'est, disent-ils, que vous n'êtes pas de meilleure condition que nous, et par conséquent, puisque nous sommes morts, et que notre vie a été courte, lorsque nous espérions vivre plus longtemps, il en sera de même de vous.

Quoi ! me direz-vous, tous ceux qui sont morts ont peu vécu ? Mais nous savons qu'il y en a qui ont passé cinquante et cent ans. Il est vrai, mais combien y en a-t-il qui sont morts à vingt-cinq et trente ans, lorsqu'ils ne commençaient qu'à jouir des plaisirs de la vie ? et le nombre de ceux qui meurent au-dessous de quarante ans est incomparablement plus grand que ceux qui meurent dans un âge décrépit. En second lieu, on peut dire avec vérité que ceux-ci mêmes ont très-peu vécu ; car il faudrait pour cela que leurs jours se fussent écoulés avec lenteur ; mais ils les ont vus, au contraire, courir précipitamment ; ils n'ont donc pas été longtemps à fournir leur carrière or, si vous voulez savoir avec quelle vitesse nos jours se passent, écoutez ce que dit le Saint-Esprit dans le chapitre IX de Job : « Les jours de ma vie, dit ce saint homme, ont passé plus vite qu'un courrier ; ils se sont évanouis, sans que j'en aie goûté aucune douceur ; ils ont passé avec la même vitesse que des vaisseaux chargés de fruits, et qu'un aigle qui fond sur sa proie. » (JOB. , IX, 25.)

C'est de quoi les réprouvés ne nous laissent aucun lieu de douter, lorsqu'ils se plaignent de la brièveté de leur vie, ainsi qu'il est rapporté au chapitre V de la Sagesse : « A quoi, disent-ils, nous a servi notre orgueil ? Qu'avons-nous tiré de la vaine ostentation des richesses ? Toutes » ces choses sont passées comme l'ombre, et comme un courrier qui court à perte d'haleine, ou comme un oiseau qui fend les airs, sans qu'on puisse remarquer par où il passe ; on n'entend que le bruit de ses ailes qui battent l'air ; et après qu'en les remuant il a achevé son vol, on ne trouve plus aucune trace de son passage ; et comme une flèche qui est lancée au lieu marqué, l'air qu'elle fend se rejoint aussitôt, sans qu'on puisse reconnaître par où elle a passé ; ainsi, nous ne sommes pas plus tôt nés que nous avons cessé d'être. » Sic et nos nati continuo desivimus esse. (Sap., v, 8. )

Et sans chercher des preuves étrangères pour vous convaincre de cette vérité, prenez, s'il vous plaît, mes Frères, la peine de demander aux vieillards de soixante-dix ou quatre-vingts ans si leur vie leur a paru bien longue. S'ils veulent parler sérieusement, ils vous diront que c'est un songe que de se voir à l'âge où ils sont, qu'il leur semble être encore à l'âge de vingt-cinq ou cinquante ans, tant leurs jours et leurs années se sont écoulés avec précipitation. En sorte que la seule différence, dit saint Jérôme, qui se rencontre entre un jeune homme qui meurt à vingt-cinq ans et un vieillard de quatre-vingts qui meurt à ce temps, ce n'est pas que le vieillard reconnaisse avoir longtemps vécu, puisqu'il ne s'aperçoit presque point de cinquante ou soixante ans qu'il a vécu de plus que le jeune homme, et qu'on entend tous les jours des personnes âgées se plaindre que l'on ne vit plus longtemps, à cause de la vitesse incroyable avec laquelle les jours s'écoulent ; mais la seule différence est souvent que le vieillard a plus de péchés que le jeune homme, mais non pas que l'un ait beaucoup plus vécu que l'autre, puisque la mort vient vers tous avec une vitesse incroyable.

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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

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Encore, si ce petit nombre de jours que nous avons à vivre nous était connu ; si nous savions quand, comment, et en quelle disposition nous mourrons, si ce sera par l'épée ou la fièvre, si nous serons en état de grâce ou de péché ; nous pourrions nous réserver à ce temps-là, pour nous préparer à la mort. Mais c'est, ô mon Dieu ! ce que nous ne savons point ; ce sont des secrets qui ne sont connus que de vous seul, comme vous nous en avertissez souvent dans votre sainte Écriture.

Non, mes chers Auditeurs, nous ne savons, ni vous ni moi, quand nous mourrons ; il n'y a rien de plus incertain que cette heure. Ah ! mort, tu es une traîtresse ! tu nous frappes sans nous avertir, tu nous enlèves lorsque nous y pensons le moins ; et il est inouï que tu sois venue avertir personne, si nous en exceptons quelques grands saints, du jour, de l'heure, et de la manière dont tu viendrais les enlever de ce monde. Sera-ce à minuit ? Sera-ce au chant du coq ou au matin que nous mourrons ? C'est, ô mon Dieu, un secret dont vous vous êtes réservé la connaissance !

Qui serait plus en droit, ce semble, de braver la mort et de la moins appréhender que les jeunes gens ? Cependant, combien en surprend-elle tous les jours de forts et de robustes, qui se promettaient de longues années, mais qui, malgré ces promesses trompeuses, en ont été si vivement attaqués, qu'ils en sont demeurés la proie en très-peu de temps ? Ce proverbe est bien vrai qui dit que « tel se croit bien sain, qui porte la mort dans son sein », et souvent on est sain en apparence, lorsqu'on est mortellement malade, parce que ces deux moments, l'un qui termine votre santé, et l'autre qui commence votre maladie mortelle, ne sont divisés par aucun espace sensible.
C'est ce que l'expérience nous apprend tous les jours, et tous les jours nous oblige de nous dire ce que David disait à Jonathas : « Vive le Seigneur ! il n'y a pour ainsi dire qu'un point entre ma vie et ma mort ». Ne nous flattons point, mettons ordre à nos affaires ; c'est assez d'avoir un corps mortel pour avoir raison de craindre à chaque moment la mort.

Il n'y a peut-être qu'un jour de distance entre nous et l'éternité. Nous sommes environnés d'embûches, nous marchons sans cesse au milieu d'une infinité de dangers qui peuvent tous nous mettre au tombeau ; il n'y a pas de parties, de membres, de sens dans le corps humain, par où la mort ne puisse entrer ; et les médecins tombent d'accord que nous pouvons être attaqués à chaque instant par une infinité de maladies mortelles.

Mais de combien de moyens extérieurs la mort ne se sert-elle pas tous les jours pour enlever en un moment les hommes les plus sains ? Ô Dieu ! combien en a-t-elle fait mourir par le feu et par le fer ! combien de suffoqués dans les eaux et engloutis dans la terre ! combien sont morts par les maladies, et combien par les bêtes ! combien par le poison et les breuvages ! et cela est impossible à nommer.
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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

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A combien de personnes chaque jour, chaque nuit, chaque moment fait-il perdre la vie par des accidents inopinés ! combien se sont couchés forts et sains au moins en apparence, et qu'on a trouvés morts sur leur lit ! combien ont succombé au milieu des festins ! combien la peste et la guerre en font-elles mourir tous les jours ! Après cela, qui peut se promettre un moment de vie, étant en danger continuel de mourir par tant d'accidents, sans savoir précisément de quelle manière ?

Mais ce qui est le plus fâcheux, c'est qu'on ne sait pas en quel état on mourra. C'est peu de chose de mourir ; ce n'est pas même une chose fort à craindre de ne savoir ni le jour, ni l'heure, ni la manière de votre mort. Voici ce qui est infiniment à appréhender, c'est l'incertitude de l'état où elle nous surprendra. Mourrai-je en état de péché mortel ou en état de grâce ? je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que si je suis assez malheureux pour mourir en état de péché mortel, je serai éternellement damné. Mais pourquoi, ô mon Dieu, avez-vous voulu cacher un secret si important ? C'est premièrement, dit saint Augustin, pour nous obliger à nous tenir continuellement sur nos gardes, et à faire tous nos efforts pour être toujours en état de grâce, parce que, si nous ne mourons pas dans cet état heureux, nous serons infailliblement damnés : Habet ultimus dies ut observemus corda. C'est, en second lieu, pour nous obliger à pratiquer continuellement la vertu, et nous amasser des richesses spirituelles dans le peu de temps qui nous reste à vivre.

Ce sont là, mes Frères, les deux principaux fruits que nous devons retirer de la considération de la brièveté de la vie et de l'incertitude de la mort. Nous mourrons bientôt, donc nous devons employer le peu de temps qui nous reste à vivre dans l'acquisition des mérites et des richesses spirituelles et célestes ; c'est la conclusion que le Sage tire de la brièveté de la vie. Il est vrai que nous avons peu de temps à vivre, mais nous pouvons dans ce peu de temps nous amasser des trésors immenses pour le ciel, si nous l'employons aux bonnes œuvres. « Faites maintenant tout le bien que vous pourrez » : Quodcumque facere potest manus tua, instanter operare ( Eccl., IX, 10 ), « parce qu'il n'y aura plus ni œuvre, ni raison, ni sagesse, ni science dans le sépulcre où vous courez » : Quia nec opus, nec ratio, nec sapientia, nec scientia erunt apud inferos, quo tu properas. « Vous ne trouverez pas dans l'autre vie les vertus que vous aurez méprisées en celle-ci, dit saint Jérôme; hâtez-vous donc de demander grâce à Dieu, pendant que la porte de miséricorde est encore ouverte ; travaillez pendant que vous avez le temps, et que vous pouvez prévenir des maux éternels » Dum es in isto sæculo, festina agere pœnitentiam.

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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

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C'est cette même conclusion que tire l'apôtre saint Paul, lorsqu'il dit que ceux qui sont dans ce monde ne doivent nullement s'y attacher : Qui utuntur hoc mundo, tanquam non utantur; et pourquoi cela ? Præterit enim figura hujus mundi ; parce que la vie présente est une fumée qui se dissipe en un moment. (I Cor. , VII, 31. ) Ne devons-nous pas au moins prendre autant de sûreté pour notre salut, que pour nos affaires temporelles ? Et puisqu'on se sert de la brièveté de la vie et de l'incertitude de la mort pour mettre ordre à ses affaires temporelles, pourquoi donc ne pas s'en servir comme d'un motif pour travailler efficacement à son salut ? Chose étrange ! quand il s'agit des affaires temporelles : On ne sait pas, dit-on, qui vit ; on ne sait pas qui meurt ; c'est pourquoi il faut prendre toutes ses précautions dans ce contrat de vente ou d'achat, dans ce prêt ou cet emprunt d'argent, dans ce contrat de mariage. Et on demeure en repos à l'égard de la plus importante de toutes nos affaires, qui est le salut et l'éternité ; quel aveuglement que cette stupidité ! Il n'y a aucun marchand, touché du désir de s'enrichir, qui, sachant que dans une certaine foire qui ne doit durer qu'un jour, il s'enrichira pour le reste de sa vie, s'il est attentif à y bien exposer sa marchandise ; il n'en est aucun qui voulût négliger cette occasion et ne la ménageât avec tous les soins imaginables, quoiqu'il sache pourtant que la vie présente est moins qu'un moment en comparaison de l'éternité ; et néanmoins, s'il veut bien employer ce moment dans la pratique des bonnes œuvres, il s'enrichira et assurera son salut pour l'éternité, et il n'y pensera pas seulement !

Dites-moi encore, mes Frères, si vous aviez un procès de conséquence sur les bras, qui dût être jugé dans deux ou trois jours, n'emploieriez-vous pas ce peu de jours à solliciter vos juges par tous les moyens possibles pour vous les rendre favorables ? Consultez votre foi, et elle vous apprendra que vous avez sur les bras le plus important de tous les procès, où il ne s'agit pas moins que d'une éternité bienheureuse ou malheureuse ; vous avez affaire à un juge équitable, sévère et inflexible ; votre cause est mauvaise, et vous êtes dans vos torts ; le jour auquel ce procès sera décidé est celui de votre mort ; elle est plus proche que vous ne le pensez. Vous pourriez néanmoins, dans ce peu de temps, vous rendre votre juge favorable en faisant pénitence de vos péchés, et pratiquant les bonnes œuvres que vous avez négligées jusqu'ici ; et bien loin de là, vous ne faites que l'irriter par votre endurcissement ! cela se peut-il comprendre ?

Mais ce qui rend cet aveuglement plus déplorable, c'est que non-seulement vous mourrez bientôt, mais encore vous serez surpris de la mort lorsque vous y penserez le moins : Qua hora non putatis, Filius hominis veniet. Et par conséquent, dit Notre-Seigneur, vous devez vous tenir sur vos gardes et veiller, de peur que la mort ne vous surprenne vides de bonnes œuvres et pleins de péchés : Vigilate, etc. Hélas ! en effet, combien y a-t-il de personnes qui meurent au moment où je parle ! et combien en mourra-t-il avant que je finisse cette prédication ! et si elles meurent en péché mortel, où en seront-elles ? Et qui vous a dit que vous ne serez pas de ceux qui mourront aujourd'hui ou demain ? Vous n'en savez rien, ni vous ni moi ; veillez donc.

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Re: Sermon de saint Vincent de Paul sur la mort

Message par Laetitia »

Encore cette réflexion familière pour vous faire mieux entrer dans ma pensée. Dites, s'il vous plaît, si vous étiez enfermés dans une même maison avec cent autres condamnés à mort comme vous, lorsque vous verriez que le bourreau en viendrait tirer quelqu'un pour le traîner au supplice, ne seriez-vous pas dans une continuelle appréhension qu'il ne vous en tirât sur l'heure comme les autres ? Vous n'ignorez pas, mes Frères, que le monde est une prison d'où nous ne sortons que par la mort ; c'est à quoi tous les hommes sont condamnés ; vous voyez que la mort, comme un bourreau, enlève tous les jours ses prisonniers, lorsqu'ils y pensent le moins ; elle s'est déjà adressée à vos proches ; elle n'a peut-être pas épargné votre femme, votre mari, et bientôt elle s'attaquera à vous, sans que vous sachiez quand ce sera. Pourquoi n'êtes-vous donc pas sur vos gardes ? Voulez-vous, Chrétiens, que je vous dise sur cela ma pensée ? Les hommes sont, la plupart du temps, semblables à ces animaux immondes qu'on engraisse dans une étable : le boucher vient, il en pourra bien égorger un ; ils se prennent tous à crier tandis qu'on le saigne ; mais, un moment après, ils se mettent à manger et à dormir comme auparavant. Ainsi, dans cette famille où la mort enlève le père ou le fils, la mère ou la fille, on y fait d'abord beaucoup de bruit, on y verse bien des larmes ; mais huit jours après, on oublie tout ; et ceux qui sont restés sur la terre, comme s'ils étaient d'une autre condition que celui que la mort a enlevé, recommencent leurs anciens désordres, comme s'ils n'avaient rien à craindre ; quel déplorable aveuglement !

Tâchons, mes Frères, de ne pas nous en rendre coupables ; préparons-nous et tenons-nous continuellement sur nos gardes pour ce dangereux passage, d'abord par une bonne pénitence et ensuite par une bonne vie. Car enfin, il n'y a point de moment où nous ne puissions mourir ; séparez donc le péché de tous les moments de votre vie, de peur que le péché et la mort ne se rencontrent en même temps. Oh ! La triste et funeste rencontre ! O mort, toute seule tu n'es pas un mal ; péché seul, tu es un mal, et un très-grand mal, mais enfin tu n'es pas un mal sans remède. Voulez-vous donc, mes chers Frères, séparer ces deux maux et empêcher que la mort et le péché ne se rencontrent en même temps ? Détruisez par la pénitence vos péchés passés, n'en commettez plus à l'avenir, et vous mourrez sans péché. Mais vouloir vivre dans le péché et n'y vouloir pas mourir, c'est vouloir un miracle, et c'est vouloir ce qui n'arrive presque jamais ; c'est une vérité que je prouverai ailleurs plus au long, et que je ne touche qu'en passant, dans ce dernier point où les trépassés nous vont dire que la mort leur a servi de passage à une éternité conforme à la vie qu'ils ont menée ; c'est mon troisième point.

(à suivre)
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