Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XXe dimanche après la Pentecôte

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XXe dimanche après la Pentecôte

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PREMIER SERMON POUR LE XXe DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE,

où l'on explique l'Évangile du jour.


Rogabat Jesum ut descenderet, et sanaret filium ejus : incipiebat enim mori.
Il suppliait Jésus de venir et de guérir son fils, qui était près de mourir.
Joan. IV, 47.


L'évangile d'aujourd'hui renferme le récit d'un éclatant miracle, où nous voyons le fils d'un officier, déjà près de la mort, guéri au commandement de notre Seigneur. Voici la narration que fait de ce miracle l'évangéliste saint Jean : « Il y avait un officier dont le fils était malade à Capharnaüm : Cet homme ayant appris que Jésus venait de Judée en Galilée, alla le trouver, le supplia de venir, et de guérir son fils qui était près de mourir. Jésus lui dit : Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point. L'officier insista en disant : Seigneur, venez avant que mon fils ne meure, » etc. Ave, Maria.

Je sais, mes frères, quelle est la force et la tendresse de l'amour des parents pour leurs enfants. David nous en offre un remarquable exemple, lorsque, pleurant avec une douleur amère un fils parricide, il s'écrie : « Mon fils Absalon ! Absalon, mon fils ! Qui me donnera de mourir pour toi, Absalon, mon fils, mon fils Absalon ? » II Reg. XVIII, 33. Qu'il était fort l'amour porté à ce degré !

Telle est enfin la tendresse des parents pour leurs enfants, qu'elle a donné lieu à ce proverbe : « Un père pour nourrir cent enfants, cent enfants pour nourrir un père. » Quelques philosophes ont essayé de trouver les causes de l'inégalité qui existe entre l'amour paternel et l'amour filial. Naturellement, disent-ils, l'efflux se fait du principe à la chose qui en sort, et non dans le sens inverse. La sève, par exemple, va des racines aux branches, non des branches aux racines. Or, tel est l'ordre de la nature que là où se porte la substance, là aussi se porte l'amour. Une autre raison se tire de l'obligation où sont les parents de faire du bien à leurs enfants, obligation que l'Apôtre établit en ces termes : « Ce n'est pas aux enfants à amasser des trésors pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants. » Nec enim debent filii parentibus thesaurizare, sed parentes filiis, II Cor. XIII, 14.Or, dit Aristote, le bienfaiteur a plus d'amour pour l'obligé, que celui-ci pour son bienfaiteur ; car pour faire du bien, il faut aimer, et quoique celui qui a reçu des bienfaits soit tenu d'aimer, il ne le fait pas toujours, autrement il n'y aurait pas autant d'ingrats qu'on en voit sur la terre.

Mais la principale raison de cet amour, la voici : comme la nature, c'est-à-dire l'Auteur de la nature, ne fait jamais défaut dans tout ce qui est nécessaire à la conservation des êtres animés, et comme, parmi les choses nécessaires, il faut mettre au premier rang le soin des parents pour élever leurs enfants, et défendre contre mille dangers leur âge encore tendre, Dieu ne pouvait pas atteindre ce résultat par un moyen plus convenable qu'en mettant au cœur des pères un ardent amour pour leurs fils. Cela seul assure tout le reste, car il n'y a rien de plus fort, de plus patient et de plus infatigable que l'amour. « Quand on aime, dit très-bien saint Bernard, la peine disparaît, ou devient aimable. Aimons donc le Seigneur, et tout nous sera facile. »

Je veux faire ici, en l'empruntant aux philosophes, une remarque qui vous montrera la sollicitude et la sagesse admirable de la providence divine. Parmi tous les animaux, c'est aux oiseaux que l’Auteur de la nature a donné le plus d'amour pour leurs petits.
Voyez la poule : naturellement timide et craintive, elle ose, pour défendre ses poussins, s'attaquer à un homme armé; l'amour maternel l'emporte alors sur sa timidité ordinaire. Quelle est la raison de cette supériorité accordée aux oiseaux en ce qui concerne l'amour de la progéniture ? Parce qu'ils doivent se livrer à une fatigue plus grande pour nourrir leurs petits. Destinés à voler, ils ne pouvaient pas, comme beaucoup d'autres animaux, recevoir le lourd fardeau de mamelles gonflées de lait. Il leur faut donc, pour nourrir leurs petits, retirer les aliments déjà plongés dans leur propre gésier ; voilà pourquoi la divine providence, en même temps qu'elle leur a rendu plus pénible la charge d'élever leurs petits, a mis aussi en eux un amour paternel plus fort.

Mais arrivons à l'officier à qui son amour pour son fils malade inspire une si vive sollicitude.
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Après avoir tenté en vain tous les moyens de guérir son fils, il eut recours au Sauveur. Sans cette maladie, peut-être n'aurait-il jamais abordé Jésus, ni vu le miracle qui, non-seulement rendit à son fils la santé, mais lui donna à lui-même et à toute sa maison le don précieux de la foi. Dieu envoie souvent aux hommes des calamités pour les attirer doucement et miséricordieusement à lui. De là cette réflexion d'Origène parlant de Pharaon : « Que personne ne regarde comme un mal les châtiments divins. Pharaon, tout endurci qu'il est, devient meilleur sous la verge : avant d'être frappé, il ne connaît pas le Seigneur ; après, il s'écrie : « Priez le Seigneur pour moi, »Exod. x, 17.

Nous en avons encore un exemple dans l'empereur Valens et son préfet Modeste : tous deux étaient attachés à l'hérésie arienne, et par conséquent tous deux détestaient saint Basile, jusque-là que Valens avait résolu peu de temps auparavant de le condamner à l'exil ; tous deux néanmoins furent forcés par une maladie de venir implorer son secours.

Voici comment saint Grégoire de Nazianze raconte le fait. « Le fils de l'empereur, dit-il, était malade, et son père, comme père, était malade avec lui, cherchant de tous côtés des remèdes, s'adressant aux plus habiles médecins, et faisant, prosterné par terre, des prières plus nombreuses que de coutume; car le malheur incline aussi les rois. Ne trouvant aucun remède à ce mal, il résolut de recourir à Basile ; mais, à cause de l'injure récente qu'il lui avait faite, au lieu de s'adresser directement à lui, il choisit, pour les lui envoyer, des hommes qui lui étaient unis par les liens d'une amitié très-étroite. La même chose arriva, dit-on, peu de temps après au préfet Modeste. Une maladie qui lui survint le mit aussi aux pieds de Basile. Certes, les gens sensés doivent retirer de là un grand enseignement, c'est que souvent l'affliction est meilleure et plus désirable que la prospérité. Modeste était malade : il pleurait, il était en proie à la douleur, il mandait Basile, il le suppliait. Vous êtes vengé, disait-il, guérissez-moi ; et il fut guéri.» Tel est le récit de saint Grégoire.

Vous voyez, mes frères, combien l'affliction du corps est utile au salut de l'âme. Parlerai-je d'Antiochus, le plus impie de tous les rois de l'Asie ? Frappé par la main de Dieu d'une maladie terrible, il ne laissa pas d'abaisser la hauteur de son orgueil. On lit de lui au chapitre IX du second livre des Macchabées : « Cet Antiochus qui, s'élevant par son orgueil au-dessus de la condition humaine, s'était flatté de pouvoir même commander aux flots de la mer et peser dans une balance les montagnes les plus hautes, se trouva alors humilié jusqu'à terre, et était porté tout mourant dans une chaise, attestant publiquement la toute puissance de Dieu qui éclatait en sa personne... Il commença donc à rabattre de son grand orgueil et à entrer dans la connaissance de lui-même, étant averti par la plaie dont Dieu le frappait. .. Il est juste, dit-il, que l'homme soit soumis à Dieu, et qu'un simple mortel ne s'égale pas au Dieu souverain, » II Macch. IX, 8-12. Cet exemple vous montre, mes frères, quel est le fruit des afflictions.

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Qu'y a-t-il donc d’étonnant que l'officier de l’Évangile, voyant son fils près de mourir, et n'ayant plus d'espoir dans les remèdes humains, ait eu recours au Sauveur Jésus. Que personne donc ne se plaigne d'avoir à souffrir quelque malheur temporel, quelque maladie, puisqu'il peut y trouver un remède à sa langueur spirituelle, un aiguillon qui le fera sortir de son assoupissement et le ramènera à Dieu. Ce qu'il faut faire alors, Salomon nous l'apprend : « Mon fils, ne rejetez point la correction du Seigneur, et ne vous abattez point lorsqu'il vous châtie ; car le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il trouve en lui son plaisir, comme un père dans son fils. » Disciplinam Domini, fili mi, ne abjicias; nec deficias cum ab eo corriperis ; quem enim diligit Dominus corripit, et quasi pater in filio complacet sibi. Prov. III, 11, 12. Loin donc que le chrétien ainsi éprouvé s'imagine que Dieu est irrité contre lui, il doit voir, au contraire, dans sa souffrance, une attention et un bienfait de la paternelle providence du Seigneur.

C'est ce que saint Paul explique très-bien dans son épître aux Hébreux (chap. XII, 7 seqq. ); comparant la conduite de Dieu à celle des pères selon la nature, il conclut ainsi : « Dieu vous traite en cela comme ses enfants ; car quel est l'enfant qui ne soit point châtié par son père ? En outre, si nous avons eu du respect pour les pères de notre corps lorsqu'ils nous ont châtiés, combien plus devons-nous être soumis à celui qui est le père des esprits, afin de jouir de la vie ? » Il va jusqu'à dire que ceux que Dieu ne châtie pas en cette vie ne sont pas ses enfants : « Si vous n'êtes point châtiés, tous les autres l'ayant été, vous êtes donc des bâtards, et non des enfants légitimes. » Certes, voilà une grande consolation pour tous ceux que le malheur éprouve.

Nous allons voir la vérité de ces réflexions confirmée par l'exemple de l'officier de notre évangile.
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Ayant résolu d’aller demander au Médecin céleste la guérison de son fils, il trouva l'occasion favorable ; car Jésus venait de quitter la Judée pour venir en Galilée, et ce tendre père put le rencontrer non loin de sa ville. La même occasion favorable nous invite, mes frères, à aller trouver Jésus ; voici qu'il a passé, dans un sens mystique, de Judée en Galilée. La Judée, en effet, c'est le lieu de la confession et de la louange, la Galilée celui du passage et du changement.

Lors donc que le Seigneur, quittant le lieu de la confession et de la louange, est descendu dans celui du changement et s'est rapproché de nous par le bienfait de son incarnation, les publicains et les pécheurs, les Chananéennes et les adultères ont pu l'aborder et lui adresser leurs demandes. Car le fils de Dieu est venu dans la Galilée de ce monde quand il a pris notre chair, quand il a daigné s'assujettir à nos vicissitudes, à nos douleurs, à notre mortalité, éprouver, comme un homme ordinaire, la faim, la soif, le froid, et passer par tous les changements qu'apportent avec eux les différents âges, lui qui est toujours le même dans son immuable éternité. Nous avons donc une occasion favorable pour demander, que dis-je ? pour espérer et obtenir. L'Apôtre ne dit-il pas : « Il a fallu que Jésus fût en tout semblable à ses frères pour être devant son Père un pontife compatissant... Car c'est de ses souffrances et de ses épreuves qu'il tire la vertu de secourir ceux qui sont ainsi éprouvés. » Debuit per omnia fratribus similari, ut misericors fieret, et fidelis pontifex ad Deum. .. In eo enim in quo passus est ipse et tentatus, potens est et eis, qui tentantur, auxiliari, Hebr. 11, 17-18. Quand donc le Sauveur, attiré par l'amour qu'il a pour nous, descend dans la Galilée de ce monde, et prend lui même tous nos maux pour les guérir, voilà un moment favorable pour nous approcher de lui. Quel homme refuserait d'aborder un Dieu-homme, c'est-à-dire un Dieu semblable à lui ? Que pourra refuser à d'humbles prières celui qui s'est donné lui-même ? Me fuira-t-il quand je le cherche, celui qui m'a cherché quand je le fuyais ? Que ne puis-je pas espérer de celui qui a pris sur lui tous mes péchés pour les expier en sa personne ? Comment refuserait-il de me prêter un secours qui ne lui coûte ni peine ni fatigue, celui qui m'a racheté au prix de tant de souffrances ? Vous voyez, mes frères, combien l'occasion est favorable, non-seulement pour prier, mais encore pour espérer, alors que le Seigneur est descendu de Judée en Galilée.

Cette occasion, l'Apôtre ne veut pas que nous la laissions échapper ; voici la recommandation qu'il nous adresse (II Cor. Vi, 1, 2) : « Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. Car il dit lui-même (Is. XLIX, 8 ) : Je vous ai exaucé au temps favorable, et je vous ai aidé au jour du salut. Voici maintenant le temps favorable ; voici maintenant le jour du salut ; » voici l'année jubilaire, où le Seigneur se laisse apaiser ; voici le temps de la propitiation et de la réconciliation, où tous les trésors de la miséricorde divine sont épanchés sur la terre. Que tous mettent à profit cette circonstance. Imitons les hommes de mer : aussitôt qu'un vent favorable commence à souffler, ils lèvent l'ancre et déplient les voiles, laissant sur le rivage les passagers en retard, de peur de manquer une occasion dont peut-être ils attendraient longtemps le retour. Qu'ajouterai-je ? Celui-là même qui doit nous porter secours nous invite à l'implorer, nous ordonne de chercher, de frapper à la porte. C'est le Médecin qui vous appelle, la vérité qui vous promet le salut. Si vous répondez, si vous vous rendez à cet appel, Dieu vous abandonnera-t-il ? Se retirera-t-il ? Non, dit saint Augustin, Dieu ne se joue pas des hommes ; il vous recevra et pourvoira à vos besoins.

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I.


Voilà ce que vous laisse entendre la demande de l'officier ; voyons maintenant quelle fut la réponse du Sauveur : « Si vous ne voyez, dit-il, des miracles et des prodiges, vous refusez de croire. » Ces paroles, qui condamnent l'incrédulité de l'officier, semblent empreintes d'une certaine sévérité. Il est vrai que l'incrédulité était si pénible à notre Seigneur qu'elle lui arrache, dans une autre circonstance, ce cri d'indignation : « 0 race incrédule, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous souffrirai-je ? » O generatio incredula, quamdiu apud vos ero, quamdiu vos paliar ? Marc. ix, 18. Ces reproches font voir combien Jésus-Christ a plus à cœur le soin de nos âmes que celui de nos corps, lui qui est venu pour sauver, non des corps qui doivent périr bientôt, mais des âmes immortelles. Ainsi, tandis que l'officier n'avait de sollicitude que pour la santé de son fils, le Sauveur portait la sienne sur l'infidélité du père, maladie bien plus grave et bien plus pernicieuse à ses yeux. De même, une autre fois qu'on lui présentait un paralytique à guérir, très-juste appréciateur des choses, il donna d'abord son attention à la paralysie de l'âme, et ce fut elle qu'il voulut guérir la première, en disant : « Mon fils, vos péchés vous sont remis, » Matth. ix, 9. Que faites-vous, Seigneur ? Ceux qui ont apporté ce malade ne songent même pas à la rémission de ses péchés ; ils ne sont occupés que de la maladie corporelle. Mais le sage Médecin n'avait garde de négliger une maladie plus grave, qui faisait à l'âme une blessure mortelle, pour guérir en premier lieu le corps. Il résolut donc, sans qu'on l'en priât, de guérir d'abord le mal qui était le plus funeste, surpassant ainsi, comme le chante l’Église, par l'abondance de sa miséricorde, les mérites et les vœux de ceux qui l'implorent. Telle est aussi sa conduite avec l'officier, qu'il commence par arracher à l'infidélité avant de délivrer son fils de la fièvre. « Si vous ne voyez, dit-il, des miracles et des prodiges, vous ne croyez pas. »

Ici se présente une assez grave difficulté. Comment l'officier est-il repris pour son incrédulité, lui qui, désespérant de tout secours humain, vient s'adresser à notre Seigneur ? Lui demanderait-il une grâce semblable, s'il ne le regardait pas comme le Sauveur du monde ? Saint Grégoire répond que cet homme avait la foi en partie, puisqu'il demandait la guérison de son fils, et en partie ne l'avait pas, parce qu'il s'imaginait que la présence corporelle du Sauveur était nécessaire pour cela. « Il le pria donc, dit l’Évangile, de venir et de guérir son fils. » Sa foi était celle du syrien Naaman, qui regardait comme nécessaire à sa guérison le contact de la main du Prophète accompagné d'une prière. Voilà pourquoi il fut justement repris par Jésus, non pour manquer absolument de foi, mais pour n'avoir qu'une foi imparfaite.
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Mais voici une difficulté plus grande. Au chapitre neuvième de saint Matthieu, le chef de la synagogue demande à notre Seigneur la guérison de sa fille malade : « Venez, dit-il, mettez sur elle votre main, et elle vivra. » Et le Sauveur, sans lui adresser un mot sévère, part avec lui, et affermit pendant la route sa foi encore vacillante, en disant : « Ne craignez point, croyez seulement et elle sera sauvée. » D'où vient une conduite si différente dans des circonstances tout-à-fait semblables ? C'étaient tous deux des personnages importants, tous deux demandaient une guérison miraculeuse, tous deux, regardant la présence de notre Seigneur comme indispensable, le conjuraient de les suivre. La seule différence, c'est que l'officier priait pour son fils, et le chef de la synagogue pour sa fille. Pourquoi donc le Seigneur se rend-il aux désirs de l'un, se met en route avec lui, l'affermit et le console, tandis qu'il refuse de suivre l'autre et lui fait des reproches sévères ? Qui pourra résoudre cette question difficile ? « Qui connaît, dit l'Apôtre, les desseins de Dieu, et qui est entré dans le secret de ses conseils ? » Rom. XI, 34. Il faut nécessairement qu'il y ait eu quelque différence soit dans la foi, soit dans la prière, soit dans l'humilité de ces deux hommes, différence que l’Évangile ne mentionne pas. Mais elle n'échappa point aux yeux dont il est dit : « As-tu donc des yeux de chair ? Vois-tu comme voient les humains ? » Numquid oculi carnei tibi sunt, aut sicut videt homo, et tu vides ? Job. x, 4. De là ces paroles de Salomon : « Toutes les voies des hommes sont ouvertes à ses yeux ; le Seigneur pèse les esprits. » Omnes viæ hominum patent oculis ejus; spirituum ponderator est Dominus, Prov. XVI, 2. Les hommes, en effet, n'aperçoivent que l'extérieur d'une action, mais Dieu pèse les cœurs, d'où naît la valeur principale et le mérite des œuvres. Voilà pourquoi des œuvres semblables en apparence ont un prix et un mérite différents. Voilà pourquoi encore, lorsque deux hommes voulaient suivre le Seigneur (Matth. VIII), et que l'un disait : « Maître, je vous suivrai partout où vous irez ; » l'autre : « Permettez-moi auparavant d'aller ensevelir mon père, » il fut dit à celui-ci : « Laissez les morts ensevelir les morts, » tandis que l'autre, repoussé par le Seigneur, entendit cette réponse : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » Qu'est-ce donc que le Seigneur voyait dans le cœur de ces deux hommes pour entraîner l'un malgré sa résistance, et repousser l'autre malgré ses offres ? Ou bien serait-ce simplement un jeu du hasard ? Non, certes ; il y avait là un mystère inaccessible à l’œil de l'homme, mais sans voile pour le regard divin.
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Qu'ils apprennent donc à rester humbles, ceux qui se livrent à la pratique des bonnes œuvres ; car tous ne savent pas ce qui se cache dans les arcanes du cœur. Autrement Salomon ne dirait pas : « Il y a une voie qui paraît droite à l'homme, mais elle aboutit à la mort. » Est via quæ videtur homini recta, et novissima ejus ducunt ad mortem. Prov. XVI, 25.C'est pourquoi l'Apôtre saint Pierre nous avertit « de vivre dans la crainte durant le temps de notre pèlerinage sur la terre, » in timore incolatus vestri tempore conversamini, I Petr. 1, 17.
On peut répondre encore que, quoique la foi de ces deux hommes fût également faible, notre Seigneur leur fit cependant une réponse différente. Car la liberté de Dieu n'est pas tellement enchaînée par les événements, qu'il ne lui soit pas libre de porter une sentence différente dans deux causes semblables, en respectant toutefois l'intégrité de la justice. Il n'est pas soumis, dans la distribution de ses bienfaits, aux lois qui règlent la vente et l'achat, où le prix doit être égal à la chose. Dieu suit la coutume d'un prince très-libéral, qui accorde ses dons magnifiques, non-seulement à ceux qui les méritent, mais encore à ceux qui n'en méritent aucun, agissant alors en vertu de sa seule libéralité.

Deux larrons étaient suspendus en croix avec notre Seigneur; leur faute, comme leur châtiment, paraissait semblable ; et cependant telle fut la différence de leur sort, que l'un monta de la croix au ciel, et que l'autre en descendit pour tomber dans l'enfer.
Cette liberté souveraine, le Seigneur lui-même la revendique comme l'apanage de sa divinité : « Je ferai miséricorde, dit-il, à qui je voudrai, et j'userai de clémence envers qui me plaira. » Miserebor cui voluero, et clemens ero in quem mihi placuerit, Exod. XXXIII, 19. Tel est le privilège de celui qui ne doit rien à personne, et ne reconnaît aucun supérieur. Ainsi, la liberté et la bonté gratuite de Dieu peuvent expliquer la différence de sa conduite envers ces deux officiers, dont la foi était également faible et malade, mais dont l'un fut accueilli avec miséricorde et bonté, tandis que l'autre entendit ce reproche : Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous refusez de croire. »

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II.


« Seigneur, dit l'officier, venez avant que mon fils ne soit mort. » En d'autres termes : De grâce, Seigneur, ne perdez pas le temps à parler et à gronder, de peur que mon fils ne vienne à mourir et qu'alors il n'y ait plus de remède. Voilà une nouvelle marque de son peu de foi : dans sa persuasion, Jésus pouvait bien guérir un malade, mais non ressusciter un mort ; aussi le presse t-il en disant : « Seigneur, venez avant que mon fils ne soit mort ; » ce qui presse en ce moment, ce n'est pas de nous adresser des reproches, c'est de sauver mon fils mourant tandis qu'il en est temps encore. Ce langage, mes frères, me paraît renfermer une description fidèle de la conduite, des préférences et des sollicitudes des justes et des méchants, et je voudrais vous en mettre le tableau sous les yeux.

Les justes disent avec l’Épouse dans le Cantique (chap. II, 4) : « Le Roi m'a introduite dans le cellier, il a ordonné en moi la charité, » c'est-à-dire, parmi tous les dons que m'a fait le céleste Époux, je regarde comme le plus grand qu'il m'ait appris à observer l'ordre de la charité, qui consiste à aimer en premier lieu ce qui est plus digne d'amour, en dernier lieu ce qui est moins digne d'amour, sans que rien puisse me faire dévier de cette règle. Au premier rang se trouve le Dieu très-bon et très-grand, digne d'un souverain amour et pour lui-même et pour les innombrables bienfaits dont il nous a comblés. Vient ensuite le salut de notre âme, auquel, après Dieu, rien n'est préférable ; en troisième lieu, le salut du prochain, préférable à tout autre bien ; puis la vie de chacun et celle des autres ; enfin ce qui sert à cette vie, comme sont les biens extérieurs, que les plus illustres philosophes ne placent pas même au nombre des biens véritables. C'est dans l'observation de cet ordre que consiste la piété, la religion et la justice. Aussi saint Augustin définit-il la vertu avec autant de concision que de justesse, en disant qu'elle consiste dans l'ordre de l'amour, c'est-à-dire à aimer plus ou moins ce qui est plus ou moins digne d'amour. Car toute la vertu et toute la sagesse d'une créature raisonnable, c'est d'estimer chaque chose ce qu'elle vaut. De là ce mot de Sénèque : « Qu'y a-t-il d'aussi nécessaire que d'assigner sa valeur à chaque chose ? »
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Ajoutons, pour qu'on ne trouve aucune contradiction dans cette doctrine, que les deux objets que nous devons aimer par-dessus tout, Dieu et notre âme, ne sont pas opposés entre eux, parce que, par une sage combinaison de la Providence divine, la gloire de Dieu et le salut de notre âme sont tellement liés ensemble, que tout ce qui contribue à cette gloire se trouve être en même temps avantageux à notre salut. C'est la pensée de saint Eucher dans une lettre à l'empereur Valérien : « Nous nous devons tout entiers à Dieu, et après lui nous devons le plus à notre âme, de telle sorte cependant que de ces deux obligations souveraines l'une ne peut être remplie sans que l'autre le soit. Quiconque rend à Dieu ce qu'il lui doit, pourvoit aux intérêts de son âme, et quiconque pourvoit aux intérêts de son âme, rend à Dieu ce qu'il lui doit : par une disposition de l'ineffable bonté de Dieu, ce qui nous est utile devient en même temps un sacrifice agréable au Seigneur.

Tel est l'ordre que les saints ont toujours invariablement gardé, jusqu'à aimer mieux perdre la vie que de le violer. Voilà pourquoi les martyrs ont volontiers donné leur vie pour ne rien faire qui fût opposé soit à la gloire de Dieu, soit au salut de leur âme.En sacrifiant ainsi un bien moindre à un bien plus excellent, ils imitaient la prudence du serpent, qui,menacé de quelque danger, se contente de se cacher la tête et laisse son corps exposé aux coups, afin de sauver la partie de lui-même qui donne la vie à tout le reste. Telle est la conduite des chrétiens fervents.

Bien différente est celle des méchants. Profanes enfants d’Esaü, qui a préféré un vil plat de lentilles à l'héritage et à la bénédiction paternelles, ils renversent l'ordre dont nous parlons, et mettent au premier rang des choses viles et indignes de cet honneur, au dernier ce qu'il y a de plus grand et de plus précieux. Ainsi, préférant l'argent et les commodités du corps à Dieu et au salut de leur âme, ils outragent la majesté de Dieu et se damnent pour un gain sordide. Quoi de plus révoltant ? Viennent-ils à perdre quelque argent ou tout autre avantage matériel, les voilà consternés, au désespoir, au point d'attenter à leur propre vie ; tandis que la perte de Dieu et de leur âme les laisse sans regret ; souvent même ils se réjouissent d'avoir fait le mal, comme si l'amitié de Dieu et le salut de leur âme n'étaient rien pour eux,

En vain essaieriez-vous de les arrêter en leur disant : Considérez, ô hommes, que la grandeur de la majesté divine et l'excellence de votre âme exigent que Dieu et votre âme soient au premier rang dans votre estime. Quel affreux renversement de préférer ce qu'il y a de plus vil à ce qu'il a de plus grand et de plus sacré ! N'est-ce pas comme si vous préfériez le plomb à l'or, le caillou des chemins aux pierres précieuses ? Considérez qu'en perdant votre âme vous perdez aussi la vie du corps qui vous est si chère, puisque vous perdez la vie éternelle, l'amitié de Dieu et la grâce, vous vous bannissez du paradis et vous condamnez à des supplices qui ne finiront pas. Pourquoi donc êtes-vous ainsi les ennemis de vous-mêmes ? Ah ! ouvrez un moment les yeux, je vous en conjure, et comparez ensemble ce que vous cherchez et ce que vous négligez, ce que vous gagnez et ce que vous perdez. — Avertissements inutiles ! Ils sont sourds et aveugles ; l'éclat de l'or et les plaisirs du corps ont fasciné leurs oreilles et leurs yeux ! Que leur pied, que leur main, que leur foie éprouve quelque douleur, on fait venir des médecins ; la pharmacie n'a pas assez de remèdes ; leur famille s'empresse, se hâte, veille ; on prodigue l'argent si longtemps enfoui ; toute la maison est sur pieds : que l'âme soit malade et en danger de périr, nul souci, nulle sollicitude.

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C'est ce que nous représente l'officier de l’Évangile ; notre Seigneur veut guérir la faiblesse de sa foi, mais il l'interrompt et le rappelle du soin de l'âme au soin du corps : « Venez, Seigneur, dit-il, avant que mon fils ne soit mort. » Comme s'il disait : Seigneur, votre premier soin doit être de guérir le corps ; vous porterez ensuite secours à l'âme. Quand vous aurez sauvé mon fils, vous pourrez, s'il vous reste du loisir, guérir mon incrédulité. Faites maintenant ce qui presse le plus, ce qui importe davantage. «Venez vite, avant que mon fils ne meure. »

Oh ! si Dieu nous faisait la grâce, lorsqu'un danger menace notre âme, qu'une pensée mauvaise, par exemple, qu'une image dangereuse tente de la séduire, de recourir à lui avec le même empressement, en disant : Venez, Seigneur, portez-nous secours avant que le consentement au mal ne donne la mort à mon âme !
Car il y a plusieurs degrés à parcourir pour arriver à la mort spirituelle de l'âme : le premier est la pensée mauvaise ; le second, la délectation qu'on éprouve dans cette pensée ; le troisième, qui donne la mort, c'est le consentement soit à l'acte, soit à la délectation elle-même. Ainsi, mon cher auditeur, chaque fois que par votre négligence la pensée du péché en est arrivée à la délectation, et s'est, par la glu du plaisir, si fortement attachée à votre âme que vous avez de la peine à vous en débarrasser, hâtez-vous, à l'exemple de cet officier, de pousser un cri d’alarme : « Venez, Seigneur, avant que mon fils ne soit mort, » avant que cette délectation qui « a conçu la douleur n'enfante l'iniquité, » concepit dolorem et peperit iniquitatem, Ps. VII, 15.

Dites alors avec le Prophète : « Venez à mon aide, ô mon Dieu ; Seigneur, hâtez-vous de me secourir, » Ps. LXIX, 2. Ou bien : « 0 Dieu, ne gardez pas le silence, ne vous taisez pas, » ne vous retenez pas, comme d'autres traduisent de l'hébreu ; « car voici que vos ennemis ont excité un grand tumulte, » Ps. LXXXII, 2, 3.

Vous voyez avec quelle promptitude, avec quel empressement le saint Prophète demande à Dieu de le secourir contre ses ennemis !

(à suivre)
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