Telle est, mes frères, l'hydropisie spirituelle qui atteint une si grande partie des hommes. Celui donc qui veut épargner à sa dernière heure ces aiguillons du remords, qu'il adresse au Seigneur des prières continuelles pour être délivré de cette maladie.
Vient ensuite l'autre partie de l'évangile, qui nous détourne de l'orgueil et de l'ambition, et nous exhorte à la vertu d'humilité.
Notre Seigneur exprime le fruit de cette vertu dans une maxime célèbre qui termine l'évangile : « Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé. »
Après avoir expliqué l'évangile, parlons maintenant, à l'occasion du sabbat, de la célébration des fêtes que nous devons sanctifier par la prière, par l'action de grâces et par la méditation des choses divines.
DÉVELOPPEMENT DU TEXTE.
« Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? » Il est impossible d'étudier avec un peu d'attention les livres de l'Ancien Testament, sans être étonné de l'insistance que met le Seigneur à recommander le culte du sabbat. « Souviens-toi, dit-il dans l'Exode (XX, 8, 9), de sanctifier le jour du sabbat. Tu travailleras pendant six jours, mais le septième sera le sabbat (repos) du Seigneur ton Dieu. Ce jour-là tu ne feras aucun travail, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes animaux, ni l'étranger qui se trouve dans tes murs. Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment, et il s'est reposé le septième jour. C'est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et la sanctifié. » « Ayez soin, dit-il encore au même livre (XXXI, 13), de garder mon sabbat : c'est un signe entre vous et moi, » c'est-à dire, je veux qu'à ce signe on reconnaisse ceux qui m'honorent entre toutes les nations et entre tous les hommes. Il en fut ainsi, au témoignage même d'un poète païen, qui distinguait par là le peuple Juif des autres peuples, comme le prouve ce vers :
Quidam sortiti metuentem sabbata patrem. Quelques-uns nés d'un père qui observe le sabbat.
Quelle est la récompense que Dieu promet à ceux qui observent cette loi ? Jérémie nous l'apprend dans ce passage : « Veillez sur vos âmes ; ne portez point de fardeaux au jour du sabbat, et n'en faites point entrer par les portes de Jérusalem. .. Sanctifiez le jour du sabbat, comme je l'ai ordonné à vos pères. Si vous m'écoutez, dit le Seigneur, et si vous ne faites point passer de fardeaux par les portes de cette ville au jour du sabbat, des rois et des princes passeront par ces portes, et elle sera habitée éternellement. » Chap. XVII, 21 seqq. Enfin quelques Israélites pieux ont observé ce jour avec un tel respect, qu'ils n'osèrent prendre les armes pour se défendre, aimant mieux être massacrés par les ennemis que de violer le sabbat. Nous en trouvons un exemple au chapitre 11 du livre Ier des Macchabées. On dit que le Seigneur lui-même confirma par un miracle ce respect extraordinaire ; car Fulgosius rapporte qu'il y avait dans ce pays un fleuve dont les eaux ne coulaient plus comme à l'ordinaire le jour de sabbat : aussi le nom de Sabbat lui fut-il donné.
Quoi donc ? Le repos est-il assez agréable à Dieu pour que la recommandation en soit faite si souvent et avec tant d'instance dans nos saints livres ? Dieu est esprit, dit le Sauveur ; il aime par dessus tout les vertus spirituelles, c'est-à-dire la charité, la bonté, la justice, la miséricorde, l'humilité et autres semblables ; pourquoi donc a-t-il voulu recommander de tant de manières la cessation extérieure du travail ? Nous répondons que le repos et la cessation du travail ne sont pas agréables à Dieu à ce point ; mais qu'il y a un devoir qui lui est très-agréable, et que ce devoir ne peut être commodément rempli qu'en l'absence de toute autre occupation. Quel est ce devoir ? L'élévation de l'âme vers Dieu, auteur de notre vie et de notre salut, ou, si vous voulez, la prière qui demande un esprit en repos, libre, tranquille, dégagé de toute sollicitude et de toute occupation extérieure ? « Soyez dans le repos, dit le Seigneur lui-même, et considérez, car c'est moi qui suis Dieu. »
Vacate et videte, quoniam ego sum Deus. Ps. XLV, 11.
Sous le nom de prière, nous comprenons deux devoirs distincts : la demande et l'action de grâces ; l’un se rapporte à l'avenir, l'autre au passé ; l'un a pour point de départ la considération de notre faiblesse et de notre misère, l'autre le souvenir des bienfaits de Dieu. Car la connaissance de notre faiblesse nous engage à implorer sans relâche le secours divin, et le souvenir des bienfaits de Dieu nous invite à la louange et à l'action de grâces. Aussi le précepte du sabbat est-il sous un rapport purement cérémoniel, et moral sous l'autre rapport. La fixation du jour appartient à la classe de lois appelées cérémonielles ; c'est pourquoi les chrétiens l'ont transféré au dimanche en l'honneur de la résurrection du Sauveur. Mais la prière, et le double devoir qu'elle renferme, fait partie des lois morales ; c'est pourquoi elle est aujourd'hui encore en vigueur et ne sera jamais abolie. C'est à elle que nous allons consacrer la dernière partie de ce discours. Parlons d'abord, mais en quelques mots seulement, parce que nous avons traité ailleurs ce sujet plus au long, du premier devoir renfermé dans la prière, c'est-à-dire de la demande. Je ne puis mieux vous montrer sa nécessité et son excellence qu'en la comparant à une mine d'or très-riche et inépuisable. Si quelqu'un consacre à la fouiller une heure de travail, il retirera une certaine quantité d'or ; s'il travaille deux heures, il en recueillera le double ; trois ou quatre heures lui vaudront une quantité beaucoup plus considérable du précieux métal, et il pourra y puiser ainsi sans terme et sans fin, car la veine est si riche qu'en y travaillant toujours on ne pourra jamais l'épuiser. C'est l'huile miraculeuse d’Élisée, qui ne cessa de couler que quand il n'y eut plus de vase pour la recevoir. ( IV Reg. IV, 6.)