Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XVIe dimanche après la Pentecôte

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XVIe dimanche après la Pentecôte

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PREMIER SERMON POUR LE SEIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE.

où, après avoir développé l'Évangile du jour, on donne une explication mystique de la loi du Sabbat.



Si licet sabbato curare ?
Est-il permis de guérir le jour du sabbat ?
Luc. XIV, 3.



Au commencement de la sainte lecture que vous venez d'entendre, mes chers frères, il est question de l'observation du sabbat, cette loi que le Seigneur avait commandé de garder si religieusement, que non seulement toute œuvre servile était défendue ce jour-là sous peine de mort, mais qu'il n'était pas même permis d'allumer du feu dans les maisons, ou de recueillir la manne dans le désert : c'est pourquoi tout le peuple en recueillait la veille une double mesure. La raison d'un précepte si rigoureux était de donner aux hommes, libres de tout soin et de tout travail profane, la faculté de vaquer aux choses divines et à leur salut. N'était-il pas juste qu'après s'être occupés durant six jours des intérêts de leur corps, ils consacrassent le septième au salut de leur âme ; qu'après avoir travaillé six jours pour eux-mêmes et leurs propres avantages, ils en donnassent un seul à Dieu, auteur de la vie et de tout bien ? Ce jour-là donc, les pieux Israélites se livraient à la prière, à l'action de grâces, à la méditation des choses divines : c'était là vraiment sanctifier le sabbat. Car le repos, si la piété et la raison elle-même en sont absentes, loin d'être utile, a reçu du Sage cette flétrissure : « L'oisiveté enseigne beaucoup de malice. » Eccli. XXXIII, 29.

Mais le sabbat était sanctifié par ces pieuses occupations.
Comme nous devons, dans la loi nouvelle, faire la même chose pour nos jours de fête, nous allons expliquer par quelles œuvres nos fêtes et nos dimanches doivent être sanctifiés. Toutefois, nous commencerons par donner une explication de l’Évangile. Pour traiter ce sujet d'une manière pieuse et utile, demandons humblement l'assistance divine par l'intercession de la très-sainte Vierge. Ave, Maria.

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Nous remarquons dans cet évangile, mes frères, une ruse insigne des Pharisiens pour surprendre Jésus. Ce qui nous montre que nous sommes redevables à notre divin Sauveur, non-seulement pour l'indigne supplice de la croix, mais pour beaucoup d'autres souffrances qu'il endura pendant sa vie. Car ce n'est pas seulement le jour de sa passion, mais toute sa vie qui fut une croix très-amère. Il trouva, dit saint Bernard, des espions de ses actes, des contradicteurs de ses paroles, et des railleurs de ses tourments. Aussi l'épouse du Cantique l'appelle-t-elle « un faisceau de myrrhe, » Cant. 1, 12, parce que la haine et l'envie de ses ennemis n'ont pas cessé de lui susciter des persécutions et des tourments.

Quelle était, me demanderez-vous, la cause de cette haine acharnée, que la mort elle-même ne put assouvir ? Elle avait sa source dans l'orgueil des Pharisiens, qui ne pouvaient supporter que Jésus-Christ leur reprochât leurs crimes. Le Maître céleste savait que tout véritable docteur du peuple doit accomplir la parole divine : « Crie, et ne cesse pas ; donne à ta voix l'éclat de la trompette, et dénonce à mon peuple ses crimes, » Isai. LVIII, 1.

Les faux prophètes, pour ne pas encourir la haine du peuple, négligeaient ce précepte ; aussi le Seigneur les appelle-t-il « des sentinelles aveugles, des chiens muets, qui ne savent pas aboyer,» Isai. LVI, 10. Il dit encore dans Jérémie ( Thren. II, 10 ) : « Vos prophètes ont eu des visions fausses et extravagantes, et ils ne vous découvraient point vos iniquités pour vous exciter à la pénitence. » Ce crime ne fut pas celui du Sauveur qui dit de lui-même au Psaume XXXIX, 10 : « J'ai publié votre justice dans une assemblée nombreuse. Non, mes lèvres ne sont pas fermées : Seigneur, vous le savez. » Comme s'il disait : Quoique je fusse menacé de la mort, je n'ai pas cessé d'annoncer votre justice et de reprendre les méchants de leurs vices, ceux-là surtout dont le scandale était plus coupable que la faute même, tels que les Scribes et les Pharisiens. Voilà pourquoi ils imaginaient contre lui tant d'embûches, tant de pièges et de calomnies. Que dans tous les siècles votre nom soit béni, Seigneur, qui avez daigné souffrir tant d'opprobres pour notre salut ! Les mains des impies ne vous ont crucifié qu'une fois, mais leurs langues mille fois.
« Les enfants des hommes ont des dents qui sont des armes et des flèches, et leur langue est un glaive acéré, » Ps. LVI, 5.

Telle était la cause principale de la haine des Pharisiens.

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Nous les voyons, dans l'évangile d'aujourd'hui, dresser contre notre Seigneur de nouvelles embûches. Ils l'invitent à dîner chez un des premiers d'entre eux, et cela le jour du sabbat, jour où les Juifs s'imaginaient, non pas en vertu de la loi divine, mais par une vaine superstition, qu'il était défendu de guérir les malades. Ils lui mettent donc devant les yeux un hydropique, persuadés que sa charité ne le renverrait pas sans lui avoir accordé le bienfait de la guérison : tant ses ennemis eux-mêmes présumaient de la miséricordieuse bonté de Jésus ! Comprenant leur pensée, le Sauveur leur demande : « Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? »

Ils gardèrent le silence, sans doute de peur qu'une réponse quelconque ne fît avorter leurs desseins. Si nous disons : Cela est permis, nous ne pourrons témoigner contre lui, à moins de nous condamner nous-mêmes qui aurons autorisé son action. Si nous disons : Cela est défendu, peut-être la crainte l'empêchera-t-elle de guérir ce malade, et ainsi nous aurons manqué notre coup. Mais notre Seigneur, méprisant ces ruses et ces mauvais desseins, prit par la main l'hydropique et lui rendit aussitôt la santé. En quoi se montre avec éclat l'immense miséricorde de Jésus-Christ, qui, plus d'une fois, sans en être prié, eut pitié des malheureux. C'est ainsi qu'il guérit cet hydropique avant toute prière, avant toute demande de sa part.

Après avoir fait ce miracle, il s'adressa aux Pharisiens, en qui il voyait une maladie bien plus grave, celle de la superstition et de l'aveuglement, et il entreprit de les guérir à leur tour : « Qui d'entre vous, leur dit-il, voyant son âne ou son bœuf tomber dans un puits, ne l’en retirerait point le jour du sabbat ? Et ils ne pouvaient répondre à cette question. » Et en effet qu'auraient-ils répondu ? Une fois admis qu'on devait, le jour du sabbat, secourir son bœuf en danger, pouvaient-ils contester un droit semblable pour un homme malade, puisque ce n'est pas l'homme qui a été créé pour le bœuf, mais le bœuf et les brebis et les animaux des champs pour l'homme ? Voilà, mes frères, comment la sagesse triomphe de la malice, comment le serpent de Moïse dévore les serpents des Mages. Ils croyaient attirer notre Seigneur dans le filet de leur ruse, et voilà qu'eux-mêmes, pris à leur propre piège, sont convaincus d'ignorance, d'inhumanité et de superstition.

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Mais, je vous le demande, qu'est-ce qui pouvait faire croire à des hommes versés dans la Loi et les Prophètes qu'il était permis, le jour du sabbat, de secourir un bœuf en danger, mais non un homme malade ? Le seul motif, c'est qu'ils aimaient plus leur bœuf que leur prochain ; ils s'inquiétaient donc plus du péril de l'un que du malheur de l'autre, oubliant que la charité véritable cherche, non ses propres intérêts, mais ceux du prochain.

Or, quiconque s'aime trop lui-même, est sujet à cette erreur et à beaucoup d'autres. Lorsqu'une passion violente incline d'un côté, elle entraîne avec elle l'intelligence, qui trouve facilement des motifs pour condescendre aux désirs de la passion. La corruption du cœur, voilà le grand maître de toutes les erreurs, la source féconde d'où elles découlent. Tantôt c'est un juge inique, que l'amour ou la haine de l'une des parties détourne de l'équité, et qui en vient à regarder comme juste la condamnation de l'innocent; tantôt c'est un avocat qui, aveuglé par le désir du gain, prend la défense d'une cause douteuse ou injuste. Ici ce sont des plaideurs qui soutiennent ce qu'ils appellent leurs droits avec un égal acharnement ; là, un homme vindicatif qui, voulant tirer vengeance d'un ennemi, trouve que cette action est juste et même obligatoire ; ailleurs des hommes durs, égoïstes et sans entrailles, trouvent des raisons pour se faire un devoir de ne prendre soin que de leur famille, à l'exclusion des pauvres. Des prêtres, animés des mêmes sentiments de cupidité, réussissent à justifier à leurs propres yeux le cumul de plusieurs bénéfices, et osent garder pour eux seuls ce qui était destiné à la subsistance de plusieurs. Enfin de jeunes débauchés, livrés aux plaisirs, trouvent dans la miséricorde de Dieu des motifs de se rassurer au milieu de leurs désordres, et de remettre à un temps plus éloigné leurs velléités de conversion.

Jamais donc ceux qui sont ainsi disposés ne manqueront de quelque raison pour se tromper eux-mêmes et défendre leur erreur. De là cette parole du Sage : « Le pécheur fuira la réprimande, et trouvera des interprétations de la loi conformes à ses désirs, » Eccli. XXXII, 21, c'est-à-dire quelque prétexte pour se faire illusion et embrasser le mensonge au lieu de la vérité. Que personne toutefois ne se flatte de pouvoir, en alléguant son ignorance, justifier sa conduite devant le Juge très-équitable qui sonde les reins et les cœurs. « Ne vous y trompez pas, dit l'Apôtre, on ne se moque pas de Dieu, » Galat. VI, 7, c'est-à-dire, que nul n'espère, par de semblables raisons, abuser le souverain Juge. Dans les causes civiles, on dit qu'un juge est suspect, si des liens d'amitié l'unissent à l'une des parties. Ainsi un homme travaillé de quelque passion doit être suspect à lui-même et se conduire, non par ses lumières propres, mais par celles d'une autre personne : sinon il s'expose au danger de s'égarer. Car la passion, comme nous l'avons déjà dit, entraîne aisément l'intelligence, et la chair que le désir enflamme amène facilement l'esprit à consentir à ce désir. La première femme, mère de tous les hommes, fut à peine séduite par la ruse du serpent, qu'elle entraîna son mari dans sa faute : de même dès que notre Eve, c'est-à-dire notre chair, est gagnée au mal, elle n'a pas de peine à y gagner son époux, qui est l'esprit. Voilà, pour en revenir à notre sujet, la source de l'erreur des Pharisiens : attachés à leurs biens par un amour immodéré, ils secouraient leur bœuf en péril le jour du sabbat, et soutenaient qu'on ne pouvait sans crime guérir ce jour-là un hydropique.

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I.


Mais laissons de côté les Pharisiens et parlons de l'hydropisie spirituelle si répandue dans le monde entier. On sait, en effet, que les divers malades que guérit notre Seigneur étaient la figure d'autant de maladies morales. Ainsi les aveugles en désignaient une, les boiteux une autre, une autre les paralytiques, une autre les lépreux. Ici nous n'avons à nous occuper que de l'hydropisie spirituelle. L'hydropisie représente, non pas une seule, mais plusieurs maladies de l'âme : d'abord la lubricité et les honteux plaisirs, par l'abondance d'humeurs nuisibles qu'on trouve dans l'hydropique; ensuite l'avarice et ses désirs insatiables, par la soif ardente de l'hydropique, qui l'irrite encore en voulant l'apaiser ; enfin le faste de l'orgueil, par le gonflement du ventre. Tels sont les trois vices figurés par l'hydropisie, et dans chacun d'eux on trouve le caractère principal de cette maladie, une soif ardente des choses terrestres, soif qui est l'origine et la source, non-seulement de tous les péchés, mais de toutes les agitations et de toutes les peines que souffrent en cette vie les hydropiques spirituels.

Quelle éloquence pourrait décrire cette soif multiple et variée ? Les philosophes nous enseignent que la passion la plus forte, c'est l'amour du bonheur et de la fin dernière. Or les hommes dont nous parlons, aveuglés par leurs désirs, laissent de côté Dieu, fin dernière et souverain bien de tous, et se proposent d'autres fins, faisant consister leur bonheur à les atteindre. Pour l'un, c'est la volupté qui est le bien suprême et le plus digne d'envie ; pour un autre, les honneurs et la faveur populaire ; pour un autre, la gloire des armes ; pour un autre, l'autorité et la puissance ; pour un autre enfin, les plaisirs sensuels : du moins si l'on en juge par leur conduite. Qu'arrive-t-il de la ? C'est que, dévorés d'une soif brûlante de ces faux biens, et ne pouvant se procurer tout ce qu'ils désirent, ils se trouvent en proie à un tourment semblable à celui d'un homme qui ressent une soif ou une faim extrême sans avoir rien pour l'apaiser. Être épris d'une immense affection pour les choses terrestres, n'est-ce pas souffrir à chaque instant les douleurs de la faim et de la soif ? Peut-on imaginer un état plus malheureux ? Car, de même que la possession d'une chose vivement désirée est le principe de nos joies, ainsi celui de nos douleurs, c'est de ne pouvoir posséder ce qui est l'objet d'un désir ardent. Et quand il n'y aurait pas d'autre différence entre les justes et les méchants, quand nous n'aurions, pour nous faire renoncer à ces passions, ni la crainte de la mort, du jugement dernier et de l'enfer, ni le désir de l'éternelle récompense, ni le souvenir des nombreux bienfaits de Dieu, ce tourment de la faim et de la soif ne devrait-il pas nous suffire et au delà ? C'est la pensée que saint Grégoire exprime avec autant de sagesse que de brièveté : « La vie, dit-il, a-t-elle une peine plus cruelle que d'être en proie aux désirs terrestres, une paix plus parfaite que de ne rien désirer du monde ? » Certes, ce n'était point une peine légère, que celle à laquelle le Seigneur avait condamné les impies, lorsqu'il dit : « Mon peuple n'a pas écouté ma voix : c'est pourquoi je les ai abandonnés aux désirs de leurs cœurs, » Ps. LXXX, 12. Tel est le châtiment qu'il a infligés aux idolâtres, en a les livrant, dit l'Apôtre, aux appétits de leurs cœurs, » Rom. 1, 24. Les hommes pieux résistent à ces passions, et s'attaquent à la racine elle-même, c'est-à-dire à la cupidité, monstre cruel et féroce qu'ils tiennent enchaînés dans les liens de la crainte et de l'amour de Dieu, en sorte que, s'il peut encore gronder quelquefois, il soit impuissant à nuire. Les méchants, au contraire, le traînent partout avec eux, comme un autre Cerbère, libre de tous ses mouvements ; aussi ne faut-il pas s'étonner qu'il se jette avec fureur sur les objets qui lui plaisent, déchirant et mettant en pièces son maître d'abord, et ensuite tout ce qu'il peut atteindre, tant sa rage est aveugle et son ardeur effrénée.
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Vous voyez donc, mes frères, combien malheureuse est la vie de ceux que dévore cette soif des passions. Tous les tourments et tous les péchés des méchants ont leur source dans ce triple amour des voluptés, des richesses et des plaisirs, dont l'hydropisie, comme nous l'avons dit plus haut, est la figure.

Voilà ce qui précipite les hommes dans la mort et la perdition.
C'est pourquoi je ne crains pas d'avancer que trois portes ouvrent l'entrée de la géhenne, et qu'il y entre un si grand nombre d'hommes que le Prophète tient ce langage : « L'enfer a dilaté sans mesure ses entrailles et sa bouche ; tout ce qu'il y a de puissant, d'illustre et de glorieux dans Israël y descendra, » Isai. V, 14. La première porte est pour les hommes charnels et impudiques, la deuxième pour les avares, la troisième pour les superbes. Qui pourrait calculer le nombre de tous ceux qui entrent ? Le Seigneur par son prophète dit des avares : « Depuis le plus petit jusqu'au plus grand, tous s'étudient à satisfaire leur avarice, » Jerem. VI, 13. Les hommes charnels et impudiques ne sont pas moins nombreux ; car les théologiens enseignent que ce vice est la plus grave blessure que le péché originel ait faite à la nature humaine. Il comprend non-seulement les actions impures, mais encore les regards, les mouvements, les paroles, les pensées et les désirs mauvais, en sorte que le corps peut être chaste sans que l'âme soit pure. De là cette exclamation de saint Jérôme : « Qui se glorifiera d'avoir un cœur chaste ? » Pour détourner les hommes de ce vice pernicieux, je me contenterai de dire ici, qu'à l'heure de la mort, à ce moment redoutable que nul ne saurait éviter, aucune faute ne tourmente davantage l'âme du moribond. L'orgueil et l'avarice, c'est-à-dire l'amour effréné de l'argent et des honneurs, restent souvent cachés au fond de l'âme et ne sont pas toujours en exercice. Mais les crimes de l'impudique, c'est-à-dire le déshonneur des femmes qu'il a entraînées au crime, se présentent alors aux yeux de sa conscience et y jettent la crainte et la terreur. Si près de la mort, on ne peut guère avoir d'autres préoccupations que celle de son salut. En effet, l'amour de l'argent ne sollicite plus l'âme : qu'importent les richesses à qui va quitter la vie ? La voix de l'ambition ne se fait plus entendre en présence de la poussière et de la corruption du tombeau. Dégagée de toute sollicitude, l'âme ne s'inquiète donc plus d'autre chose que de la pensée de la mort et du compte qu'elle doit rendre ; par conséquent rien ne l'attriste, rien n'ébranle son espérance comme le souvenir de ses fautes passées.

L'impie Antiochus, roi de l'Asie, nous en fournit un exemple célèbre. Se voyant près de sa fin, et torturé par le remords de ses crimes, il dit à ses amis qui l'entouraient : « Le sommeil s'est éloigné de mes yeux ; mon cœur est tout abattu, et je me sens défaillir à cause du chagrin qui m'oppresse. J'ai dit au fond de mon cœur : A quelle affliction suis-je réduit, et en quel abîme de tristesse me vois-je plongé maintenant, moi si heureux et si aimé au sein de ma puissance ! Je me souviens à présent des maux que j'ai faits dans Jérusalem, ayant emporté toutes ses dépouilles en or et en argent, et fait exterminer sans sujet ceux qui habitaient dans la Judée. Je reconnais donc que c'est pour cela que je suis tombé dans tous ces maux, et l'excès de ma tristesse me fait périr maintenant dans une terre étrangère, » I Macch. VI, 10-13. Cet exemple nous montre, mes frères, quels affreux remords torturent l'impudique mourant, lorsqu'il se rappelle qu'il a, non pas enlevé des dépouilles d'or et d'argent, mais perdu et fait consentir à sa turpitude des âmes rachetées du sang précieux du Fils de Dieu. Non, ce n'est point le sang d'Abel, mais le sang même de Jésus-Christ qui criera contre lui, et se plaindra d'avoir été profané, quand des âmes rachetées par lui ont été entraînées dans le crime.

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Telle est, mes frères, l'hydropisie spirituelle qui atteint une si grande partie des hommes. Celui donc qui veut épargner à sa dernière heure ces aiguillons du remords, qu'il adresse au Seigneur des prières continuelles pour être délivré de cette maladie.

Vient ensuite l'autre partie de l'évangile, qui nous détourne de l'orgueil et de l'ambition, et nous exhorte à la vertu d'humilité.
Notre Seigneur exprime le fruit de cette vertu dans une maxime célèbre qui termine l'évangile : « Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé. »
Après avoir expliqué l'évangile, parlons maintenant, à l'occasion du sabbat, de la célébration des fêtes que nous devons sanctifier par la prière, par l'action de grâces et par la méditation des choses divines.

DÉVELOPPEMENT DU TEXTE.


« Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? » Il est impossible d'étudier avec un peu d'attention les livres de l'Ancien Testament, sans être étonné de l'insistance que met le Seigneur à recommander le culte du sabbat. « Souviens-toi, dit-il dans l'Exode (XX, 8, 9), de sanctifier le jour du sabbat. Tu travailleras pendant six jours, mais le septième sera le sabbat (repos) du Seigneur ton Dieu. Ce jour-là tu ne feras aucun travail, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes animaux, ni l'étranger qui se trouve dans tes murs. Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment, et il s'est reposé le septième jour. C'est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et la sanctifié. » « Ayez soin, dit-il encore au même livre (XXXI, 13), de garder mon sabbat : c'est un signe entre vous et moi, » c'est-à dire, je veux qu'à ce signe on reconnaisse ceux qui m'honorent entre toutes les nations et entre tous les hommes. Il en fut ainsi, au témoignage même d'un poète païen, qui distinguait par là le peuple Juif des autres peuples, comme le prouve ce vers : Quidam sortiti metuentem sabbata patrem. Quelques-uns nés d'un père qui observe le sabbat.

Quelle est la récompense que Dieu promet à ceux qui observent cette loi ? Jérémie nous l'apprend dans ce passage : « Veillez sur vos âmes ; ne portez point de fardeaux au jour du sabbat, et n'en faites point entrer par les portes de Jérusalem. .. Sanctifiez le jour du sabbat, comme je l'ai ordonné à vos pères. Si vous m'écoutez, dit le Seigneur, et si vous ne faites point passer de fardeaux par les portes de cette ville au jour du sabbat, des rois et des princes passeront par ces portes, et elle sera habitée éternellement. » Chap. XVII, 21 seqq. Enfin quelques Israélites pieux ont observé ce jour avec un tel respect, qu'ils n'osèrent prendre les armes pour se défendre, aimant mieux être massacrés par les ennemis que de violer le sabbat. Nous en trouvons un exemple au chapitre 11 du livre Ier des Macchabées. On dit que le Seigneur lui-même confirma par un miracle ce respect extraordinaire ; car Fulgosius rapporte qu'il y avait dans ce pays un fleuve dont les eaux ne coulaient plus comme à l'ordinaire le jour de sabbat : aussi le nom de Sabbat lui fut-il donné.

Quoi donc ? Le repos est-il assez agréable à Dieu pour que la recommandation en soit faite si souvent et avec tant d'instance dans nos saints livres ? Dieu est esprit, dit le Sauveur ; il aime par dessus tout les vertus spirituelles, c'est-à-dire la charité, la bonté, la justice, la miséricorde, l'humilité et autres semblables ; pourquoi donc a-t-il voulu recommander de tant de manières la cessation extérieure du travail ? Nous répondons que le repos et la cessation du travail ne sont pas agréables à Dieu à ce point ; mais qu'il y a un devoir qui lui est très-agréable, et que ce devoir ne peut être commodément rempli qu'en l'absence de toute autre occupation. Quel est ce devoir ? L'élévation de l'âme vers Dieu, auteur de notre vie et de notre salut, ou, si vous voulez, la prière qui demande un esprit en repos, libre, tranquille, dégagé de toute sollicitude et de toute occupation extérieure ? « Soyez dans le repos, dit le Seigneur lui-même, et considérez, car c'est moi qui suis Dieu. » Vacate et videte, quoniam ego sum Deus. Ps. XLV, 11.

Sous le nom de prière, nous comprenons deux devoirs distincts : la demande et l'action de grâces ; l’un se rapporte à l'avenir, l'autre au passé ; l'un a pour point de départ la considération de notre faiblesse et de notre misère, l'autre le souvenir des bienfaits de Dieu. Car la connaissance de notre faiblesse nous engage à implorer sans relâche le secours divin, et le souvenir des bienfaits de Dieu nous invite à la louange et à l'action de grâces. Aussi le précepte du sabbat est-il sous un rapport purement cérémoniel, et moral sous l'autre rapport. La fixation du jour appartient à la classe de lois appelées cérémonielles ; c'est pourquoi les chrétiens l'ont transféré au dimanche en l'honneur de la résurrection du Sauveur. Mais la prière, et le double devoir qu'elle renferme, fait partie des lois morales ; c'est pourquoi elle est aujourd'hui encore en vigueur et ne sera jamais abolie. C'est à elle que nous allons consacrer la dernière partie de ce discours. Parlons d'abord, mais en quelques mots seulement, parce que nous avons traité ailleurs ce sujet plus au long, du premier devoir renfermé dans la prière, c'est-à-dire de la demande. Je ne puis mieux vous montrer sa nécessité et son excellence qu'en la comparant à une mine d'or très-riche et inépuisable. Si quelqu'un consacre à la fouiller une heure de travail, il retirera une certaine quantité d'or ; s'il travaille deux heures, il en recueillera le double ; trois ou quatre heures lui vaudront une quantité beaucoup plus considérable du précieux métal, et il pourra y puiser ainsi sans terme et sans fin, car la veine est si riche qu'en y travaillant toujours on ne pourra jamais l'épuiser. C'est l'huile miraculeuse d’Élisée, qui ne cessa de couler que quand il n'y eut plus de vase pour la recevoir. ( IV Reg. IV, 6.)

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II.


Quant à la seconde partie de la prière, qui consiste dans l'action de grâces, et a pour principe la pieuse considération des bienfaits de Dieu, je vous en montrerai la nécessité et l'excellence par le raisonnement suivant. Les théologiens disent que la vertu de charité, qui est l'abrégé de toute la philosophie chrétienne, n'a sur la terre qu'un état præternaturel, selon leur langage, tandis que dans la céleste patrie, où le souverain bien se montre à découvert et sans voile, elle réside comme dans son lieu naturel. Là, en effet, rien ne s'oppose à son exercice, au lieu que sur cette terre elle trouve beaucoup d'obstacles à vaincre et de luttes à soutenir. Or, une chose qui habite son lieu naturel s'y conserve longtemps, et dans le cas opposé c'est le contraire qui arrive. Une goutte d'eau, par exemple, se conserve longtemps dans la mer ; mettez-la sur la terre, ayant à lutter contre l'aridité du sol et la chaleur de l'air, elle sera bien vite desséchée. De même le feu subsiste sans s'éteindre tant qu'il reste dans son milieu élémentaire ; mais, placé sur notre globe, il ne durera pas longtemps s'il ne reçoit sans cesse de nouveaux aliments.

Voilà pourquoi, dans la loi ancienne, le Seigneur avait ordonné d'entretenir, en y mettant du bois, le feu destiné à l'autel des sacrifices ( Levit. 1). Le feu de la charité est donc, comme nous l'avons dit, hors de son lieu naturel en ce monde, où il trouve tant de choses contraires et ennemies. Car notre chair souillée par l'haleine du serpent, avec son cortège de cupidités, et les diverses passions des hommes pervers combattent avec acharnement contre la charité et s'efforcent de l'éteindre : sans parler des occupations innombrables dont les besoins de notre nature nous font une nécessité, et qui, si elles ne l'attaquent pas directement, sont néanmoins, sous beaucoup de rapports, un obstacle à ses progrès. Comment remédier à cet état de choses ? Par le moyen qui nous sert à conserver ici-bas le feu matériel, savoir, en fournissant sans cesse des aliments nouveaux. Et quels sont ces aliments de la charité, sinon les bienfaits de Dieu, dont la pieuse méditation allume de plus en plus dans les âmes le feu de l'amour divin ? Ajoutez que par cette méditation nous conserverons les bienfaits déjà reçus et nous en mériterons de plus grands. Car, tandis que les largesses divines échappent et sont retirées aux ingrats, les âmes reconnaissantes, au contraire, les conservent et obtiennent même de magnifiques accroissements de vertu. Il nous faut donc, d'une part, apporter le plus grand soin à ce que les bienfaits de Dieu soient toujours gravés dans notre mémoire sans que rien puisse les en effacer ; de l'autre, aimer à les publier en toutes circonstances. Mais, comme mille sollicitudes, mille occupations nous empêchent de nous appliquer ainsi aux louanges de Dieu, et que, dans cette agitation et cette mêlée des choses humaines, ce devoir est bien difficile à remplir, de peur que l'oubli de Dieu ne se glissât peu à peu dans nos cœurs, et que la négligence de la religion ne nous privât de tous les biens à la fois, il était nécessaire de renouveler, chaque septième jour, le souvenir de la divinité, et de graver plus profondément dans nos âmes, par l'invocation plus fréquente de son nom, la bonté du Dieu suprême.
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Message par Laetitia »

Et comme, parmi les bienfaits divins, le premier qui se présente à la pensée est la création du monde, le Seigneur avait choisi pour être spécialement consacré à des œuvres saintes le jour où la nature, achevée et parée de tous ses ornements, commença à remplir régulièrement ses fonctions. Voilà pourquoi, quand Dieu ordonna le repos du septième jour, il ajouta cette raison, qu'il avait fait en six jours le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment, et s'était reposé le septième, après cette première création des êtres : comme s'il eût voulu avertir les hommes de rendre grâces au Père et Créateur de toutes choses, et de célébrer une œuvre si admirable par des louanges continuelles.

Quelque reconnaissance qu'exige de nous ce premier bienfait, nous n'en devons pas moins à Dieu de ce qu'il conserve par une continuelle providence ce qu'il a créé dès le commencement du monde. Conserver une chose, c'est-à-dire la sauver du néant par une vertu toute-puissante, n'est-ce pas en quelque sorte la créer toujours ? Il est donc très-juste que celui qui s'occupe sans cesse de notre conservation soit à tout moment l'objet de nos louanges et de nos actions de grâces. C'est à quoi nous exhorte chaque jour l’Église par la bouche du prêtre au sacrifice de la messe : « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu, » dit-il, et le peuple répond : « Cela est juste et digne de lui.»---« Oui, reprend le prêtre s'adressant à Dieu, oui, il est juste, équitable et salutaire que toujours et partout nous vous rendions grâces. » On ne pouvait mieux recommander ce devoir qu'en disant : toujours et partout, c'est-à-dire en tout lieu et en tout temps, de manière qu'il n'y ait jamais ni,nulle part d’interruption, et que notre vie soit une perpétuelle action de grâces, une continuelle louange. Quoi de plus juste que de penser toujours à celui qui toujours s'occupe de nous, toujours nous donne la vie, toujours nous conserve, nous défend et nous nourrit, de telle sorte que s'il détournait un instant de nous l’œil de sa providence, nous retomberions aussitôt dans le néant d'où nous avons été tirés.

Ajoutez que ce n'est pas seulement de vous qu'il s'occupe, mais de toutes les choses supérieures et inférieures à cause de vous.
Pour vous il guide les astres dans l'espace, il règle les éléments, il féconde la terre, il remplit la mer de poissons, et d'oiseaux les plaines de l'air, il fait croître pour votre usage les moissons et les plantes de toute espèce ; et si toutes ces créatures n'obéissaient pas à son commandement, c'en serait fait de votre vie.
« Mon Père, dit le Sauveur, travaille toujours, et je travaille avec Lui, » Joan. V, 17, parce que, depuis la création du monde, il ne cesse pas de secourir les hommes et de les combler de ses bienfaits. Puisqu'il en est ainsi, pourquoi resterions-nous un seul moment sans donner des louanges à celui qui s'est fait de tant de manières le soutien de notre vie ?

C'est une coutume parmi les négociants établis en des villes différentes de se rendre des services mutuels, et de traiter l'un pour l'autre certaines affaires. L'un se trouve à Séville, l'autre à Rome ; tandis que le second s'occupe à Rome des affaires du premier, celui de Séville gère ici les affaires du second. Pourquoi ne ferais-je pas pour Dieu ce que je fais pour un homme ? Du haut du ciel il prend soin de ma vie avec une bonté et une providence infatigable, et moi, qui habite ce monde inférieur, je n'aurais nul souci de son culte et de sa gloire ?

(à suivre)
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Laetitia
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Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XVIe dimanche après la Pentecôte

Message par Laetitia »

David ayant échappé, par un bienfait divin, au grave danger qu'il courait à la cour d'Achis, roi de Geth, composa le psaume qui commence par ces mots : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, » Ps. XXXII. Reconnaissant qu'il n'avait conservé une vie si menacée que par le secours de Dieu, ce pieux roi se crut obligé de vivre désormais, non plus pour lui-même ou pour le monde, mais pour celui qui l'avait sauvé, et de se consacrer à chanter les louanges de son libérateur, et il s'écrie : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours sur mes lèvres. » Si le bienfait d'une seule délivrance demande le sacrifice d'une louange perpétuelle, que ne doit pas exiger une vie conservée à chaque instant par les soins continuels de la divine Providence ?

Quelle est donc cette étrange insensibilité, qu'étant comblés des bienfaits de Dieu, n'ayant sous les yeux que des marques de sa bonté, et la lumière qui nous éclaire, et la terre qui nous porte, et l'air que nous respirons, et le ciel qui nous couvre, et la vie qui nous anime, et les moissons et tous les produits de la terre qui servent à notre nourriture, à notre vêtement, à notre bien-être, nous ne nous rappelions jamais son souvenir, et nous ne pensions pas qu'il est celui sans qui nous ne serions point ?

Ainsi, grâce aux influences du démon, nous en sommes venus à un tel point d'insensibilité et de folie, que l'on pourrait justement nous comparer aux insensés nourris dans des hospices aux frais de l’État. Privés de la raison, ils ne comprennent point ce bienfait et n'en remercient pas les auteurs. Ce qu'on leur donne, ils en usent, comme des brutes, sans témoigner aucune reconnaissance. Ils ressemblent à ces hommes, ou plutôt à ces brutes, ceux qui, jouissant des bienfaits divins, sont assez stupides pour n'élever jamais leur cœur vers Dieu et n'éprouver jamais le moindre sentiment de gratitude pour de si grandes faveurs.
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