Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XVe dimanche après la Pentecôte

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XVe dimanche après la Pentecôte

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PREMIER SERMON POUR LE QUINZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.


1° Explication de l'Évangile ; 2° de La préparation à la mort.



Ecce defunctus efferebatur, filius unicus matris suæ.
Voici qu'on portait en terre un mort, fils unique de sa mère.
Luc. VII, 12.



Puisque l'évangile de ce jour nous met sous les yeux le spectacle d'un jeune homme ravi par la mort à la fleur de l'âge, il ne sera pas, je pense, hors de propos, que, nous adressant à des hommes mortels, nous disions quelque chose de la mort, condition et terme inévitable de notre vie. Aucun sujet n'est plus capable de nous inspirer la crainte de Dieu, la haine du péché et le mépris du monde. Et quelle méditation convient mieux à des mortels que la méditation de la mort ? La mort est tellement une condition de notre nature, que les philosophes ont fait entrer cet élément dans la notion de l'homme, qu'ils définissent « un animal raisonnable et mortel, » voulant sans doute, par l'addition de ce dernier mot, le distinguer des esprits bienheureux. Disons toutefois que cette condition n'est pas essentielle à notre nature ; introduite dans le genre humain par le péché, la mort nous serait restée inconnue si nous avions persévéré dans l'état d'innocence où Dieu nous avait constitués.

Certes, je sais bien que le souvenir de la mort n'est pas agréable à tous. Si les pauvres et les malheureux y pensent volontiers comme au terme désiré de leurs souffrances, son souvenir, dit l’Ecclésiastique, « est amer à un homme qui vit en paix au milieu de ses biens. » O mors, quam amara est memoria tua homini pacem habenti in substantiis suis ! Eccli. XLI, 1. Mais cette pensée, agréable ou non, est utile à tous : elle tire les hommes du sommeil d'une sécurité perfide ; elle leur inspire une tristesse salutaire, le regret de leurs fautes et de graves préoccupations ; surtout elle les pénètre de la crainte du Seigneur, et contraint les plus lâches et les plus négligents à se préparer au jugement de Dieu. Or, comme notre salut et notre bonheur éternels dépendent de cette préparation, il s'ensuit qu'aucun sujet d'instruction n'est plus convenable et plus nécessaire au chrétien. Nous commencerons toutefois par expliquer le récit évangélique. Afin de traiter utilement et pieusement ce grave sujet, implorons l'assistance céleste par l'intercession de la très-sainte Vierge. Ave, Maria.

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Nous trouvons dans l'Évangile de ce dimanche le récit de la guérison d'un fils unique, opérée par le Sauveur, récit que l'évangéliste saint Luc nous donne en ces termes : « Jésus s'en alla ensuite dans une ville appelée Naïm, suivi de ses disciples et d'une grande foule de peuple. » Notre Seigneur, durant toute sa vie terrestre, ne cessa pas un seul instant de travailler au salut des hommes. Pendant le jour il enseignait dans le temple, et il passait la nuit à prier son Père pour nous (Luc. VI, 12). Il parcourait aussi les villes, les bourgades et les hameaux, annonçant partout le royaume de Dieu, partout chassant les démons du corps des possédés, et répandant sur tous les bienfaits du salut.

Cette sollicitude pour notre salut et la gloire de son Père, lui même la révéla un jour à ses disciples qui lui offraient à manger : « Ma nourriture, leur dit-il, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, d'accomplir son œuvre. » Meus cibus est,ut faciam voluntatem ejus qui misit me, ut perficiam opus ejus. Joann. IV, 34. Aussi n'attend-il pas, pour l'exercer, qu'il ait atteint la maturité de l'âge ; nous l'entendons, dès l'âge de douze ans, répondre à ses parents qui lui reprochent de les avoir quittés sur la route : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je sois aux choses qui regardent mon Père ? » Quid est quod me quærebatis? Nesciebatis quia in his quæ Patris mei sunt oportet me esse ? Luc. 11, 49. Les œuvres de son Père, c'est tout ce qui se rapporte au salut des hommes.

Tous les saints, à l'exemple de Jésus-Christ, faisaient un si grand cas du temps, qu'ils le remplissaient tout entier d'actions saintes. Et ici qui pourrait déplorer comme ils le méritent l'aveuglement et la négligence des hommes qui consument le temps, ce don de Dieu si précieux, à des bagatelles, au lieu de le faire servir à se procurer les trésors de l'éternelle félicité ? Parlerai-je de ceux qui l'emploient à jouer aux cartes, aux dés et autres amusements semblables ? Ces hommes, lorsqu'ils comparaîtront devant le tribunal du Juge suprême, quelles œuvres pourront-ils lui offrir ? Que répondront-ils quand on leur demandera compte du temps qui leur avait été accordé pour faire leur salut ? Ah ! Ils seront bien forcés d'avouer qu'ils l'ont perdu tout entier dans le sommeil, le jeu, l'oisiveté, etc. Or, comme tous les enseignements de la foi se rapportent à ce point unique, que ceux qui ont fait le bien reçoivent la vie éternelle, et que ceux qui ont fait le mal sont condamnés à l'éternel supplice, quelles bonnes œuvres ces hommes pourront-ils produire pour revendiquer la souveraine béatitude ? Ô misérable condition des hommes qui, étant créés de Dieu pour le bonheur du ciel, se sont dégradés, ont oublié à ce point leur noblesse et leur dignité native, que, à considérer leur vie semblable à celle des animaux, on croirait qu'ils sont nés pour satisfaire leur ventre et se livrer à de grossiers plaisirs !
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Mais revenons au récit évangélique.
« Comme Jésus approchait de la porte de la ville de Naïm, il se trouva qu'on portait en terre un mort, fils unique de sa mère. » C'est une des nombreuses illusions des pécheurs (qui renvoient à un autre temps le remède d'une salutaire pénitence, de se promettre une vie très-longue, pendant laquelle il leur sera facile de changer de conduite et d'expier leurs fautes. Le jeune homme de notre évangile, ravi par une mort prématurée, condamne cette fausse sécurité. Car le destin, dit Sénèque, ne suit pas l'ordre naturel ; il ne commence pas toujours par frapper ceux qui ont le plus vécu. Cette funeste illusion a son principe dans l'amour exagéré de nous-mêmes, source de tant d'erreurs. Trompés par cet amour, les hommes ne s'arrêtent pas à considérer la mort de ceux qui succombent à la fleur de l'âge ; ils mesurent leur vie sur la vie de ceux à qui Dieu a accordé le plus grand nombre d'années. Que fais-tu, ô homme ? En vertu de quel droit te promets-tu des années aussi nombreuses ? Ne vois-tu pas que la plupart, abusés par une erreur semblable, sont loin d'atteindre le terme qu'ils espèrent ? Puis donc que tu es mortel comme eux, de la même condition et de la même nature, composé des mêmes éléments, sujet aux mêmes vicissitudes, aux mêmes injures du ciel, des étoiles et du temps, pourquoi serais-tu seul préservé de ce qui arrive tous les jours aux autres ? Mais l'amour immodéré de la vie trompe ici les hommes, et leur confiance n'a d'autre mesure que leur désir : ils espèrent vivre autant, non pas que ceux qui sont enlevés avant l'heure, mais que ceux qui vivent le plus longtemps.

Il arrive quelque chose de semblable à ces aventuriers qui passent la mer pour aller aux Indes, cette terre si riche en or et en argent. Remarquant que quelques hommes sont revenus de ce pays chargés de trésors, ils s'y précipitent avidement. Que d'autres infiniment plus nombreux aient trouvé la mort en voyage ou dans les combats, cette considération ne les arrête point. La réussite d'un petit nombre d'heureux a sur eux plus d'empire que les désastres d'une foule de malheureux. D'où vient que des hommes doués de raison se montrent si aveugles et si insensés ? Il n'y a pas d'autre cause qu'une excessive cupidité. Comme la passion de l'argent les dévore, l'exemple d'un mortel enrichi les pousse à affronter tous les hasards de la terre et des mers, sans que la misérable fin de tant d'autres puisse refroidir leur ardeur. Une illusion semblable trompe les hommes qui se promettent de longues années, parce qu'ils ont sous les yeux le spectacle de quelques vieillards respectés par la mort, oubliant tous ceux qu'elle frappe avant l'heure.

A cette dernière classe appartient le jeune homme de l’Évangile, qu’un trépas inattendu avait ravi à de meilleures espérances. Une comparaison va vous mettre sous les yeux la véritable idée que chacun doit se faire de sa vie. Parmi les divers contrats pour l'achat ou la vente qui existent parmi les hommes, il en est qui sont perpétuels, et qu'on appelle emphytéoses, d'autres qui ne le sont pas, et qu'on appelle ventes avec faculté de rachat. Or, mes frères, la vie que nous avons reçue ressemble, non à une emphytéose, mais à une vente avec faculté de rachat. Celui qui possède à ce titre un champ ou une maison n'est assuré de rien ; il dépend d'un autre qui pourra, un peu plus tôt, un peu plus tard, selon ses moyens, recouvrer son ancien héritage en rendant l'argent qu'il avait reçu. Notre vie, je vous le demande, est elle autre chose qu'un domaine possédé par nous à un titre de ce genre, et que celui qui a les clefs de la vie et de la mort nous redemandera un jour ou l'autre ? Voilà, mes frères, la véritable idée qu'il faut nous faire de notre vie : nous dépendons continuellement de Dieu ; rien de plus précaire que notre condition ; nous ne pouvons nous promettre ni durée, ni sécurité. Ce n'est point à titre emphytéotique et pour en jouir toujours que la vie nous a été donnée, comme quelques-uns se l'imaginent, du moins à en juger par leur conduite ; notre Créateur et Seigneur peut nous la redemander à chaque instant. C'est ainsi qu'il faut envisager la vie présente et celle de tous les êtres qui nous sont chers, non comme un bien assuré pour des siècles, mais comme la chose la plus incertaine et la plus fragile, mettant notre espoir et notre félicité, non en elle, mais en Dieu seul, qui demeure éternellement. De cette manière, quand nous verrons ceux qui nous sont chers disparaître autour de nous et payer le tribut de leur mortalité, nous ne serons ni étonnés, ni surpris, comme d'un événement rare et inouï.

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Donc, « comme Jésus approchait de la porte de la ville, il se trouva qu'on portait en terre un mort, fils unique de sa mère, et celle-ci était veuve. » L’Évangéliste nous peint ainsi en peu de mots toute l'infortune de cette veuve. La femme est un vase fragile, c'est-à-dire d'une nature timide et faible. Le veuvage rend cette faiblesse bien plus grande, et son malheur arrive au comble quand, après son mari, elle vient à perdre encore son fils.

Tous ces maux étaient réunis dans la veuve de Naïm. D'abord elle a perdu son fils, qui devait, selon les lois de la nature, respecter sa mère, l'honorer, la consoler et subvenir à ses besoins. Ensuite ce fils était sorti de l'enfance et arrivé à l'âge où il pouvait tenir auprès de sa mère la place de son père. Enfin, c'était un fils unique, seul espoir de cette veuve; lui mort, il ne restait plus dans la maison maternelle que deuil et triste solitude.

Aussi, « le Seigneur l'ayant vue, fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleurez point. » Les malheurs de cette femme et la solitude à laquelle elle se trouvait condamnée émurent Jésus et ouvrirent son cœur à la miséricorde. Pour comprendre quelle était cette miséricorde en Jésus-Christ, il faut savoir que la miséricorde est une vertu qui procède de la charité fraternelle, et en même temps un sentiment naturel mis dans le cœur humain par un bienfait de la providence divine.

Dieu, en effet, le créateur et l'ami des hommes, a pourvu de beaucoup de manières au besoin et à la conservation de sa créature privilégiée. Il a d'abord enrichi le sein des mers et celui de la terre d'une foule de productions variées destinées à ses usages. Ensuite il lui a donné la raison et l'intelligence pour soumettre tout à son empire ; de là ces vers du poète :

Rex ille omnipotens, vasto qui præsidet orbi,
Aurea qui solo moderatur sidera nutu,
Tot voluit latas habitare, animalia terras,
Tot pontum, et liquidis vitam servare sub undis.

Ex his tantum homini quid sit cognoscere verum,
Quidque decens, et posse loqui, concessit : at ore
Cætera sunt muto, et tellurem cernua lambunt.
Hic ratione potens validissima quæque subegit,
Alipides tigres iracundosque leones.


« Ce Roi tout puissant, qui commande au vaste univers, qui, d'un signe de sa tête, guide la course des astres brillants, a voulu peupler la terre, peupler les humides abîmes de myriades d'habitants. A l'homme seul, parmi eux, il a accordé le privilège de connaître le vrai et le bien, et le noble usage de la parole. Tous les autres sont muets, et leur tête inclinée regarde la terre. Avec le secours puissant de la raison, l'homme dompte les êtres les plus terribles et les plus forts, le tigre agile et le lion farouche. »
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En outre, Dieu a mis dans le cœur des pères et des mères un ardent amour pour leurs enfants, afin que, à l'âge où ceux-ci sont incapables de pourvoir à leurs propres besoins, ils trouvent dans le dévouement et les soins paternels les moyens de subsister : Dieu pouvait-il faire quelque chose de plus pour l'homme, après lui avoir donné ces riches trésors, cette puissante intelligence, et avoir confié son enfance à l'affection de ses parents ? Le Père céleste a ajouté un autre bienfait très-nécessaire. Car il se rencontre dans la vie des hommes des malheurs divers et inespérés, que les dons divins dont nous venons de parler sont impuissants à secourir. Afin donc que la providence ne fit défaut aux hommes dans aucune circonstance, Dieu a gravé dans leurs cœurs une disposition à la pitié et à la compassion, qui leur fait éprouver pour les maux des autres une douleur presque aussi vive que s'il s'agissait de leurs propres maux, et les porte à venir en aide à tout infortuné qui souffre. C'est sous l'impulsion de ce sentiment que le Samaritain recueille sur la route l'homme blessé par les voleurs, verse dans ses plaies l'huile et le vin, le place sur son cheval, le conduit dans une hôtellerie, et donne au maître d'hôtel de l'argent pour le soigner ( Luc. X ). Un mouvement semblable anima la fille de Pharaon, qui eut pitié de Moïse exposé sur le Nil, et l'adopta pour son enfant.

Il existe, je l'avoue, quelques individus tellement dégradés, qu'ils semblent avoir dépouillé toute humanité et pris les mœurs des bêtes féroces ; saint Paul les appelle des hommes « sans affection, sans foi et sans miséricorde, » sine affectione, absque fædere, sine misericordia, Rom. I, 31. Tel fut Annibal, qui, voyant un fossé rempli de sang humain, s'écria : « Oh ! le beau spectacle ! »

Tel fut encore ce proconsul d’Asie, nommé Valérius, qui, un jour qu'il avait fait décapiter quatre cents personnes, dit : « Voilà une action royale ! » Mais ils ne méritent pas le nom d'hommes ; il faudrait bien plutôt les appeler des bêtes féroces, des monstres parmi le genre humain, puisque, à force de répandre le sang, ils avaient perdu tout-à-fait le noble sentiment de la pitié. Observons encore ici que l’Auteur de la nature n'a pas donné ce sentiment aux brutes, mais à l'homme seul; car les animaux n'éprouvent aucune compassion en voyant leurs semblables périr.

Cette doctrine très-véritable renverse deux erreurs des philosophes : celle des stoïciens, qui condamnent toutes les affections et soutiennent qu'elles nous ont été données en vain ; car il est clair que cette disposition à la pitié a été mise en nous par un bienfait de la divine providence, pour nous exciter à soulager les malheurs de nos frères. L'autre erreur est celle des philosophes qui enseignent que la providence de Dieu s'exerce sur les animaux, et non sur l'homme, puisque, disent-ils, nous voyons les animaux tendre à leur fin, tandis que tout est désordre dans la vie des hommes, tout obéit au hasard et à la fortune. Cette extravagance est réfutée par le fait que nous venons de constater, savoir, que l'Auteur de la nature n'a pas donné aux bêtes, mais à l'homme seul, cette disposition à la pitié qui le porte à secourir ses frères dans le malheur. Il prend donc un soin plus grand de l'homme que des animaux.

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Mais revenons à notre Seigneur Jésus-Christ. Comme il était vraiment homme, il possédait cette affection et d'autres semblables ; mais en lui ce n'étaient point des passions comme les nôtres ; elles étaient pleinement soumises à l'empire de la raison.

Dans cette compassion qu'éprouve le Sauveur à la vue de cette veuve, il faut donc voir non-seulement un sentiment de compassion, mais une compassion qui, ayant sa source dans la miséricorde, constitue un acte de vertu. Cette compassion, Dieu la ressent pour les malheureux en général, mais surtout pour les veuves, les orphelins, les pauvres et les étrangers. Aussi les saintes Écritures l'appellent-elles d'une manière toute spéciale le père des orphelins et le juge des veuves, et ce titre convient parfaitement à la grandeur de la majesté divine. Il existe en effet deux sortes de grandeur d'âme, une fausse et une véritable. La fausse, c'est celle qui s'exerce par la cruauté sur les pauvres et les faibles. La véritable, au contraire, prend la défense de ce qu'il y a de plus petit et de plus faible parmi les hommes, et c'est surtout le propre de la grandeur et de la munificence de Dieu. Voilà pourquoi, dans les saintes Lettres, le soin des veuves et des orphelins nous est si souvent recommandé. « Cherchez la justice, dit Isaïe, assistez l'opprimé, faites justice à l'orphelin, défendez la veuve ; puis venez, et discutons ensemble. » Quærite judicium, subvenite oppresso, judicate pupillo, defendite viduam, et venite, et arguite me. Isa. I, 17-18.

« Jugez selon la vérité, dit de même Zacharie, et que chacun exerce la miséricorde et la charité envers son frère. N'opprimez point la veuve, le pupille, l'étranger, ni le pauvre. » Judicium verum judicate, et misericordiam et miserationes facite, unusquis que cum fratre suo. Et viduam, et pupillum, et advenam, et pauperem nolite calumniari. Zach. VII, 9-10. Quel terrible langage que celui que le Seigneur fait entendre au livre de l'Exode : « Vous ne ferez aucun tort à la veuve et à l'orphelin. Si vous les offensez en quelque chose, ils crieront vers moi, et j'écouterai leurs cris, et ma fureur s'allumera contre vous : je vous ferai périr par l'épée, et vos femmes deviendront veuves et vos enfants orphelins. » Viduæ et pupillo non nocebitis. Si læseritis eos, vociferabunt ad me, et ego audiam clamorem eorum, et indignabitur furor meus, percutiamque vos gladio, et erunt uxores vestræ viduæ, et filii vestri pupilli. Exod. XXII, 22, 23, 24. Quel est l'homme à qui ce langage n'inspirerait pas un respect religieux pour les orphelins et les veuves, qui ont au ciel un protecteur, un défenseur si grand et si puissant ? Aussi Salomon nous dit-il : « Ne touchez point aux bornes des petits et n'entrez point dans le champ des orphelins ; car celui qui est leur proche (leur vengeur en hébreu ) est puissant, et lui-même prendra en main leur cause contre vous. » Ne attingas parvulorum terminos, et agrum pupillorum ne introeas : propinquus enim illorum fortis est, et ipse judicabit contra te causam illorum. Prov. XXIII, 10-11.
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Enfin la raison pour laquelle le Seigneur avait ordonné dans la loi de laisser reposer la terre tous les sept ans, c'est afin que les étrangers, les orphelins, les pauvres et les veuves pussent recueillir pour leur usage les fruits qui naîtraient sans culture. C'est pourquoi l'Apôtre console les veuves en leur montrant un secours assuré dans la miséricorde divine : « Que la veuve, dit-il, qui est vraiment veuve et abandonnée, espère en Dieu et persévère jour et nuit dans la prière et l'oraison, » quæ autem vere vidua est et desolata, speret in Deum, et instet obsecrationibus et orationibus die ac nocte, I Tim. V : c'est-à-dire, qu'à la place de son mari défunt, autrefois son soutien et son appui, elle prenne Dieu pour protecteur et se repose avec confiance dans sa bonté et sa providence paternelle. De même qu'elle se livrait tout entière au service de son époux, qu'elle se donne au Seigneur et se concilie sa miséricorde par ses supplications et ses prières.

Cette sollicitude envers les veuves que le Seigneur recommande aux hommes, lui-même la met en pratique, comme nous le voyons par la veuve de notre évangile, pour laquelle il fut touché de compassion et qu'il consola merveilleusement, sans attendre qu'elle l’en priât, sans s'enquérir de ses mérites, sans exiger d'intercesseurs ; il vint à son secours, poussé par le seul sentiment de la miséricorde. « Le Seigneur l'ayant vue, dit l’Évangéliste, fut touché de compassion pour elle. » S'approchant ensuite, il lui adresse des paroles de consolation : « Ne pleurez point. Enfin, arrivant au cercueil, il arrache le jeune homme aux bras de la mort, et le rend à sa mère joyeuse et étonnée. Ainsi il secourt cette veuve par le cour, par la parole et par l'action, trois degrés que doit parcourir la miséricorde de l'homme juste. Il faut d'abord qu'il soit touché de compassion pour l'infortune du prochain ; car nos paroles et nos actes, s'ils ne sont pas inspirés par un pieux mouvement du cœur, sont vains et sans mérite.

Ensuite il faut qu'il console son frère affligé par des paroles douces et amicales.

Enfin, si ses moyens le lui permettent, il lui prêtera, en le soulageant, une assistance plus réelle encore. Que si nous ne pouvons remplir ce dernier devoir, nous n'omettrons pas pour cela les deux premiers, qui sont à la portée de tous, et nous imiterons ainsi le pieux patriarche Job qui dit de lui-même : Je pleurais autrefois avec l'infortuné, et mon âme avait de la compassion pour le pauvre. » Flebam quondam super eo qui affictus erat, et compatiebatur anima mea pauperi. Job. XXX, 25.

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Afin d'exciter votre ardeur et votre zèle pour les œuvres de miséricorde, je vais vous raconter deux traits intéressants empruntés à la vie de sainte Catherine de Sienne. Un jour que cette pieuse vierge revenait de l'église à sa maison, Jésus-Christ lui-même lui apparut sous les traits d'un homme pauvre et étranger, âgé d'environ trente ans, et lui demanda un vêtement. Catherine retourne à l'église, et là, s'étant dépouillée avec précaution d'une tunique sans manches qu'elle portait sous ses vêtements à cause du froid, elle la donna au pauvre, sans savoir que c'était notre Seigneur. Alors celui-ci la pria de lui donner encore une robe de lin. Catherine lui dit de la suivre chez elle, et lui remit ce qu'il désirait. Mais le pauvre, pour l'éprouver, ne cessait de lui demander toujours autre chose : Que ferai-je, de cette tunique sans manches, disait-il ? De grâce, donnez-moi aussi des manches. La sainte parcourut sa maison, et apercevant, suspendue à un pieu, une tunique neuve qui appartenait à sa servante, elle en détache les manches et les donne au pauvre. Le pauvre alors lui dit qu'il a un compagnon, nu comme lui et réduit à la dernière misère. Alors la pieuse vierge, voyant qu'il ne lui restait plus d'autre vêtement que la tunique dont elle était revêtue et que la pudeur ne lui permettait pas d'abandonner : Soyez sûr, dit-elle, que je la donnerais volontiers à votre compagnon si la chose était possible. A quoi le pauvre répondit en souriant : Je vois votre bon cœur ; adieu. — Qui de nous, mes frères, supporterait avec patience l'importunité d'un semblable mendiant ? Qui de nous ne le chasserait de sa présence, peut-être avec des paroles amères. Mais la pieuse vierge l'écouta avec tant de bonté et de douceur qu'elle lui aurait donné volontiers, pour l'amour de l’Époux céleste, jusqu'à son dernier vêtement, si la pudeur ne l'eût retenue. Car cette charité avait sa source dans l'amour qu'elle portait à son divin Époux. Mais voyons maintenant de quelle manière l’Époux céleste récompensa cet acte de douceur et de miséricorde. La nuit suivante, pendant que la sainte était en prière, il se montra à elle, ayant à la main la tunique qu'elle lui avait donnée, étincelante d'or et de pierres précieuses, et lui promit de la couvrir d'une robe invisible qui la protégerait pour jamais du froid, aussi bien dans son âme que dans son corps. C'est ce qui arriva en effet, de telle sorte que Catherine, sans porter en hiver d'autres vêtements que pendant l'été, ne souffrit jamais de la rigueur des saisons. Cet exemple vous montre, mes frères, jusqu'où va la miséricorde du Sauveur ; il échangea un vêtement grossier contre cette robe merveilleuse qui, semblable à la robe nuptiale, avait la vertu de défendre du froid non-seulement le corps, mais l'âme elle-même. Qui résisterait à la force d'un exemple si touchant ? Qui oserait encore repousser la prière du mendiant le plus importun ?

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Le second trait que je veux vous citer est plus frappant encore et plus admirable. Une veuve, nommée Alexie, avait pour notre sainte une si vive affection, qu'elle pouvait à peine vivre sans elle. Or il arriva, une année, que les habitants de Sienne souffraient d'une grande disette de froment. La veuve, pour ne pas manquer tout-à-fait de nourriture, avait acheté une certaine quantité de mauvais blé, presque pourri. Mais avant que sa provision ne fût épuisée, on mit en vente sur la place publique du froment nouveau, d'une qualité excellente. Alexie voulut donc jeter ce qui lui restait de l'ancien froment et en acheter du meilleur; toutefois, avant d'exécuter cette pensée, elle s'en ouvrit à la sainte. Quoi ! lui répondit Catherine, vous jetteriez ce que le Seigneur a créé pour être l'aliment de l'homme ? Si vous ne voulez pas vous en nourrir, donnez-le aux pauvres, qui n'ont rien à manger. Alexie ayant objecté qu'il répugnait à sa conscience de donner même à des pauvres un si misérable aliment, la pieuse vierge lui dit : Allez chercher de l'eau, et apportez-moi cette mauvaise farine, j'en ferai moi-même du pain à l'usage des pauvres. La veuve obéit, et avec un peu de farine Catherine fit une si grande quantité de pains, qu'ils suffirent, par un miracle qui surprit tout le monde, à nourrir un grand nombre de pauvres pendant plusieurs semaines, et ceux qui en mangèrent, loin de les trouver mauvais, proclamèrent qu'ils n'avaient jamais goûté d'aliment si agréable. Notre sainte donna plus tard à Raymond, son confesseur, une touchante explication de ce miracle, à laquelle ceux-là ajouteront foi, qui ont fait l'expérience de la miséricordieuse bonté de la très-sainte Vierge. Elle lui dit que, s'étant approchée de cette farine avec un vif sentiment de charité, elle vit la bienheureuse vierge Marie, accompagnée d'une multitude d'anges, pétrir elle-même les pains, qui se multipliaient sous ses mains sacrées.

Que dire ici, mes frères ? que devons-nous admirer davantage, ou bien la sainteté de Catherine, qui mérita d'avoir pour aide dans son travail une telle compagne ; ou bien la tendre condescendance de la très-sainte Vierge, qui daigna, pour secourir les pauvres, abaisser à un tel office sa majesté de reine ; ou bien enfin le mérite de la vertu de charité, que la sainte Vierge fit briller alors d'un si vif éclat ? Mais quoi d'étonnant que la Mère de la miséricorde n'interrompe pas, dans le ciel même, les œuvres de la miséricorde ? Quoi d’étonnant que la Mère de Jésus ait pétri de ses mains du pain pour nourrir les pauvres, quand Jésus a lavé de ses mains les pieds de ses apôtres ? Que si la sainte Vierge a donné Catherine pour épouse à son Fils, faut-il s'étonner que la belle-mère ait voulu aider sa chère belle-fille à accomplir un si charitable office ? Et comment ne serions-nous pas excités aux œuvres de miséricorde, en voyant la Reine des cieux, environnée de chœurs d'anges, s'y livrer avec tant de zèle ?
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Après avoir parlé de la vertu de miséricorde, et expliqué l'évangile où éclate la charité du Sauveur, revenons au jeune homme mort, dont il est fait mention dans notre texte.

« Voici qu'on portait en terre un mort, fils unique de sa mère. »
Ce jeune homme, emporté par un trépas prématuré, est une image de la condition des hommes, tous soumis à la mort. Le jour de chacun est fixé ; un peu plus tôt, un peu plus tard, nous arrivons tous à la dernière demeure. Parmi les considérations que ce sujet pourrait nous inspirer, il convient que nous nous arrêtions surtout à celle-ci, savoir, combien l'heure de la mort est à craindre. Plus nous redouterons son jugement, plus nous mettrons de soin à nous y préparer. Car la crainte d'un péril rend l'homme plus attentif à l'éviter ; la sécurité, au contraire, est la mère de la négligence et de la paresse.

Aristote, passant en revue les choses les plus terribles qui se trouvent dans le monde, met la mort au premier rang. En effet, ce n'est pas de quelque bien particulier, comme font les autres maux du corps, qu'elle nous dépouille, mais de tous les biens à la fois, nous enlevant d'un seul coup et nos richesses, et nos trésors, et notre patrimoine, et la lumière du jour, et nos plus chers amis, et nos frères, et nos épouses, et nos enfants, et tous ceux qui nous sont unis par un lien quelconque. Elle brise tous ces liens et toutes ces unions. De là cette parole de saint Jérôme : « 0 mort, qui divise les frères, et sépare d'une main impitoyable les hommes unis par l'amour ! » De là ce cri d'effroi du roi d'Amalec : « Faut-il qu'une mort amère m'enlève ainsi ! » Siccine separat amara mors ! I Reg. XV, 32.

Si la mort est terrible aux hommes épris des choses de la terre à cause des séparations qu'elle entraîne, elle l'est plus encore à cause du compte redoutable qui doit la suivre. On comprend alors la vérité de cette parole de l'Apôtre : « Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était revêtu de son corps, » omnes nos manifestari oportet ante tribunal Christi, ut referat unusquisque propria corporis, proutgessit, sive bonum, sive malum, II Cor. v, 10 ; et ailleurs : « Il est arrêté que les hommes meurent une fois, et qu'ensuite ils sont jugés. » Statutum post hoc autem est hominibus semel mori, judicium. Hebr. IX, 27.

(à suivre)
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