Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIVe dimanche après la Pentecôte

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIVe dimanche après la Pentecôte

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PREMIER SERMON POUR LE QUATORZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.


Explication de l'Évangile.



Quærite primum regnum Dei et justitiam ejus, et hæc omnia adjicientur
vobis.
Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous
sera donné par surcroît.
Matth. VI, 33.



Parmi tous les noms que le prophète Isaïe donne au Sauveur du monde pour faire comprendre aux hommes sa dignité et sa gloire, un des plus célèbres est celui de conseiller, parce que Jésus-Christ, lors de sa venue en ce monde, devait apporter aux hommes les conseils les plus salutaires. Et c'est un admirable conseil, en effet, que celui que nous trouvons dans les paroles de mon texte et dans tout l'évangile de ce dimanche ; l'homme qui l'embrassera de toute son âme avec une foi entière, qu'il sache qu'il a acquis toutes les richesses des rois, et plus encore. Car les richesses et les biens de la terre, quelque grands qu'ils soient, laissent l'âme en proie à beaucoup de soucis, de troubles et d'angoisses, la vie agitée de toutes sortes d'inquiétudes et de craintes chimériques ; mais l'Ange du grand conseil s'efforce, dans l'évangile d'aujourd'hui, de nous délivrer de ces maux, c'est-à-dire de nous rendre heureux et semblables à Dieu même, qui vit dans une souveraine béatitude, au sein d'une paix et d'une tranquillité inaltérables. Aussi n'est-ce pas seulement l'amour de Dieu, mais encore l'amour de nous-mêmes ; n'est-ce pas seulement la grâce, mais aussi la nature ; n'est-ce pas seulement l'espérance des biens futurs, mais la jouissance présente des avantages les plus considérables, qui nous presse d'embrasser cette leçon de la divine Sagesse. Et parce que l'avarice est la source de nos soucis et de nos inquiétudes, le Maître céleste, dans notre évangile, nous détourne aussi de ce vice, afin de frapper du même coup et la mère et la fille. Comme toutes ses paroles respirent je ne sais quelle douceur et quelle suavité, en même temps qu'elles mettent sous nos yeux le soin paternel que Dieu prend, non-seulement de ses créatures les plus élevées, mais encore des plus petites et des plus humbles, je veux vous rapporter le passage en entier par une simple lecture, avant de l'expliquer dans la suite de mon discours. Cet évangile est un fragment détaché du sermon sur la montagne, où l'on trouve les règles de la perfection chrétienne tracées avec une justesse, une clarté qui révèle une main divine.

« Nul ne peut servir deux maîtres : car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon, » et le reste jusqu'à la fin. Ave, Maria.

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Les paroles de mon texte expriment clairement ce que notre Seigneur a principalement en vue dans l'évangile de ce dimanche. Il veut que nous menions une vie paisible et tranquille, exempte des pénibles soucis des choses terrestres, et uniquement préoccupés de la pureté de notre conscience. Et parce que l'avarice, d'où les autres vices découlent, est spécialement la source de tout souci et de toute inquiétude, il s'efforce de l'extirper de notre âme, afin que la racine n’existant plus, les rejetons meurent avec elle. Les Grecs avaient donné à cette passion le nom très juste de métropole des vices, parce qu'elle est comme le rendez-vous de tous les vices, et que chacun d'eux la sert à sa manière.

Le Maître céleste, sachant donc que l'avarice est la source de tous les vices et de tous les soucis, met tout en œuvre dans son Évangile, et particulièrement dans la leçon de ce dimanche, pour nous en détourner, afin que nous menions une vie exempte à la fois des souillures du péché et des vaines sollicitudes. « Nul, dit-il, ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. » Lorsque deux maîtres ont une conduite et un caractère tout différents, comment serait-il possible de les servir avec le même zèle et la même obéissance ? Si l'un commande de se taire et l'autre de parler, l'un de pleurer et l'autre de rire, l'un de s'appliquer au travail et l'autre de jouer et de ne rien faire, comment accomplir en même temps des ordres si opposés ? Or, que Dieu et Mammon, c'est-à-dire la passion des richesses, soient contraires l'un à l'autre, c'est ce que démontrent les ordres opposés qu'ils donnent.

L'un est libéral, l'autre avare ; l'un est miséricordieux, l'autre cruel; l'un commande de répandre et d'épancher, l'autre de serrer et de garder ; l'un apprend à donner, l'autre à dépouiller ; l'un veut que nous vivions pour tous les hommes, l'autre pour nous seuls ; l'un, méprisant les choses de la terre, n'attache de prix qu'à la vertu, l'autre, estimant peu tout le reste, ne recherche que l'argent; l'un, comme l'aigle, prenant son essor vers les hauteurs, habite dans le ciel, l'autre, comme le serpent, rampe et mange la terre tous les jours ; l'un, enfin, nous aiguillonne sans cesse pour le bien, l'autre nous pousse continuellement au mal : voilà pourquoi ce dernier est appelé ailleurs par Jésus-Christ : « Mammon d'iniquité. » C'est donc avec raison que notre Seigneur dit ici : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. »
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Remarquez la justesse du mot servir : servir l'argent est tout autre chose que le posséder. Le maître possède, l'esclave sert.
Qu'est-ce donc qui change en esclave le maître libre ? L'amour immodéré de l'argent. Ce qui enchaîne le plus fortement le cœur, c'est l'affection et l'amour qu'il a pour une chose. De là ces paroles de Jésus-Christ : « Où est ton trésor, là aussi est ton cœur. » Ubi est thesaurus tuus, ibi est et cor tuum. Matth. VI, 21.
Le trésor de l'avare étant l'argent, là aussi est son cœur, là ses soucis et ses pensées, là ses désirs, là sa suprême félicité. Comment donc se reposera-t-il en Dieu seul, comment l'aimera t-il de tout son cœur, celui qui est tout entier à l'amour de l'argent ? Cet homme ne possède pas son argent, il le sert; il n'est pas le maître de ses richesses, il en est l'esclave. Ainsi s'exprime le Prophète royal dans ce passage : « Ils ont dormi leur sommeil, les hommes des richesses, et ils n'ont plus rien trouvé dans leurs mains. » Dormierunt somnum suum, et nihil invenerunt viri divitiarum in manibus suis. Ps. LXXV, 6. C'est avec raison qu'il dit : Les hommes des richesses, et non : Les richesses des hommes, pour marquer qu'ils n'en sont pas les maîtres,mais les esclaves, des esclaves appliqués uniquement à acquérir et à entasser de l'argent, auquel souvent ils n'osent même pas toucher.
Pour épargner leurs richesses, ils ne s'épargnent pas eux-mêmes ; ils ont plus de souci de leur argent que de leur propre vie ; cruels et inhumains pour eux-mêmes, tendres pour leur argent. L'Apôtre va jusqu'à les appeler adorateurs des idoles, parce que, pour amasser des richesses, ils ne craignent pas de transgresser les lois de Dieu (Ephes. V ). C'est donc avec une souveraine sagesse que notre Seigneur dit : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. »
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Mais, dira quelqu'un, que voulez-vous que fasse celui qui a une famille à nourrir, une épouse, des enfants à entretenir, si vous lui ôtez cette sollicitude qui, comme un aiguillon salutaire, pousse l'homme à rechercher à force de soin et de travail les choses dont il a besoin pour remplir ce devoir ? Je ne nie pas, mes frères, qu'au milieu des occupations et des embarras qui nous viennent du dehors, nous ne puissions, par un bienfait particulier de Dieu, conserver la paix et la tranquillité de l'âme, et ne pas ressentir la pointe des soucis matériels.
Néanmoins, le Médecin céleste s'efforce de guérir cette blessure de notre cœur, et nous offre dans cet évangile les remèdes les plus efficaces, pour que, bannissant toute sollicitude excessive, nous conservions la paix intérieure.

Ces remèdes toutefois s'adressent, non à tous les hommes en général, mais à ceux qui, remplis de l’Esprit divin, sont justement appelés enfants de Dieu. C'est ce qu'insinue le Sauveur dans l’Évangile, lorsqu'il dit : « Votre Père céleste sait que vous avez besoin de ces choses. » Scit enim Pater vester quia his omni bus indigetis. Matth. VI, 32. C'est donc aux enfants de Dieu, à tous ceux qui cherchent le royaume de Dieu et la justice qui nous y conduit, que notre Seigneur commande de bannir toute sollicitude, et de regarder Dieu comme un père qui prend de ses enfants un soin plus que paternel. Les saintes Écritures célèbrent à chaque page cette providence si tendre et si attentive : « J'ai été jeune, et je suis vieux, dit le Prophète royal, mais je n'ai point encore vu que le juste ait été abandonné, ni que sa race ait cherché du pain, » junior fui, etenim senui, et non vidi justum derelictum, nec semen ejus quærens panem, Ps. XXXVI, 25 ; et ailleurs : « Les riches ont été dans le besoin et ont eu faim, mais pour ceux qui cherchent le Seigneur, ils ne seront privés d'aucun bien, » divites (hebr. leones) eguerunt et esurierunt; inquirentes autem Dominum non minuentur omni bono. Ps. XXXIII, 11. Notre Seigneur adresse donc cette recommandation aux pieux fidèles qui ont reçu le nom d'enfants de Dieu. Car le Seigneur dit dans un autre endroit au sujet des méchants : « Je ne serai plus votre pasteur; que ce qui meurt, meure ; que ce qui est égorgé, soit égorgé ; et que ceux qui échapperont au carnage se dévorent les uns les autres, » non pascam vos : quod moritur, moriatur ; et quod succiditur, succidatur ; et reliqui devorent unusquisque carnem proximi sui, Zach. XI, 9. — Voyons maintenant par quels raisonnements notre Seigneur s'efforce de nous persuader ce qu'il nous enseigne.
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« La vie, dit-il, n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps que le vêtement ? » En d'autres termes, celui qui donne le plus, donnera aussi le moins. Il nous apprend ainsi à jeter les yeux sur les principaux bienfaits de Dieu, et à puiser dans ce qu'il a déjà fait pour nous des motifs de confiance pour l'avenir. Telle fut la conduite, tels étaient les sentiments des saints patriarches Abraham, Jacob, David, etc., qui, ayant fait dans l'adversité l'expérience de la paternelle bonté du Seigneur, y recouraient dans tous leurs dangers d'un cœur joyeux et confiant. A leur exemple, vous aussi, mes frères, aimez à vous rappeler les anciennes miséricordes du Seigneur à votre égard, et que des bienfaits plus grands vous en fassent espérer de moindres. « Est-ce que la vie, dit-il, n'est pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » C'est-à-dire, Dieu vous a donné ce corps avec tous ses membres et ses sens divers ; il en a formé les os dans le sein de votre mère ; il vous a donné une âme faite à son image et enrichie des plus riches facultés. Mais ces dons, si grands qu'ils soient, s'effacent devant de plus grands encore. Pour procurer votre salut, cette souveraine et infinie Majesté est descendue du trône de sa gloire sur la terre ; elle a revêtu la nature humaine, enduré la faim, la soif, le froid, le chaud, la pauvreté, la calomnie, la persécution, les faux témoignages et mille autres épreuves ; enfin, pour nous mériter la vie éternelle, elle a souffert le cruel supplice de la croix ; ce corps et ce sang adorables, qu'elle a immolés pour nous sur le Calvaire, elle nous les donne tous les jours en nourriture et en breuvage, en attendant qu'ils soient dans le ciel notre éternelle récompense. Je vous le demande maintenant, mes frères, croyez-vous, ou ne croyez vous pas que ces bienfaits divins vous aient été accordés ? Si vous ne le croyez pas, vous n'êtes pas seulement des ingrats, mais des infidèles. Si vous le croyez, est-il possible, dites-moi, que celui qui a fait pour vous de si grandes choses, vous refuse les aliments nécessaires à votre vie, lui qui ne les refuse pas aux animaux ?

Celui qui s'est donné lui-même à vous, qui n'a épargné ni son corps, ni son sang, ni sa vie, vous refusera-t-il le morceau de pain nécessaire à votre subsistance ?

En outre, si vous espérez recevoir de lui les dons si excellents de la grâce et de la gloire, que vous n'échangeriez pas contre l'empire du monde, comment ne vous accorderait-il pas des dons chétifs et de peu de prix qu'il accorde en abondance aux nations infidèles et barbares ? Est-il possible que vous attendiez de lui ce qu'il y a de plus grand et de plus précieux, et que vous n'en attendiez pas ce qui est plus petit et de moindre valeur ? Ah ! craignez que le Seigneur ne vous adresse le même reproche qu'il faisait autrefois aux enfants d'Israël tremblant de crainte et défiants comme vous : « Jusques à quand ce peuple ne me croira t-il point, après tous les miracles que j'ai faits devant leurs yeux ? Car voici déjà dix fois qu'ils me tentent. » Quousque non credent mihi, in omnibus signis quæ feci coram eis ? Jam enim per decem vices tentaverunt me. Num. xiv, 11. De même que ces hommes étaient bien insensés de ne pas espérer de secours après tant de faveurs éclatantes dont ils avaient été l'objet, ainsi nous manquerions également de raison si, après avoir reçu du Seigneur de si grandes grâces, nous n'osions pas en espérer de moindres.

Telle est, mes frères, la première raison par laquelle notre Seigneur nous exhorte à placer une confiance pleine et entière dans sa paternelle providence, et blâme notre défiance et notre hésitation.
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I.

La deuxième raison n'a pas moins de force : « Regardez, dit-il, les oiseaux du ciel ; ils ne sèment, ni ne moissonnent, ni ne recueillent dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ? » Aimable et profonde sagesse ! Remarquez, je vous prie, quelle multitude d'êtres vivent sur la terre, quelle multitude au sein des mers, quelle multitude dans les plaines de l'air, sans parler des vermisseaux et des insectes sans nombre qui se trouvent partout. Si l'on peut à peine compter les espèces, que dire des individus ? Or, tous ces animaux sont vivants, et il leur faut une nourriture appropriée à leur existence et à leur nature. Et cependant, quelque nombreux qu'ils soient, ils trouvent tous leur aliment; aucun ne meurt de
faim.

Et c'est ici que brille avec éclat la sagesse de la divine providence. Rien de plus varié que la nourriture qui convient à tous ces êtres ; mais aussi chaque animal a reçu de Dieu l'adresse, la vigueur, les armes nécessaires pour se la procurer, les uns par la force, d'autres par la ruse, d'autres enfin en dressant à leur proie des pièges et des embûches. A quoi bon rappeler ici la prudence de la fourmi, l'industrie des abeilles, le fil merveilleux du ver-à-soie, la toile de l'araignée, qui prend les mouches dans ses rets et se nourrit de leur sang. Plus ces animaux sont petits, plus ils manifestent avec éclat la sagesse et la puissance de la providence divine, qui a mis dans de si petits êtres tant d'industrie, tant de ruse, tant d'intelligence. Aussi cette considération figure-t-elle parmi toutes les preuves que nos saints Livres apportent de la providence et de la sagesse de Dieu : « Qui donc, dit le Seigneur, prépare au corbeau sa pâture, quand ses petits crient vers Dieu et errent çà et là pressés par la faim ? » Quis præparat corvo escam suam, quando pulli ejus clamant ad Deum, vagantes eo quod non habeant cibos ? Job. XXXVIII, ult. « Il donne aux bêtes, dit le Psalmiste, la nourriture qui leur est propre, et nourrit les petits des corbeaux qui invoquent son secours. » Qui dat jumentis escam ipsorum, et pullis corvorum invocantibus eum. Ps. CXLVI, 9. Si les petits des corbeaux sont ici spécialement nommés, c'est que la providence prend d'eux un soin tout particulier. Au témoignage d'un interprète, lorsqu'ils n'ont pas encore de plume, ils sont tout blancs, et le père et la mère ne reconnaissant pas en eux de véritables enfants, les abandonnent, Ils crient donc vers Dieu, et la divine providence, qui ne s'endort jamais, vient à leur secours : elle fait naître dans leur nid de petits vers pour leur servir d'aliment jusqu'à ce que, le neuvième jour étant venu, ils commencent à se couvrir d'un noir plumage qui leur rend l'affection et les soins de leurs parents.

Puisque la providence ne fait défaut nulle part, pas même dans un chétif animalcule abandonné de ceux qui lui ont donné la vie, quelle injustice de penser qu'elle manque envers l'homme. Si, parmi tous les êtres qui peuplent ce monde inférieur, l'homme est le plus beau et le plus noble, si son front est le seul où Dieu ait gravé son image, s'il est le roi et le seigneur de la création, si tout obéit à son empire, si le Créateur de l'univers a mis à ses pieds la brebis et le bœuf et les animaux des champs, est-il possible que celui qui nourrit les petits des oiseaux et le vermisseau le plus humble, laisse l'homme, son enfant d'adoption, mourir de faim ? Un père qui prend soin de la maison de son fils, de ses serviteurs, de ses servantes, de ses troupeaux, refusera-t-il à son fils lui-même le morceau de pain nécessaire à sa subsistance ? Il est absurde de le supposer. Telle est la seconde raison que le Maître céleste oppose à nos défiances et à nos inquiétudes.
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Il en ajoute une autre : « Qui de vous, dit-il, pourrait, à force de sollicitude ajouter à sa taille la hauteur d'une coudée ? » Si un homme, arrivé à l'âge mûr, voulait grandir encore, et qu'il fût tourmenté de ce désir et de ce souci, pourrait-il augmenter sa taille d'une coudée ? En aucune manière. La grosseur et la hauteur du corps dépendent non de la sollicitude de l'homme, mais de la volonté et de la providence divine, qui détermine la mesure de nos corps. Dieu, dit la sainte Écriture, dispose tout avec nombre, poids et mesure, sans que personne puisse s'écarter des règles qu'il a tracées. Le nombre de nos années est soumis aux mêmes lois. « Tu as compté, dit le patriarche Job, les jours de l'homme, tu as posé un terme qu'il ne doit pas franchir. » Constituisti terminos ejus, qui præteriri non possunt. Job. XIV, 5.

Que veut nous faire entendre notre Seigneur ? Que la providence divine s'étend à tout; que de même qu'aucune sollicitude, aucune industrie ne saurait nous faire dépasser la mesure de notre corps ou le nombre de nos années fixé par Dieu, ainsi la richesse ou la pauvreté dépendent tellement de lui, que nos soucis et nos inquiétudes, s'ils sont contraires aux dispositions de sa providence, sont vains et stériles. Voilà pourquoi les uns arrivent à la fortune presque sans rien faire, d'autres restent pauvres malgré beaucoup de travaux et de fatigues, et l’Ecclésiastique nous apprend qu'il faut en chercher les raisons dans une disposition de la divine providence : « Tel travaille, dit-il, et se hâte, et souffre beaucoup ; mais plus il en fait, moins il s'enrichit. Tel est sans vigueur, sans ressources, prêt à défaillir et dans une pauvreté extrême, et cependant l’œil de Dieu regarde cet homme avec faveur, le tire de son humiliation, l'élève en honneur, et plusieurs le voyant en sont surpris et en rendent gloire à Dieu. » Est homo laborans, et festinans, et dolens, et tanto magis non abundabit. Est homo marcidus, egens recuperatione, plus deficiens virtute, abundans paupertate, et oculus Dei respexcit illum in bono, et erexit eum ab humilitate ipsius, et escaltavit caput ejus, et mirati sunt in illo multi, et honoraverunt Deum. Eccli. XI, 11, seq. Par ces paroles, l’Écrivain sacré nous indique que la richesse dépend de la providence ; il l'enseigne plus expressément encore au verset suivant : « Les biens et les maux, la vie et la mort, la pauvreté et les richesses viennent de Dieu. » Bona et mala, vita et mors, paupertas et honestas a Deo sunt. Ibid. 14. Il ignorait cette philosophie le riche de l’Évangile qui se proposait de détruire ses greniers et d'en construire de plus vastes, pour y mettre ses biens en réserve. Pendant qu'il roulait en son esprit ces folles pensées, il entendit une voix qui lui disait : « Insensé ! cette nuit même on te redemandera ton âme, et ce que tu as amassé, pour qui sera t-il ? » Stulte, hac nocte repetent a te animam tuam ; ea quæ parasti cujus erunt ?
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Ainsi la providence divine exerce son empire non seulement sur la mesure de notre corps et les années de notre vie, mais encore sur la richesse et la pauvreté. Ceux qui refuseraient de croire cette vérité me paraissent imiter la folie et l'infidélité de ces païens qui, défaits sur les montagnes par les Israélites, dirent : « Les dieux des montagnes sont leurs dieux, et c'est pour cela qu'ils nous ont vaincus; il vaut mieux que nous combattions contre eux dans la campagne, et nous les vaincrons. » Dii montium sunt dii eorum ; sed melius est ut pugnemus contra eos in campestribus, et obtinebimus eos. III Reg. XX, 23. Ils sont dans la même erreur ceux qui soumettent une chose à la divine providence et lui en retirent une autre, tandis qu'elle tient sous son empire et dirige tout, jusque-là qu'il ne tombe pas un passereau dans le filet de l'oiseleur sans la permission du Père céleste.

Accordons que vous puissiez sans le secours de Dieu acquérir les biens de la fortune. Mais cette inquiétude, ces angoisses, ces nuits sans sommeil, ces soucis qui déchirent votre cœur et empoisonnent votre existence, de quelle utilité sont-ils pour vous enrichir ? Le travail, l'industrie, le génie et la bénédiction de Dieu, voilà des moyens féconds, efficaces; mais à quoi peuvent servir cette inquiétude fiévreuse, ces soucis qui vous dévorent ?

Ainsi, dans ce passage, ce n'est point le travail, c'est la sollicitude inquiète que Dieu condamne. Je dis la sollicitude inquiète, c'est-à-dire celle qui a son principe dans la défiance et le manque de foi, et qui fait que l'homme compte plus sur lui-même et sur son habileté que sur la providence de Dieu. A Dieu ne plaise que des hommes mous et paresseux s'autorisent de notre Évangile pour fuir le travail et se livrer à l'oisiveté, puisque le Prophète royal appelle heureux ceux qui mangent le fruit des travaux de leurs mains, labores manuum tuarum quia manducabis, beatus es, et bene tibi erit, Ps. CXXVII, 2, et que l'Apôtre nous exhorte à travailler, afin de suffire à nos besoins et à ceux des pauvres.

Notre Seigneur nous commande donc uniquement de bannir toute sollicitude qui trouble l'âme et la détourne de lui, parce qu'elle est aussi impuissante à nous procurer la richesse qu'à augmenter notre taille.
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Message par Laetitia »

Qu'avons-nous à faire pour triompher de cette sollicitude qui a jeté ses racines jusqu'au fond de nos âmes ? Écoutons le Prince des apôtres nous exhortant à confier à Dieu tous nos soucis, « parce que, dit-il, il a soin de vous, » quoniam ipsi cura est de vobis. I Petr. V, 7. Écoutons le Prophète royal : « Jetez, dit-il, dans le sein de Dieu le soin de tout ce qui vous regarde. » Jacta super Dominum curam tuam. Ps. LIV, 23. C'est en prononçant ce verset que saint François d’Assise envoyait ses frères demander l'aumône, assuré que la miséricorde de Dieu ne leur ferait pas défaut sur leur route. Après avoir entendu ces deux voix éloquentes, et il y en a beaucoup d'autres, rendre ce glorieux témoignage à la providence divine, nous exhorter à la confiance, à bannir toute vaine sollicitude, proclamer que Dieu prend soin de nous, s'inquiète pour nous, qui de vous, pieux fidèles, car c'est à vous que je parle, qui de vous oserait s'abandonner à la défiance et à la crainte, douter de la providence divine ? Croyez vous le mystère ineffable de l'adorable Trinité ?-Je le crois, dites-vous. – Pourquoi ? Parce que la sainte Ecriture l'atteste.-Eh bien ! la même Ecriture proclame en mille endroits que Dieu prend de ses serviteurs un soin paternel et leur porte le plus tendre intérêt. Pourquoi, de deux témoignages qui sont également la pure expression de la parole de Dieu, admettez vous l'un et rejetez-vous l'autre ?

Le Sauveur continue d'énumérer les motifs qui doivent vous inspirer la confiance : « Et le vêtement, dit-il, pourquoi vous en inquiétez-vous ? Considérez les lis des champs, comment ils crois sent : ils ne travaillent ni ne filent; et cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n'était pas vêtu l'un d'eux. » Cette raison est claire par comme elle-même, et notre Seigneur en tire aussitôt la conséquence : « Que si Dieu revêt ainsi l'herbe des champs, qui est aujourd'hui, et demain sera jetée dans le four, combien plus le fera-t-il pour vous, gens de peu de foi ? » L'Auteur de la nature, vous le savez, n'a donné cette beauté au lis et aux autres fleurs que pour réjouir le regard de l'homme. Si donc il a daigné s'occuper d'offrir à nos yeux un spectacle agréable, négligera-t-il le soin bien plus nécessaire de vêtir nos corps ?
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II.

Ces motifs seraient bien suffisants pour donner à notre confiance un fondement solide ; mais le Maître céleste, qui connaît notre infirmité, en ajoute de nouveaux : « Ne vous mettez point en peine, disant : Que mangerons-nous, ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? Car ce sont les Gentils qui s'inquiètent de toutes ces choses. » Quelle force dans ce dernier trait, où le Sauveur nous enseigne que la condition des fidèles est bien différente de celle des infidèles! Un infidèle ou bien ne croit pas en Dieu, ou bien s'imagine que, n'ayant pas le moindre souci des hommes, Dieu ne s'occupe pas de ce qui nous regarde. Telle était l'opinion de ceux qui reléguaient dans les régions du pôle des dieux indifférents à nos besoins. Un grand nombre adoraient de muets simulacres de bois ou de pierre, dont le Prophète royal parle ainsi : « Les idoles des nations sont de l'argent et de l'or, et les ouvrages de la main des hommes. Elles ont une bouche et ne parlent point ; elles ont des yeux et ne voient point, etc. » Simulacra gentium argentum et aurum, opera manuum hominum. Os habent, et non loquentur ; oculos habent, et non videbunt. Ps. CXIII, 12, 13.

Quelle confiance peuvent inspirer à leurs adorateurs des divinités aveugles, sourdes et immuables, qui ne peuvent secourir personne ? Combien sont différents les sentiments du chrétien sur la providence de Dieu ! Il sait tout ce que la foi nous enseigne sur la création et le gouvernement de ce monde. Il sait ce chant du Prophète : « Je me suis rendu comme le père nourricier d'Ephraïm ; je les portais entre mes bras, et ils n'ont pas compris que c'était moi qui avait soin d'eux. » Et ego quasi nutritius Ephraim, portabam eos in brachiis meis, et nescierunt quod curarem eos. Ose. XI, 3. Il sait cet oracle du Seigneur : « J'ai établi des gardes sur tes murs, à Jérusalem ; ils ne se tairont jamais ni durant le jour, ni durant la nuit. » Super tuos muros, Jerusalem, constitui custodes ; tota die et tota nocte in perpetuum non tacebunt. Isa. LXII, 6. Il sait le psaume CXX, où le Prophète royal célèbre la providence divine : « Qu'il ne permette point que votre pied soit ébranlé, et que celui qui vous garde ne s'endorme point. Non, il ne s'assoupira ni ne s'endormira celui qui garde Israël ! Le soleil ne vous brûlera point pendant le jour, ni la lune pendant la nuit. Non det in commotionem pedem tuum, neque dormitet qui custodit te. Ecce non dormitabit neque dormiet, qui custodit Israel. Per diem sol non uret te, neque luna per noctem.

Il sait enfin ce passage du même Prophète : « Il a commandé à ses anges de vous garder dans toutes vos voies ; ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre. » Angelis suis mandavit de te, ut custodiant te in omnibus viis tuis. In manibus portabunt te, ne forte offendas ad lapidem pedem tuum. Mais le jour, mais la vie elle-même me ferait défaut, si je voulais rapporter ici tous les témoignages de la sainte Écriture qui proclament cette paternelle providence de Dieu sur l'homme et sur le monde.
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