Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte

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PREMIER SERMON POUR LE TREIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.


1° Courte explication de l'Évangile ;
2° Difformité du péché mortel figuré par la lèpre.



Occurrerunt ei decem viri leprosi; qui steterunt a longe, dicentes : Jesu proceptor, miserere nostri.
Dix lépreux vinrent au-devant de Jésus, lesquels, se tenant éloignés, élevèrent la voix, et dirent : Jésus, notre maître, ayez pitié de nous.
Luc. XVII, 12.



Toute la sagesse chrétienne, mes très-chers frères, peut se ramener à deux points principaux, dont l'un nous enseigne la difformité, et l'autre les remèdes du péché. Le premier, qui nous éloigne du mal, semble appartenir davantage à la loi, laquelle, dit saint Paul, nous donne la connaissance du péché; et le second, qui fournit aux pécheurs un remède salutaire, se rapporte à la grâce de l’Évangile. Nous aurions aujourd'hui, si nous voulions être complets, à traiter de ces deux objets de la sagesse chrétienne ; mais, pressés par le temps, nous nous contenterons de parler de la malice et de la difformité du péché, afin de vous exciter à le haïr et à le détester de plus en plus. Car notre âme ne saurait jamais concevoir pour le péché toute la haine qu'il mérite. Comme cette pieuse horreur du péché est un don de la grâce, demandons-la humblement à Dieu par l'intercession de la très-sainte Vierge. Ave, Maria.

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PREMIÈRE PARTIE.

De même que ce soleil placé sous nos yeux ne se repose jamais et ne s'arrête pas un seul instant dans son orbite, mais parcourt d'une marche infatigable la terre et les mers, pour répandre le bienfait de la lumière et de la chaleur sur tous les objets que renferme ce monde inférieur : ainsi le Soleil de justice, notre Seigneur Jésus-Christ, dès qu'il eut commencé à répandre parmi les hommes la lumière de sa doctrine, parcourant les villes et les villages, ne cessa jamais de venir en aide aux hommes en toute manière, et de les élever à la connaissance et à l'amour des choses divines par l'éclat de ses enseignements, par ses exemples de vertu et par ses nombreux bienfaits. Voilà pourquoi nous le voyons dans l'évangile de ce jour, alors qu'il est en route pour aller à Jérusalem en passant par la Samarie et la Galilée, n'interrompre pas même dans ce voyage le cours de ses bienfaits.

« Comme il entrait dans un village, dit saint Luc, dix lépreux vinrent à lui, lesquels, se tenant à distance, élevèrent la voix et dirent : « Jésus, notre Maître, ayez pitié de nous. » Ils avaient entendu raconter les merveilles opérées par lui, et, par la grâce de l’Esprit-Saint, ce qu'ils avaient entendu avait fait naître en eux la foi. Rom. X, 17. Ils avaient appris en même temps que Jésus-Christ, entre autres qualités, se distinguait surtout par une tendre compassion envers les malheureux, compassion qui le portait à parcourir les villes, les bourgades, les lieux les plus obscurs, afin de guérir toutes les maladies du corps et de l'âme.

Aussi est-ce à cette miséricorde qu'ils s'adressent, à cette porte qu'ils frappent, pleins de confiance qu'elle leur sera ouverte.
« Jésus, notre Maître, s'écrient-ils, ayez pitié de nous. » « Dès qu'il les eut aperçus, Jésus leur dit : Allez, montrez vous aux prêtres. » Pourquoi, Seigneur, les renvoyez-vous aux prêtres ? Quel rapport y a-t-il entre la lèpre et le sacerdoce ?- Parce que la loi de Moïse réservait aux prêtres le jugement de la lèpre. Mais pourquoi aux prêtres, et non aux médecins, à qui il appartient de prononcer sur toutes les maladies du corps ? Nous voyons par là que ce point de la loi, comme tous les autres du même genre, était une figure des choses spirituelles. Car si la lèpre n'était pas une figure du péché, dont le jugement appartient aux prêtres, il semblerait peu convenable de ranger la connaissance de cette maladie parmi les fonctions sacerdotales. Et comme notre Seigneur prenait plus de soucis de la lèpre spirituelle des âmes que de celle du corps, il renvoie donc cette cause, en vertu de la loi, à l'examen des prêtres, à qui il appartient non-seulement de reconnaître, mais de juger les maladies spirituelles.

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« Allez, dit-il, montrez-vous aux prêtres. » Ces hommes pleins de foi n'hésitent pas ; quoiqu'ils se voient encore tout défigurés par cette horrible maladie, ils se mettent en marche. Admirez ici, mes frères, les effets d'une foi solide et d'une prompte obéissance. S'ils n'avaient consulté que les lumières de leur raison, ces malheureux auraient pu se dire : A quoi bon nous renvoie-t-il aux prêtres ? Les prêtres ont le pouvoir de juger de la lèpre, non de la guérir. Aussi personne ne va-t-il les trouver qu'après une guérison pleine et entière. Mais nous, nos propres yeux l'attestent, cette maladie nous souille encore ; notre corps est toujours le même, aussi impur qu'auparavant. Comment donc nous commande-t-il,malgré les défenses de la loi, d'entrer dans la ville et de nous présenter aux prêtres ? Le lépreux à qui Jésus, en descendant de la montagne, ordonna de se montrer aux prêtres et d'offrir le sacrifice exigé par la loi pour le bienfait de sa guérison, il l'avait touché d'abord et purifié (Matth. VIII). A nous il n'a ni imposé les mains, ni apporté aucun soulagement. Les prêtres auxquels ils nous adressent verront de suite, s'ils ne sont aveugles, que nous sommes des lépreux.

Ils ne tinrent pas ce langage. Au lieu de consulter leurs sens et d'écouter leur raison, ils s'élevèrent plus haut sur les ailes de la foi et de l'obéissance sa compagne, et espérèrent contre l'espérance. Aussi quelle récompense admirable de leur vertu ! « Pendant qu'ils étaient en route, dit l'Evangéliste, ils furent guéris, » vérifiant ainsi en eux la parole de Salomon : « L'homme obéissant racontera des victoires. » Vir obediens loquetur victorias. Prov. XXI. Comme l'homme obéissant tient sans cesse les yeux attachés sur la volonté divine, Dieu, qui aime souverainement cette vertu, se plaît à réaliser ses pieux et ses saints désirs. Car rien de plus véritable que cette maxime de l'Ecclésiatique : « L'homme de bon sens croit à la loi de Dieu, et la loi lui est fidèle. » Homo sensatus credit legi Dei, et lex illi fidelis, » Eccli.. XXXIII, 3 : c'est-à-dire, parce qu'il est fidèle à accomplir ce que la loi prescrit, la loi est fidèle à accomplir ce qu'elle promet.
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« L'un d'eux, lorsqu'il se vit guéri, revint en glorifiant Dieu à haute voix. Et il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus, lui rendant grâce. C'était un Samaritain. Alors Jésus dit : Est-ce que les dix n'ont pas été guéris ? Les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s'en est point trouvé qui soit revenu et ait rendu gloire à Dieu, si ce n'est cet étranger ? » Ici arrêtons-nous d'abord à contempler l'extrême libéralité de notre Seigneur, qui, pour le bienfait si désiré de la guérison, se borne à demander aux lépreux des actions de grâces. « Il n'y a point de richesses plus grandes que la santé du corps, » dit l’Ecclésiastique, chap. XXX, 16 ; et pour ce bien inappréciable, notre Seigneur demandait un acte facile de religion. Sa libéralité est plus grande encore à notre égard ; il nous comble chaque jour de ses bienfaits les plus insignes, et il n'exige de nous qu'un cœur reconnaissant. Pouvait-il demander moins à sa créature ? Ainsi, tandis que pour nous il a enduré les soufflets, les chaînes, les verges, les dérisions, et enfin le cruel supplice de la croix, et nous a procuré par sa mort une vie immortelle, tout ce qu'il exige de nous, c'est que nous gardions le souvenir de ce bienfait et que nous en rendions des actions de grâces. Et cependant il y a des hommes assez ingrats, assez insensibles pour lui refuser ce léger tribut de reconnaissance !

Quelle excuse ces âmes endurcies pourront-elles faire valoir lorsque Dieu les interrogera sur leur conduite ? Si notre Seigneur demanda aux lépreux, en retour du bienfait de leur guérison, l'hommage d'un cœur reconnaissant, et fit entendre les accents de sa colère contre les ingrats, que ne fera-t-il pas, je vous le demande, lorsqu'il demandera compte aux pécheurs de la grâce du salut éternel qu'il leur avait procurée, non en prononçant une parole, mais au prix de mille souffrances ? Notre imagination peut s'en faire une idée, mais l'éloquence humaine ne saurait l'exprimer.
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Ce reproche du Sauveur renferme un autre mystère dont il est plus difficile de trouver l'explication. Nous pouvons nous de mander pourquoi ce fut un Samaritain et un étranger qui fit ce que ne firent pas les Israélites ? Nous trouvons quelque chose de semblable dans l'évangile de dimanche dernier, où l'homme dépouillé et couvert de blessures par des voleurs ne trouve que de l'indifférence de la part du prêtre et du lévite, et est pieusement recueilli par un Samaritain. Quel enseignement le Sauveur a-t-il voulu nous donner en mettant ainsi les infidèles au-dessus des fidèles et en les éclairant d'une lumière plus abondante. En présence de toutes les questions de ce genre, nous ne pouvons que répéter l'exclamation de l'Apôtre : « Ô profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! » O altitudo divitiarum sapientiæ et scientiæ Dei ! Quam incomprehensibilia sunt judicia ejus, et investigabiles viæ ejus ! Rom. XI, 33. Et, en effet, les saints Pères nous enseignent avec raison que les vertus du Samaritain sont comme une indication prophétique de la vocation des Gentils.

Mais il me semble que ces circonstances renferment encore un autre enseignement : c'est que les péchés des fidèles sont plus graves que ceux des infidèles, et qu'ainsi, le pécheur en général se rendant indigne de la grâce divine, celui-là s'en rend plus indigne et s'en éloigne davantage, qui pèche plus gravement. Or, que les péchés des fidèles soient plus graves, c'est ce que nous apprennent ces paroles de notre Seigneur : « Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et n'aura rien tenu prêt, ni agi selon sa volonté, recevra un grand nombre de coups, » servus qui scit voluntatem domini sui, et non facit, plagis vapulabit multis, Luc. XII, 47 ; c'est ce que nous enseigne saint Paul par des expressions plus sévères encore : « Si nous péchons volontairement, dit-il, après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n'y a plus désormais d'hostie pour le péché; mais il ne reste qu'une attente effroyable du jugement, et l'ardeur du feu qui doit dévorer les ennemis de Dieu. » Voluntarie peccantibus nobis post acceptam notitiam veritatis, jam non relinquitur pro peccatis hostia, terribilis autem quædam expectatio judicii, et ignis æmulatio, quæ consumptura est adversarios. Hebr. X, 26, 27. Par ces paroles, l'Apôtre ne ferme à personne la voie du salut; mais il fait entendre combien les fautes de ceux qui ont connu la vérité sont plus graves que celles des infidèles. Car plus on a été instruit des choses divines, plus on a reçu de bienfaits de Dieu et de grâces pour pratiquer la vertu, plus les péchés que l'on commet ont de gravité.
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Comment expliquer que l'époux et l'épouse étant unis ensemble par des liens si étroits, l'infidélité de celle-ci donne lieu à une si vive inimitié, si ce n'est parce que l'épouse a reçu de son mari de plus grands bienfaits, des gages d'amour plus sacrés ?

C'est pour la même raison que la faute du plus beau des anges et celle de nos premiers parents eurent des suites si funestes. Ces exemples nous montrent que le péché des fidèles est plus grave que celui des infidèles, parce que les premiers ont reçu de Dieu plus de lumières et de bienfaits, et par conséquent avaient plus de motifs de pratiquer la vertu. Voilà pourquoi encore le prophète Jérémie nous apprend que l'iniquité d'Israël a surpassé celle de Sodome : « L'iniquité de la fille de mon peuple, dit-il, est devenue plus grande que le péché de la ville de Sodome, qui fut renversée en un moment, » major effecta est iniquitas filiæ populi mei peccato Sodomorum, quæ subversa est in momento, Thren. IV, 6 : non pas que les Israélites eussent commis des fautes plus nombreuses ou plus graves, mais parce que les enseignements et les bienfaits dont Dieu les avait favorisés rendaient leurs fautes plus criminelles.

Cette vérité, mes frères, doit nous frapper de terreur, nous qui, vivant sous la grâce de l’Évangile, avons reçu tant de secours pour faire le bien, si nous abusons de cette bonté de notre Dieu et du temps favorable qu'il nous accorde. Et plus notre dignité dans l’Église est élevée, plus nous avons à craindre : le clerc plus que le simple fidèle, le religieux plus que le clerc, le prêtre plus que le simple religieux, l'évêque plus que le prêtre. « On demandera davantage, dit le Sauveur, à qui on a donné davantage. » Ne nous faisons pas illusion ; au jour du jugement, on nous demandera compte, non-seulement des fautes commises, mais encore des grâces reçues. C'est donc à tort que ceux qui s'endurcissent dans le crime mettent leur confiance dans la foi seule, car la foi morte, c'est-à-dire dépouillée des bonnes œuvres, est plutôt un motif de crainte que de confiance.
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La parole évangélique qui nous occupe nous apprend encore avec quelle rigueur notre Seigneur exige cet hommage de reconnaissance de la part de ceux à qui il a accordé quelque faveur. « Est-ce que les dix n'ont pas été guéris, s'écrie-t-il avec indignation ? Les neuf autres où sont-ils ? » Comme il est lui-même très-libéral à répandre ses bienfaits, il veut que nous soyons empressés à lui offrir nos actions de grâces, qui sont un hommage rendu à sa bonté. « Le sacrifice de louanges, dit-il par la bouche du Psalmiste, est celui qui m'honorera, et c'est la voie par laquelle je montrerai le salut de Dieu, sacrificium laudis honorificabit me, et illic iter quo ostendam illi salutare Dei, Ps. XLIX, 23 ; c'est-à-dire, à cause de l'hommage de sa reconnaissance, je le comblerai de nouveaux bienfaits, et je lui montrerai la voie par laquelle il pourra en tout temps obtenir de moi un secours salutaire.

C'est pourquoi, s'adressant au Samaritain fidèle et reconnaissant prosterné à ses pieds, il lui dit : « Levez-vous, allez ; votre foi vous a sauvé. » Si le Samaritain avait la vraie foi, il est certain qu'il avait été éclairé par le Saint-Esprit ; car « la foi, dit l'Apôtre, ne vient pas de vous, ni de vos œuvres, puisque c'est un don de Dieu, afin que nul ne se glorifie, » et hoc non ex vobis, sed Dei donum est, non ex operibus, ut ne quis gloriatur. Ephes. II, 8, 9.

L'évangile expliqué, montrons maintenant quelle est la difformité de la lèpre spirituelle, ou, en d'autres termes, quelle est la malice du péché.

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DEUXIÈME PARTIE.


Parmi les maux graves et nombreux et du corps et de l'âme qui affligent le monde, si quelqu'un me demandait quel est le plus grand, je répondrais sans hésiter en citant ce que Job dit des méchants : « Ils boivent l'iniquité comme l'eau, » bibit quasi aquam iniquitatem, Job. XV, c'est-à-dire, ils commettent le crime avec la même jouissance, avec le même plaisir qu'un homme, dévoré par la soif, en trouve à boire une eau fraîche et limpide. C'est là ce que Salomon range parmi les six choses principales que Dieu hait, savoir : « Des pieds rapides pour courir au mal, » pedes veloces ad currendum in malum, Prov. VI, c'est-à-dire des pieds que ni la crainte de Dieu, ni ses promesses, ni ses menaces, ni le souvenir de ses bienfaits n'empêchent de se précipiter dans toutes sortes de crimes, sans éprouver le moindre sentiment de douleur, la moindre atteinte du remords. « Ils courent tous, dit Jérémie, où leur passion les emporte, comme un cheval qui court à toute bride au combat, « omnes conversi sunt ad cursum suum, quasi equus impetu vadens ad prælium. Jerem. VIII, 6. Tel est, de tous les maux dont le monde est rempli, celui qui m'inspire plus de crainte et d'étonnement.

En effet, mes frères, le péché mortel est un mal si grand et si exécrable que si toutes les créatures que Dieu a faites, soit dans le ciel, soit sur la terre, prenaient une voix, elles seraient impuissantes à exprimer dignement toute la laideur du péché et la haine que Dieu lui porte. Comme le péché livre un combat contre l'infinie majesté de Dieu et qu'il dépouille le pécheur du souverain bien, c'est-à-dire de la jouissance et de la possession de Dieu même, il renferme une gravité et une malice infinie. Or, tout ce qui revêt une grandeur infinie, par là même qu'aucun terme, aucune borne ne peut le contenir, ne saurait être expliqué par la parole. Et lorsque je parle de péché mortel, sachez que j'entends par là non des forfaits rares et presque inouïs, mais des fautes communes et quotidiennes, où les hommes insensés et aveugles tombent à chaque instant, tels que le vol, la haine, le parjure, la détraction, l'impudicité, l'usure, les faux témoignages, les jugements téméraires, les scandales, qui entraînent les hommes dans le mal, et autres péchés semblables. Chacune de ces fautes a une gravité, une difformité telle, que si quelqu'un avait reçu de Dieu la faculté de la contempler, ne fût-ce qu'en partie, il serait frappé de stupeur en voyant la facilité avec laquelle les chrétiens font le mal. Pour le prouver, je vous rapporterai ce qui arriva au roi Josias, âgé de dix-huit ans. Au commencement de son règne, le grand-prêtre Helcias avait retrouvé le livre de la loi de Dieu, qui, à cause du malheur des temps, gisait oublié parmi divers objets appartenant au temple, et où étaient contenus les magnifiques promesses faites par le Seigneur aux observateurs de la loi, ainsi que les épouvantables menaces adressées aux méchants. Le grand-prêtre envoya ce livre au roi pour le lire. Lorsque Josias fut arrivé au passage où Dieu fulmine contre les impies la menace des plus terribles châtiments, tels que la famine, le tranchant du glaive, la peste et autres fléaux, l'âme du pieux roi fut saisie d'une si vive terreur qu'il déchira ses vêtements, et, après avoir pris les conseils d'une prophétesse qui était alors à Jérusalem, bannit de son royaume tous les criminels publics, renversa les autels et les temples d'idoles, les brûla, les réduisit en poudre et les souilla en y mêlant la cendre des ossements de morts. Telle fut la crainte, telle fut la vive impression qu'excita dans son âme la gravité et l'indignité mieux comprise du péché mortel.

Plaise à Dieu, mes frères, que je mette aujourd'hui devant vos yeux un tableau si éloquent de la malice du péché, qu'il fasse naître dans vos cœurs, avec le secours de la grâce divine, la même horreur du mal, la même impression de piété ! Car j'ai entrepris de traiter dans ce discours de la malice et de la gravité du péché mortel, non toutefois en général, mais autant qu'il est figuré par la lèpre, comme je l'ai dit plus haut, et que tous les caractères de cette maladie lui conviennent.
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I.


D'abord tout le monde admet que la lèpre figure parmi les maladies qui sont le plus graves ; et ce premier caractère convient parfaitement au péché, le plus grand de tous les maux que l'on puisse imaginer. Aussi, si je voulais vous montrer la grandeur de sa malice à l'aide d'une comparaison, aucune des choses créées ne me fournirait le second terme; il n'y a que la seule bonté du Créateur avec laquelle je pourrais établir un rapport, mais un rapport d'opposition. Et ce genre de raisonnement n'aurait rien d'extraordinaire, puisque l'Apôtre compare le second Adam avec le premier, l'obéissance et la sainteté de l'un avec la désobéissance et la rébellion de l'autre. Rom. v. Nous pouvons donc faire un rapprochement semblable entre la malice souveraine et infinie du péché et la souveraine et infinie bonté de Dieu. Dieu est le souverain bien, le péché le souverain mal. Dieu est ce qu'il y a de plus désirable, le péché ce qu'il y a de plus abominable. Dieu est l'auteur de tout bien, le péché la cause de toutes les misères, de tous les désastres, de tous les maux de la vie présente et de la vie future ; car le monde n'aurait pas connu la douleur s'il n'avait pas auparavant connu le péché. Par conséquent, de même qu'en Dieu sont renfermées toutes les perfections, ainsi le péché contient la raison et la semence de tout mal et de tout vice. De même enfin que la bonté de Dieu est immense, infinie, incompréhensible,de même la malice du péché, qui s'élève contre cette infinie bonté, est sous ce rapport immense et incompréhensible.

Voilà ce qu'ont compris les saints, pour lesquels il n'existait pas de mal corporel si grand, de supplice si cruel, qu'ils ne l'eussent souffert avec joie plutôt que de commettre un péché mortel. De là cette admirable réflexion de saint Anselme : « Si j'avais devant moi, dit-il, d'un côté la laideur du péché, de l'autre l'horreur de l'enfer, et que je dusse choisir entre les deux, je me jetterais dans l'enfer plutôt que de consentir au péché. Car j'aimerais mieux entrer dans la géhenne innocent et pur de toute faute, que de régner souillé dans le ciel, quoique je sache bien que l'enfer n'est que pour les méchants et la béatitude éternelle pour les justes. » N'avions-nous pas raison de dire, mes frères, que le plus grand de tous les malheurs que l'on puisse imaginer, c'est non-seulement de pécher, mais ce qui est beaucoup plus grave, de pécher avec cette malheureuse facilité que nous voyons dans la plupart.
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II.


Un autre caractère de la lèpre, c'est la laideur ; car cette maladie corrompt toutes les humeurs du corps, et de cette corruption naît la laideur, comme leur pureté produit la beauté et la grâce. Ce caractère convient encore au péché, qui imprime à la plus belle des créatures, à l'âme, où Dieu a mis le sceau de son image et un reflet de son incomparable beauté, une horrible laideur, une ressemblance affreuse avec le démon. Y a-t-il une beauté comparable à celle de l'âme que l'Esprit-Saint a ornée de tous ses dons, à laquelle il a communiqué les trésors de sa propre sainteté ? Tels sont les agréments, tels sont les charmes de cette âme, que les esprits bienheureux eux-mêmes la contemplent avec ravissement, comme nous le voyons au livre des Cantiques : « Quelle est, s'écrient-ils, celle qui s'avance comme l'aurore lors qu'elle se lève, qui est belle comme la lune, pure comme le soleil ?» Quæ est ista, quæ progreditur quasi aurora consurgens, pulchra ut luna, electa ut sol ? Cant. VI, 9. Le roi des anges lui-même partageant leur admiration, lui rend ce témoignage : « Ô que vous êtes belle, ma bien-aimée ! ô que vous êtes belle ! » Ecce tu pulchra es, amica mea, ecce tu pulchra es ! Cant. I, 14. La répétition du mot belle indique qu'il s'agit d'une beauté à laquelle rien ne manque. Elle est belle quand elle agit, belle quand elle parle ; belle dans ce qui paraît au dehors, belle dans ce qui est caché au dedans ; belle dans l'accomplissement des bonnes œuvres, belle dans la contemplation des choses célestes ; belle dans l'amour de Dieu, belle dans l'amour du prochain, belle enfin dans l'adversité et belle dans la prospérité, sachant là pratiquer la patience, ici conserver l'humilité.

Cette ravissante beauté de l'âme juste, le péché, semblable à un torrent fangeux qui se mêle à une pure fontaine, la gâte et la souille au point que le Seigneur, par son Prophète, dit à l'âme ainsi souillée : « Tu as changé tes charmes en abominations, » abominabilem fecisti decorem tuum. Ezech. XVI, 25 ; et au livre des Psaumes, parlant des impies : « Ils se sont corrompus, ils sont devenus abominables dans leurs conseils, » corruptisunt, et abominabiles facti sunt in studiis suis. Ps. XIII, 1. Et non seulement leur personne, mais ce que leurs mains ont touché, ce qui a servi à leurs usages, est devenu impur et souillé. Voilà pourquoi, après une victoire contre les Madianites (Num. XXXI), le Seigneur ordonna à Moïse de purifier les dépouilles prises sur l'ennemi avant de les distribuer au peuple, et cela par le feu ou par l'eau, selon la nature des objets. Et que parlons-nous de dépouilles de guerre ? les prières elles-mêmes et les sacrifices sont quelquefois en abomination devant Dieu, comme l'attestent ces paroles du livre des Proverbes : « Les victimes des impies sont abominables au Seigneur, » victimæ impiorum abominabiles Domino. Prov. XV, 8. Isaïe s'exprime de même : « Ne m'offrez plus de sacrifices inutiles ; l'encens m'est en abomination, » ne offeratis ultra sacrificium frustra : incensum abominatio est mihi. Isa. I, 13; et un peu plus loin : « Lorsque vous étendrez les mains (1), je détournerai mes yeux de vous, » comme nous avons coutume de détourner nos regards des choses qui nous font horreur, cum extenderitis manus vestras, avertam oculos meos a vobis, ibid. 15.

Dieu va jusqu'à se plaindre d'être souillé par les pensées et les œuvres perverses des impies : « J'étais, dit-il dans Ezéchiel, souillé au milieu d'eux, » et coinquinabar in medio eorum. Ezech. XXII, 26. Telle est parfois la corruption du méchant, qu'elle rejaillirait, s'il était possible, jusqu'à celui qui est l'auteur et la source de toute pureté. Loin de nous de prétendre, en tenant ce langage, que toutes les actions du pécheur soient coupables ou dignes de blâme; mais nous disons qu'elles le deviennent souvent par sa faute. Telle est celle dont parle l’Ecclésiastique : « Celui qui offre un sacrifice de la substance des pauvres, est comme celui qui égorge le fils aux yeux du père. » Qui offert sacrificium ex substantia pauperum, quasi qui victimat filium in conspectu patris sui. Eccli. XXXIV, 24.

(1) C'est-à-dire, lorsque vous me prierez : les Juifs priaient les mains étendues.
(à suivre)
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