Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIe dimanche après la Pentecôte

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour le XIIe dimanche après la Pentecôte

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PREMIER SERMON POUR LE XIIe DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE.


Explication de l’Évangile, où l'on montre le triple état de l'homme avant le péché, après le péché, et depuis la rédemption de Notre Seigneur Jésus-Christ.


Homo quidam descendebat ab Jerusalem in Jericho, et incidit in latrones, qui etiam spoliaverunt eum, et plagis impositis abierunt semivivo relicto.
Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho ; il tomba entre les mains des voleurs qui le dépouillèrent, et, l'ayant chargé de coups, le laissèrent à demi mort. Luc. X, 30.

Pour bien comprendre le commencement de cet évangile, il est nécessaire de rappeler ce qui le précède immédiatement. Saint Luc raconte que notre Seigneur avait envoyé ses disciples annoncer l’Évangile, et leur avait donné le pouvoir de guérir les maladies et de chasser les démons. Leur mission remplie avec un rare succès, les disciples revinrent joyeux vers leur Maître, en disant : « Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en votre nom. » Domine, etiam dæmonia subjiciuntur nobis in nomine tuo. Luc. x, 17. Alors Jésus, rendant grâces à son Père pour cette heureuse mission, qui figurait la prédication future de l’Évangile et la conversion des Gentils, dit ces paroles : « Je vous bénis, mon Père,de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits ; » et s'étant tourné vers ses disciples, il ajouta : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! »

C'est avec raison que notre Seigneur appelle heureux ses disciples, qui avaient reçu de la seule miséricorde de Dieu les prémices de la grâce de l’Évangile. Si la reine de Saba, en voyant le palais royal de Salomon, en entendant les paroles de sagesse qui découlaient de sa bouche, a pu dire : Beati viri tui, et beati servi tui, qui adstant coram te semper, et audiunt sapientiam tuam ! « Heureux ceux qui sont à vous, heureux vos serviteurs qui sont sans cesse devant vous, et qui écoutent votre sagesse ! » III Reg. x, 8 : à combien plus forte raison la Sagesse éternelle du Père a-t-elle pu parler ainsi de ses disciples ! car « il y avait là plus que Salomon. » Ensuite le Sauveur montre la grandeur de cette prérogative par les désirs des saints patriarches : « Car, je vous le dis, beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont point vu, entendu ce que vous entendez, et ne l'ont point entendu ! » Les saints des anciens jours, en effet, souhaitaient avec tant d'ardeur de voir « le salut de Dieu, » que notre Seigneur, qui était ce salut, est appelé par eux « le Désiré des collines éternelles, » c'est-à-dire de tous les saints, qui, semblables à des collines élevées, se distinguent parmi les autres hommes par la hauteur de leur vertu. Tel était le désir d’Isaïe, lorsqu'il s'écriait : « Oh ! puissiez-vous ouvrir les cieux et en descendre ! » Utinam dirumperes cælos et descenderes ! Isa. LXIV, 1.

Tel était celui du devin Balaam lorsque, après avoir annoncé le lever de l'étoile de Jacob, il ajoutait : « Hélas ! qui se trouvera en vie quand Dieu fera toutes ces choses ? » Heu ! quis victurus est, quando ista faciet Deus. Num. XXIV, 23. Animé du même sentiment et sous la même inspiration, Malachie s'exprime ainsi : « Le voici qui vient, dit le Seigneur le Dieu des armées. Et qui pourra penser seulement au jour de son avènement ? et qui sera debout pour le voir ? » Ecce venit, dicit Dominus exercituum : et quis poterit cogitare diem ejus ? et quis stabit ad videndum eum ? Malach. III, 1, 2. Que ces paroles expriment le désir de voir le jour du Seigneur, c'est ce qu'indique ce qui suit : « Car il sera comme le feu qui fond les métaux, et comme l'herbe dont se servent les foulons, » ipse enim quasi ignis conflans, et quasi herba fullonum, Malach. III, 2 : vives images de l'efficacité de la grâce évangélique qui devait purifier et sanctifier les âmes. C'est donc avec raison que notre Seigneur appelle heureux ses disciples, qui ont vu le Désiré des nations, et ont reçu si abondamment les prémices de la grâce de l’Évangile.
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Donc, direz-vous, il faudra donner le même nom aux Juifs et aux Gentils qui ont vu le Sauveur, et qui cependant l'ont mis en croix. A Dieu ne plaise ! Les hommes ont vu notre Seigneur Jésus-Christ de trois manières : les uns des yeux de la chair, d'autres des yeux de l'âme, d'autres enfin tout à la fois des yeux de la chair et de ceux de l'âme. Les Juifs incrédules appartiennent à la première classe, les chrétiens à la deuxième, les disciples à la troisième. Les premiers ont été, non pas heureux, mais criminels ; mais les derniers furent très-heureux. Les deuxièmes ont aussi leur part de cette béatitude, puisque notre Seigneur a dit à son disciple hésitant : « Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru : heureux ceux qui n'ont pas vu et ont cru ! » Or, cette béatitude est aussi la nôtre, mes frères, qui voyons et adorons notre Seigneur Jésus-Christ des yeux de la foi et de l'amour.

Lorsque Jésus eut ainsi parlé, un docteur de la loi lui adressa une question bonne en elle-même, mais avec une mauvaise intention : « Maître, dit-il, que ferai-je pour posséder la vie éternelle ? Jésus lui dit : Qu'y a-t-il d'écrit dans la loi ? Qu'y lisez-vous ? Il répondit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. » — Ce texte exige une explication développée, que nous réservons pour le discours suivant — : « Jésus lui dit : Vous avez bien répondu, faites cela, et vous vivrez. Mais cet homme, voulant faire paraître qu'il était juste, dit à Jésus : Qui est mon prochain ? » Ce docteur s'imaginait qu'il ne devait regarder comme son prochain que les hommes de sa nation. Pour le guérir de son ignorance, le Sauveur lui montra par une parole, remplie d'ailleurs de toutes sortes d'instructions, que le nom de prochain appartient à tous les hommes sans exception : « Un homme, dit-il, descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba entre les mains des voleurs, etc. » Afin d'expliquer avec fruit cette parabole, implorons humblement le secours du ciel par l'intercession de la très-sainte Vierge. Ave, Maria.
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Il existe peut-être un certain nombre de fidèles qui, après avoir assisté pendant de longues années à des instructions religieuses, savent à peine en quoi consiste l'essence de la religion qu'ils professent : - chose honteuse d'ignorer ce par quoi surtout on est chrétien. Sans m'arrêter à rechercher quelle est la cause de cette ignorance, je puis affirmer, sans crainte de me tromper, que l'essence de la religion chrétienne est renfermée dans la parabole bien comprise du Samaritain. Ainsi, prêtez-moi en ce moment une oreille attentive, et l'explication de cette parabole vous mettra sous les yeux, rendu par de vives images, ce qui constitue l'essence et le fond du christianisme.

Remarquons d'abord le triple état sous lequel l'homme est représenté dans cette parabole : le premier est celui où Dieu l'établit à l'origine; le second, celui où il est tombé par son péché ; le troisième enfin celui où Jésus-Christ l'a rétabli par l’œuvre de la rédemption. Cette triple condition est figurée par l'homme qui descendit de Jérusalem à Jéricho. Nous le voyons d'abord avant qu'il ne quitte Jérusalem ; ensuite, lorsqu'il tomba entre les mains des voleurs qui le dépouillèrent et le laissèrent couvert de blessures ; enfin lorsque, guéri par le bon Samaritain, il fut revenu à la santé. Il nous apparaît intègre et sain dans le premier état, gravement blessé dans le second, et dans le troisième rendu à la santé et à la vie par les soins du Samaritain. Le triple état de cet homme figure donc la triple condition de l'homme en général, que nous avons décrite plus haut, savoir, avant son péché, après son péché, après l'accomplissement de l'œuvre de la rédemption.

Or celui qui aura une exacte connaissance de tout ce qui se rapporte à ces trois points, saura toute la religion ; il connaîtra Dieu et se connaîtra lui-même; il comprendra à quel danger il est exposé en cette vie, à qui il doit demander du secours et rendre grâce de son salut. Entrons de suite en matière.
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D'abord le Créateur de l'univers, dans sa bonté extrêmement riche et libérale, a destiné l'homme, qu'il avait formé à son image, à une fin au-dessus de laquelle rien ne se peut imaginer, savoir à entrer en participation de sa félicité et de sa béatitude. De là ces paroles de saint Jean : « Mes bien-aimés, nous sommes déjà enfants de Dieu ; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore. Nous savons que lorsque Jésus-Christ se montrera dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. » Charissimi, nunc filii Dei sumus; et nondum apparuit quid erimus. Scimus quoniam cum apparuerit, similés et erimus, quoniam videbimus eum sicuti est. I Joann. II, 2.

En effet, comme la félicité et la gloire de Dieu consistent dans la vision et la jouissance de lui-même, si nous le voyons tel qu'il est, c'est-à-dire face à face, nous serons semblables à lui, puisque nous jouirons de la même vision et du même suave aliment.

De plus, une souveraine harmonie présidant à toutes les œuvres de Dieu, l'homme destiné à cette fin auguste et au-dessus de sa nature devait être orné par lui de dons surnaturels pour qu'il devînt digne d'une si grande grâce; car il faut qu'il y ait un juste rapport entre la fin et les moyens. Dieu accorda donc à l'homme la justice originelle, couronne royale qui lui conférait en même temps l'immortalité et l'empire sur tous les animaux, et, ce qui valait mieux, sur lui-même, c'est-à-dire sur les affections et les mouvements de son cœur. Il répandit aussi dans son âme la grâce et les habitudes célestes des vertus.

Ainsi, tandis que le don de la justice le rendait agréable et digne d'amour aux yeux de Dieu, il trouvait dans la grâce et les semences des vertus les secours nécessaires pour faire le bien, pour entrer en participation de la pureté et de la sainteté de Dieu même, pour ajouter enfin, à l'image divine qu'il portait sur son front, l'éclat du mérite des bonnes œuvres, plus splendide et plus éblouissant que celui des pierres précieuses. C'est ainsi que Dieu, ayant destiné l'homme au partage de sa béatitude, en fit en quelque sorte un Dieu par les dons de la grâce, qui devaient un jour l'élever dans la gloire à une participation plus complète encore de la divinité.

Tel est l'heureux état où l'homme fut créé, exempt de toute misère, de toute peine, de l'ignorance et de la mort.

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I.

Établi dans cet état glorieux, il se laissa séduire par la ruse de l'antique serpent, transgressa le commandement divin, et, avec l'innocence, perdit la justice et la grâce qu'il avait reçue. Le péché, en effet, appartient à la classe des choses qui gâtent et souillent tout ce qu'elles touchent. Un peu de levain, par exemple, aigrit toute la pâte (Galat. v, 9) ; un peu de vinaigre rend acide un tonneau du vin le plus précieux ; un seul homme malade de la peste répand la mort dans une cité entière ; enfin, un torrent fangeux corrompt le ruisseau limpide auquel il se mêle. Il en est ainsi du péché, si justement comparé au levain, au vinaigre, à la peste et à la fange. Dès qu'il entre dans l'homme, il corrompt sa nature et lui communique sa propre souillure.


On peut réduire à deux principaux les funestes effets du péché sur la nature humaine : il l'a dépouillée des dons de la grâce qu'elle avait reçus; il l'a blessée dans ses facultés qui lui étaient propres. C'est ce que figure l'homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, et que les voleurs, non contents de le dépouiller, couvrirent encore de blessures. Le premier de ces effets nous est clairement représenté dans la personne de Job étendu sur son fumier et réduit au plus extrême dénûment : « Il m'a privé de ma gloire, dit-il, en parlant de Dieu, il a enlevé la couronne de ma tête, il a arraché comme un arbre mon espérance. Spoliavit me gloria mea, abstulit coronam de capite meo, et quasi arbori evulsæ abstulit spem meam. Job. XIX, 9, 10. Ainsi le péché a dépouillé l'homme d'abord de sa gloire, c'est-à-dire de la grâce divine, l'ornement, la beauté, la gloire véritable des âmes. Ensuite il a enlevé de sa tête la couronne, c'est-à-dire la justice originelle qui lui conférait, comme nous l'avons dit plus haut, une dignité royale. Ces dons une fois perdus, l'homme devint incapable d'aucune action pieuse et méritoire. De même que l'arbre dont on a coupé les racines est impuissant à produire aucun fruit, ainsi l'âme humaine, séparée de la racine de la grâce divine, de laquelle tout bien découle, ne saurait faire aucune œuvre agréable à Dieu et digne de la vie éternelle. Il faut donc regarder ce péché comme une sorte d'immense naufrage où ont péri, pour le malheur du genre humain, tous les trésors des dons célestes. La nudité des deux ancêtres du genre humain nous offre de cette vérité une vive et triste image : à peine ont-ils violé le précepte du Seigneur, qu'ils s'aperçoivent en rougissant qu'ils sont nus, ce qui n'avait jamais excité leur attention, encore moins leur pudeur, alors qu'ils étaient revêtus et ornés des dons de l'innocence et de la grâce.

La perte des dons de la grâce divine, qui retenaient l'âme dans le devoir, entraîna un affaiblissement grave dans les forces de la nature elle-même. La myrrhe, dit-on, préserve les cadavres des vers et de la corruption ; que ce parfum disparaisse, les vers et la corruption exercent aussitôt leurs ravages. Ainsi, tant que l'homme avait la justice et la grâce, il était exempt de toute corruption, de toute injure du péché ; la justice perdue, les vers commencèrent à pulluler. Ces vers, au témoignage de l'Apôtre, ce sont « les œuvres de la chair, savoir, la fornication, l'impureté, l'impudicité, la dissolution, l'idolâtrie, les empoisonnements, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies, l'envie, le meurtre, l'ivrognerie, la débauche et autres choses semblables. » Manifesta sunt opera carnis, quæ sunt : fornicatio, immunditia, impudicitia, luxuria, idolorum servitus, veneficia, inimicitiæ, contentiones, æmulationes, iræ, ricca, dissensiones, sectæ, invidiæ, homicidia, ebrietates, comessationes, et his similia. Galat. v, 19, 20. Voilà les vers de notre âme, qui la rongent sans cesse, la déchirent, la tourmentent, la rendent très malheureuse, et enfin la précipitent dans le gouffre du péché et dans la mort éternelle. Ces vers fourmillent dans le cœur des méchants, et si nos yeux corporels pouvaient les apercevoir, ce serait un horrible spectacle. Car ce n'est pas sans raison qu'un sage a dit : « Quoi de plus affreux que les pensées de la chair et du sang ? » Quid nequius, quam quod cogitavit caro et sanguis ?

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Le saint homme Job figure dans sa personne ces blessures de l'âme, lorsque, parlant de Dieu, il dit : « Il a fait voler autour de moi ses flèches, il a percé mes reins sans pitié, il a répandu mes entrailles par terre, il m'a fait blessure sur blessure. » Circumdedit me lanceis suis, convulneravit lumbos meos, effudit in terra viscera mea, concidit me vulnere super vulnus. Job. XVI, 14. Ces paroles, mes frères, dépeignent la misère extrême et presque incroyable de notre nature. La connaissance de cette misère nous est très-nécessaire pour le salut : d'abord ce spectacle réprime en nous tout orgueil et toute enflure ; ensuite il nous apprend à veiller sans cesse, à nous tenir sur nos gardes, pour échapper à tant de maux qui nous entourent; enfin il nous excite à implorer le secours de Dieu par des prières continuelles. Ces mots du saint patriarche : « Il a fait voler autour de moi ses flèches, » désignent quatre blessures graves qui ont principalement affaibli les forces de notre âme, savoir : l'ignorance et l'erreur dans l'entendement, la révolte et la paresse dans la volonté, qui ne se soumet qu'avec une peine extrême à l'empire de la raison. Voilà pourquoi l'Eglise demande au Seigneur « de s'assujettir nos volontés rebelles. » Ajoutez, dans la partie concupiscible de notre âme, un entraînement violent, un ardent désir qui l'emporte à tout ce qui est défendu ; et, dans la partie irascible, siège naturel du courage pour le bien, l'abattement, la langueur et la faiblesse. De ces quatre blessures de notre âme découlent tous les autres maux.

Job continue : « Dieu, dit-il, a blessé mes reins. » Il désigne sous ce nom la partie de notre corps qui nous a été donnée pour la propagation du genre humain, par laquelle le péché originel se transmet de génération en génération, et qui a été gravement blessée par le démérite du péché. C'est une maxime des théologiens, que nulle part ailleurs la concupiscence ne sévit avec plus de fureur. Aussi l'ennemi du genre humain, qui ne l'ignore pas, se sert principalement de cette passion pour nous perdre, et attiser sans cesse un feu déjà trop ardent. C'est de lui qu'il est écrit : « Sa force est dans ses reins. » Fortitudo ejus in lumbis ejus. Job. XI, 11. Saint Jérôme interprète ce passage en ce sens que le démon abuse, pour perdre les jeunes gens et les jeunes filles, de l'ardeur de leur sang, et qu'il livre une guerre semblable aux hommes de tout âge et de toute condition. « Car, dit ce Père, nous sommes tous faits du même limon, le même sang coule dans nos veines, les mêmes désirs agitent ceux que parent des robes de soie, et ceux que couvre à peine un misérable haillon ; la passion ne redoute ni la pourpre des rois, ni la misère du mendiant. » Qui pourrait dire toutes les ruines, compter tous les désastres dont cette blessure de notre âme est la cause ? Aussi Salomon, parlant de la femme impudique : « Elle en a renversé un grand nombre, dit-il, et elle a fait perdre la vie aux plus forts. » Multos vulneratos dejecit, et fortissimi quique interfecti sunt ab ea. Prov. VII, 26.
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Autre mal déplorable. « Il a, dit Job, répandu mes entrailles par terre. » Ces mots désignent nos affections et nos désirs; tant que notre nature fut saine, ils se tournaient, non vers la terre, mais vers le ciel ; dès qu'elle fut soumise au péché, tombant du ciel, elle se précipita avec une violence extrême vers la terre et les biens terrestres. Aussi voyons-nous partout un grand nombre d'hommes qui n'ont pas d'autre pensée, d'autre désir, d'autre entretien, d'autre rêve, que d'amasser de grandes richesses, d'entasser l'or sur l'or, comme s'ils n'avaient reçu la vie que pour jouir de ces biens, comme s'ils avaient perdu toute espérance de la vie éternelle. Vivre ainsi n'est-ce pas se dégrader jusqu'à la brute, toujours au service de son ventre et de ses appétits ?

Enfin Job ajoute : « Il m'a fait blessure sur blessure ; » il désigne par là toutes les autres blessures qui doivent leur origine aux quatre dont nous avons parlé plus haut, et qui rendent les hommes lents et paresseux à remplir leurs devoirs envers Dieu, envers le prochain, envers eux-mêmes. Or, il y a en nous les trois maux énumérés par saint Jean dans son épître : la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l'orgueil de la vie ; ainsi assiégée par les passions de la volupté, des richesses et des honneurs, l'âme est comme en proie à des furies et ardente à toute espèce de crimes. De là les haines, les inimitiés envers le prochain ; de là la dureté, la cruauté envers les malheureux, l'envie pour les supérieurs, le mépris pour les inférieurs ; de là, ce qui est plus grave, encore, l'abus des bienfaits de Dieu, l'ingratitude, la négligence de ses lois saintes, que nous violons pour les motifs les plus frivoles.

Voilà, mes frères, toutes les blessures que le péché a faites à l'homme.
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Enfin les voleurs le laissèrent sur le chemin à demi-mort, c'est-à-dire en partie vivant et en partie mort, vivant pour certaines œuvres,mort pour certaines autres. Le Seigneur par son prophète dit quelque chose de semblable des méchants : « Ils sont sages pour faire le mal, et ils n'ont point d'intelligence pour faire le bien. » Sapientes sunt ut faciant mala, bene autem facere nescierunt. Jerem. IV, 22. De même,blessé par le péché, l'homme est plein de vie pour le mal et presque mort pour le bien. Telle est notre triste condition ici-bas : inclination et facilité pour le mal, langueur et paresse pour l'honnêteté et la vertu. Que d'exemples ne pourrais-je pas apporter à l'appui de ces vérités ?
Il arrive qu’un pieux fidèle désire exciter dans son cœur des sentiments soit d'amour de Dieu, soit de reconnaissance pour ses bienfaits, soit de regret de l'avoir offensé, et il se met à repasser en son esprit les considérations propres à les faire naître ; mais souvent, après s'y être longtemps arrêté, il ne trouve en lui-même aucun pieux mouvement, aucune étincelle de dévotion. Au contraire, qu'une pensée impure, qu'une émotion de colère entre dans son âme, il est incroyable avec quelle promptitude elles s'empareront de lui tout entier, ébranleront toute son âme et brûleront jusqu'à son corps. Quoi de plus étrange, je devrais dire de plus malheureux ? N'est-ce pas une preuve évidente que l'homme est lent et paresseux pour le bien et très-incliné au mal ?

De même, si un pauvre vous demande l'aumône, aussitôt se présente à votre esprit la pensée de vos besoins et de ceux de vos enfants; cette pensée resserre à la fois et votre cœur et votre main, et à peine donnez-vous une obole à ce pauvre qui vous prie au nom de Jésus-Christ, qui invoque le souvenir de ses plaies et vous promet le royaume du ciel. Cependant, qu'un noble personnage se présente le même jour pour loger chez vous, qu'il vous prenne fantaisie d'aller au spectacle ou dans quelque réunion publique, alors il faut soutenir votre rang ; vous ne pensez plus ni à vos besoins ni à vos enfants ; l'or et l'argent sont prodigués ; on n'épargne rien, pas même le bien des autres ; on ne craint pas de laisser ses enfants sans ressources, pourvu qu'on brille aux yeux des hommes. Pour Jésus-Christ, pour le salut de votre âme et la vie éternelle, vous êtes pauvres et avares ; pour le monde vous êtes riche et libéral.

Autre exemple. Lorsque, assistant à un sermon, vous entendez le ministre de la parole divine vous mettre devant les yeux, avec autant de force que d'éloquence, la menace du jugement de Dieu, l'inévitable nécessité de la mort, les flammes éternelles qui torturent les damnés, vous êtes quelquefois si touché que vous fondez en larmes. Mais combien dure cette componction ? A peine avez-vous mis le pied dans votre maison, qu'un léger rire, un mot enjoué fait tout disparaître. Et cependant si quelqu'un vous a blessé dans votre réputation et votre honneur, quelle inflexible colère, quel désir implacable de vengeance ! Vous voyez donc que l'homme, plein de vie pour le mal, est presque mort quand il s'agit de faire le bien, et c'est ce que nous représente le personnage de l’Évangile laissé à demi-mort par les voleurs.
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II.

Ce qui précède, mes frères, suffit pour vous faire comprendre le second état de l'homme blessé dans sa nature par le péché, surtout lorsque l'expérience de tous les jours nous montre combien sont pénibles les combats que la chair livre à l'esprit.

Connaissant la maladie, cherchons maintenant le remède.
Disons d'abord que ce vice de l'âme avait frappé les philosophes ; mais, le regardant comme la condition de notre nature, non comme le châtiment d'une faute, ils s'imaginèrent que nos propres forces, développées par la science et la philosophie, suffisaient pour guérir ces blessures et nous amener à la pratique des vertus. De ce nombre fut Socrate, qui triompha, dit-on, des dispositions naturelles les plus ingrates, et parvint à dompter tous ses mauvais penchants. Aux philosophes succédèrent les pélagiens, qui, aveuglés par l'orgueil, accordaient à la nature et au libre arbitre assez de force pour conduire l'homme à une vie parfaite sans aucun secours extérieur. Mais de graves théologiens, parmi lesquels saint Augustin occupe le premier rang, s'élevèrent contre eux pour revendiquer la nécessité de la grâce, sans nier les droits du libre arbitre. L’Église elle-même les condamna au concile de Milève, confirmé plus tard par l'autorité apostolique. Mais laissons et les philosophes, et les hérétiques, dont les philosophes furent les patriarches, et arrivons aux remèdes par lesquels Dieu guérit notre nature déchue.

Il n'est pas douteux que des lois justes et saintes n'aient une très-grande influence pour rendre la vie bonne et heureuse. Ces lois, Dieu lui-même, descendant sur le mont Sinaï, les promulgua de sa bouche, et après les avoir écrites de son doigt, les donna aux Hébreux, leur traçant ainsi le chemin de la bienheureuse immortalité. Il promit en outre des récompenses magnifiques aux fidèles observateurs de la loi, et menaça les transgresseurs de supplices rigoureux. Enfin il institua des sacrifices, où ceux qui avaient désobéi trouvaient un moyen facile de se purifier de leur faute. Quel fut le succès de ce remède ? Ce n'est pas moi, mais le grand Apôtre qui le proclame en beaucoup d'endroits de ses Epîtres ; loin de guérir la nature humaine, il ne fit que la rendre plus malade, non par le vice de la loi,mais par celui des hommes. « La loi est survenue, dit saint Paul, pour donner lieu à l'abondance du péché. » Les subintravit, ut abundaret delictum. Rom. v, 20.

Il nous montre par là que le remède de la loi, non seulement n'éteignit pas le foyer de la concupiscence, mais l'embrasa davantage. « Le commandement étant survenu, dit-il ailleurs, le péché a repris vigueur. » Cum venisset mandatum, peccatum revisit. Ibid. VII, 9. Comment cela ? Le commandement a été donné pour détruire le péché, et voilà qu'il l'accroît et le multiplie ! « Il s'est trouvé, ajoute-t-il, que le commandement qui devait servir à me donner la vie a servi à me donner la mort. » Et inventum est mihi mandatum, quod erat ad vitam, hoc esse ad mortem. Ibid. 10.
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Encore une fois, comment cela est-il arrivé ? D'abord parce que les défenses renfermées dans la loi ont irrité le désir. « Nos efforts, dit le poète, se portent à ce qui est défendu, nos désirs à ce qu'on nous refuse. » Nitimur in vetitum semper, cupimusque negata. De là ces paroles de la courtisane invitant à des plaisirs coupables : « Les eaux dérobées sont plus douces, et le pain pris en cachette est plus agréable. » A quæ furtivæ dulciores sunt, et panis absconditus suavior. Prov. ix, 17.

Ensuite la loi a limité sur beaucoup de points la liberté antérieure, et fourni par là même aux âmes faibles de nouvelles occasions de péché. Enfin l'existence de la loi a augmenté la gravité du péché en ôtant toute excuse du côté de l'ignorance ; évidemment le serviteur qui connaît la volonté de son maître et ne la fait pas, mérite un châtiment plus sévère.

Telles sont les raisons pour lesquelles l'Apôtre rabaisse la loi, au point de l'appeler aiguillon du péché, lettre qui tue, instrument de mort et de damnation, et cela afin de relever d'autant plus la grâce de Dieu, le bienfait et la nécessité de la rédemption, et de faire ressortir la gravité de nos maux, que de si puissants remèdes n'ont fait qu'accroître, loin de les guérir. Quand des remèdes n'apportent au malade aucun adoucissement, mais lui sont nuisibles, ne dit-on pas que la maladie est désespérée ? Or, tel était le mal du genre humain, où « le commandement même était devenu une source plus abondante de péché, » ut fiat supra modum peccans peccatum per mandatum. Rom. VII, 13. La force de la concupiscence et l'intensité de la corruption changeaient le remède en poison, en éveillant le désir par la défense.

Ainsi ni la doctrine de la loi, ni les sacrifices destinés à l'expiation ne procurèrent un secours efficace pour guérir les blessures de l'âme. C'est ce que nous indiquent clairement, dans la parabole du Publicain, le prêtre et le lévite, qui laissent l'un et l'autre le blessé sans assistance. Les prêtres, dont la fonction est d'offrir des sacrifices, figurent les sacrifices de la loi; les lévites, chargés d'instruire le peuple, figurent la loi elle-même. Ces deux hommes qui voient le malade et passent outre sans lui venir en aide, nous indiquent donc que ni la loi ni les sacrifices n'avaient le pouvoir de guérir le blessé et de le rétablir dans son premier état. Car « la loi, dit l'Apôtre, n'a jamais rien conduit à la perfection, » nihil ad perfectum adduxit lex. Hebr. VII, 19. Pourquoi ? Parce que la loi donne la connaissance du péché, non la grâce, qui le fait haïr et éviter. Et ce que peut la connaissance du péché ou de la vertu pour nous porter à bien vivre, nous le savons par ce vers d'un ancien : « Je vois le bien et je l'approuve, et je fais le mal. » Video meliora proboque, Deteriora sequor. Ou d'une manière plus concise encore : « On loue la vertu, et on la laisse se morfondre. » Probitas laudatur, et alget.

(à suivre)
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