Résumé de théologie dogmatique, Livre IV : La chute et le péché

[chartreux]

V. Le démon est appelé "Dieu de ce monde" par S. Paul (2 Cor. 4:4). Le terme « ce monde » caractérise l'humanité dans l'état où elle est entrée par le premier péché et dans lequel elle demeure plus ou moins jusqu'à la fin des temps, par opposition à cet autre état, le règne de Jésus-Christ. Ces expressions et les bénédictions, les exorcismes que l'Église prononce sur divers objets matériels, ne permettent pas de douter, que l'empire du démon s'étend aussi sur tout l'univers visible, en tant qu'il est en contact immédiat avec les hommes ou qu'il est à leur service. La suprématie sur la nature créée, qu'Adam a perdu par le péché, est l'un des trophées que le démon conquérant a emporté.

[chartreux]

Envisagé dans son ensemble, l'empire du démon sur le monde et excellemment appelé le « règne de la mort, » à l'opposé de l'action vivifiante et conservatrice du Saint-Esprit, il ne tend qu'à détruire et à corrompre, il cherche à utiliser les germes de dissolution qui existent dans le monde et à mettre à son service toutes les forces destructives. Le démon attaque l'esprit de l'homme de bas en haut en mettant le désordre et le trouble dans ses forces sensibles, et principalement dans son imagination et son appétit concupiscible.

[chartreux]

V. Le démon manifeste son empire sur les hommes de deux manières, par 1° des tentations ou des excitations au péché ; et 2° différents autres maux pour lesquels le démon se propose également d'induire l'homme au péché, notamment par l'impatience, par la défiance envers Dieu, etc. "Soyez sobres et veillez ; car votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui il pourra dévorer. 9 Résistez-lui, demeurant fermes dans la foi" (1 Pierre 5:8-9 ; cf. également Eph. 6:11). Cette doctrine expresse de l'Écriture sainte est de foi. Les Pères et les théologiens ne diffèrent que sur la question de savoir si toutes les tentations au péché proviennent directement du démon, ou du moins s'il a une part quelconque dans chacune d'elles. Il est certain que plusieurs des tentations, la plupart même, peuvent surgir sans l'intervention directe des esprits du mal, puisqu'elles doivent leur origine à la « chair » et au « monde, » aux passions proprement dites, aux mauvais exemples et aux suggestions de nos semblables.

[chartreux]

Il est très-vraisemblable toutefois que le démon n'assiste pas généralement en spectateur oisif aux manœuvres des agents qui servent à ses fins, qu'il les appuie, les favorise d'une façon ou d'une autre par son intervention. Il n'est pas invraisemblable que chaque homme reçoit du démon un ange mauvais, de même que Dieu lui a donné un ange protecteur. Il est encore très-vraisemblable que les mauvais esprits exercent, d'une manière qui n'est pas purement exceptionnelle, une certaine influence sur la production des maux physiques, si l'on envisage les bénédictions et les exorcismes de l'Église sur tous les objets qui peuvent être employés au service de l'homme. Cependant, comme l'Église, dans ces sortes d'actes, vise surtout à détourner les maux spirituels et moraux, on peut en conclure que le démon ne provoque des maux physiques que pour en tirer des maux spirituels et moraux.

[chartreux]

VI. Le démon ne s'efforce pas seulement en général de détruire les œuvres de Dieu et d'entraîner l'homme dans sa malice et son infortune ; il vise surtout à impliquer l'humanité dans sa haine contre Dieu, contre sa vérité et sa grâce et à se l'assujettir aussi complètement qu'elle est de droit assujettie à Dieu. Singe de Dieu, le démon essaie de parodier la religion. Le culte des idoles, presque universel avant Jésus-Christ, n'était au fond, selon la parole de l'Apôtre (en 1 Cor. 10:18-19), que le culte des démons ; la cruauté, la débauche, l'impudeur et la frénésie, en un mot tout ce qui dégrade l'homme, étaient considérés et requis comme des offrandes sacrées.

Dans les lieux où le christianisme avait détruit le culte des idoles, l'influence du démon se manifestait notamment sous une forme négative, par une haine aveugle et fanatique contre la véritable forme du culte représentée par le christianisme et l'Église catholique. Le culte des démons, quoiqu'un peu dissimulé, a reparu de nos jours dans le « spiritisme », cette nouvelle forme de l'antique « nécromancie ».

[chartreux]

Les démons ont quelquefois recours à la divination et aux signes merveilleux pour détourner les hommes du service de Dieu, pour les attirer à leur culte ou du moins les faire servir à leurs desseins. Il est évident que la divination, quand elle se rapporte à des futurs contingents, est aussi peu une véritable prophétie que ces signes merveilleux ne sont de vrais miracles. Dans le domaine même où le démon exerce sa puissance, les communications et les effets ne sont qu'imposture et jonglerie relativement à leur fin, et le plus souvent dans ce qu'elles contiennent. Toutefois, il est évident a priori que les démons peuvent quantité de choses qui dépassent les forces et l'intelligence de l'homme ; cette doctrine est de foi, d'après l'enseignement formel de l'Écriture sainte et de toute la tradition ; cf. Matth. 24:24 et 2 Thess. 2:7-9).

[chartreux]

Il n'est pas moins certain que le démon peut exercer son activité par l'organe ou l'entremise de personnes humaines, de sorte que ces personnes sont quelquefois choisies ou acceptées du démon, pour un temps plus ou moins long, comme ses intermédiaires ; elles deviennent ses prophètes, ses « médiums » comme les appelle le spiritisme moderne. Tel sera, d'une manière éminente, l'antéchrist en ce qui concerne les œuvres merveilleuses qu'il accomplira, selon la prophétie du Sauveur ; et telle était aussi, en ce qui concerne la divination, cette jeune fille de Philippes qui "procurait un grand profit à ses maîtres en devinant" (Actes 16:16 et suiv.).

Il est donc certain en dogme, et c'est une vérité historique attestée par une multitude de faits suffisamment garantis, qu'il peut y avoir et qu'il y a eu réellement des devins, des magiciens, ou des sorciers proprement dits, bien qu'au concret, quand il s'agit d'établir un fait particulier, on doive user de la même prudence que pour les miracles divins.

[chartreux]

L'"art" magique et divinatoire, au sens de procédé établi sur des règles précises, de sorte qu'en employant tels signes ou manipulations, on puisse faire agir le démon, l'amener à révéler des choses secrètes ou à produire des effets extra-naturels, est une parodie des sacrements et des sacramentaux de l'Église. Il faut reconnaître cependant que l'imitation est bien imparfaite, que l'action des démons est subordonnée à la permission de Dieu, que son pouvoir et sa science, si formidables qu'ils soient, restent limités, et que son caractère menteur l'empêche de tenir ses promesses même à ses adhérents. Il n'y a donc point superstition à admettre en théorie la possibilité et la réalité de l'influence extra-naturelle du démon, c'est au contraire une croyance légitime et nécessaire ; on ne pourrait pas les nier sans se rendre coupable du péché d'incrédulité.

La principale manifestation de la puissance du démon, notamment de ses efforts pour s'emparer tout à fait de l'homme, pour contrefaire en cela le Saint-Esprit dans ses rapports avec l'homme sanctifié, ainsi que le Fils de Dieu dans ses rapports avec son humanité sainte, c'est l'état de possession. Cet état, au temps de Jésus-Christ et peu de temps après, était surtout fréquent, comme si le démon eût voulu déployer toute sa puissance en face de Jésus-Christ. De là vient que Jésus-Christ lui-même et les premiers chrétiens firent éclater toute la vertu du Sauveur pour chasser les mauvais esprits.

[chartreux]

Il faut distinguer soigneusement la possession proprement dite, laquelle consiste à s'emparer d'une personne violemment et contre son gré, et l'abandon volontaire d'une âme au service du démon, suivant ce que l'Évangéliste dit de Judas (Jean 13:27), et également distinguer la possession proprement dite de la simple obsession de l'homme par le démon, quoique le terme d'obsession, dans la langue classique, désigne aussi cette dernière, qu'elle lui convient même de préférence. On entend par obsession les vexations, les tentations de toute sorte, les assauts durables, très-violents, universels, dont le démon se sert contre l'homme, quand les moyens ordinaires ne lui suffisent point pour pénétrer dans son âme.

[chartreux]

La possession proprement dite est un état de l'homme dans lequel le démon, incapable de posséder l'âme, comme le fait le Saint-Esprit, par une habitation substantielle et une influence directe sur la nature et ses forces spirituelles, s'efforce par des moyens violents de restreindre la souveraineté universelle que l'esprit de l'homme exerce sur son propre corps et de s'imposer à lui d'une manière durable comme s'il était son âme. Il se sert d'une manière durable du corps et des forces inférieures de l'âme.

Par ce moyen, le démon n'acquiert qu'indirectement un certain pouvoir sur l'esprit ; ce pouvoir se révèle surtout en ce que le démon peut paralyser et enchaîner les fonctions internes des facultés de l'esprit, la conscience et l'usage de la liberté. L'Écriture sainte appelle les possédés ἐνεργούμενοι, pour marquer que le démon agit en despote dans les personnes qu'il occupe.