Re: Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de S. Matthieu
Publié : dim. 28 sept. 2025 18:25
III.
« Les pieds des animaux, dit Ezéchiel, étaient droits, et la plante de leurs pieds était comme la plante du pied d'un veau, »Vous n'ignorez pas, mes frères, que dans le langage des saintes Lettres le pied figure les inclinations de l'âme, ses penchants, ses affections. Le pied de l'âme, dit saint Augustin, c'est son amour. Si ce pied est droit on l'appelle charité ; s'il est tors, on l'appelle cupidité. Et cette expression n'a rien que de très-juste puisque, comme le corps est porté par les pieds, l'âme est portée par ses affections. De là cette autre parole du même docteur : « Partout où je suis porté, c'est mon amour qui me porte. » Aussi quand l'enfant prodigue revient auprès de son père, celui-ci veut qu'on le revête de sa première robe, qu'on lui mette un anneau au doigt et une chaussure aux pieds, de peur que les pieds de son âme dépourvus de chaussures ne demeurent attachés par l'amour aux choses terrestres. C'est parce que le peuple d'Israël ne portait point cette chaussure, que le prophète Jérémie s'écriait en gémissant : « Ses souillures ont paru sur ses pieds, » sordes ejus in pedibus ejus, Thren., 1. 9 ; nous faisant entendre par là que ce peuple s'était souillé par l'amour déréglé des choses de la terre. Les animaux symboliques avaient les pieds droits, ce qui signifie que l'amour des saints, de quelque côté qu'il se porte, tend tout entier et tout droit vers Dieu. Apprenons de leurs exemples à rapporter à Dieu, comme à notre dernière fin, toutes nos affections pour les créatures. Nous aimons d'abord ceux auxquels nous sommes unis par les liens de la nature, nos pères et mères, nos enfants, nos femmes, nos époux et nos autres parents. Nous aimons de même les richesses, les honneurs, les dignités et les distinctions, toutes choses qui nous semblent autant de moyens de servir notre pays, et pour y arriver nous nous appliquons à la culture des lettres. Mais il faut avoir soin que notre cœur, tout en s'affectionnant à ces différents objets, tende directement vers Dieu ; c'est ce qui à lieu, lorsqu'en aimant quelque chose, nous aimons cette chose par un principe de charité, c'est-à-dire pour Dieu, et que nous nous proposons la vie éternelle pour fin. Il faut ici sonder attentivement notre cœur et nous assurer que notre amour n'est pas altéré par quelque principe étranger, si nous désirons offrir à Dieu un or pur et sans aucun alliage. Souvent en effet un amour différent se mêle à cet amour, et plus souvent encore nous nous trompons nous-mêmes et nous aimons pour nous ce que nous croyons aimer pour Dieu. Ce n'est donc pas sans dessein qu'il est dit des animaux mystiques que « la plante de leurs pieds était semblable à la plante du pied d'un veau. »