Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de S. Matthieu

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Laetitia
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III.

« Les pieds des animaux, dit Ezéchiel, étaient droits, et la plante de leurs pieds était comme la plante du pied d'un veau, »Vous n'ignorez pas, mes frères, que dans le langage des saintes Lettres le pied figure les inclinations de l'âme, ses penchants, ses affections. Le pied de l'âme, dit saint Augustin, c'est son amour. Si ce pied est droit on l'appelle charité ; s'il est tors, on l'appelle cupidité. Et cette expression n'a rien que de très-juste puisque, comme le corps est porté par les pieds, l'âme est portée par ses affections. De là cette autre parole du même docteur : « Partout où je suis porté, c'est mon amour qui me porte. » Aussi quand l'enfant prodigue revient auprès de son père, celui-ci veut qu'on le revête de sa première robe, qu'on lui mette un anneau au doigt et une chaussure aux pieds, de peur que les pieds de son âme dépourvus de chaussures ne demeurent attachés par l'amour aux choses terrestres. C'est parce que le peuple d'Israël ne portait point cette chaussure, que le prophète Jérémie s'écriait en gémissant : « Ses souillures ont paru sur ses pieds, » sordes ejus in pedibus ejus, Thren., 1. 9 ; nous faisant entendre par là que ce peuple s'était souillé par l'amour déréglé des choses de la terre. Les animaux symboliques avaient les pieds droits, ce qui signifie que l'amour des saints, de quelque côté qu'il se porte, tend tout entier et tout droit vers Dieu. Apprenons de leurs exemples à rapporter à Dieu, comme à notre dernière fin, toutes nos affections pour les créatures. Nous aimons d'abord ceux auxquels nous sommes unis par les liens de la nature, nos pères et mères, nos enfants, nos femmes, nos époux et nos autres parents. Nous aimons de même les richesses, les honneurs, les dignités et les distinctions, toutes choses qui nous semblent autant de moyens de servir notre pays, et pour y arriver nous nous appliquons à la culture des lettres. Mais il faut avoir soin que notre cœur, tout en s'affectionnant à ces différents objets, tende directement vers Dieu ; c'est ce qui à lieu, lorsqu'en aimant quelque chose, nous aimons cette chose par un principe de charité, c'est-à-dire pour Dieu, et que nous nous proposons la vie éternelle pour fin. Il faut ici sonder attentivement notre cœur et nous assurer que notre amour n'est pas altéré par quelque principe étranger, si nous désirons offrir à Dieu un or pur et sans aucun alliage. Souvent en effet un amour différent se mêle à cet amour, et plus souvent encore nous nous trompons nous-mêmes et nous aimons pour nous ce que nous croyons aimer pour Dieu. Ce n'est donc pas sans dessein qu'il est dit des animaux mystiques que « la plante de leurs pieds était semblable à la plante du pied d'un veau. »
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Comme la corne du pied de cet animal est divisée en deux, cette division peut figurer la vertu de discernement, vertu si nécessaire pour nous faire distinguer l'or pur de l'or faux et de celui qui est mélangé d'un métal plus grossier, c'est-à-dire pour nous faire discerner l'amour qui ne se propose que Dieu pour objet de l'amour qui se rapporte à nous-mêmes. L'amour-propre, en effet, est extrêmement subtil de sa nature ; il pénètre partout et se recherche lui-même en toutes choses. L'homme que cet amour captive se flatte lui-même et croit n'agir qu'en vue de la justice, lorsqu'il accomplit ce qu'il désire avec ardeur. Souvent, dit saint Grégoire, l'âme se ment à elle-même ; elle s’imagine dans les bonnes œuvres aimer ce qu'elle n'aime pas, et, pour ce qui est de la gloire du monde, ne pas aimer ce qu'elle aime. Combien sous prétexte de piété ambitionnent les dignités de l’Église, qui cherchent bien moins la gloire de Dieu que la leur ! Combien s'appliquent à l'étude des saintes Lettres, ayant en vue leur propre intérêt bien plus que celui des âmes !

Et dans les amitiés spirituelles entre personnes de différent sexe, combien de fois se glisse une affection d'une tout autre nature ! Cette affection ne paraît pas tout d'abord, mais peu à peu elle s'accroît par les rapports habituels ; d'où il arrive, comme le dit saint Thomas, qu’un amour spirituel dégénère souvent en un amour charnel et que plusieurs « après avoir commencé par l'esprit ont fini par la chair. » Galat., III, 3. Beaucoup ont trouvé là une occasion de chute, et saint Augustin dit qu'il en est dans le nombre dont la vertu lui paraissait aussi inébranlable que celle d'un Ambroise ou d'un Jérôme. On peut lire dans les annales de l’Église l'histoire de ce confesseur qui, après avoir triomphé des menaces et des supplices des tyrans, se laissa prendre à ce piège et fut vaincu par une femme.

Tout ceci doit vous montrer, mes frères, combien cette division mystique des pieds est nécessaire; en d'autres termes combien nous devons user de discernement pour que nos affections se conservent pures dans notre cœur.
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Ezéchiel décrit ensuite l'aspect qu'offraient les animaux. « Ils paraissaient, à les voir, dit-il, comme des charbons de feu et comme des lampes ardentes. » Ce feu, ces lampes sont le symbole de la charité, la première entre toutes les vertus, et nous indiquent combien ardente est cette charité dans le cœurdes saints. De là cette parole du Psalmiste : « Vous rendez vos anges, Seigneur, aussi prompts que les vents, et vos ministres aussi ardents que les flammes. » Qui facis angelos tuos spiritus et ministros tuos ignem urentem. Ps. CIII,, 4. C'est pour cela que le Saint Esprit est descendu sur les apôtres en forme de langues de feu, et Notre Seigneur dit que « il est venu jeter le feu sur la terre, » Luc., XII, 49 pour embraser le cœur des hommes. Ils étaient certainement embrasés de ce feu les deux disciples d'Emmaüs qui se disaient l'un à l'autre, après que Jésus les eut quittés : « N'est-il pas vrai que notre cœur était tout brûlant au dedans de nous, lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous expliquait les Ecritures ? » Nonne cor nostrum ardens erat in nobis, dum loqueretur in via, et aperiret nobis scripturas ? Luc, xxiv, 32.

Les animaux mystiques paraissaient donc comme des charbons de feu et des lampes ardentes. Ce n'est pas sans raison qu'ils sont comparés non-seulement à des charbons embrasés, mais à des lampes ardentes. Des charbons en feu brûlent, à la vérité, mais ils n'éclairent point, tandis que des lampes allumées font l'un et l'autre; elles brûlent pour elles-mêmes et éclairent les autres. Tel était Elie dont la sainte Ecriture a dit : « Le prophète Elie s'est élevé comme un feu, et ses paroles brûlaient comme des flambeaux ardents. » Surrexit Elias propheta, quasi ignis, et verbum ipsius quasi facula ardebat. Eccli., XLVII, 1. Notre-Seigneur a dit de même de Jean-Baptiste que « il était une lampe ardente et luisante. » Ille erat lucerna ardens et lucens. Joan., v, 35. Celui-là donc qui brûle sans éclairer, est un charbon en feu ; mais les hommes évangéliques doivent être comme des flambeaux ardents ; ils doivent brûler pour eux-mêmes et luire pour les autres.
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Il nous reste encore autre chose à considérer dans l'aspect de ces animaux. Le Prophète dit que « leurs faces et leurs ailes s'étendaient en haut. » Il faut entendre ici par la face l'intention qui anime les œuvres. De même en effet que nous reconnaissons un homme à l'inspection de son visage, ainsi nous reconnaissons nos œuvres à l'intention qui les a inspirées. L'un fait l'aumône par un motif de vaine gloire ; l'autre par amour pour Dieu. L’œuvre du premier est un acte de vanité, celle du second un acte de miséricorde. Les ailes des animaux figurent les pensées, qui sont comme les ailes à l'aide desquelles notre âme s'élève. Le Prophète veut donc nous avertir par là que toutes nos intentions et toutes nos actions, tout ce que nous pensons, tout ce que nous entreprenons extérieurement doit tendre au ciel puisque, comme le dit l'Apôtre, « nous sommes des citoyens de la même cité que les saints et les familiers de la maison de Dieu. » Cives sanctorum et domestici Dei. Ephes., II, 19. Remarquez je vous prie, mes frères, avec quelle instance le Seigneur demande de nous que notre âme soit sans cesse dans le ciel, bien que nous demeurions sur la terre. Ce n'est pas assez qu'il ait donné aux animaux symboliques la face de l'aigle et une double paire d'ailes, il veut encore que leurs faces comme leurs ailes s'étendent en haut pour nous faire entendre que toutes nos actions, tous nos soins, toutes nos pensées doivent toujours tendre vers le ciel, que c'est vers le ciel que doivent se porter notre amour et nos désirs, y aspirer sans cesse et diriger et entraîner vers ce but tous les mouvements de notre vie. Voilà ce qu'ont fait les saints, que l'on a nommés pour ce motif des hommes célestes ou des anges terrestres. Théodoret appelle avec raison les saints des animaux ailés, parce que, bien qu'ils habitent la terre comme les animaux, ils volent et s'élèvent dans l'air comme les oiseaux. Ils comprennent en effet que s'ils ont été mis en ce monde, si Dieu leur conserve la vie, si le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent a été fait pour leur utilité, c'est pour qu'eux-mêmes, servant le commun maître de toutes choses, méritent le céleste héritage qui leur est destiné. C'est pourquoi il leur semble que leur vie n'est utile, et qu'ils ne peuvent user légitimement des créatures, qu'autant qu'ils vivent et agissent pour le ciel. Qu'un serviteur fidèle soit chargé de quelque affaire litigieuse, il ira trouver tour à tour les juges, les avocats, les greffiers ; il fera mille démarches, n'ayant qu'une pensée, qu'un but : faire réussir l'affaire dont le soin lui a été confié. Ainsi fait « le serviteur fidèle et prudent » du Seigneur. Convaincu qu'il n'a été mis en ce monde que pour obtenir par ses bonnes œuvres le céleste héritage, il n'a point d'autre but ; il y consacre tous ses efforts, il y pense le jour et la nuit, et regarde toutes les autres choses comme étrangères et sans intérêt pour lui. Voilà ce que figurent les faces et les ailes des animaux mystiques «  qui s'étendaient en haut. »

(à suivre)
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IV.

Après avoir parlé de l'aspect de ces animaux, nous avons maintenant à considérer leur mouvement. « Partout où allait l'esprit et où l'esprit s'élevait, ils allaient, et ne retournaient point lorsqu'ils marchaient, mais chacun d'eux allait devant soi. » Ces paroles marquent l'empressement et l'obéissance admirables des saints ainsi que la mortification de leur volonté propre. Ils comprennent que l'abrégé de toute perfection et de toute félicité consiste pour l'homme dans l'accomplissement de la volonté divine, c'est-à-dire dans une complète obéissance. C'est en cela, en effet, et en cela uniquement que se trouve la perfection de la charité, qui est la fin de la loi divine ; car l'amitié parfaite suppose une entière conformité de volontés. Par cette obéissance, l'homme devient donc semblable à Dieu et pour ainsi dire tout divin. N'a-t-il pas en quelque sorte dépouillé l'humanité et ne s'est-il pas revêtu de Dieu même, celui qui a disposé sa volonté de telle sorte qu'il ne veut absolument rien que ce que Dieu veut lui-même ? Comme les saints n'ignorent pas qu'on ne peut atteindre à ce haut degré de vertu que par le renoncement à sa propre volonté, ils s'appliquent de toutes leurs forces à pratiquer ce renoncement et à mourir à eux-mêmes ; ce qu'ils font non seulement à l'égard des choses défendues mais souvent même à l'égard des choses qui leur sont permises. Par cet exercice, ils en viennent enfin à se livrer tout entiers et sans obstacle aux mouvements de la volonté divine, et, semblables aux animaux dont parle Ezéchiel, « ils suivent l'esprit partout, où l'esprit les entraîne. » Soit qu'il ordonne, soit qu'il conseille, soit qu'il leur manifeste son désir par quelque inspiration intérieure ( qu'ils examinent selon les règles de la foi ), soit qu'il leur envoie des joies ou des peines, ils courbent la tête et embrassent de grand cœur tout ce qu'il lui plaît de vouloir. C'est ainsi que sainte Catherine de Sienne, se croyant sur le point de succomber à une cruelle maladie de poitrine, répondit à ses disciples qui la suppliaient de demander à Dieu qu'il prolongeât sa vie en faveur de ceux pour qui elle était une mère et un guide : Il y a longtemps que je me suis dépouillée de ma volonté pour embrasser la volonté de Dieu, et je ne saurais m'écarter d'un doigt de cette volonté sainte.

Une obéissance si parfaite est bien opposée à la conduite de la plupart des chrétiens. Aussi je veux leur citer un autre exemple, l'exemple d'un païen que Sénèque fait parler ainsi à Dieu : « Conduis-moi partout où il te plaira, ô Père, ô souverain roi du ciel : je t'obéirai sans aucun retard et me voici tout prêt. Supposé que je ne veuille pas, il me faudra te suivre en gémissant, et souffrir comme un méchant ce que je pouvais souffrir en homme vertueux. Les destins conduisent celui qui leur est soumis ; ils entraînent celui qui leur résiste. »
Duc me Pater, celsique dominator poli
Quocumque placuit : nulla parendi mora est,
Adsum impiger. Fac nolle, comitabor gemens,
Malusque patiar quod pati licuit bono.
Ducunt volentem fata, nolentem trahunt.

Ces paroles me semblent exprimer un si profond sentiment de piété et de religion, que je n'hésite pas à vous engager tous à vous les rappeler dans vos afflictions.
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Ce que le Prophète ajoute en disant que « les animaux ne retournaient point, lorsqu'ils marchaient, » nous indique la persévérance dans l'action et le désir de toujours avancer dans la vertu.
Il était animé de ce désir celui qui disait : « Non, mes frères, je ne pense pas avoir encore atteint le but où je tends. Mais tout ce que je fais maintenant, c'est que, oubliant ce qui est derrière moi, et m'avançant vers ce qui est devant moi, je cours incessamment vers le terme de la carrière pour remporter le prix de la félicité céleste, à laquelle Dieu nous a appelés par Jésus-Christ. » Fratres, ego me non arbitror comprehendisse. Unum autem, quæ quidem retro sunt obliviscens, ad ea vero, quæ sunt priora, extendens meipsum, ad destinatum persequor, ad bravium supernæ vocationis Dei in Christo Jesu. Philip. III, 13-14. C'est ainsi que les vaches qui ramenaient l'arche du Seigneur du pays des Philistins dans la terre d'Israël, marchaient tout droit par le chemin sans se détourner ni à droite ni à gauche et sans s'inquiéter de leurs veaux qui les appelaient par leurs mugissements.

Mais pourquoi le Prophète dit-il que « chacun des animaux regardait devant soi ? » Ce détail renferme comme les autres un mystère qu'il est utile d'approfondir. — N'est-ce pas pour nous avertir que dans toutes nos actions, dans toutes nos entreprises, dans toutes nos pensées, dans toutes nos paroles, nous devons user de prudence et de circonspection, afin de ne pas faire le moindre écart hors du chemin de la vertu ? Vous savez combien est vraie cette maxime si connue attribuée à saint Denis, que toutes les causes doivent concourir pour le bien, tandis que pour le mal l'omission d'une seule circonstance suffit. Chaque fois donc que nous entreprenons quelque chose, ou que nous formons dans notre esprit quelque projet, nous devons considérer avec soin de quelle manière, pour quelle fin, devant qui, en quel temps, en quel lieu, nous nous proposons d'agir, autrement il pourra se faire que quelque circonstance venant à manquer, la bonne œuvre se change en une œuvre toute contraire. Regarder devant soi c'est donc se poser en observateur et en juge de ses œuvres. Salomon nous le fait entendre, lorsqu'il dit : « Les yeux du sage sont en sa tête, tandis que l'insensé marche dans les ténèbres. » Sapientis oculi in capite ejus : stultus in tenebris ambulat. Eccl. 11, 14. L'insensé, en effet, n'ayant aucun sentiment de l'honnête, n’examine pas si ce qu'il fait est honnête ou honteux. Mais il est dit du sage au contraire qu'il a ses yeux en sa tête, parce que, placé en quelque sorte sur une éminence, il considère ses œuvres et se considère lui-même comme il ferait un autre : il se partage ainsi en deux hommes dont l'un agit et dont l'autre examine la justice de l'action et ses circonstances. « Que vos yeux, dit Salomon, regardent droit devant vous, et que vos paupières précèdent vos pas. » Oculi tui recta videant, et palpebræ tuæ præcedant gressus tuos. Prov. IV, 25. Pour moi, je suis d'avis que ce regard doit non seulement précéder, mais accompagner, mais suivre nos œuvres jusqu'à la fin, attendu que l'antique ennemi nous tend des pièges, non seulement au début, mais dans tout le cours de nos actions, d'où il arrive parfois que ce qui a été bien commencé n'est pas continué de même. Ils étaient bien éloignés de ce danger les saints figurés par les animaux que vit Ezéchiel, puisque chacun d'eux marchait en regardant droit devant lui, afin de ne pas pécher par ignorance ou par surprise.
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Un dernier trait qui me paraît plus admirable que tout ce qui précède, c'est la multitude innombrable d'yeux, que saint Jean, dans l’Apocalypse, attribue à ces animaux mystérieux qui lui furent montrés. Après avoir déterminé le nombre de leurs ailes, de leurs mains et de leurs pieds, le Prophète ajoute que « ils étaient pleins d'yeux tout autour. » Cette multitude d'yeux dont le corps des animaux était couvert a un grand nombre de significations. Elle nous indique avant tout que ce monde est plein d'ennemis, de pièges et de dangers, car, comme dit le Sage, « les créatures de Dieu sont devenues un sujet de tentation aux hommes et un filet où les pieds des insensés sont pris. » Sap., XIV, 11. Y a-t-il quelque chose, en effet, qui ne cache quelque embûche pour les malheureux mortels ? Le serpent infernal ne nous tend-il pas des pièges dans la nourriture, dans la boisson, dans le vêtement, dans les entretiens, dans la société des hommes, dans la solitude, dans la prospérité, dans l'adversité et jusque dans nos bonnes œuvres qu'il cherche à corrompre par le poison de la vaine gloire afin de nous faire périr dans le port ? S'il en est ainsi, devons-nous être surpris qu'une multitude d'yeux nous soit nécessaire en présence de cette multitude de pièges ? Puisque notre ennemi a mille moyens de nous nuire, ne faut-il pas que nous ayons mille yeux pour pouvoir découvrir ses ruses et ses artifices ? Saint Bernard juge de la gravité du mal que le péché nous a fait par le prix du remède, qui n'est autre que le sang de Jésus-Christ; ne pouvons-nous point par cette multitude d'yeux juger de la grandeur des périls auxquels nous sommes tous les jours exposés ? Nous n'aurions pas besoin en effet d'avoir un si grand nombre d'yeux constamment ouverts, si notre ennemi ne nous attaquait de tant de manières différentes.
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Mais ces yeux nous sont nécessaires, et par devant et par derrière nous, afin que nous regardions non-seulement dans le passé mais aussi dans l'avenir. Dans le souvenir du passé nous trouverons de quoi nous instruire, nous affliger et remercier Dieu. Dans la prévoyance de l'avenir, nous trouverons un sujet de craintes et de salutaires précautions. Cette prévoyance, le Prophète la souhaitait aux enfants d'Israël, lorsqu'il s'écriait : « Ah ! s'ils avaient la sagesse et l'intelligence, et s'ils prévoyaient à quoi tout se terminera ! » Utinam saperent, et intelligerent, ac novissima providerent ! Sap., XXXII, 29. Mais ces yeux si nécessaires pour regarder dans le passé et dans l'avenir, ne le sont-ils pas moins à l'égard de toutes les vertus, pour prescrire la modération, sans laquelle aucune vertu ne peut exister. La prudence, en effet, dont les yeux sont l’emblème, est la vertu qui conduit et gouverne toutes les autres, et s'il est dit des animaux mystiques que « ils étaient pleins d'yeux, » c'est pour nous faire entendre que nous avons besoin de beaucoup de prudence. Les vertus dont elle est la gardienne et la protectrice, demandent la modération, et si cette condition leur manque, elles perdent le nom de vertus. Mais la prudence n'est resserrée dans aucunes limites, et plus elle prend d'accroissement, plus elle est parfaite, C'est pour cela que le roi des Perses qui avait ordonné qu'on fournît dans une mesure déterminée tout ce qui était nécessaire au culte du Seigneur et à l'oblation des sacrifices, voulut que le sel fût donné sans aucune mesure. Esdr., I, 7. Comme le sel et les yeux sont le symbole de la sagesse, nous ne devons pas être surpris qu'il n'y ait pour l'un aucune mesure et pour les autres aucun nombre déterminé. Ils avaient ces yeux les saints évangélistes, et, parmi eux, il faut surtout signaler saint Matthieu que l'on représente ayant à côté de lui la figure d'un homme, parce que son évangile est un magnifique exposé des œuvres et des mystères de l'Homme Dieu. Après la résurrection du Sauveur il partit pour l'Ethiopie, province qui lui était échue lorsque les apôtres se partagèrent le monde, et prêcha Jésus-Christ dans ces contrées lointaines en confirmant sa parole par les miracles qui l'accompagnaient. Il ressuscita la fille du roi, prodige qui fut suivi de la conversion du roi lui-même,de son épouse et de toute la province. Mais après la mort de ce prince, Hirtacus qui lui succéda et qui voulait épouser Iphigénie, fille de son prédécesseur, persécuta l'apôtre, parce que l'homme de Dieu qui par ses conseils avait déterminé Iphigénie à vouer à Dieu sa virginité, ne cessait de l'exhorter à rester fidèle à son vœu. Hirtacus le sut, et, furieux de ne pouvoir triompher de l'obstination de la jeune fille, il fit assassiner saint Matthieu pendant qu'il célébrait les saints mystères. Ayant ainsi remporté la triple couronne de l'apôtre, de l'évangéliste et du martyr, notre saint est entré dans la gloire de Jésus-Christ et dans la félicité de l'éternelle vie.
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