L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique

Si vis pacem
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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 224-225) a écrit :
Aux premières biographies nous ferons bien de rattacher les témoignages du procès de béatification. J'ai pu en relever trois : ce sont apparemment les mêmes auxquels se réfèrent les Auditeurs de la Rote dans leur rapport sur la sainte vie de Thérèse (1). Le plus beau et le plus détaillé est celui d'Isabelle de Saint-Dominique, mais il insiste surtout sur l'embrasement d'amour causé par la blessure (2). Doňa Antonia de Guzman, fille de Doňa Guiomar de Ulloa, si intimement mêlée à l'œuvre de la Réforme de sainte Thérèse, rappelle que la Sainte fut gratifiée de la vision dans la maison de sa mère. Elle mentionne certes la « grande douleur » de la Sainte, mais elle est rapportée ensemble avec d'autres effets d'ordre spirituel (3). Enfin vient le témoignage du Maître en théologie Barthélémy Sanchez, Carme Chaussé. Sa rédaction est fort semblable à celle d'un « article » de l'interrogatoire officiel ; on y dit simplement que le Séraphin brûla les entrailles de la Sainte à l'aide de son dard ; le résultat fut que son amour devint séraphique (4). Jamais donc il n'est fait mention explicite d'une blessure corporelle. Nous ne prétendons nullement qu'elle soit nécessairement exclue par ces divers auteurs ; il n'est pas impossible que quelques-uns y songent, mais ils ne vont pas jusqu'à l'affirmer.


(1)Auditorum Rotæ facta Paulo V PP. Relatio. Van der Mœren, o. c., n. 1224, p. 386.
(2) – Dicho de la M. Isabel de S. Domingo C.D. — Procesos II, p. 462-3.
(3) – Dicho de Da Antonia de Guzman. — Procesos II, p. 394.
(4) – « Testis admodum Rev. Pater Magister frater Bartholomæus Sanchez ordinis B. Mariæ de Monte Carmelo Calceatorum. » Dans le brouillon du Summarium dont nous avons parlé plus haut (p. 220, note 2) ; fol. 113, r.

Si vis pacem
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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 225-226) a écrit :
En 1644, le Père François de Sainte-Marie, dans le premier tome de la Reforma (1), va s'avancer plus loin. Il compare sainte Thérèse à saint François : « Et si (le Séraphin ou le Seigneur des Séraphins) blessa les mains, les pieds, et le côté de saint François, il blessa la poitrine de sainte Thérèse (2). » Il parle donc d'une blessure non seulement au cœur mais même à la poitrine. Or celle-ci n'a jamais existé. J'ai pu me rendre compte par l'étude des procès de béatification qu'aux nombreux examens du corps de sainte Thérèse, examens minutieux dont les rapports sont riches en détails « réalistes », on ne relève jamais la moindre blessure faite à la poitrine. Mais notre auteur est un Andalou à l'imagination bien vive et il se laisse facilement emporter à des constructions. Il y a à la base de sa narration une erreur d’interprétation du texte de la Sainte. François de Sainte-Marie croit que Thérèse parle d'une vision corporelle. Il n'a jamais remarqué qu'au chapitre précédent la Sainte déclarait n'avoir jamais eu de vision corporelle ; il aura été trompé par une expression de son récit. La Sainte parle en effet d'un ange «  en forma corporal (3) » ; mais, le contexte le montre clairement, elle veut indiquer uniquement que l'ange a revêtu les apparences humaines, tandis qu'en d'autres visions elle a vu les anges tels qu'ils sont, c'est-à-dire comme de « purs esprits ». François de Sainte-Marie parle donc d'une blessure corporelle mais c'est à partir d'une base inexacte. Il ne se montre du reste nullement informé de l'existence d'une blessure dans le cœur de la Sainte conservé au monastère d'Albe.

Nous remarquerons encore ici que la Bulle de canonisation (4) tout comme la leçon du bréviaire à la fête de la Sainte (5) classent le récit de la Sainte parmi les visions, sans s'avancer plus loin. Et pourtant, cette fois, les rédacteurs de ces documents ont pu connaître par les procès l'existence de la blessure. L'ont-ils connue de fait ? Les quelques lignes du témoignage de la Mère Catilina se perdent aisément de vue dans l'immensité du texte des procès canoniques.



(1)Reforma de los Descalzos de N. S. del Carmen de la primitiva observencia ... escrita por el P. Fr. Francisco de Santa-Maria su general istoriador natural de Granada. Tom. I, Madrid, 1644.
(2)Ibid., l. I, c. 27, n. 8.
(3)Vida, c. 29, n. 13.
(4) – « Sed inter cæteras Theresiæ virtutes præcipue emicuit dilectio Dei … Quam etiam D. N. J. C. multis visionibus ac revelationibus mirabiliter auxit. Quandoque enim data dextera, clavoque extenso, illam in sponsam suam sibi adoptavit … Aliquando etiam angelum vidit ignito jaculo sibi præcordia transverberantem ... »cf. Van der Mœren, o.c., n. 1391.
(5)Lectio V in festo S. Theresiæ a Jesu, 15 oct. : « Tanto autem divini amoris incendio cor ejus conflagravit, ut merito viderit Angelum ignito jaculo sibi præcordia transverberantem, et audierit Christum data dextera dicentem sibi : Deinceps ut vera sponsa meum zelabis bonorem. »

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 226-227) a écrit :
Chez les anciens biographes de la Sainte la récolte est donc bien maigre en fait de témoignages explicites sur la « matérialité » de la vision rapportée par la Sainte au ch. 29 de sa Vie. Passons à l'étude des théologiens mystiques. Leur attitude est encore plus franchement négative. Pour les passer en revue, je cite selon l'ordre chronologique ceux qui ont commenté le texte où sainte Thérèse raconte sa vision. Ils l'ont ordinairement rapproché du texte correspondant de saint Jean de la Croix que nous avons étudié plus haut ; mais, comme nous allons le voir, seulement pour le fait de la vision, nullement pour la blessure corporelle.

Avant de commencer, une brève remarque concernant le Père Gratien. Dans son Dilucidario, paru en 1604, il a un chapitre sur « les désirs impétueux de la mort », où il cite le cas de sainte Thérèse qui « se mourait de ne point mourir (1). » C'est tout. Le chapitre suivant parle « des signes extérieurs que reçoivent, par miracle, certains serviteurs de Dieu. » — On y parle des stigmates de saint François mais le nom de Thérèse n'y paraît point (2).

Le contexte dans lequel Thomas de Jésus, vers 1627, parle de la transverbération de sainte Thérèse, montre qu'il l'interprète dans un sens tout spirituel (3). Le Père Joseph de Jésus-Marie Quiroga est le premier à commenter les textes de Thérèse et de Jean de la Croix. Il s'attache lui aussi aux seuls effets spirituels de la blessure d'amour qui s'accompagne d'une vision (4). Nicolas de Jésus-Marie, en 1639, dans son Elucidatio des phrases mystiques de saint Jean de la Croix justifie théologiquement deux affirmations du Saint au sujet des blessures d'amour (5). A l'appui de sa doctrine concernant la vision qui parfois accompagne la blessure interne, il rapporte le récit de sainte Thérèse, Vie, ch. 29. Mais pour justifier son enseignement concernant les blessures extérieures, il ne parle plus que de saint François et de sainte Catherine de Sienne. Sainte Thérèse est citée pourtant pour confirmer l'existence de signes extérieurs qui parfois accompagnent les grâces intérieures, mais l'auteur ne parle nullement à son sujet de la plaie de son cœur qui signifierait la blessure intérieure ; il rappelle seulement sa vision de la colombe qui signifiait la réception de l'Esprit-Saint (6). Si le Père Nicolas croyait que la vision de la transverbération comportait une plaie physique, il semble bien qu'ici il devait la rappeler.



(1)Dilucidario del verdadero espiritu. Segunda parte, c. 17. Obras del P. Jerónimo Gracián, edit. Silverio de S. Teresa, Burgos, 1932, Tom I, p. 212.
(2)Ibid., p. 218.
(3)De raptu et ecstasi, disp. 2, c. 7. Op. Oia, t. II, p. 412
(4)Entrada en el parayso espiritual, l. II, c.6. Madrid 1675
(5)Elucidatio, P. II, c. 15. Coloniæ, 1639
(6)Ibid., n. 13

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 227-228) a écrit :
Chronologiquement nous rencontrons ici le témoignage de Philippe de la Trinité (1). Nous avons vu plus haut qu'il connaît l'existence de la blessure du cœur ; voyons à présent quelle est son « interprétation ».

Dans l'article auquel nous avons emprunté le récit de la « légende de l'extraction » Philippe nous parle de diverses blessures d'amour reçues par la Sainte : « elle mourut dans un dernier transport d'amour, gravement blessée à la vue de son Époux qui la visitait … et nous savons d'autre part qu'un Séraphin transverbéra son cœur, en apparence cruellement, mais en vérité suavement. » Et Philippe de rappeler que la blessure d'amour reçue par Thérèse fut « matérielle » : l'état de son cœur en témoigne. Après avoir rapporté la légende il poursuit : « O merveille pleine de miracles, (quand il fut extrait) le cœur de la sainte Vierge apparut de grandes dimensions, quasi dilaté par le feu de la charité et plein d'esprit d'amour ; on y remarque une déchirure (foramen) faite par le dard de l'Ange qui la transverbéra ou par le transport d'amour qui la blessa à la vue de son Époux et la fit cesser de vivre (2). »

L'alternative posée par Philippe est à remarquer. La blessure est à rapporter ou à la vision de l'ange ou à la mort. Philippe ne se prononce pas ; mais il n'a pas vu de près la blessure. Ceux qui plus tard l'étudieront en détail se prononceront. Notons entre temps que pour Philippe dans l'un et l'autre cas nous nous trouvons en face d'une tranverbération : « L'Époux, dit-il, transperce (transverberat) le cœur de l'épouse soit immédiatement par une simple œillade, soit médiatement par le ministère des anges (3). »

Après Philippe, d'autres théologiens continuent à « ignorer » la blessure matérielle. C'est tout à fait remarquable chez Balthazar de Sainte-Catherine. Il rapproche la vision de la transverbération de la seconde blessure d'amour dont parle saint Jean de la Croix, nullement de la troisième qui s'accompagne d'une blessure corporelle. Par contre, le Père Balthazar rappelle un autre effet de la blessure d'amour : elle provoque parfois la mort. Ce fut le cas, dit-il, pour sainte Thérèse (4). Enfin, Joseph du Saint-Esprit, le portugais, dans sa Cadena mistica, éditée en 1678, parlant des divers transports d'amour, note à propos des transports du quatrième degré : « L'âme se sent blessée dans le centre le plus profond de son esprit, et parfois une vision vient le manifester, comme celle du Séraphin blessant le cœur de notre sainte Mère ; et parfois ces blessures se communiquent de l'âme au corps comme ce fut le cas de saint François et de sainte Catherine de Sienne (5). » — Ici « l'argument du silence » prend toute sa force.

Il faut conclure, en tout cas, que jusque vers l'année 1675 il n'existe aucune tradition définie et communément acceptée, établissant une relation entre le cœur blessé de sainte Thérèse et la vision de la transverbération rapportée dans le chapitre 29 de sa Vie. Dans la narration de la Sainte les théologiens ne trouvent qu'une « vision ». Les anciens biographes ne disent rien de clair concernant la blessure physique.



(1) – La Summa theologiæ mysticæ fut éditée en 1656.
(2)Summa, P. III, tr.3, d. I, a 8.
(3)Ibid.
(4)Splendori, p. 440. Bologna, 1671.
(5)Cadena mistica, Prop. 17, Conclusion.

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 228-229) a écrit :
Et pourtant deux choses paraissent certaines : 1° Le cœur extrait du corps de la Sainte était un cœur blessé ; 2° la Sainte a eu plusieurs fois une vision lui faisant voir qu'un ange la blessait et saint Jean de la Croix affirme que parfois les blessures de l'âme se traduisent à l'extérieur.

N'existerait-il aucune relation entre ces deux faits ? Déjà Philippe de la Trinité se sentait quelque peu incliné à faire le pas et à unir les deux données en disant que l'ange de la vision lui a percé « réellement » le cœur (1). Mais le Père Philippe qui ne connaît la blessure que par ouï-dire n'a qu'une vague idée de sa forme. Nous pouvons constater par contre qu'un jour on se mit à examiner de plus près la blessure du cœur. Vers la fin du XVII° siècle nous trouvons au sujet de cette plaie des détails précis et abondants. La description la plus ancienne que je connaisse n'est même pas due à un Carme. C'est celle de Lopez Esquerra dans sa Lucerna mystica. « La vision, écrit-il, fut vraie et réelle, de même que la blessure ; on peut la voir de ses yeux sur le cœur conservé honorifiquement à Albe. Les lèvres de la blessure apparaissent légèrement brûlées (semiusta) par le dard enflammé du Séraphin. La vulnération interne du cœur, qui laissa indemne la poitrine, fut miraculeuse, mais il ne le fut pas moins que la vie naturelle put se conserver malgré la profonde blessure du cœur (2). » Ici l'auteur ne doute plus et il rattache directement la blessure à la vision rapportée par la Sainte. Il accepte en même temps toutes les conséquences miraculeuses que ce rattachement entraîne. Il est également évident que la base de son inférence est la forme spéciale de la blessure du cœur.

Quelques années plus tard les deux Congrégations de Carmes Déchaussés, celle d'Espagne et celle d'Italie, font des instances auprès du Saint-Siège pour obtenir l'institution d'une fête spéciale en l'honneur de la transverbération. Benoît XIV parle de ces démarches dans son Traité de la Béatification et rappelle son intervention personnelle : « Tout en admettant la vérité du charisme, écrit-il, je fis observer que, — du fait que la requête s'appuyait sur l'état actuel du cœur conservé dans l'église du monastère de l'Incarnation à Albe, lequel, disait-on, laissait voir une « cicatrice », — il était nécessaire de prouver que le cœur de sainte Thérèse exposé à la vénération publique en Espagne retenait encore la « cicatrice » faite par l'immixtion du dard … Les Postulateurs, à l'aide de témoignages juridiques, démontrèrent que la blessure est encore existante et visible (3). »



(1)Summa, P. III, tr.3, d. I, a 8.
(2)Lucerna mystica, tr. V, c. 26, n. 280. Editée en 1691.
(3)De Beatificatione, l. IV, p. 2, c. 8, n. 3

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 229-230) a écrit :
Le Père Frédéric de Saint-Antoine, dont nous avons parlé plus haut, rapporte lui aussi que « des preuves juridiques (solenni) et authentique de ce prodige furent envoyées à Rome où elles furent publiées l'an 1726 (1). » Jusqu'ici je n'ai pu mettre la main sur ces preuves, mais j'espère bien y réussir quelque jour. Relevons entre temps le témoignage tout à fait précis du chirurgien Sanchez chargé de l'examen de la blessure dans l'enquête officielle faite à Albe par le Vicaire-général de Salamanque Antoine Espinosa, en 1726. Je le transcris de l'ouvrage du Père Frédéric qui l'emprunte vraisemblablement au recueil dont il nous parle : « Il affirmait avoir vu dans le cœur une ouverture ou déchirure transversale à la partie antérieure et supérieure du dit cœur ; la largeur de cette blessure est petite et à la surface très unie (nitidissima) ; on constate que la partie intime et la cavité du cœur ont été pénétrées. La forme de la fissure démontre qu'elle a été faite avec un art extrême et avec un instrument très aigu, solide et de dimension non-petite ; aux bords seulement de la fissure on reconnaît quelques marques du feu et de la combustion (2). »

En attendant un examen plus précis de la documentation en question, ce témoignage nous fait entrevoir combien minutieuses et autorisées durent être les descriptions qui servirent de base pour rattacher la plaie du cœur à la vision du Séraphin.

A partir de cette époque en effet ce « rattachement » se fait couramment. Joseph du Saint-Esprit, l'andalou, dans le tome IV de son Cursus achevé en 1728, nous dit à son tour : « Je demeurai émerveillé quand je pus vénérer dans ce très-saint cœur les lèvres de la blessure qui jusqu'à ce jour non seulement demeurent ouvertes, mais apparaissent légèrement brûlées (semiusta) (3). » Et l'auteur de conclure : « La très pure Vierge aperçut donc plusieurs fois à sa gauche le splendide Séraphin qui lui transperça et lui brûla le cœur de part et d'autre à l'aide d'un javelot d'or tout flamboyant (4). »

Les auteurs de cette époque rapportent donc couramment la blessure à la vision racontée par la Sainte, vision dont elle fut gratifiée la première fois l'an 1559.



(1) – Federigo di S. Antonio. Della Vita di S. Teresa di Gesù, l. I, c. 17.
(2)Ibid. Cf. Van der Mœren, o. c., n. 1439, p. 430.
(3)Cursus theologiæ mystico-scholasticæ, Tom. IV, disp. 24, n. 41.
(4)Ibid., n. 42.

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 230-231) a écrit :
Depuis cette date donc doivent se vérifier chez sainte Thérèse les principes posés par saint Jean de la Croix au sujet du rapport entre les plaies extérieures et les blessures d'amour internes (1). Dorénavant celles-ci ont leur résonance dans le corps. Tandis que l'âme jouit, le corps souffre ; oui, plus la grâce intérieure est éminente, plus elle se répercute sur le corps. Mais de cette merveilleuse harmonie il y a la rançon à payer : le corps est un frein pour l'âme : la grâce intérieure, maintenant qu'elle s'accompagne de souffrances physiques, ne peut plus croître indéfiniment : la capacité des souffrances du corps a des bornes ; si on les dépasse, le corps succombe, et c'est la mort. On voit ici une fois de plus que les grâces « extraordinaires » et « gratis datæ » sont d'un autre ordre que la grâce proprement sanctifiante. Elles n'ont pas la même finalité (2) et l'éminence de l'une n'est pas nécessairement accompagnée d'une plus grande plénitude de l'autre.

Si sainte Thérèse porte depuis 1559 une plaie béante au cœur, outre que sa vie est un miracle continuel, elle doit souffrir beaucoup dans cet organe à chaque fois que la blessure d'amour la frappe dans l'âme. De plus, si les principes du Saint trouvent leur vérification chez elle, la grande mystique traîne depuis tout ce temps un « frein » pour ses grâces intérieures ; elle aussi doit payer la rançon. Nous nous demandons si ce que nous savons de la Sainte nous permet d'affirmer que chez elle les souffrances corporelles ont crû ensemble avec les blessures intérieures et s'il est bien nécessaire d'affirmer que Thérèse a dû payer la rançon de la plaie qui lui fut fait au cœur.



(1)Llama B, c.2, n. 13.
(2) – S. Thom. Aq. Summa theologica, Ia IIæ, q. 111, a. 1.

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 231-232) a écrit :
Examinons de plus près ce que nous pouvons recueillir dans les écrits de sainte Thérèse au sujet de ses souffrances corporelles entraînées par les blessures d'amour.

Relisons tout d'abord la narration de la vision de l'ange :

« Tandis que j'étais en cet état, il plut au Seigneur de me favoriser à différentes reprises de la vision suivante. Je voyais près de moi, du côté gauche, un ange sous une forme corporelle … Il n'était pas grand, mais petit et extrêmement beau … Je voyais donc l'ange qui tenait à la main un long dard en or, dont l'extrémité en fer portait, je crois, un peu de feu. Il me semblait qu'il le plongeait parfois au travers de mon cœur et l’enfonçait jusqu'aux entrailles. En le retirant, on aurait dit que ce feu les emportait avec lui et me laissait tout entière embrasée d'un immense amour de Dieu. La douleur était si vive qu'elle me faisait pousser ces gémissements dont j'ai parlé. Mais la suavité causée par ce tourment incomparable est si excessive que l'âme ne peut en désirer la fin, ni se contenter de rien en dehors de Dieu. Ce n'est pas une souffrance corporelle, elle est spirituelle. Le corps cependant ne laisse pas d'y participer quelque peu, et même beaucoup. C'est un échange d'amour si suave entre Dieu et l'âme, que je supplie le Seigneur de daigner dans sa bonté en favoriser ceux qui n'ajouteraient pas foi à ma parole. Les jours que durait cette faveur, j'étais comme hors de moi (1). »

Tout d'abord, cette narration nous permet-elle de conclure à l'existence d'une blessure corporelle ?

Rappelons-nous que les anciens biographes, et surtout les théologiens mystiques de l'école thérésienne, ne sont nullement arrivés à l'inférer, au moins explicitement, du texte de la Sainte. Celui-ci n'est donc pas même fort suggestif. Mais, après coup, connaissant l'existence d'une blessure corporelle chez Thérèse, ne pourrait-on y trouver des indices manifestes de la « matérialité » de la blessure ? Je ne le crois pas.



(1)Vida, c. 29, n. 13.

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 232-233) a écrit :
Je ferais tout d'abord remarquer que, tout en parlant des blessures d'amour simplement expérimentées, c'est-à-dire, non accompagnées de vision, sainte Thérèse se sert couramment des mêmes expressions qu'elle emploie en racontant sa vision. Ainsi dans la Vie, au chapitre 29, avant de nous faire le récit de la vision, elle décrit comme suit la blessure « intérieure » : « On lui enfonce de temps en temps un dard qui pénètre au plus vif des entrailles et lui transperce le cœur (1). » Dans sa Relation au Père Alvarez (en 1576) elle répète : « C'est une sorte de blessure qui semble véritablement être faite à l'âme, comme si quelqu'un lui enfonçait une flèche au travers du cœur ou d'elle-même (2). » Enfin dans le Château : « Cette peine semble la pénétrer jusqu'aux entrailles, et quand la flèche qui l'a blessée en est retirée, il semble vraiment qu'elle les entraîne à sa suite, tant est vif le sentiment d'amour qu'elle éprouve (3). » Comme on peut s'en rendre compte en confrontant ces expressions avec celles dont Thérèse se sert dans sa narration rapportée plus haut, il n'y a rien de plus fort dans la description de la transverbération. Et, pourtant, Thérèse a déclaré explicitement que tout cela, c'est du langage imagé : « On n'arrive, dit-elle, à donner l'idée de cet état qu'en se servant de comparaisons, et celles-ci sont très grossières ; cependant je ne puis m'exprimer d'une autre manière (4). » De telles expressions ne comportent donc nécessairement rien de corporel. On ne peut rien inférer davantage des gémissements dont parle la Sainte et qui lui sont arrachés par la douleur ; car la Sainte a noté la même chose au sujet des blessures, manifestement spirituelles, dont elle parle dans sa Relation au Père Rodrigo Alvarez (5). Mais il reste un dernier détail, cette fois assez typique. Dans sa Relation au Père Rodrigue Thérèse dit : « Cette douleur n'est pas dans le sens du corps ; ce n'est pas une blessure matérielle ; on l'éprouve dans l'intérieur de l'âme (6). » Au contraire, en racontant sa vision, Thérèse affirme : « Ce n'est pas une souffrance corporelle ; elle est spirituelle. Le corps cependant ne laisse pas d'y participer quelque peu, et même beaucoup (7). » Ne peut-on rien inférer de cette dernière phrase ? Je crois qu'il serait bien hasardé en tout cas d'y voir un signe manifeste de l'existence d'une blessure corporelle, car de multiples raisons peuvent expliquer cette « participation » du corps à la souffrance de l'âme. Déjà l'état extatique entraîne souvent de par soi une sorte d'agonie pour le corps, surtout dans la période de la vie spirituelle antérieure à l'union transformante. Or Thérèse, au moment de sa vision, n'a pas encore le mariage spirituel. D'autre part, il semble bien qu'une forte activité de l'imagination, comme le comporte la vision imaginative, dès qu'elle représente une passion douloureuse du sujet, soit propre à exciter chez lui, un sentiment de douleur physique. D'ailleurs, la Sainte a noté expressément au sujet des blessures d'amour intérieures, qu'elles aussi s'accompagnent de souffrances ressenties dans le corps (8).


(1)Vida, c. 29, n. 10.
(2)Relación (2) al Padre Rodrigo Alvarez, n. 17.
(3)Moradas VI, c. 2, n. 4.
(4)Relación, n. 17.
(5)Ibid. Cf. Moradas VI, c. 11, n. 3 et Vida, c. 29, n. 12.
(6)Relación, n. 17.
(7)Vida, c. 29, n. 13.
(8)Vida, c. 20, n. 12 et n. 15 ; Moradas VI, c. 11, n. 4

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  Gabriel de Sainte Marie-Madeleine – L'École thérésienne et les Blessures d'amour mystique. (in Études Carmélitaines, octobre 1936, pp. 233-234) a écrit :
Je crois donc pouvoir conclure qu'en aucun cas la narration de la Vie ne nous oblige à poser l'existence d'une blessure physique au cœur de la Sainte depuis l'année 1559. Mais il y a plus.

Il y a aussi des motifs qui tendent à exclure l'existence d'une plaie de ce genre chez sainte Thérèse dès l'année 1559. Nous savons, en effet, que d'après l'enseignement de saint Jean de la Croix, les plaies mystiques extérieures se font plus sensibles à mesure que les blessures d'amour spirituelles se font plus profondes. Or, il est clair qu'à l'époque à laquelle appartient la vision décrite par la Sainte dans sa Vie, ch. 29, Thérèse n'était pas encore avancée très loin dans la vie unitive ; c'est dire que des grâces bien plus profondes que celles décrites alors ont dû suivre. Ainsi il est de toute évidence que l'extase douloureuse décrite dans le ch. 11 des sixièmes Demeures est une blessure d'amour plus profonde que celles rapportées dans la Vie ; et toutefois elles ne sont pas encore égalables à celle du mariage spirituel. La doctrine de saint Jean de la Croix appliquée à la vie de sainte Thérèse nous fait prévoir que, si elle souffre d'une plaie d'amour corporelle depuis 1559, cette plaie doit se rendre plus sensible plus tard (1). Or, il paraît bien que ce soit le contraire et que, plus les blessures mystiques se font profondes, leur effet sur le corps se fasse moins sentir. Déjà, parlant de la vision de 1559, la Sainte écrivait : « Ce n'est pas une souffrance corporelle ; elle est spirituelle. » Elle ajoutait pourtant : « le corps cependant ne laisse pas d'y participer quelque peu et même beaucoup. »



(1) – Nous savons que « physiologiquement » parlant, les blessures du cœur sont très peu « sensibles » ; mais une fois admis que Thérèse a « senti » en 1559 la plaie de son cœur, dès qu'on lui applique les principes formulés par saint Jean de la Croix, on voit qu'elle devait la sentir davantage quand les blessures intérieures se firent plus profondes. Du reste, si la plaie extérieure doit être une « manifestation » de la souffrance de l'âme, du point de vue mystique on ne conçoit pas qu'elle ne fasse pas souffrir celui qui la reçoit.
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