Biographies des dames Romaines

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Laetitia
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Mais autant elle était dure pour elle-même, autant elle était tendre pour les sœurs quand elles étaient malades. Saint Jérôme renonce à peindre ses bontés pour elles, son assiduité, son attention, ses soins empressés et délicats. Elle les forçait alors à prendre du vin et de la viande, bien qu'elle n'eût jamais voulu le faire elle-même. Son lit, c'étaient des cilices étendus sur la terre nue, et elle ne voulut jamais, même quand elle était malade et que la fièvre la dévorait, d'autre couche pour prendre son repos ; « si on peut appeler repos », dit saint Jérôme, « des nuits passées presque tout entières à prier ». Et dans ces prières prolongées si longtemps, ses yeux laissaient échapper des fontaines de larmes, et ces larmes, au souvenir des plus légères fautes, coulaient si abondantes, qu'on l'eût crue coupable des plus grands péchés. Saint Jérôme essayait en vain de les arrêter. « Nous lui disions souvent », écrit-il : « Mais ménagez donc vos yeux et conservez-les pour lire les saintes Écritures ». — « Ah ! que dites-vous ? » répondait-elle; « il faut défigurer ce visage, que j'ai si souvent, contrairement à la loi de Dieu, couvert de fard et de céruse. Il faut mater ce corps que j'ai nourri dans les délices. Il faut noyer ces longs rires d'autrefois dans des pleurs éternels. Il faut remplacer les linges délicats et les robes de soie par le dur cilice. J'ai trop longtemps voulu plaire au monde ; je veux maintenant plaire à Dieu ».

Il y avait encore un autre point où Jérôme essayait inutilement de modérer l'ardeur de Paule, c'était dans les pieuses prodigalités de sa charité. Après la mort de cette sainte femme, il se le reprochait ; mais alors, devant les charges considérables et chaque jour croissantes des monastères, il croyait devoir tempérer le zèle de Paule par des conseils de prudence. Non pas que Paule en manquât réellement ; au contraire, elle avait, nous dit saint Jérôme, une industrie merveilleuse à multiplier ses aumônes par son habileté à les distribuer ; mais ses ressources étaient bornées et sa charité ne l'était pas : elle ne savait ce que c'était que de s'arrêter ou de refuser une demande. La voyant donc jeter sans compter les secours en vêtements, en nourriture, en argent, aux indigents non-seulement de Bethléem, mais de toute la contrée, ouvrir son hospice à tous les pèlerins sans exception, épuiser avec ses propres ressources, tout le patrimoine même d'Eustochie, Jérôme croyait devoir intervenir, et modérer ces aumônes immesurées. Et il essayait de le faire à l'aide des paroles de l'évangile ou des apôtres.

Paule écoutait ses paroles avec respect, et cependant elle trouvait toujours une réponse, réservée et courte, mais péremptoire, à ces difficultés. « Vous craignez », lui disait-elle, « que mes ressources ne s'épuisent. Non,non, j'aurai toujours assez de crédit ; et si je demande, moi, je trouverai facilement qui me donnera. Mais ces malheureux, si je leur manque, que deviendront-ils ? » Et aux textes cités par Jérôme, elle opposait avec douceur les belles paroles des Livres saints sur l'aumône : « Comme l'eau éteint le feu, ainsi l'aumône éteint le péché. – Faites l'aumône et ce feu de la charité purifiera tous vos péchés. –Faites-vous avec l'argent d'iniquité des amis qui vous recevront un jour dans les tabernacles éternels ». Elle se plaisait à redire ces paroles, qui lui paraissaient plus claires et plus décisives que les plus beaux raisonnements. Puis, s'élevant à la hauteur des plus grandes idées chrétiennes, elle parlait avec une foi si vive et de l'amour de Dieu qui regarde comme fait à Lui-même ce qu'on fait aux pauvres, et du bonheur de ressembler, par une pauvreté réelle et un dépouillement effectif, à Jésus Christ, que saint Jérôme n'avait plus le courage d'insister, et, vaincu par l'admiration, la laissait suivre à son gré ses inspirations héroïques.
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Laetitia
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Ces travaux et ces vertus, dont nous venons d'esquisser le tableau, portaient de plus en plus la renommée des monastères de Paule dans l'Église, et attiraient de tous côtés les regards vers ces admirables fondations. De Rome, de la Gaule, de l'Espagne, de l'Afrique, de la Dalmatie et même de la Germanie, les âmes qu'avait touchées ce souffle fécond qui passait sur l'Église, et qui sentaient en elles l'inspiration de la perfection chrétienne, se tournaient vers ces monastères pour y demander des conseils ou y contempler des exemples. Paule avait cru se cacher de toute la terre à Bethléem, et elle y était vue du monde entier. Ses monastères étaient comme un phare lumineux, dont l'éclat se projetait au loin, ou comme une source abondante, ouverte à tous, de doctrine et de grande vie chrétienne. L'hospice de Paule ne suffisait pas à contenir la foule des visiteurs qui de toutes parts y affluaient, et qui s'en allaient ensuite, ravis, raconter dans leur patrie ce qu'ils avaient vu et admiré. « Quelle région n'envoie ici ses pèlerins ? » disait Jérôme; « mais qui d'entre eux ne s'en va racontant que ce qui l'a frappé le plus dans ces saints lieux, c'est Paule ? Comme dans un joyau il y a toujours un riche diamant qui éclipse de ses feux les autres pierreries, ou comme au ciel l'astre brillant du jour fait pâlir devant ses clartés toutes les étoiles, ainsi Paule nous éclipse ici tous tant que nous sommes, du sein de son humilité. Elle s'est faite la plus petite; mais c'est ce qui la rend la plus grande. Plus elle s'abaisse aux Pieds du Christ, plus le Christ prend soin de l'exalter. Elle se cache, elle se dérobe; mais sa vertu rayonne au loin et la trahit. Ainsi, même cette gloire humaine qu'elle a fuie, en la fuyant elle l'a trouvée, parce que cette gloire, après tout, suit la vertu, comme l'ombre suit la lumière ».

Paule, au plus fort des chaleurs de juillet, tomba dans une maladie très grave, qui jeta dans les plus vives inquiétudes les deux monastères. Cette maladie révéla d'une manière éclatante, par un trait qui ne se comprend que dans une vie tout entière héroïque, à quel degré cette sainte femme avait contracté l'amour du sacrifice et de l'immolation. Une fièvre affreuse la brûlait, et de plus les médecins redoutaient une hydropisie. Dans ce péril, ils crurent nécessaire qu'elle adoucît un peu ses mortifications ordinaires, et qu'en particulier, et à cause de la nature de la maladie, elle s'abstînt de boire de l'eau, et consentît désormais à faire usage d'un peu de vin. Jérôme lui fit connaître cette ordonnance des médecins; mais, malgré la solidité des raisons qu'on lui donnait, Paule ne voulut pas se résoudre à se relâcher sur ce point de ses habituelles austérités. Jérôme crut que peut-être saint Épiphane aurait plus de crédit sur la malade, et il l'engagea à faire une tentative auprès d'elle pour la décider. Épiphane y consentit, et, introduit dans la cellule de Paule, après lui avoir parlé de diverses choses, il se mit à la presser sur ce point. Paule recueillait avec vénération toutes ses paroles; mais quand il en fut venu là, comprenant la ruse de Jérôme, la malade répondit au saint évêque en souriant : « Oh pour cela, ce n'est pas vous qui me le dites; je sais bien qui vous l'a soufflé ». Et quand Épiphane revint au monastère de Jérôme : « Eh bien ! » lui dit celui-ci, « avez-vous réussi ? » « Réussi ? » répondit Épiphane; « bien au contraire, elle a presque persuadé à un vieillard comme moi de ne plus jamais goûter de vin ».
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Laetitia
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Le silence et la paix des monastères de Paule furent bientôt troublés par l'apparition de l'origénisme que soutenait l'évêque de Jérusalem; Paule souffrit sans murmure les rigueurs déployées contre ses monastères par cet évêque hérétique, attendant le jour où les injustices des hommes feraient place a la Justice de Dieu; et, bien que son goût l'y eût porté, sa haute raison lui faisait fuir absolument toute controverse dogmatique. Plus il se faisait de bruit autour d'elle, plus elle se renfermait dans la prière et les larmes, et la douce méditation des saintes Écritures, fermant l'oreille aux vaines disputes, laissant lutter pour la doctrine ceux dont c'était le devoir de lutter, ..., restant sur le Thabor serein de sa foi, le regard vers le ciel, et les nuages sous ses pieds. Jérôme, d'ailleurs, lui avait tracé une règle de conduite bien simple, et en même temps bien protectrice; c'était de se tenir invariablement, dans toutes ces controverses, à l'ancre de la foi, et de laisser les flots de la polémique s'agiter autour d'elle, sans se troubler de leur tumulte. L'hérésie ne la laissa pas dans cette paix : une conquête comme la sienne eût été un trop grand triomphe pour qu'on ne l'essayât pas; mais n'ayant pu entamer Paule dans sa foi, elle s'en vengea en se déchaînant contre elle. Sa grande vertu, d'ailleurs, offusquait trop pour être épargnée.

Élevée à des hauteurs où la pauvre humanité ne monte guère, il était bon, selon l'expression même de saint Jérôme, que l'épreuve vînt la rappeler à sa condition mortelle. Tantôt l'envie l'attaquait directement; ses moindres actions, ses moindres paroles étaient dénigrées et tournées en ridicule. Tantôt on l'enveloppait dans les attaques dont Jérôme était l'objet. On allait plus loin encore : on tournait contre elle ses vertus mêmes, sa mortification, ses charités.

Rien ne montra mieux que ces épreuves tout le travail que la Grâce avait fait dans cette âme : la solidité, la sincérité de sa vertu; sa sérénité inaltérable, sa douceur céleste, son entière possession d'elle-même, l'anéantissement dans son cœur de tout le vieil orgueil romain et patricien; son incomparable humilité, sa patience infinie, et surtout la foi, qui était la racine en elle de toutes ces vertus, et qui l'élevait et la fixait dans ces régions supérieures et tranquilles où les nuages ne montent pas, et où, à la Lumière de Dieu, toutes les choses de cette terre disparaissent dans leur petitesse. Aussi l'envie se déchaînait en vain au dehors; rien ne troublait au dedans son recueillement, son silence, et sa profonde paix en Dieu. Jamais un mot, un signe même qui indiquât la moindre émotion : cette nature si vive semblait avoir perdu jusqu'à cette sensibilité qui laisse encore tant souffrir les âmes les plus détachées, les esprits les plus fermes et les mieux faits pour juger à leur juste valeur l'inanité réelle des choses qui nous froissent tant dans la vie. Sa méditation assidue des saints Livres portait ces fruits merveilleux. L'Écriture, c'était là, nous dit saint Jérôme, qu'elle puisait sa lumière, sa consolation et sa force. C'était là l'armure toujours prête qui la couvrait et la protégeait. Tandis que le vieux solitaire bondissait comme un lion blessé sous les attaques de la calomnie, et tour à tour s'indignait ou gémissait, et quelquefois même sentait fléchir sa constance et son courage, Paule, toujours calme et paisible, le contenait, ou le consolait, en approchant de ses lèvres le miel des saintes Écritures, dont la douceur remplissait son âme.
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Laetitia
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Il arrivait quelquefois qu'on portait l'insolence jusqu'à lui jeter l'insulte en face. Sans répondre une seule parole, Paule se contentait de chanter dans son âme avec le Psalmiste : « Quand le pécheur s'est dressé contre moi, je me suis tu ; j'ai retenu sur mes lèvres toute réponse ». Un jour, quelqu'un vint lui dire directement que l'excès de ses vertus la faisait passer pour folle, et qu'on disait à Jérusalem que son cerveau avait besoin d'être traité ; Jérôme s'indigna contre l'insolent ; mais Paule se contenta de répondre avec son habituelle douceur : « Oui, nous sommes fous pour Jésus Christ ; mais cette folie-là est plus sage que la sagesse des hommes ». Et elle ajouta en s'adressant à Jérôme : « Est-ce que dans le psaume le Sauveur ne dit pas à son Père : « Tu connais ma folie ? » Et ne lisons-nous pas dans l'évangile que ses proches ont voulu Le lier comme un insensé ? Les Juifs ne L'appelaient-ils pas aussi un Samaritain, un possédé du démon ? Devons-nous être mieux traités que Lui ? Ne nous a-t-Il pas dit que le monde nous hait, parce que nous ne sommes pas du monde ? » Et puis, tournant toute son âme vers Dieu : « O mon Dieu », s'écria-t-elle, « Vous connaissez, Vous les secrets du cœur. C'est pour Vous que nous sommes mortifiés tout le jour, et regardés comme des brebis destinées à la boucherie. Mais Vous êtes, Seigneur, notre Secours, et je ne crains point ce que l'homme peut me faire ». C'est ainsi que l'Écriture sainte lui fournissait une réponse à tout, et que l'épreuve faisait jaillir de son cœur tous les trésors d'humilité, de douceur et de force, de grande foi et de sainte espérance que son austère et studieuse vie, que ses mortifications et ses larmes y avaient silencieusement amassés.

La persécution exercée contre les monastères de Paule et contre Jérôme continuait. L'évêque de Jérusalem ayant obtenu du gouverneur un décret de bannissement contre les moines, Jérôme se redressa à ce coup dans toute son indignation. « Quoi ! » s'écria-t-il à cette nouvelle, « un évêque qui a été moine menace et frappe de l'exil des moines ! Il ne sait donc pas que cette race-là n'a pas coutume de céder à la peur, et que, quand on lui présente le glaive, au lieu de l'écarter avec la main, elle tend la tête ? Mais pour un moine, qui n'a d'autre patrie que le ciel, le monde entier n'est-il pas un lieu d'exil ? Non, pas n'est besoin de dépenses, de rescrit impérial, et de courses aux extrémités de la terre. Qu'il nous touche du bout du doigt, et nous partirons. Au Seigneur appartient la terre et tout ce qu'elle renferme. Le Christ n'est prisonnier dans aucun lieu ». Aussi, fatigué de ces luttes, il voulait partir tout de suite, sans attendre l'exécution du rescrit. Il vint donc, dans cette pensée, trouver Paule, et il y eut entre elle et lui une scène touchante.

« Partons », disait Jérôme, « et laissons triompher la folle envie. Jacob a fui Ésaü, et David Saül ».
Paule n'avait certes pas moins que Jérôme ce détachement supérieur, indépendant des choses et des lieux et de tout lien terrestre : mais plus douce et par conséquent plus forte envers l'épreuve, sachant qu'on la fuit en vain, et qu'elle nous atteint partout, retenue d'ailleurs par son invincible amour des lieux saints, et ne pouvant consentir à se séparer volontairement de sa chère Bethléem, elle lui fit cette belle réponse :
« Oui, vous auriez raison, et nous ferions bien de fuir, si le démon ne combattait en tout lieu contre les serviteurs de Dieu, et ne devait pas nous précéder là où nous irions; si je n'avais pas de plus ce cher lien des Lieux saints, et si je pouvais espérer de trouver quelque part une autre Bethléem ». Elle ajouta ensuite avec son habituelle douceur : « On nous déteste, on nous écrase; pourquoi ne pas opposer simplement à la haine la patience, à l'arrogance l'humilité ? On nous donne des soufflets; pourquoi ne pas tendre l'autre joue ? »

Puis, cherchant comme toujours sa lumière et sa force dans les saintes Écritures, elle poursuivit ainsi, dit Jérôme : « L'apôtre saint Paul n'a-t-il pas écrit : Triomphez du mal par le bien ? Les apôtres n'étaient-ils pas heureux de souffrir l'ignominie pour le Nom de Jésus ? Et le Sauveur Lui-même, est-ce qu'Il n'a pas tout enduré jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix ? Si Job n'eût pas combattu et triomphé, il n'eût pas reçu la couronne de justice, et il n'aurait pas entendu de la Bouche même du Seigneur cette parole : Penses-tu que Je t'aie éprouvé pour autre chose que pour faire éclater ta vertu ? Aussi l'évangile proclame heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ». Et enfin, se réfugiant dans l'inexpugnable asile de sa conscience : « Quand la conscience nous dit que nos souffrances ne sont pas les suites de nos péchés, nous sommes bien sûrs que les afflictions de ce siècle ne sont que la matière des éternelles récompenses ».

Ainsi Paule soutenait et calmait l'impétueux Jérôme. La délicatesse et la sérénité de cette belle âme élevée à ces hauteurs de la Lumière et de l'Amour de Dieu où n'atteignent pas les orages de ce monde, adoucissaient, comme par un charme pénétrant, les mouvements de ce cœur ulcéré plus encore des peines qu'il attirait à Paule que de ce qu'il souffrait lui-même.
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Laetitia
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Sur ces entrefaites, une rumeur sinistre, qui parcourut l'Orient avec la rapidité de l'éclair, vint jeter l'épouvante parmi les solitaires. On disait que les Huns avaient inondé l'Orient, et menaçaient Jérusalem. L'Arabie, la Phénicie, la Palestine et l'Égypte étaient saisies de terreur. De tous côtés on faisait à la hâte des préparatifs de défense ; Tyr coupait son isthme et s'isolait du continent; Jérusalem réparait ses murs, trop négligés pendant une longue paix.

Dans ce péril, Paule, pour soustraire ses monastères aux insultes des barbares, n'avait qu'un parti à prendre, la fuite. Elle se décida donc, non sans un grand déchirement de cœur, à quitter Bethléem, et se retira, emmenant ses vierges, et Jérôme ses moines, sur les bords de la mer, à Joppé, prête à s'embarquer dès que les barbares apparaîtraient. Un certain temps se passa dans ces alarmes. Mais, les Huns ayant tout à coup rebroussé chemin sans avoir franchi le Liban, Paule ramena ses filles dans son monastère avec une joie égale à ses terreurs passées.

S'il est vrai, qu'il n'y a pas d'amour sans douleur, et que rien n'assimile à Jésus Christ, et n'achève et ne consomme la vertu comme la souffrance, on comprend que Dieu se plaise à faire passer les âmes d'élite par cette voie royale, et que ce soit là comme une loi de la haute sainteté. D'ailleurs, toute âme étant ici-bas tôt ou tard touchée par cette mystérieuse puissance, il est bon que les âmes destinées à servir de modèles aux autres passent les premières par ce feu, qui tout à la fois les éprouve et les épure.

Mais il n'y a pas seulement le sang des veines, et le martyre corporel; il y a aussi le sang de l'âme, et les tortures du martyre intérieur. Or, ce dernier martyre surtout, Paule une des premières en présente dans l'histoire de la sainteté le phénomène, et en fraye la route à tant de saintes qui depuis devaient le connaître à leur tour, et à qui elle apparaissait, dans la nuit de leurs épreuves, resplendissante de cette lumière. C'est au milieu des épreuves que se déployait, sous toutes ses formes, le grand don qui est le trait saillant de cette âme : la force, la force dans la tendresse; de là ces résignations sous les coups de la Main divine, d'autant plus admirables qu'elles luttaient contre une sensibilité plus vive. Des deuils répétés vinrent coup sur coup froisser son cœur, et faire de plus en plus descendre sur sa vie ces grandes ombres qui annoncent l'approche de la nuit suprême. Après la mort de sa fille Pauline, celle de son fils unique Toxoce fut le coup suprême de ses douleurs.

À toutes ces peines de cœur se joignaient les infirmités contractées à la suite des austérités; elles n'eurent dans les dernières années presque plus d'intermittence : ces épreuves, en ouvrant pour ainsi dire son âme, laissaient apercevoir les trésors de vertus qu'elle y tenait renfermés, et amenaient à ses lèvres de sublimes paroles. Dans les souffrances corporelles, on l'entendait dire, avec une foi courageuse et une patience héroïque : « Quand je suis faible, c'est alors que je suis forte »; et encore : « II faut bien se résigner à porter notre trésor dans des vases fragiles, jusqu'au jour où ce misérable corps mortel sera revêtu d'immortalité ».

Elle aimait à répéter aussi, et trouvait une divine consolation dans ces paroles : « Si les Souffrances du Christ abondent en nous, ses Consolations abondent aussi. Compagnons de sa passion, nous le serons de sa gloire ». Elle s'élevait en même temps, par toutes ces souffrances, à un détachement plus grand que jamais. Depuis bien des années elle avait jugé la vie à sa juste valeur; mais à mesure que le terme approchait, que ce monde allait disparaître, que les tristesses des hommes et des choses se multipliaient autour d'elle, tout se décolorait encore plus à ses yeux, et elle gémissait d'être toujours dans ces bas lieux, où la lumière ressemble aux ténèbres.Le désir de la patrie céleste croissait en elle dans la même proportion. Elle s'était toujours regardée comme une étrangère ici-bas, et s'était toujours plu à redire ce mot des patriarches dont elle habitait la patrie : « Nous ne sommes que des voyageurs sur la terre ».

Elle répétait à la fin de sa vie avec un sentiment plus profond encore ces paroles, et on l'entendait sans cesse s'écrier, avec des larmes dans la voix : « Hélas ! hélas ! que mon exil se prolonge donc ! Au milieu des habitants de Cédar, mon âme est trop étrangère ! » Elle disait encore, et sans cesse : « Je voudrais voir se dissoudre cette poussière de mon corps, et demeurer avec le Christ ». Et quand les souffrances, qu'elle supportait avec une patience admirable, lui faisaient sentir plus vivement leur aiguillon : « Ah ! » disait-elle, « qui me donnera les ailes de la colombe ? et j'irai, je volerai dans le lieu de l'éternel repos ».
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Laetitia
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Ce fut vers la fin de l'année 403 que Paule sentit l'atteinte de la maladie qui fut pour elle la dernière. Quand on eut reconnu l'imminence du danger, tout, dans le monastère, fut consterné. Eustochie surtout était inconsolable. Son amour pour sa mère, qui avait toujours été si touchant, montra dans ses derniers moments toute l'ardeur et toute l'énergie que ce cœur contenait. Elle ne voulait céder à personne la douceur de la soigner, et elle touchait tout le monde jusqu'aux larmes par ses soins dévoués et les délicates attentions de sa piété filiale.

Elle était là, nuit et jour, au chevet de la malade, lui présentait sa nourriture, faisait son lit, lui rendait enfin tous les offices d'une infirmière, désolée quand une autre main que la sienne l'avait servie. On la voyait courir éperdue du lit de sa mère à la Crèche, et là, pleurant et sanglotant, demander au Seigneur, de toute l'ardeur de son âme, de ne pas la priver d'une telle compagnie, ou du moins de ne pas la laisser vivre après sa mère, et de permettre qu'on les mît toutes deux dans le même tombeau. Mais ces larmes et ces prières ne pouvaient retarder le moment marqué par Dieu.

« Paule », dit saint Jérôme, « avait, comme parle l'Apôtre, fourni sa carrière et gardé à Dieu sa foi; l'heure allait sonner pour elle de recevoir la couronne, et de suivre l'Agneau partout où Il va. Elle avait eu la faim sacrée de la justice, elle allait être rassasiée, et déjà, joyeuse, elle pouvait chanter : Tout ce que nous avons entendu de la cité du Dieu des vertus, nous allons le voir maintenant. Elle avait assez pleuré; le moment de l'éternelle joie était venu. Elle avait assez porté le cilice ; il était temps de revêtir la robe de gloire et de s'écrier : Vous avez déchiré le sac de ma pénitence, et Vous m'avez revêtue d'allégresse. Elle avait assez mangé son pain comme la cendre, et mêlé sa boisson de ses larmes ; il était temps d'aller se nourrir dans l'éternité du Pain des anges, et de redire à jamais ces paroles : Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux ».

Les forces de la malade étaient consumées, et elle n'avait plus que quelques jours à vivre. Elle souffrait avec une patience admirable et une céleste sérénité. Cependant le mal faisait des progrès effrayants. Déjà la mort avait glacé les extrémités et une partie des membres ; seul, un léger battement de son cœur indiquait que Paule respirait encore, mais elle ne respirait que pour Dieu, et on l'entendait murmurer faiblement des versets de ses psaumes favoris : « Seigneur, j'ai chéri la beauté de votre Maison et le lieu où habite votre Gloire. Qu'ils sont aimés, vos tabernacles, ô Dieu des vertus ! J'ai choisi d'être petite dans la Maison de mon Dieu, plutôt que d'habiter sous les tentes des pécheurs ».

L'évêque de Jérusalem et tous les évêques de la Palestine, ainsi qu'un grand nombre de prêtres, de moines et de vierges, étaient accourus pour assister au spectacle de cette sainte mort. Le monastère en était rempli. Paule, tout absorbée en Dieu, n'entendait, ne voyait rien autour d'elle ; on s'apercevait seulement, au léger frémissement de ses lèvres, qu'elle continuait à s'entretenir doucement avec Dieu. On lui fit quelques questions ; elle ne répondit pas.

Jérôme alors, s'approchant d'elle, lui demanda pourquoi elle se taisait et si elle avait quelque peine. Elle lui répondit en langue grecque : « Oh non, ni peine ni regret. Je sens, au contraire, une paix immense ». Après ces paroles, elle demeura de nouveau dans son silence. Son doigt, qu'elle tenait constamment sur ses lèvres, ne cessait d'y tracer le signe de la croix. Enfin l'agonie commença, la respiration devint âpre et pénible, et tout à coup on la vit ouvrir les yeux ; du milieu des ombres de la mort une clarté soudaine, dernier reflet de l'âme sur ce corps qu'elle allait quitter, brilla sur son visage, et son regard parut se fixer comme sur une apparition céleste : c'en était une en effet. On comprit à sa réponse que notre Seigneur l'appelait à Lui car on l'entendit s'écrier toute joyeuse : « Les fleurs se sont montrées sur notre terre, le temps de les cueillir est venu »; et encore : « J e crois voir les Biens du Seigneur dans la terre des vivants ». Elle expira avec ces paroles. C'était le 26 janvier de l'an 404, sous le sixième consulat de l'empereur Honorius. Paule avait vécu cinquante-six ans, huit mois et vingt et un jours, dont cinq ans à Rome après son veuvage, dans la sainte profession de la vie religieuse, et vingt à Bethléem, près de la crèche où naquit le Fils de Dieu.
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Eustochie était inconsolable de la mort de sa mère ; à la douleur qu'elle ressentait venaient s'ajouter pour la timide vierge deux grandes inquiétudes, dont son humilité s'alarmait outre mesure, à savoir le gouvernement spirituel de sa communauté, préoccupation qu'elle n'avait jamais eue tant que vivait Paule ; et la charge de ces deux monastères dont elle devenait la seule ressource, et qu'elle devait soutenir.

Après avoir gouverné saintement son monastère, Eustochie s'endormit doucement dans le Seigneur, en 419, et fut ensevelie, selon son désir, dans le tombeau de sa mère : si constamment et si tendrement unies dans la vie, elles devaient l'être aussi dans la mort.

L'Église célèbre sa fête le 26 septembre.

Les obsèques de Paule furent triomphales. Avant de la descendre dans son tombeau, on la transporta du monastère dans l'église de la Crèche, pour y être exposée, le visage découvert, à la vénération des fidèles. Les évêques tinrent à honneur de porter son corps. Une foule immense était accourue de toutes les villes de la Palestine ; les moines et les vierges s'étaient empressés de quitter leurs déserts et leurs retraites ; mais la pompe la plus belle et la plus royale était le cortège des indigents qui pleuraient leur nourricière et leur mère.

La sainte resta exposée pendant trois jours dans l'église, sans que la mort ait fait aucun changement dans ses traits. On déposa ensuite son corps dans l'église, dans une grotte attenante à cette sainte grotte de la Crèche qu'elle avait tant aimée, là où son tombeau se voit encore aujourd'hui.

Saint Jérôme grava sur son sépulcre l'inscription suivante : « La fille des Scipions, des Pauls, des Gracques, l'illustre sang d'Agamemnon, repose en ce lieu. Elle porta le nom de Paule. Elle fut mère d'Eustochie. La première dans le sénat des matrones romaines, aux splendeurs de Rome elle préféra la pauvreté du Christ et les humbles champs de Bethléem. »

Il grava aussi à l'entrée de la grotte sépulcrale, sur le rocher, cette épitaphe qui reproduisait en d'autres termes le même contraste, et de plus en montrait la source sublime : « Vois-tu cette grotte creusée dans le rocher ? C'est la tombe de Paule, habitante du royaume céleste. Son frère, ses proches, Rome, sa patrie, ses richesses, ses enfants, elle a tout laissé pour la grotte de Bethléem : elle y est ensevelie. C'est là aussi, ô Christ, qu'est votre Crèche, et que vinrent les mages Vous offrir leurs mystiques présents, ô Homme-Dieu »
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Peinture de la chapelle de la Nativité (1833)


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Plan de la Basilique de Bethléem, 1881.


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Plan des souterrains de la Basilique de Bethléem, 1881.

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