Nevers
Bernadette et Mère Marie Thérèse Vauzou.
Nevers, sur la rive droite de la Loire : petite ville solitaire, au calme poignant.
Des arbres sur un coteau, de vastes maisons, une chapelle – c’est le couvent de Saint-Gildard, maison mère des « Sœurs de la Charité et de l’Instruction Chrétienne ».
Le samedi 7 juillet 1866, à 10 heures du soir, Bernadette arrive à Saint-Gildard, accompagnée de la Supérieure de l’hospice de Lourdes, où elle a passé ses dernières années.
Lorsque la porte du couvent s’ouvre devant elle, elle entrevoit, à la lueur d’une lampe, le cloître dont l’infini se perd dans les ténèbres, et son cœur se serre.
Mère Marie-Thérèse Vauzou, Maîtresse des novices, avait dit : « Le jour où je verrai les yeux qui ont vu la Sainte Vierge sera le plus beau jour de ma vie ! ». Mais celle qu’on appelait la « privilégiée de Marie », Mère Maîtresse en discuta avec la Supérieure générale, Mère Joséphine Imbert : situation délicate, et même périlleuse, que celle de diriger une âme qui a reçu des grâces surnaturelles, une jeune fille qui a ameuté déjà des foules de dix, vingt mille personnes… L’exemple de Mélanie, la voyante de la Salette, incitait à la prudence. Il fut décidé de traiter Bernadette sans ménagements.
En fait, le devoir de Mère Maîtresse était de guider Bernadette vers la sainteté : elle s’y emploierait. Mais quelque chose en elle la poussait, inconsciemment, à tenir l’ancienne bergère « à sa place », c’est-à-dire bien lui faire entendre qu’elle n’avait ni naissance, ni connaissance, ni éducation, pas même d’orthographe.
Dans le temps où vécut Bernadette, les riches ne côtoyaient pas les pauvres, pas même à l’église. On achetait le ciel pour quelques sous en faisant la charité, mais on n’effleurait que du bout des doigts ceux qui la recevaient. Et tout geste de justice des possédants envers le miséreux se flattait d’être charité : on s’en adjugeait du mérite en plus.
Il fut décidé que, pour contenter la curiosité – pieuse – de la communauté, je ferais le récit des Apparitions dans la grande salle des Novices. Encore ! Pourtant, j’étais ici pour me cacher. Mère Maîtresse choisit mon nom : Sœur Marie-Bernard et l’aumônier, le Père Douce, me donna la consigne d’être une religieuse ordinaire.
Bernadette sera, en fait, une religieuse extraordinaire, simple, humble, soumise, humiliée injustement ; elle gardera toujours son âme d’enfant. Sa vie se passera dans la souffrance continuelle.
Un jour, pendant une récréation, chacune des Sœurs s’efforçait de se convaincre elle-même qu’elle avait horreur de l’amour-propre. Bernadette, seule, se taisait.. Mais elle traça avec une brindille un cercle dans le sable du jardin, mit l’index au milieu et dit : « que celle qui n’a pas d’amour-propre mette son doigt là ! »
L’évêque de X… avait tant insisté pour la voir qu’il fallu bien l’amener à l’infirmerie. Est-ce par mégarde? Le fait est que la calotte du prélat tomba sur le lit de Bernadette.
- Ma Sœur, voulez-vous me rendre ma calotte? Avec sa brusquerie paysanne, elle répliqua :
- Monseigneur, je ne vous l’ai pas demandée, votre calotte ! Vous pouvez la reprendre vous-même !
La communauté pouffa d’un rire scandalisé.
A une sœur qui marchait les yeux fermés et qui avait failli tomber, Bernadette répliqua : « Pourquoi fermer les yeux quand il faut les avoir ouverts ? Vous avez manqué tomber… »
Le 29 juillet, soit trois semaines après son arrivée à Nevers, ont lieu son entrée au noviciat et la cérémonie de sa prise d’habit.
Mais les crises d’asthme ont recommencé. Bernadette est obligée d’aller à l’infirmerie. Des quintes de toux lui déchirent la poitrine, épouvantent la petite novice qui la soigne.
Bernadette est souvent obligée de passer des nuits entières assise sur le bord de son lit, les pieds sur une chaise, tant sa respiration est difficile. Elle a des vomissements de sang. La petite novice lui demande si elle souffre beaucoup, ce à quoi Bernadette se contente de répondre : il le faut.
Son état s’aggrave. Des cierges brûlent continuellement durant plusieurs jours, devant la Vierge du Noviciat. Le 25 octobre, Sœur Marie-Bernard est en danger de mort. Ne voulant pas qu’elle quitte la terre sans avoir fait partie de la Congrégation, la Supérieure générale obtient de l’évêque une dispense : Bernadette fera sa profession in extremis avant l’expiration de son noviciat.
Mgr Forcade nous raconte en détails, les circonstances de ces évènements. Le jeudi 25 octobre 1866 entre neuf et dix heures du soir, il se rend à Saint Gildard et trouve Bernadette haletante. Il prononce lui-même la formule des vœux, à laquelle la malade répond : « Ainsi-soit-il » Il ne pense plus la revoir en ce monde.
Le soir même je me sentis mieux, Mère Générale veillait anxieuse à mon chevet ; quand je lui dis que je ne mourrais pas cette nuit, j’ai crue que l’infirmerie allait s’écrouler, quand notre Mère me dit d’un ton sévère : « Comment, vous saviez que vous ne deviez pas mourir cette nuit, et vous ne l’avez pas dit, et vous êtes ainsi cause qu’on a fait venir Monseigneur à une heure indue ?… Vous n’êtes qu’une petite sotte. Je vous déclare que si vous n’êtres pas morte demain matin, je vous enlève votre voile de professe qu’on vient de vous donner, et je vous retourne au noviciat avec votre voile de simple novice »
Bernadette se souvient constamment de ce que la Dame lui a dit : priez pour la conversion des pécheurs, elle multiplie les actes d’humilité, les gestes de pénitence. Retenue au chevet d’une sœur malade, elle arrive en retard à une réunion. Elle s’agenouille au milieu du Noviciat et reçoit la réprimande sévère de la Mère Marie-Thérèse, sans même chercher à faire valoir son excuse. Et de tous côtés viennent les admonestations.
Sa recommandation favorite est que l’on prie pour elle après la mort.
Je craignais tellement que l’on dise : Sœur Marie Bernard était une saintoune et qu’on me laisse griller en purgatoire
En mai 1867 arrive à Nevers une sœur Bernard qui veut d’abord « voir Bernadette ». Au bout de trois jours, ne l’ayant pu découvrir, elle se plaint à une Mère. Celle-ci, désignant la toute petite sœur Marie–Bernard, qui, par hasard, est près de là, lui dit : « Bernadette ? Mais la voici ! » Déçue la questionneuse laisse échapper un mot malheureux qui deviendra célèbre : « ça ! » Bernadette sourit, tend la main : « Mais oui, Mademoiselle, ce n’est que ça »
Tous les yeux sont tournés vers Bernadette, ce qui n’échappe pas à ses supérieures. Alors les humiliations pleuvent à nouveau, les réprimandes, les duretés.
Un jour que Bernadette est souffrante, haletante ; hors de souffle, l’une de ses Supérieures vient la trouver à l’infirmerie : « Vous faites donc, une fois de plus la paresseuse ? » Traversant la salle du Noviciat avec une compagne elle sont interpellées par la Mère Générale : « Que ferai-je de ces deux nullités ? » Et Bernadette s’incline en silence.
Mgr Forcade lui-même, voyant « un très haut prélat tombé comme en extase devant elle », dit brusquement à la petite Sœur Marie-Bernard d’un ton sec : « Eh bien, qu’attendez-vous encore ? On vous a vue. Cela suffit. On n’a plus besoin de vous ! »
Ma seconde profession eut lieu le mercredi 30 octobre 1867. La très sainte Vierge me demanda à cette occasion, d’accepter une humiliation. Oh! il faut beaucoup d’humiliations dans une vie pour faire un peu d’humilité
Il va falloir donner un emploi à Bernadette, sans la tirer de la Maison-Mère où cependant elle ne peut être retenue que par privilège. Mère Joséphine Imbert fera de ce privilège une humiliation.
Toutes sont appelées, Bernadette exceptée.
L’évêque en demande la raison. La supérieure rétorque qu’il est impossible de lui donner une obédience, puisque c’est une sotte, une bonne à rien.
-- Vous n’êtes donc bonne à rien ?
-- La Mère Générale ne se trompe pas ; c’est bien vrai.
-- Mais alors, ma pauvre enfant, qu’allons-nous faire de vous et à quoi bon votre entrée dans la Congrégation ? -
- C’est justement ce que je vous ai dit à Lourdes, Monseigneur, et vous m’avez répondu que cela ne faisait rien.
La Mère Joséphine intervint alors :
-- Si vous le voulez bien, Monseigneur, nous pourrions la garder, par charité, à la Maison-Mère, et l’employer de quelque manière à l’infirmerie. Comme elle est presque toujours malade, ce sera précisément son affaire... faire la tisane, s’il y a moyen de lui apprendre.
Mgr approuve et la jeune religieuse reçoit sa bénédiction. Bernadette a ressenti vivement cette humiliation reçue en public, et dans des circonstances qui devaient être joyeuses. Elle en fera confidence plus tard.
Les emplois de Bernadette seront variés… aide-infirmière, infirmière en chef, pharmacienne, sacristine…
Mais l’emploi suprême que le ciel lui avait destiné de toute éternité était celui d’être malade : cet office , elle le remplira dans les moindres de détails, avec amour et abnégation… jusqu’à devenir elle-même un crucifix vivant.
Rhumatismes aigus, maux de dents, vomissements ou crachements de sang, palpitations du cœur, oppressions épouvantables, abcès et tumeurs, caries osseuses, crises d’asthme terrifiantes; elle ne peut plus rester étendue.
On l’installe dans un fauteuil, et parfois on doit la porter jusqu’à la croisée pour la faire respirer, car elle étouffe… Alors elle crie : Ouvrez-moi la poitrine…
Ce n’est pas un sacrifice de quitter une terre où l’on éprouve tant de peine à servir Dieu !
Le 11 décembre 1879, elle s’alite pour une agonie qui allait durer 4 mois.
Dans sa dernière maladie, littéralement clouée sur son lit, devenue une croix angoissante, elle se contraint à l’immobilité, en disant :
« Est-ce qu’il pouvait bouger, Lui, sur la Croix ! »
Mourante, on l’assaille de questions sur les Apparitions ; excédée, elle rétorque :
« Est-ce que je peux me rappeler tout cela ? S’ils veulent le savoir, qu’ils La fassent revenir ! »
Bientôt, son corps ne fut plus qu’une plaie à vif, et il fallait enlever les rideaux de son lit pour laisser l’air circuler autour d’elle.
Jamais elle ne se plaint, mais sa pauvre poitrine ne laisse passer qu’un souffle haletant, saccadé, plus pénible à entendre que des gémissements. Le corps à la torture, mais l’âme radieuse, elle prie sans cesse.
Auprès du lit de mort de Bernadette, il est permis d’écouter le silence : le silence que rythme sa respiration sifflante et saccadée.
Au seuil de l’éternité, la nature regimbe, une sueur d’angoisse mouille sa chemise. Elle tend vers Sœur Nathalie ses bras tremblants :
« J’ai peur ». Les larmes de Bernadette coulent lentes, lourdes…
« pour la misère de père et mère, la ruine du moulin, le madrier de malheur, le vin de lassitude, les brebis galeuses, merci mon Dieu !
Bouche de trop à nourrir que j’étais, pour les enfants mouchés, les brebis gardées, merci !
Merci, mon Dieu, pour le procureur, le commissaire, les gendarmes, et les mots durs de l’abbé Peyramale !
Pour les jours où vous êtes venue, Notre-Dame Marie, pour ceux où je vous ai attendue, je ne saurais vous rendre grâce qu’en Paradis !
Mais pour la gifle de Mlle Pailhasson, les railleries, les outrages, pour ceux qui m’ont crue folle, pour ceux qui m’ont crue menteuse, pour ceux qui m’ont crue avide, merci Dame Marie !
Pour l’orthographe que je n’ai jamais sue, la mémoire des livres que je n’ai jamais eue, pour mon ignorance et ma sottise, merci !
Merci! Merci ! Car s’il y avait eu sur terre fille plus ignorante et plus sotte, c’est elle que vous auriez choisie…
Pour ma mère morte au loin, pour la peine que j’ai eue quand mon père au lieu de tendre les bras à sa petite Bernadette m’appela « Sœur Marie Bernard », merci Jésus !
Merci d’avoir abreuvé d’amertume ce cœur trop tendre que vous m’avez donné !
Pour Mère Joséphine qui m’a proclamé bonne à rien, merci !
Pour Mère Maîtresse, sa voix dure, sa sévérité, ses moqueries, et le pain d’humiliation, merci !
Merci d’avoir été celle à qui Mère Marie-Thérèse pouvait dire : « Vous n’en faites jamais d’autres ! »
Merci d’avoir été cette privilégiée des semonces dont mes Sœurs disaient : « Quelle chance de n’être pas Bernadette ! »
Merci pourtant d’avoir été Bernadette, menacée de prison parce qu’elle vous avait vue, regardée par les foules comme une bête curieuse, cette Bernadette si ordinaire qu’en la voyant on disait : « C’est ça » !
Pour ce corps piteux que vous m’avez donné, cette maladie de feu et de fumée, ma chair pourrie, mes os cariés, mes sueurs, ma fièvre, mes douleurs sourdes ou aiguës, merci mon Dieu !
Et pour cette âme que vous m’avez donnée, pour le désert des sécheresses intérieures, pour votre nuit et vos éclairs, vos silences et vos foudres, pour tout, pour vous absent ou présent, merci Jésus ! »
Mercredi 16 avril 1879, ses Sœurs dirent la prière des agonisants. Trois fois, comme surprise, elle dit : « OH ! », en frémissant de tout son corps ; « Mon Dieu, je vous aime de toute mon âme…» : mystérieux dialogue, dont on entendait qu’une voix.
Vers les trois heures et quart, comme ses Sœurs murmuraient le « Je vous salue Marie », elle répondit : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi …pauvre pécheresse… pauvre pécheresse… pauvre pécheresse »
C’est ainsi qu’expira en sa trente-sixième année, Sainte Marie Bernard, qui reste à jamais pour nous Sainte Bernadette.
Lourdes fut le témoin privilégié de nombreux miracles mais, fait significatif, en 1948, la fontaine se tarissait : on fit creuser le sol pour rendre à la fontaine son débit d’eau… est-ce à dire que le Ciel, devant l’imminence de la prise de Rome et du Siège Apostolique par les hérésiarques de V2, courroucé, allait fermer cette source de grâce, tout comme les canaux de grâces, c’est-à-dire les sacrements, allaient cesser, par leur disparition quasi universelle, d’inonder la terre? Il faut y réfléchir.
Lourdes, aujourd’hui, n’est plus qu’un sanctuaire dévasté, souillé, sur lequel le regard de Notre Dame ne se pose plus.
Ce lieu que Dieu avait bénit, est-il maintenant frappé de son inimitié ?
--- Abbé Zins : « Bernadette, chère petite, apprends-nous à prier notre bonne Maman du ciel.»
Il faut faire avec une grande dévotion le signe de la Croix. Ensuite, bien peser les paroles que voici :
Je vous salue, Marie, pleine de grâces ;/ le Seigneur est avec vous;/vous êtes bénie entre toutes les femmes,/ et Jésus le fruit de vos entrailles, est béni
Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Anisi-soit-il
Merci d'être venu et à bientôt dans la Céleste Patrie !
Châsse reliquaire de sainte Bernadette à Lourdes (cliquez sur l'image pour grossir)