Inquisition au Moyen-Âge.

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Louis Mc Duff
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INQUISITION du Moyen-Âge.

(col. 837-838)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

Les Albigeois ne faisaient aucune différence essentielle entre la débauche et le mariage. Le contrat et le sacrement de mariage n'étaient, à leurs yeux, que la régularisation et la législation de la débauche. Dans l'intransigeance farouche de leur chasteté, les Purs du XIIIe siècle trouvèrent la formule que, pour d'autres raisons, ont adoptée de nos jours les tenants de l'union libre et du droit au plaisir sexuel : « matrimonium est meretricium, matrimonium est lupanar, le mariage est un concubinat légal » (Bibl. de Toulouse, ms. 609, fol. 41 et 64).

L'inquisiteur BERNARD GUI résumait ainsi la doctrine des Cathares sur le mariage : « Ils condamnent absolument le mariage qui unit l'homme et la femme; ils prétendent qu'on y est en perpétuel état de péché ; ils nient que le Dieu bon l'ait jamais institué. Ils déclarent que connaître charnellement sa femme, n'est pas une moindre faute qu'un commerce incestueux avec une mère, une fille, une sœur. » (Practica inquisitionis, p. 130.)

Aussi, toute personne qui demandait aux hérétiques l'initiation complète à leur secte, le Consolamentum, s'engageait-elle à se séparer à jamais de son conjoint. Vers l'an 1218, Bernard Pons de Laure étant gravement malade à Roquefère-Cabardès, en Languedoc, sa femme Bermonde demanda à deux Cathares de venir lui donner le Consolamentum ; mais, avant de procéder à cet acte, ceux-ci exigèrent de Bermonde qu'elle renonçât à jamais à son mari; et ce ne fut qu'après avoir reçu cet engagement qu'ils procédèrent à la cérémonie : « postmodum consolati sunt dictum infirmant ». Revenu à la santé, Pons « abandonna l'hérésie, revint au monde et, par la même occasion, reprit sa femme, oublieuse elle-même de sa promesse ». Mais bientôt, ce fut au tour de Bermonde d'être malade et de demander le Consolamentum. Les deux hérétiques qui accoururent à son appel n'agirent pas autrement que les premiers. Avant de commencer leurs rites, ils exigèrent que Pons renonçât à jamais à sa femme et ce ne fut qu'après en avoir reçu la promesse formelle, qu'ils la consolèrent (Bibl. nat., DOAT, XXIII, pp. 81-83).

Les Registres de l'Inquisition toulousaine nous montrent un grand nombre d'hérétiques revenant à la fois à l'Eglise et au mariage. Arnalde Frémiac avait été engagée, dès sa jeunesse, dans la secte cathare par son oncle lsarn Bola. Mais plus tard, saint Dominique reçut son abjuration et lui imposa une pénitence quousque duceret maritum, c'est-à-dire jusqu'au jour où, par son mariage, elle prouverait, d'une manière indiscutable, la sincérité de sa conversion (1211) (Bibl. de Toulouse, ms. 609, f° 160). P. Covinens, de Fanjeaux au diocèse de Toulouse (1), avait été remise aux hérétiques par Pierre Colonna, son frère; regagnée à l'orthodoxie par saint Dominique, « elle abandonna ses erreurs et se maria » (Ibid., p. 161).

Pendant plus de trois ans, une certaine Bernarde avait vécu dans l'albigéisme ; « mais ensuite, elle prit un mari et eut deux enfants » (DOAT, XXII, p. 1).

Vers l'an 1229, vivaient à Narbonne deux sœurs, Raymonde et Florence. Originaires du Mas-Saintes-Puelles, elles avaient quitté leur pays pour vivre plus librement dans l'hérésie; Raymonde avait, en même temps abandonné son mari qui était resté au Mas. Arrêtées par le baile archiépiscopal, elles comparurent devant l'officialité diocésaine. Le dominicain Ferrier, « qui exerçait les fonctions d'inquisiteur au nom de l'archevêque », reçut leur abjuration, les fit mettre en liberté, les ramena dans leur pays et « rendit Raymonde à son mari, et reddidit eam viro suo » (Bibl. de Toulouse, ms. 609, fº 23-24). Tolsanus Bertrand racontait aux inquisiteurs de 1245 une histoire semblable qui était arrivée, quinze auparavant, à sa mère Guillehuine Gleize. « Elle fut hérétique pendant trois ans à Auriac; convertie ensuite à la foi catholique, elle reprit son mari. Elle vécut encore plus de huit ans avec lui; et quand il mourut, elle alla habiter avec son fils, dans sa maison des Cassès. » (ibid., 225.)

Dans leur aversion pour le mariage, les hérétiques allaient jusqu'à déclarer que le concubinage lui était préférable et qu'il était plus grave…
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(1) Aujourd'hui, dans le département de l'Aude et le diocèse de Carcassonne.
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Louis Mc Duff
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(col. 838-839)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

Dans leur aversion pour le mariage, les hérétiques allaient jusqu'à déclarer que le concubinage lui était préférable et qu'il était plus grave « jacere cum uxore sua quam cum alia muliere » (DÖLLINGER, Dokumente, p. 23). Ce n'était pas là une boutade; car ils donnaient de cette opinion une raison en rapport avec leurs principes. Il peut arriver, disaient-ils, que l'on ait honte de son inconduite; dans ce cas, si on s'y livre, on le fait en cachette. Il est alors toujours possible qu'on s'en repente et que l'on cesse; et ainsi, souvent le libertinage est passager et caché; d'ailleurs, aucun lien durable n'unit l'homme et la femme vivant ainsi dans la débauche. Ce qu'il y a, au contraire, de particulièrement grave dans l'état de mariage, c'est qu'on n'en a pas honte, qu'on se croit engagé complètement avec son complice et qu'on ne se doute même pas du mal qu'on commet avec lui « quia magis publice et sine verecundia peccatum fiebat » (Ibidem).

C'est là ce qui explique la condescendance vraiment étrange que les Parfaits montraient pour les désordres des Croyants ou auditeurs, c'est-à-dire de ceux de leurs adhérents qui n'avaient pas reçu l'initiation complète du Consolamentum. Ils faisaient eux-mêmes profession de chasteté perpétuelle, fuyant avec horreur les moindres occasions d'impureté; et cependant, ils admettaient dans leur société les concubines des Croyants et les faisaient participer à leurs rites les plus sacrés, même lorsqu'elles n'avaient aucun dessein de s'amender. Les Croyants eux-mêmes ne se faisaient aucun scrupule de conserver leurs maîtresses, tout en acceptant l'influence des Parfaits. Guillelma Campanha était, au su de tout le monde, la concubine d'Arnaud Maistre, et cependant Parfaits et Parfaites descendaient chez elle quand ils passaient au Mas-Saintes-Puelles. Raymond de Na Amélia logeait chez sa concubine, Na Barona, les hérétiques qu'il protégeait (Bibl. de Toulouse, ms. 609, fº 150).

Parmi les Croyants qui se pressaient, en 1240, aux prédications de Bertrand Marty, nous distinguons plusieurs faux ménages : Guillelma. Calveta, amasia Petri Vitalis; Willelmus Raymundus de Roqua et Arnauda, amasia ejus ; Petrus Aura et Boneta, amasia uxor ejus ; Raymunda, amasia Othonis de Massabrac (DOAT, XXIV, p. 59). Plusieurs fois, les textes nous signalent des bâtards de Croyants. La famille de Villeneuve, à Lasbordes près de Castelnaudary, protégeait ouvertement l'hérésie; or il y avait chez elle un spurius, Ademar, frater naturalis Poncii de Villanova; et on peut en dire autant de plusieurs autres maisons seigneuriales du Languedoc, gagnées à l'hérésie, les Hunaud de Lanta, les sires du Vilar, les Mazeroles de Gaja, etc. (Ibid., XXIII, p. 189, 101, 103, Bibl.de Toulouse, ms. 609, f° 122).

Ces concubines et ces bâtards, qui paraissent si souvent dans les assemblées cathares, ont fait accuser les hérétiques des plus vilaines turpitudes. On a dit que leurs doctrines rigoristes n'étaient qu'un masque sous lequel se dissimulaient les pires excès; et c'est ce que croyaient les foules qui racontaient sur leurs réunions les plus abominables détails. Mais d'autre part, certains louaient leurs austérités. Parlant d'eux, un catholique d'Albi s'exprimait ainsi : « Tenebant magnant castitatem et faciebant magnum poenitentiam... et erant magne sanctitatis et magne abstinencie. » (DOUAIS, Annales du Midi : Les manuscrits du château de Merville, p. 185.)

Il est facile de résoudre cette apparente contradiction en se rappelant…
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Louis Mc Duff
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(col. 839)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

Il est facile de résoudre cette apparente contradiction en se rappelant qu'il y avait deux sortes d'hérétiques, les Croyants, qui donnaient leur sympathie à la doctrine cathare, mais la pratiquaient incomplètement, et les Parfaits, qui devaient rigoureusement la suivre. Du moment que les premiers n'avaient pas reçu l'initiation entière du Consolamentum, ils n'étaient pas astreints à la stricte chasteté et ils pouvaient vivre avec une femme ; mais il y avait avantage que ce fût avec une concubine plutôt qu'avec une épouse légitime, parce que le lien qui l'unissait au Croyant pouvait plus facilement se rompre le jour où le Croyant, pour devenir Parfait, devrait renoncer à jamais aux plaisirs de la chair. Cela n'empêchait pas les Parfaits eux-mêmes de pratiquer la plus rigoureuse chasteté.

Il est inutile d'insister longuement sur les conséquences antisociales de pareilles doctrines. Elles ne tendaient à rien moins qu'à supprimer l'un des éléments essentiels de toute la société, la famille, en faisant progressivement de l'humanité une vaste congrégation religieuse sans lendemain. En attendant l'avènement de cet ordre nouveau, les Parfaits brisaient peu à peu, par suite des progrès de leur apostolat, les liens familiaux déjà formés; et ainsi, disparaissait, avec la famille, sa raison d'être, toute la morale du foyer.

Sans doute, on a fait au christianisme un reproche semblable. Lui aussi, à en croire certains de ses ennemis, tendrait à la ruine de la famille et de l'humanité, par l'idéal de virginité monastique qu'il offre à chacun. Il y a cependant, sur ce point, une différence essentielle entre le christianisme et le catharisme. Ce dernier faisait de la chasteté absolue la condition sine qua non du salut que tout homme doit rechercher ; l'Eglise au contraire ne la présente que comme un idéal particulier, capable de séduire seulement une élite et nullement nécessaire pour parvenir au ciel. Dès lors, tandis que les Cathares proscrivaient absolument tout mariage, les chrétiens en font la loi de la grande masse, la virginité perpétuelle n'étant réservée qu'à de rares exceptions, et ils le proclament non seulement licite, mais encore juste et saint, matrimonium temporale sanctum et justum, comme le prêchaient, à l'encontre des Cathares, les inquisiteurs catholiques (Summa contra hereticos, pp. 96, 99).

A la haine de la famille, s'ajoutait, chez ces sectaires, la haine de la société…
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Louis Mc Duff
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(col. 839-840)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

A la haine de la famille, s'ajoutait, chez ces sectaires, la haine de la société. Ils s'interdisaient toute relation avec quiconque ne pensait pas comme eux, si ce n'est lorsqu'ils croyaient possible de le gagner à leur foi, et ils faisaient la même recommandation à leurs Croyants. Au jour de l'examen de conscience ou apparelhamentum, qui se présentait tous les mois, les Parfaits leur demandaient un compte sévère des rapports qu'ils avaient pu avoir avec les infidèles. Et cela se comprend : ils ne considéraient comme leur semblable que celui qui, comme eux, était devenu, par le Consolamentum, un fils de Dieu; quant aux autres, qui étaient restés dans le monde diabolique, ils appartenaient, en quelque sorte, à une autre race ; ils étaient des inconnus, pour ne pas dire des ennemis.

Les engagements que prenaient les hérétiques en entrant dans la secte allaient à l'encontre des prin¬cipes sociaux sur lesquels reposent toute nation et tout gouvernement.

Au jour de leur initiation, ils promettaient de ne prêter aucun serment: quod non jurarent (formule du Consolamentum); car, enseignaient toutes les sectes cathares, juramentum non debet fieri (Somme contre les hérétiques). Tout serment est illicite, disait le Parfait Pierre Garsias, qu'il soit faux ou qu'il soit sincère (DOAT, XX11, p. 96). L'inquisiteur BERNARD GUI nous apprend que l'abstention de tout serment était un précepte général de la morale cathare (Practica, p. 239). Entre toutes les pratiques de la secte, la plus importante était l'acte solennel par lequel le converti s'engageait à observer, toute sa vie, les pratiques de sa nouvelle croyance ; c'était connue une profession de foi, accompagnée de vœux religieux. Or, même dans ce cas, le serment n'était pas admis; on faisait une simple promesse, sans prendre Dieu pour garant de son exécution.

Il existe de nos jours des sectes religieuses ou philosophiques qui rejettent, avec la même énergie, le serment; et l'on sait toutes les difficultés auxquelles elles donnent lieu dans une société qui, malgré sa « laïcisation », fait encore intervenir le serment dans les actes les plus importants de la vie sociale. Quels troubles autrement profonds de pareilles doctrines ne devaient-elles pas apporter dans les sociétés du moyen âge, où les relations des hommes entre eux, des sujets avec leurs souverains, des vassaux avec leurs suzerains, des bourgeois d'une même ville et des membres d'une même corporation ou d'une même confrérie les uns avec les autres, étaient garanties par le serment, où enfin, toute autorité tirait du serment sa force et même sa légitimité! C'était l'un des soutiens les plus solides de l'édifice social que détruisaient les Manichéens, et en le faisant, ils avaient l'apparence de vrais anarchistes….
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Louis Mc Duff
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(col. 840-841)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

…C'était l'un des soutiens les plus solides de l'édifice social que détruisaient les Manichéens, et en le faisant, ils avaient l'apparence de vrais anarchistes.

Ils l'étaient vraiment quand ils déniaient à la société le droit de verser le sang pour se défendre contre les ennemis du dedans et du dehors, les malfaiteurs et les envahisseurs. Les Cathares en effet prenaient à la lettre et dans son sens le plus rigoureux la parole du Christ déclarant que quiconque tue par l'épée périra par l'épée ; et ils en déduisaient la prohibition absolue, non seulement de l'assassinat, mais de toute mise à mort, pour quelque raison que ce fût, nullo casu occidendum (DOAT, XC1I, p. 100; Somme contre les hérétiques, p. 133).

De cette thèse découlaient les plus graves conséquences sociales et, avec leur redoutable logique, les Albigeois les tiraient hardiment. Toute guerre, même juste dans ses causes, devenait criminelle par les meurtres qu'elle nécessitait. Le soldat défendant sa vie sur le champ de bataille, après s'être armé pour la défense de son pays, était un assassin au même titre que le plus vulgaire des malfaiteurs; car rien ne pouvait l'autoriser à verser le sang. Ce n'était pas une aversion particulière pour la Croisade, mais bien leur haine de toute guerre qui faisait dire aux Cathares quod praedicatores Crucis sunt omnes homicide (DOAT, XCII, p. 89).

Pas plus que le soldat, dans l'ardeur de la bataille, le juge et les autres dépositaires de l'autorité, sur leurs sièges, n'avaient le droit de prononcer des sentences capitales. « Dieu n'a pas voulu, disait Pierre GARSIAS, que la justice des hommes pût condamner quelqu'un à mort (ibid.), et lorsque l'un des adeptes de l'hérésie devint consul de Toulouse, il lui rappela la rigueur de ce principe en lui recommandant quod nullo modo consentiret in judicando in mortem alterius (Ibid., p. 100).

Les hérétiques allaient-ils encore plus loin et refusaient-ils à la société tout droit de répression ? Il est difficile de l'affirmer ; car si la plupart d'entre eux semblent le dire en proclamant quod nullo modo facienda justitia, quod Deus non voluit justitiamt, d'autres ne manquaient pas de restreindre cette négation aux sentences capitales. Ces derniers, toutefois, nous apparaissent comme des politiques atténuant par d'habiles restrictions la rigueur du précepte. La Somme contre l'hérésie nous dit en effet que toutes les sectes enseignaient quod vindicta non debet fieri, quod justitia non debet fieri per hominem ; ce qui semble bien indiquer que la pure doctrine cathare ne reconnaissait pas à la société le droit de répression (Somme, p. 133).

En tout cas, par la prohibition absolue du serment et de la guerre, par la restriction ou même la négation du droit de justice, les Cathares rendaient difficile l'existence et la conservation non seulement de la société du moyen âge, mais encore de toute société.

« Il faut l'avouer, dit l'auteur des Additions à l'histoire du Languedoc, les principes du manichéisme et ceux des hérétiques du XIIe et du XIIIe siècles, attaquant les bases mêmes de la société, devaient produire les plus étranges, les plus dangereuses perturbations et ébranler pour toujours les lois et la société politiques. »

Ce qui augmentait encore le zèle antisocial du catharisme…
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(col. 841-842)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

Ce qui augmentait encore le zèle antisocial du catharisme, c'est le rôle considérable, prépondérant même, que jouait l'Eglise dans la société du moyen âge. L'Eglise, les hérétiques la niaient, la combattaient. Ils rejetaient le sacerdoce, les sacrements; dans la hiérarchie ecclésiastique, ils voyaient une institution satanique; le pape, les évêques, les prêtres, les moines étaient les suppôts du démon. Les cérémonies apparaissaient aux uns comme des rites vides de sens, aux autres comme le culte du Dieu mauvais en opposition avec le culte en esprit et en vérité, rendu par le Parfait au Dieu bon. On s'explique, dès lors, que les Cathares aient tourné en ridicule les institutions de l'Eglise et demandé la suppression des privilèges dont elle jouissait, des prérogatives, des principautés temporelles, des propriétés, des redevances qui lui appartenaient.


L'un des historiens qui a le mieux étudié l'Inquisition, M. VIDAL, aboutit aux mêmes conclusions après avoir exposé les doctrines des derniers ministres cathares (Revue des questions historiques, avril et juillet 1909). « Nul ne saurait dire, écrit-il, les graves dangers auxquels eussent été exposées la société et l'Eglise par la diffusion et la victoire de semblables doctrines. Non seulement l'Eglise et la société devaient se tenir en garde contre elles, mais on comprend qu'elles les aient attaquées et poursuivies; et sans aller jusqu'à trouver excellentes toutes les armes employées contre leurs propagateurs, on doit reconnaître que les deux sociétés ne pouvaient guère, en ces temps et dans ces circonstances, s'empêcher d'user de rigueur à l'endroit de tels adversaires de la religion et de l'ordre social. Aujourd'hui encore, tout homme sensé jugerait digne de réprobation une doctrine, une morale qui conduiraient à l'indifférence de l'esprit à l'égard de toute vérité, à l'émancipation totale de la liberté à l'endroit de toute contrainte, à la prédominance de la chair et de ses appétits sur la raison, C'était à quoi aboutissait le Catharisme » (pp. 47-48).

On ne saurait mieux dire.

Le Manichéisme n'a pas été la seule hérésie des XIe, XIIe et XIIIe siècles…
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(col. 842)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

Le Manichéisme n'a pas été la seule hérésie des XIe, XIIe et XIIIe siècles. A côté d'elle et de ses nombreuses ramifications, on en voit naître et se développer plusieurs autres qui ont des traits de ressemblance avec elle, au point qu'on a parfois de la peine à les en distinguer. Telle est par exemple l'hérésie des Pauvres de Lyon ou Vaudois, appelés aussi Insabbatati ou Zaptati, qui sortit, après 1150, des prédications de Pierre VALDO, de Lyon. Après avoir, pendant plusieurs années, excité les méfiances de l'Eglise, ils furent définitivement condamnés par LUCIUS III, à l'assemblée de Vérone de 1184. Ils ne croyaient pas, comme les Cathares, au dualisme du bien et du mal, à la prédominance du démon sur cette terre, et à la création diabolique de l'homme. Ils semblent plutôt avoir nié la hiérarchie ecclésiastique, la plupart des sacrements, des rites et des pratiques de l'Eglise, qu'ils prétendaient ainsi ramener à la pureté évangélique, et ils nous apparaissent comme les précurseurs des puritains et des quakers plutôt que comme les continuateurs des Manichéens. Au cours d'une controverse qu'ils eurent, vers 1190, dans la cathédrale de Narbonne, avec des docteurs catholiques, ils précisèrent leurs doctrines.

« Les six points sur lesquels porta la discussion étaient les suivants :

1° que le pape et les prélats n'ont pas droit à l'obéissance des chrétiens ;
2° que tout le monde, même laïque, a le droit de prêcher;
3º que Dieu doit être obéi plutôt que l'homme;
4° que les femmes peuvent prêcher;
5° que les messes, les prières et les aumônes pour les morts ne servent de rien, le Purgatoire n'existant pas;
6º que les églises ne sont d'aucune utilité. » (LEA, Hist. de l'Inquisition, I, p. 88.)

De pareilles doctrines et les conséquences qu'ils en tiraient devaient dresser les Vaudois contre l'organisation féodale de l'Eglise et, à ce titre, ils allaient passer pour des révolutionnaires voulant bouleverser l'état politique et social de leur temps. Mais de plus, le développement de leur système théologique, ou peut-être les influences cathares qui ne tardèrent pas à s'exercer chez eux, leur firent adopter des thèses antisociales, contraires à la conservation de n'importe quel Etat. Comme les Cathares, ils exagéraient l'ascétisme, séparant les femmes des maris et les maris des femmes, quand ils entraient dans leur secte. Ils proscrivaient le serment, même devant les princes, les magistrats et les tribunaux, et ils croyaient que Dieu le punissait aussitôt des peines les plus sévères.

En 1321, un Vaudois et une Vaudoise « furent amenés devant l'Inquisition de Toulouse et ils refusèrent l'un et l'autre de prêter serment; ils donnèrent comme motif, non seulement que le serment est un péché par lui-même, mais que l'homme en le prêtant risquerait de tomber malade et la femme de faire une fausse couche » (LIMBORCH, Liber sententiarum inquisitionis Tolosanae, p. 289, cité par LEA, op. cit., I, p. 90, notes).

Enfin les Vaudois avaient pour les sanctions sociales et la guerre la même répulsion que les Cathares : ils les condamnaient absolument.

Ces différentes sectes ne s'en tenaient pas à des rêveries individuelles et inoffensives. Leurs chefs prêchaient leurs doctrines aux foules, ils essayaient de toutes manières de les leur faire pratiquer ; et leur enseignement passait immédiatement de la spéculation à l'action, se transformait en actes violents et révolutionnaires.

Lorsque, de 1108 à 1125, TANCHELM propageait les doctrines cathares dans les îles…
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(col. 843)

Doctrine des hérétiques.

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Lorsque de 1108 à 1125, TANCHELM propageait les doctrines cathares dans les îles de la Zélande, à Anvers et en Flandre, il ne se contentait pas de développer ses théories dans des prédications; il faisait porter devant lui une bannière et un glaive, symboles de la puissance temporelle, et pour montrer qu'elle lui avait été donnée par Dieu, il leva une armée de 3.000 hommes qui appuya ses arguments par la violence. Marchant à sa tête, revêtu d'un manteau royal et le front ceint de la couronne, il s'empara de force de la ville de Bruges et s'établit en maître dans celle d'Anvers, et lorsque, en 1112, l'archevêque de Cologne le fit arrêter, la population remercia l'archevêque d'avoir délivré le pays de ces bandes de perturbateurs. Après avoir déclaré ecclesias Dei lupanariia esse reputandas, il les faisait profaner par ses partisans ; il empêchait par force la levée des dîmes et faisait tuer quiconque s'opposait à lui : resistentes sibi caedibus saeviebat (SIGBBERT DE GEMBLOUX, Continuatio Praeinonstratensis, ap. PERTZ, M. G., Scriptores,VI, 449). ABÉLARD lui-même nous le représente comme un fauteur de guerres civiles; car il dit de lui et des autres hérétiques de son temps : « Civilibus bellis ecclesiam inquietare non cessant. » (Introd. ad theologiam, éd. Cousin, II, 83.)

L'hérétique breton EUDES DE STELLA, dit EON, marchait à la tête de bandes de fanatiques et mettait à sac les églises et les monastères : « fretus sequentium numero per diversa loca formidabilis oberrabat, ecclesiis maxime monasteriisque infestus... erumpebat improvisus ecclesiarum ac monasteriorum infestator », dit de lui le chroniqueur contemporain GUILLAUME DE NEWBURY (ap. BOUQUET, XIII, p. 97).

Au commencement du XIIe siècle, dans le midi de la France, l'hérésiarque PIERRE DE BRUYS s'était livré aux pires violences. « Pour témoigner son mépris aux objets que vénéraient les prêtres, il fit empiler une quantité de croix consacrées, y mit le feu et fit cuire de la viande sur le brasier. » LEA, op. cit., I, p. 76.) Comme son disciple, le moine apostat HENRI, il appelait à la révolte ceux qui devaient à des seigneurs ecclésiastiques des dîmes ou d'autres redevances, et les excitait à saccager églises et couvents.

Ces excitations avaient produit dans tout le midi de la France des effets que PIERRE LE VÉNÉRABLE décrivait ainsi dans une lettre à l'archevêque d'Embrun et aux évêques de Die et de Gap : « Dans vos pays, les églises ont été profanées, les autels renversés, les crucifix brûlés, les prêtres flagellés, les moines emprisonnés; on les a soumis aux supplices les plus effroyables pour les forcer à se marier. » (Ap. BOUQUET, XV, p. 683-689, année 1142-1143.)

Pierre de Bruys et Henri faisaient un devoir à leurs disciples de détruire les églises, de briser et de brûler les croix. Ainsi, les scènes de violence, de vandalisme et de carnage que les bandes huguenotes du sire des Adrets devaient déchaîner, au XVIe siècle, en Provence et en Dauphiné, avaient eu comme lointains préludes celles qui avaient suivi les prédications des hérétiques Henri et Pierre de Bruys.

Vers la même époque, les prédications d'ARNAUD DE BRESCIA
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(col. 843-844)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

Vers la même époque, les prédications d'ARNAUD DE BRESCIA jetaient le trouble dans l'Italie et surtout à Rome. « Les clercs qui ont des propriétés, les évêques qui tiennent des régales, les moines qui possèdent des biens ne sauraient être sauvés. Tous ces biens appartiennent au prince et le prince ne peut en disposer qu'en faveur des laïques. » Ainsi parlait cet hérétique (OTTO DE FREISINGEN, II, chap. 20), et ces paroles sonnaient la curée des biens ecclésiastiques par les laïques, la révolte des sujets des principautés ecclésiastiques, et déchaînaient la Révolution dans un grand nombre de terres.

Ce fut ce qui arriva à Brescia, où l'évêque fut dépouillé de ses biens et chassé par les amis d'Arnaud. En 1146, cet hérétique prêcha les mêmes doctrines à Rome et provoqua ainsi, contre EUGENE III, l'insurrection du peuple romain : le pape fut chassé et la République proclamée sous la suprématie de l'empereur allemand. Arnaud fut ainsi responsable de la guerre civile qui désola, pendant plusieurs années, Rome et son territoire. Ce qui faisait dire à son contemporain S. BERNARD que « tous ses pas étaient marqués par des troubles et des désastres » (VACANDARD, Arnaud de Brescia, dans la Revue des Questions historiques, XXXV, p. 114).

A mesure que se propagèrent les prédications hérétiques, on vit se multiplier les bandes qui, au nom de ces nouvelles doctrines, promenèrent la dévastation clans un grand nombre de régions de l'Europe chrétienne. Dans les premières années du règne de Philippe-Auguste, le centre de la France fut dévasté par des forcenés que l'on nommait, selon le pays, Cotereaux, Routiers, Paliarii, Cataphryges, Arriens et Patarins. Le chroniqueur contemporain RIGORD nous les montre saccageant et brûlant les églises, soumettant les prêtres à des traitements sacrilèges et cruels et les faisant parfois mourir dans les plus atroces tourments, profanant l'Eucharistie et les vases sacrés. Ils foulaient aux pieds les hosties consacrées et faisaient avec les corporaux des objets de toilette pour leurs maîtresses (BOUQUET, XVII, p. 12. Voir aussi ibid., 67, le récit de GUILLAUME LE BRETON et p. 354, celui de la Chronique de S. Denis).

Epouvantées par ces excès, les populations du Limousin et du Berry appelèrent à leur aide Philippe-Auguste, dont les armées exterminèrent, à Dun, près de 7.000 de ces forcenés. L'importance de cette répression prouve combien avait été considérable ce soulèvement anarchique et antichrétien. Quelques années auparavant, toute l'Auvergne avait été parcourue par ces hérétiques pillards. « Les Brabançons ou Cotereaux, écrit BERNARD GUI, parcoururent tous ces pays, le dévastant, saccageant les églises. » L'évêque de Limoges dut marcher contre eux dans le territoire de Brive, à la tête des milices qui s'étaient placées sous son commandement; plus de 2.000 de ces brigands furent massacrés (LABBE), Bibliotheca, II, 269; cf. aussi BOUQUET, XVIII, p. 706). Ces événements se passaient en 1177.

Avant de se porter en Auvergne…
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Louis Mc Duff
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Re: Inquisition au Moyen-Âge.

Message par Louis Mc Duff »

INQUISITION du Moyen-Âge.

(col. 844-845)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

Avant de se porter en Auvergne, les routiers avaient parcouru et dévasté le comté de Toulouse. « En 1181, l'évêque ETIENNE DE TOURNAI décrivait, en termes saisissants, la terreur qu'il avait éprouvée lorsque, chargé d'une mission par le roi (Louis VII), il avait traversé le Toulousain... Au milieu de vastes solitudes, il ne vit que des églises ruinées, des villages abandonnés où il craignait sans cesse d'être attaqué par des brigands, et pis encore par les bandes redoutées des Cotereaux. » (LEA, op. cit., I, p. 142.)

Ce fut à la suite de ces tragiques événements que le comte de Toulouse, RAYMOND V DE SAINT-GILLES, adressa au chapitre de Cluny un appel désespéré contre l'héré¬sie, cause première de tous ces maux. Il suppliait son suzerain Louis VII d'intervenir à la tête d'une armée dans les pays infectés de ces doctrines subversives. « Les églises, écrivait-il, sont abandonnées et tombent en ruines... Comme le glaive spirituel est absolument impuissant, il est nécessaire d'employer le matériel; c'est pourquoi j'insiste auprès du roi de France pour l'engager à venir sur les lieux, persuadé que sa présence pourra contribuer pour beaucoup à déraciner l'hérésie. » (Histoire du Languedoc, VI, p. 78.)

Tous les princes du Midi ne raisonnèrent pas de la même manière; en haine du catholicisme, plusieurs ne craignirent pas de faire appel aux Cotereaux et aux routiers et de lancer de nouveau leurs bandes contre leurs sujets et contre les églises.

De ce nombre fut RAYMOND-ROGER, qui était comte de Foix, au moment de la croisade. Il pouvait s'entendre avec les routiers, car il était lui-même un ennemi déclaré de l'Eglise et de ses ministres. « Au cours de ses nombreux démêlés avec l'abbé et les moines de Pamiers, il lui était souvent arrivé de manquer de respect aux reliques de S. Antonin, que gardait précieusement l'église de ce monastère. Pendant une guerre contre le comte d'Urgel, il assiégea dans leur cathédrale les chanoines de cette ville et les força à se rendre; il profana et pilla l'église, n'en laissant que les quatre murs. On achève son portrait, dit l'Histoire du Languedoc en assurant « qu'il pillait les monastères, détruisait les églises et eut toute sa vie une soif inaltérable du sang des chrétiens » (GUIRAUD, Cartulaire de Notre-Dame de Prouille, I, p. CCXLIX).

GASTON DE BEARN eut, lui aussi, partie liée avec les routiers. En 1212, le concile de Lavaur lui reprocha de les avoir appelés et gardés longtemps dans ses états, ruptarios diu tenuit atque tenet. Avec eux, il saccagea les églises et persécuta les membres du clergé, ecclesiarum et ecclesiasticarum personarum manifestissimus et gravissimus persecutor. En 1211, il les lâcha sur la cathédrale d'Oloron, où ils se livrèrent à des saturnales sacrilèges, foulant aux pieds les saintes Hosties, parodiant, revêtus d'ornements sacerdotaux, les cérémonies de la messe et faisant subir aux clercs de cruels tourments (PIERRE DE VAUX-CERNAY, Historia Albigensium, ap. BOUQUET, XIX, p. 73).

Le successeur de ce même Raymond V, qui déplorait, en 1177, les…
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