Inquisition au Moyen-Âge.

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Louis Mc Duff
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(col. 831)

Établissement de l’Inquisition.

(suite)

En lisant ces lignes, il est facile de voir qu'Alexandre III répugnait à la violence et que Louis VII, son frère l'archevêque de Reims, et le comte de Flandre exerçaient sur lui une forte pression pour obtenir son adhésion à une politique de répression. Or, à ce moment, Alexandre III était menacé par le schisme d'un antipape : chassé de Rome, il s'était réfugié en France et avait besoin de la protection du roi. Dans sa réponse datée du 11 janvier 1163, il lui promit de ne rien faire, dans la question des hérétiques de Flandre, sans l'avis de l'archevêque (ibid., p. 684).

Cet échange de lettres nous explique aussi la décision du concile de Tours. Cette année-là en effet se réunirent à Tours 12 cardinaux, 124 évêques, 314 abbés et une foule considérable de clercs et de laïques, sous la présidence d'ALEXANDRE III. Le concile accentua les mesures de rigueur prises précédemment contre l'hérésie manichéenne, qui, « comme un chancre, s'était étendue à travers toute la Gascogne et dans d'autres provinces ». Il ordonna à tous les évêques et à tous les prêtres de la surveiller; par leurs soins, les hérétiques devaient être chassés des pays où on les découvrirait; on n'aurait avec eux aucune relation d'affaires; les princes devraient condamner à la prison et à la confiscation tous ceux qu'on surprendrait; enfin, on rechercherait avec soin leurs assemblées secrètes (MANSI, XXI, p. 1178).

Bien que ces canons soient édictés par un concile et promulgués par le pape, il est facile de voir qui les avait provoqués : c'était le roi de France, et une fois de plus le pouvoir civil excitait contre l'hérésie le zèle et la vigilance de la hiérarchie ecclésiastique.

Le comte de Flandre et l'archevêque de Reims profitèrent de ces décisions conciliaires pour brûler en Flandre un certain nombre d'hérétiques (LEA, Hist. de l'Inquisition, I, p. 128), et leur exemple fut suivi à Cologne.

Il est curieux de constater que l'un des persécuteurs les plus cruels de l'hérésie fut alors un prince excommunié…
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Louis Mc Duff
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(col. 831-832)

Établissement de l’Inquisition.

(suite)

Il est curieux de constater que l'un des persécuteurs les plus cruels de l'hérésie fut alors un prince excommunié, en révolte ouverte contre Alexandre III, le roi d'Angleterre HENRI II.

Il venait de faire voter les Statuts de Clarendon qui soumettaient l'Eglise d'Angleterre à la juridiction royale, et, à ce propos, il était entré si violemment en conflit avec Thomas Becket, primat de Cantorbéry, que ce dernier avait dû quitter son siège et chercher un asile en France. Alexandre III avait pris parti pour le primat et lancé contre Henri les censures de l'Eglise. Or voici ce que nous rapporte le chroniqueur anglais, GUILLAUME DE NEWBRIDGE. Un certain nombre d'hérétiques s'étant réfugiés, en 1165, de Flandre en Angleterre, Henri II les fit arrêter, marquer d'un fer rouge au front et exposer, ainsi défigurés, devant le peuple. Il défendit à ses sujets de leur donner asile et de leur rendre le moindre service. Ce fut en les mettant ainsi hors la loi qu'il « préserva totalement son royaume de la peste de l'hérésie » (Monumenta Germaniae historica. Scriptores, XXVII, p. 131).

Ce qu'il avait ainsi fait à l'assemblée d'Oxford présidée par lui-même, Henri II voulut l'établir définitivement par un texte de loi, et par l'article 21 des Assises de Clarendon il défendit à jamais « de recevoir chez soi des hérétiques, sous peine de voir sa maison détruite » ; en même temps, il obligea tous les shériffs (officiers civils des comtés) à jurer qu'ils observeraient cette loi et feraient prêter serment dans le même sens à tous les chevaliers et possesseurs de terres franches. C'était l'extermination complète et radicale de l'hérésie, et, comme le fait remarquer Lea, à qui nous empruntons ce passage, elle était ordonnée par une loi exclusivement civile, poursuivie par des officiers laïques et une juridiction séculière, au nom d'un prince excommunié par l'Eglise à cause du soin jaloux qu'il prenait de la soumettre au pouvoir laïque (LEA, Hist. de l'Inquisition, I, p. 129).

On a voulu expliquer les rigueurs de Henri II par le désir qu'il aurait eu de se poser en farouche défenseur de l'orthodoxie au moment où il luttait contre Thomas Becket et Alexandre III…
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Louis Mc Duff
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(col. 832)

Établissement de l’Inquisition.

(suite)

On a voulu expliquer les rigueurs de Henri II par le désir qu'il aurait eu de se poser en farouche défenseur de l'orthodoxie au moment où il luttait contre Thomas Becket et Alexandre III, afin de prouver à son peuple que sa lutte contre le Saint-Siège ne diminuait ni sa foi ni son zèle chrétien.

Pour montrer l'invraisemblance de cette hypothèse, il suffit de rappeler qu'en 1177, alors qu'il était réconcilié avec le Saint-Siège, Henri II donna aux hérétiques de nouvelles preuves de sa haine. Alors que, pendant tout son règne, il avait été le rival de Louis VII, roi de France, cette année il se concerta avec lui contre les Cathares du Languedoc. « Ces deux princes, écrivait au pape HENRI, l'abbé de Clairvaux, viennent de confirmer la paix qu'ils ont conclue et ils s'entendent à merveille dans le dessein de revêtir la cuirasse de la foi et de poursuivre la multitude des hérétiques. »

Et le chroniqueur anglais BENOIT DE PETERBOROUGH ajoute (année 1178) : « Henri II ne voulut pas passer la mer et rentrer en Angleterre avant de s'être entendu avec le roi de France pour envoyer de concert avec lui, dans le comté de Toulouse, des hommes d'Eglise et des laïques qui ramèneraient les hérétiques à la vraie foi par des prédications ou les réduiraient par les armes. » Ce fut à leur instigation que fut organisée, en ce sens, la mission du cardinal PIERRE DE SAINT-CHRYSOGONE (BOUQUET, Historiens des Gaules et de France, XV, p. 960). C'était toujours le pouvoir civil qui inspirait à la hiérarchie ecclésiastique des mesures de répression contre l'hérésie.

Dès son avènement, PHILIPPE-AUGUSTE suivit l'exemple de son père Louis VII et de Henri II…
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(col. 832)

Établissement de l’Inquisition.

(suite)

Dès son avènement, PHILIPPE-AUGUSTE suivit l'exemple de son père Louis VII et de Henri II. Dans sa Philippide, GUILLAUME LE BRETON le félicite d'avoir, dès les premières années de son règne, poursuivi énergiquement ces hérétiques appelés par le peuple Popelicani, « qui réprouvent le bonheur conjugal, déclarent défendre l'usage de la viande et répandent plusieurs autres superstitions ». Le roi les a fait sortir de leurs refuges et de leurs cachettes et, après les avoir fait juger par ses tribunaux, les a envoyés au bûcher « pour que le feu matériel leur soit un avant-goût des flammes de l'enfer ». Et ainsi, continue Guillaume, le royaume a été totalement purgé de l'hérésie, et nul ne peut y vivre s'il n'accepte tous les dogmes de la foi catholique, ou s'il nie les sacrements (BOUQUET, op. cit., XVII, p. 127, vers 408-435).

Les papes s'engagèrent de plus en plus résolument dans cette voie répressive que leur traçaient si bien les princes.

Au concile de Latran de 1179, ALEXANDRE III, tout en rappelant que le clergé avait horreur du sang (cruentas effugiant ultiones), demandait à la puissance séculière des sanctions pénales « contre les Cathares, Publicani ou Patareni qui, en Gascogne, dans l'Albigeois et le comté de Toulouse, ne se contentaient pas de professer leur erreur en secret, mais la manifestaient publiquement ». Il lançait l'anathème contre eux, leurs protecteurs et quiconque les recevrait dans sa maison ou sur ses terres ou ferait le commerce avec eux. Bien plus, il appelait aux armes contre eux les princes et les peuples, et, pour la première fois, on voyait une croisade ordonnée non plus contre des infidèles, mais contre des hérétiques. Une indulgence de deux ans était accordée à tous les fidèles qui s'armeraient contre eux, à l'appel des évêques, qui avaient la faculté d'augmenter encore, selon le cas, l'étendue de l'indulgence. Ces croisés étaient placés sous la protection de l'Eglise, comme ceux qui partaient en Terre sainte; les évêques étaient constitués les défenseurs de leurs droits et de leurs biens (Decret. Greg. IX; V, VII).

Au lendemain de la paix de Constance…
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(col. 832-833)

Établissement de l’Inquisition.

(suite)

Au lendemain de la paix de Constance, qui avait mis un aux longues luttes du Saint-Siège et de Frédéric Barberousse, le pape LUCIUS III réunit à Vérone, en 1184, une nombreuse assemblée, comprenant, avec lui l'empereur, des patriarches, des archevêques et un grand nombre de princes venus de toutes les régions de l'Empire.

Avec leur concours et surtout avec celui de l'empereur FRÉDÉRIC, « Friderici, illustris Romanorum imperatoris, semper Augusti, praesentia pariter et vigore suffulti », le pape Lucius III promulgua une constitution « contre les Cathares, les Patarins, ceux qui s'appelaient faussement les Humiliés et les Pauvres de Lyon, les Passagini, les Josephini, les Arnaldistae ».

Elle était beaucoup plus précise que toutes celles qu'avaient jusqu'alors éditées les papes et les conciles, et elle demeura longtemps en vigueur; car GREGOIRE IX la fit plus tard insérer dans ses Décrétales.

Elle excommuniait, avec les hérétiques, ceux qui les protégeaient, avaient reçu d'eux le Consolamentuni, se disaient Croyants ou Parfaits. Ceux d'entre eux qui seraient clercs, seraient dégradés, dépouillés de leurs charges et de leurs bénéfices, et livrés à la puissance civile pour être punis par elle.

Les laïques seraient livrés de la même manière et pour le même objet au bras séculier, surtout s'ils étaient relaps.

Tout archevêque et évêque devrait inspecter soigneusement, en personne ou par son archidiacre ou des personnes de confiance, une ou deux fois l'an, les paroisses suspectes, et se faire désigner sous serment par les habitants les hérétiques déclarés ou cachés. Ceux-ci devraient se purger par serment du soupçon et se montrer désormais bons catholiques. S'ils refusaient de prêter le serment ou retombaient ultérieurement dans l'erreur, l'évêque les punirait.

Les comtes, barons, recteurs, consuls des villes et autres lieux devraient prêter serment d'aider l'Eglise dans cette œuvre de répression, sous peine de perdre leurs charges, d'être excommuniés et de voir l'interdit lancé sur leurs terres.

Les villes qui résisteraient sur ces points aux ordres des évêques, seraient mises au ban de toutes les autres ; aucune ne pourrait commercer avec elles.

Quiconque recevrait chez lui des hérétiques, serait déclaré infâme à jamais, incapable de plaider, de témoigner et d'exercer une fonction publique.

Enfin, les archevêques et évêques devaient avoir toute juridiction en matière d'hérésie et être considérés comme délégués apostoliques par ceux qui, jouissant du privilège de l'exemption, étaient placés sous la juridiction immédiate du Saint-Siège.

Lea remarque avec raison que « cet édit était le plus sévère qui eût encore été fulminé contre l'hérésie »…
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(col. 833-834)

Établissement de l’Inquisition.

(suite)

Lea remarque avec raison que « cet édit était le plus sévère qui eût encore été fulminé contre l'hérésie » (op. cit., 1, p. 131). En effet, on ne se contentait pas de frapper les hérétiques qui étaient surpris et ceux qui leur assuraient la liberté; on les recherchait. Bien plus, cette recherche était organisée et confiée au zèle des évêques, qui en étaient responsables. Tout hérétique ainsi découvert devait abjurer, sous peine d'un châtiment que l'autorité civile devait infliger. L'obstination dans l'hérésie, la complicité avec l'hérésie n'étaient plus seulement des fautes de conscience, tombant uniquement sons des sanctions spirituelles ; elles devenaient des crimes réprimés par des pénalités temporelles graduées.

A vrai dire, c'est l'Inquisition qui est établie par cette constitution de 1184, non pas encore l'inquisition pontificale qu'exerceront, au nom du Saint-Siège, des inquisiteurs appartenant le plus souvent à des ordres religieux, mais l'inquisition épiscopale dont devra s'acquitter l'évêque dans chaque diocèse, en vertu de ses attributions ordinaires de défenseur et de gardien de la foi.

Cette date de 1184 marque donc une étape importante dans l'histoire de la répression de l'hérésie; et en jetant un coup d'œil d'ensemble sur les mesures qui l'ont préparée, au cours du XIIe siècle, nous pouvons affirmer :

1º Que, répugnant d'abord aux peines temporelles et s'en tenant aux spirituelles, l'Eglise n'a soumis qu'à la fin du XIIe siècle l'hérésie à des châtiments matériels;

2º Qu'elle a été amenée à cette recrudescence de sévérité par la pression qu'ont exercée sur elle non seulement des rois pieux et soumis à sa direction, tels que Louis VII, mais encore des princes en révolte fréquente contre elle, tels que Henri II roi d'Angleterre et l'empereur Frédéric Barberousse;

3° Et que, dès lors, l'inquisition a été presque universellement pratiquée par l'autorité civile avant d'être établie dans le monde chrétien par une décision ecclésiastique.

A suivre : Doctrine des hérétiques.
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(col. 834)

Doctrine des hérétiques. — Comment se fait-il que le pouvoir civil ait montré pour la répression de l'hérésie, au XIIe siècle, un zèle qui dépassait et excitait sans cesse celui de l'Eglise? Il ne suffit pas pour l'expliquer d'alléguer le fanatisme; car comment admettre que les rois, même quand ils étaient en rupture déclarée avec le Saint-Siège, ou blasphémaient le dogme chrétien, comme le fera plus tard Frédéric II, aient été plus fanatiques que les gens d'Eglise? Comment surtout admettre qu'avant l'an mil, dans ces siècles de haut moyen âge qui n'ont pas connu les bûchers, les princes aient été universellement tolérants et soient devenus aussi universellement intolérants, après l'an mil? Le fanatisme peut avoir inspiré tel prince, telle exécution; mais il ne saurait expliquer la création, à la fin du XIIe siècle, d'une institution chargée de réprimer méthodiquement, et dans tout le inonde chrétien, l'hérésie.

On pourrait alléguer aussi, qu'en ordonnant des supplices contre les hérétiques, les princes donnaient satisfaction à la haine dont l'opinion publique poursuivait les sectes hétérodoxes. Il est certain en effet que, sauf dans les pays où les Cathares étaient tout-puissants, comme en Languedoc et dans certaines villes d'Italie, le peuple réclamait partout leur extermination. Investi dans sa ville du pouvoir temporel, l'abbé de Vézelay eut à juger, des hérétiques, en 1167; embarrassé sur le traitement qu'il devait leur infliger, il eut l'idée de consulter la foule : « Brûlez-les ! » lui répondit-elle; et ainsi fut fait (LEA, op. cit.,I, p. 350).

Des scènes du même genre se passèrent en beaucoup d'endroits. C'est qu'en effet les bruits les plus étranges circulaient dans le peuple sur les hérétiques. On racontait d'eux, comme on l'avait fait des premiers chrétiens, que dans leurs réunions secrètes ils se livraient aux débauches les plus honteuses, pratiquant non seulement l'union libre et la communauté des femmes, mais encore la promiscuité des sexes avec les vices de Sodome et de Gomorrhe. On disait encore que, lorsque des enfants naissaient de leurs unions honteuses, ils les mettaient à mort, réduisaient leurs corps en cendres avec lesquelles ils faisaient un pain dont ils se servaient pour parodier les rites augustes de la communion. On leur attribuait aussi des actes de sorcellerie et de magie.

Il est possible que certains de ces faits immoraux se soient produits; mais l'imagination populaire, excitée par le caractère mystérieux et secret des réunions hérétiques, les a probablement amplifiés ou même inventés. Quoi qu'il en soit, il ne semble pas que des faits de ce genre auraient suffi pour animer la plupart des princes et des gouvernements contre l'hérésie comme contre un danger public et universel.

C'est plutôt dans la doctrine des hérétiques…
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(col. 835)

Doctrine des hérétiques. (suite)

C'est plutôt dans la doctrine des hérétiques, et encore plus dans les conséquences sociales qui en découlaient logiquement et qu'on en tirait pratiquement, qu'il faut chercher la raison de cette répression des hérétiques par le pouvoir séculier.

Le néo-manichéisme a été la grande hérésie, ou plutôt la doctrine antichrétienne des XIe, XIIe et XIIIe siècles. Ce sont toujours ses adhérents qui sont désignés, selon les pays, par les noms variés d'Ariani, de Passagii, de Poplicani, de Patareni, de Josephini, etc.; c'est leur secte qui est visée quand on parle de ces hérétiques qui nient l'Eglise, le baptême, les sacrements et surtout le mariage, et déclarent criminel l'usage de la nourriture animale. Il est à croire que, si leurs docteurs avaient erré sur l'Eucharistie comme Bérenger de Tours, sur la grâce ou tel autre dogme particulier, l'émotion qu'ils auraient causée n'aurait pas dépassé le cercle des théologiens et l'enceinte des écoles.

Mais le catharisme n'a pas été, comme les hérésies qui l'ont précédé, l'interprétation hétérodoxe de tel ou tel dogme chrétien; il a été un système religieux complet, avec sa conception propre de la vie présente et de la vie future, du monde, de l'homme, de la divinité et de la destinée humaine, avec sa morale individuelle et sociale, avec ses idées politiques. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait heurté de front l'ordre social du moyen âge, établi sur le christianisme. Bien plus, sa conception profondément pessimiste de la vie l'a dressé contre tout ordre social.

Quelles que soient les manières différentes dont les chrétiens ont essayé de mettre en pratique leur idéal, selon la diversité des tempéraments, des vocations et des circonstances, on peut cependant résumer en quelques propositions la théorie que l'Eglise nous présente de la vie de sa valeur et du but vers lequel elle doit tendre.

A ses yeux, l'homme est de passage sur cette terre; le temps qu'il y vit est une épreuve. Incliné vers le mal par les mauvais instincts de sa nature viciée, les séductions et les infirmités de la chair, les tentations du démon, il est appelé au bien par la loi divine, les bons instincts que la chute originelle n'a pas pu faire complètement disparaître en lui; et dans cette lutte, il est soutenu par ce secours divin qu'il suffit de demander pour l'avoir, qui multiplie les forces de la volonté humaine sans détruire sa liberté et sa responsabilité, et qu'on nomme la grâce.

La perfection consiste à triompher des mauvais instincts, de manière que le corps demeure ce qu'il doit être, le serviteur de l'âme; à subordonner tous les mouvements de l'âme à la charité, c'est-à-dire à l'amour de Dieu, de sorte que Dieu soit le principe et la fin de l'homme, de toutes ses énergies, de toutes ses actions. Pour cela, il faut accepter avec résignation les épreuves de la vie et faire de toutes les circonstances au milieu desquelles on se trouve des occasions de perfectionnement et de salut. Qui ne voit, dès lors, que pour le chrétien la vie a un prix infini, puisqu'elle lui fournit le moyen d'acquérir la sainteté et la vie éternelle qui en est la conséquence?

Tout autre était l'idée de la vie que le Manichéen tirait de sa conception de Dieu et de l'Univers…
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(col. 835-836)

Doctrine des hérétiques.

(suite)

Tout autre était l'idée de la vie que le Manichéen tirait de sa conception de Dieu et de l'Univers. Procédant à la fois des deux principes éternels, le Bien et le Mal, par une double création, l'homme est une contradiction vivante : l'âme et le corps ne peuvent jamais se concilier, et prétendre les mettre en harmonie est aussi absurde que de vouloir unir des contraires, la nuit et le jour, le Bien et le Mal, Dieu et Satan. Dans le corps, l'âme n'est qu'une captive, et son supplice est aussi grand que celui de ces malheureux qu'on attachait jadis à des cadavres ! Elle ne retrouve la paix qu'en reprenant possession de sa vie spirituelle, et elle ne peut le faire que par sa séparation d'avec le corps. Le divorce de ces deux natures inconciliables, c'est-à-dire la mort, la mort non seulement subie et acceptée avec résignation, mais embrassée, mais provoquée comme une délivrance, est le premier pas vers le bonheur. Tout ce qui la précède et la retarde n'est que misère et tyrannie.

Avançant l'heure de la liberté et faisant disparaître au plus tôt le cauchemar aussi vide qu'odieux de l'existence, le suicide était la conséquence directe de pareils principes; le grand devoir de la vie, et à vrai dire le seul, était de la détruire.

Chez les Cathares, dit Mgr DOUAIS (Les Albigeois, p. 253), le suicide était, pour ainsi dire, à l'ordre du jour. On en vit qui se faisaient ouvrir les veines et mouraient dans un bain; d'autres prenaient des potions empoisonnées; ceux-ci se frappaient eux-mêmes.

L'Endura semble avoir été le mode de suicide le plus répandu chez les Albigeois.

Nous en avons cité un certain nombre de cas, dans notre préface du Cartulaire de Prouille, d'après les documents publiés par DÖLLINGER. Ils étaient assez fréquents pour que la Practica de l'inquisiteur BERNARD GUI contînt une sentence particulière de condamnation contre les hérétiques qui avaient tenté de se tuer et d'ajouter ainsi au crime d'hérésie, le crime de suicide. L'Endura n'en resta pas moins une exception.

Dans le catalogue des erreurs cathares dressé par les Inquisiteurs, la pratique du suicide n'est pas même mentionnée; d'autre part, elle est rarement citée dans les dépositions, et nous devons en conclure que les docteurs cathares, tout en proclamant la beauté du suicide, n'osaient pas en prêcher à tous l'usage. L'instinct de la conservation, et peut être aussi une certaine conception fataliste de la vie, tempéraient chez la plupart de leurs adeptes la brutale logique qui les aurait portes à la mort.

Si tous les Cathares ne se tuaient pas, ils n'en croyaient pas moins de leur devoir de tarir le plus possible en eux et dans l'humanité tout entière les sources et les manifestations de la vie.

Le fakir de l'Inde qui…
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(col. 836-837)

Doctrine des hérétiques.(suite)

Le fakir de l'Inde qui, par l'intensité de sa contemplation, tombe dans le nirvana, perd la conscience de sa propre existence. Si son âme est encore unie à un corps, du moins elle ne le sent pas. Elle a un avant-goût des jouissances purement spirituelles qu'elle goûtera lorsque, redevenue esprit, elle sera séparée de lui. Les Cathares ne pensaient pas autrement : s'abstraire de la vie corporelle au point d'en perdre la notion, et ainsi, consommer déjà sur cette terre le divorce de l'âme et du corps, pousser jusqu'à l'insensibilité l'abstention déjà prêchée par les Stoïciens, arrêter en quelque sorte la vie physique, voilà le dernier terme de la doctrine cathare, doctrine de mort s'il en fut; car, si elle s'était généralisée, le principe même de la vie humaine aurait été détruit.

Assurément, tous les Cathares n'en arrivaient pas à un aussi haut degré de perfection manichéenne; ils vivaient et même s'agitaient. Mais c'était par une contradiction duc à leur faiblesse. Ils n'en regardaient pas moins comme leurs modèles et leurs saints ceux qui avaient touché les profondeurs du nirvana. Il s'en trouvait en Languedoc. Berbeguera, femme du seigneur de Puylaurens, alla voir par curiosité un de ces Parfaits. « Il lui apparut, racontait-elle, comme la merveille la plus étrange. Depuis fort longtemps, il était assis sur sa chaise, immobile comme un tronc d'arbre, insensible à ce qui l'entourait. » (DOUAIS, op. cit., p. 10.)

Réprouvant la vie de l'humanité, les Cathares la détruisaient, en condamnant le mariage, la famille et la génération.

Ce sont ces articles de leur doctrine que les documents signalaient unanimement : legitima connubia damnant, lisons-nous toujours dans la définition qu'ils nous donnent de leurs croyances. La négation de la famille était en effet la conséquence logique et nettement avouée par eux de leur conception pessimiste de la destinée humaine. Si, en effet, la vie était, comme ils l'enseignaient, le plus grand des maux, il ne fallait pas se contenter de la détruire en soi-même par le suicide ou tout au moins par le nirvana; il fallait encore plus se garder de la communiquer à de nouveaux êtres qu'on ferait participer an malheur commun de l'humanité, en les appelant à l'existence. Etait-il possible d'imaginer un acte plus coupable dans ses conséquences que la procréation d'un enfant? Une âme vivait heureuse dans le royaume de Dieu, et voilà que, pour satisfaire sa passion, un homme la faisait descendre sur terre, dans le royaume de Satan, l'emprisonnait dans un corps impur et la condamnait à se dégager perpétuellement, par un effort constant et douloureux, de cette étreinte écœurante de la chair! Ne continuait-on pas ainsi la création malfaisante de Satan?

Les Albigeois ne faisaient aucune différence essentielle entre la débauche et le mariage…
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