Saint-Office et Inquisition.

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Louis Mc Duff
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§ III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques.

(SUITE)

(col. 1099-1100)

Une autre cause vint encore aggraver les rigueurs de l'Inquisition et multiplier ses condamnations.

Le roi de Grenade Aboul-Hasan avait pris par surprise, dans la nuit du 26 au 27 décembre 1481, la place de Zahara, mis à mort mille de ses défenseurs et tué ou réduit en esclavage toute la population. Ainsi recommença la guerre, plusieurs fois séculaire, entre Arabes et Chrétiens, mais, cette fois, ce fut pour aboutir, en 1492, à la prise de Grenade et à la suppression définitive de toute domination musulmane en Espagne. Or, c'était en terre musulmane que se réfugiaient les Juifs et les Judéo-chrétiens d'Andalousie, surveillés par l'Inquisition; et de là, d'accord avec les Arabes, ils conspiraient contre leur ancienne patrie. Aussi, lorsque les souverains catholiques eurent pris Grenade et porté à la puissance musulmane le coup décisif, ils crurent nécessaire de se débarrasser des ennemis intérieurs de leur patrie; et par un édit, daté de l'Alhambra de Séville, le 31 mars 1492, ils décrétèrent l'expulsion générale de tous les Juifs de leurs royaumes; ordre leur fut donné de passer la frontière dans les quatre mois; passé ce délai, ils seraient recherchés par l'Inquisition. Ce décret donna un nouvel aliment au zèle de Torquemada et dicta au Saint-Office de nouvelles condamnations.

La prise de Grenade, le 2 janvier 1492, posa aux souverains catholiques, à propos des Mores-Arabes et de ceux d'entre eux qui se convertissaient hypocritement an christianisme, les Morisques, le même problème qu'ils venaient de résoudre au sujet des Juifs et de leurs pseudo-convertis, les Marranes. Nous avons vu plus haut de quelle tolérance les Musulmans avaient joui au cours des siècles passés dans les états chrétiens de la péninsule. D'autre part, la capitulation de Grenade, consentie à son roi Boabdil par Ferdinand et Isabelle, garantissait aux Musulmans la liberté d'émigrer ou de demeurer sous la domination chrétienne, et dans ce dernier cas, de jouir de leurs libertés et en particulier de la liberté de conscience.

Mais ces traditions séculaires et ces promesses ne tinrent pas longtemps devant le désir qu'avaient Ferdinand et Isabelle de…
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Louis Mc Duff
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§ III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques.

(SUITE)

(col. 1100-1101)

Mais ces traditions séculaires et ces promesses ne tinrent pas longtemps devant le désir qu'avaient Ferdinand et Isabelle de centraliser et d'unifier leurs royaumes en éliminant, par l'exil ou la mort, les éléments ethniques et religieux qui ne s'assimilaient pas. Après avoir poursuivi et expulsé les Juifs avec l'instrument puissant qu'ils venaient de forger, l'Inquisition, ils expulsèrent et poursuivirent de la même manière les Mores, quand ils eurent la conviction qu'ils ne seraient jamais de bons et loyaux Espagnols.

La conversion, de gré ou de force, des Musulmans, et à son défaut l'expulsion, telles furent les mesures que l'on ne tarda pas à proposer au Conseil royal. Elles trouvèrent deux adversaires résolus. Le premier fut Torquemada, ce grand inquisiteur dont nous avons signalé le zèle et la dureté. Il restait fidèle à l'idée première, qui avait fait créer, au Moyen Age, l'Inquisition, non pas contre les Juifs ou les Infidèles — tels que les Musulmans qui pratiquaient leur religion et ne devaient pas être jugés d'après la loi chrétienne qu'ils ignoraient, — mais les hérétiques et les faux chrétiens qui corrompaient le christianisme. L'autre adversaire de ces mesures était l'archevêque de Grenade, Fernand Talavera qui, vivant au milieu des populations mores, espérait les convertir par la seule force de la vérité et de la charité, à quoi, d'ailleurs, il s'y appliqua de tout son pouvoir.

On pratiqua tout d'abord la politique de douceur: les Mores et même leurs anciens souverains, Boabdil et plusieurs de ses vassaux, purent résider dans le pays, y conservant leurs domaines privés. La charité de l'archevêque le faisait bénir par les Musulmans et même par leurs docteurs, avec lesquels il eut de courtoises controverses. Aussi les conversions se multiplièrent-elles; en un seul jour Talavera baptisa 3.000 Mores (DE CIRCOURT, Histoire des Arabes d'Espagne sous la domination des chrétiens. II. p. 26). Les souverains eux mêmes ménageaient les susceptibilités des vaincus, sous l'influence de Talavera et du gouverneur de Grenade.

Il semble d'ailleurs que l'Inquisition elle-même se soit relâchée alors de ses rigueurs dans toute l'étendue de la monarchie espagnole. A plusieurs reprises, la dureté de sa répression avait été dénoncée à Rome et elle dut fournir des explications au pape Alexandre VI. Ces explications ne furent pas sans doute jugées suffisantes; car, si nous en croyons LLORENTE, peu suspect d'indulgence envers le Saint- Siège (I, p. 285), « Alexandre VI, fatigué des clameurs continuelles dont Torquemada était l'objet, voulut le dépouiller de la puissance dont il l'avait investi. Il n'en fut détourné que par des considérations politiques : il voulait ménager la cour d'Espagne. »

Toutefois, il le dépouilla d'une partie de ses pouvoirs, en lui adjoignant comme grands inquisiteurs « avec pouvoirs égaux aux siens » quatre prélats, Ponce de Léon, archevêque de Messine, résidant en Espagne, Enneco Manrique, évêque de Cordoue, Sanchez de la Fuente, évêque d'Avila, et Alphonse Suarez, évêque de Mondognedo. Revenant même sur les décisions antérieures qui avaient organisé l'Inquisition, Alexandre VI enlevait au grand Inquisiteur Torquemada le jugement des appels à Rome en matière de foi, et les confiait à l'évêque d'Avila.

Mais la mort de Torquemada, le 16 septembre 1498, ramena les mesures de rigueur, en déterminant une réorganisation de l'Inquisition sous l'énergique impulsion de Ximénès.

Ximénès.…
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Louis Mc Duff
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§ III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques.

(SUITE)

(col. 1101-1102)

Ximénès. — Humble religieux franciscain, ce personnage s'était tellement imposé, par son intelligence et son caractère, à la reine Isabelle, qu'elle l'avait choisi pour confesseur et l'avait fait monter sur le siège primatial de Tolède. Il avait réformé, avec la plus grande énergie, son Ordre, il réforma de la même manière son diocèse. Il résolut de restaurer et d'étendre encore plus l'action de l'Inquisition, quelque peu ébranlée pendant les dernières années de Torquemada.

Il commença par faire nommer par les souverains catholiques son propre frère, le Dominicain Deza, grand Inquisiteur; mais, sans doute poussé par lui, celui-ci n'accepta ces fonctions qu'à la condition de les exercer sans partage dans toute l'Espagne. Aussi le pape Alexandre VI ne se contenta pas de confirmer sa nomination (1er septembre 1498); l'année suivante, il étendit son autorité à tout l'Aragon. Bientôt après, un autre bref pontifical (25 nov. 1501) rendit à Deza tous les pouvoirs qui avaient été enlevés à Torquemada et même les renforça en lui attribuant (15 mai 1502) la connaissance de tous les motifs de récusation allégués par les accusés et le pouvoir de faire juger par des subdélégués tous les appels apostoliques. (LLORENTE, IV, pp. 300-301).

Quoique archevêque de Tolède, Ximénès se fit adjoindre par le grand Inquisiteur à l'archevêque de Grenade Talavera dans l'œuvre de conversion des Mores. Mais son ardeur l'emporta plus loin que son charitable collègue. Il multiplia les mesures de protection et de faveur pour les nouveaux convertis; et ainsi put enregistrer, lui aussi, de nombreux néophytes; en un seul jour, le 18 décembre 1497, il en baptisa, par aspersion, quatre mille !

Ces conversions étaient trop nombreuses pour être sincères; elles étaient provoquées par des dons d'argent et surtout par « le désir de jouir de la liberté comme les vainqueurs ». D'autre part, les chefs religieux de l'Islam réagirent pour maintenir leurs coreligionnaires dans leur foi ; ils déclarèrent que la manière d'agir de Ximénès violait les garanties de liberté religieuse stipulées par la capitulation de 1492 ; de leur côté, un certain nombre de bons catholiques blâmaient les excès de zèle de l'archevêque. Ces résistances ne faisaient qu'irriter Ximénès: « Si l'on ne pouvait conduire doucement les Mores dans le chemin du salut, disait-il, il fallait les y pousser... Dans les affaires temporelles, les compromis sont bons quelquefois; dans les affaires de Dieu, ils sont toujours impies. D'ailleurs, ce n'est pas quand le mahométisme penche vers la ruine que nous devons mesurer nos coups ; il faut frapper aujourd'hui » . (ALVAR GOMEZ, p. 29).

Animé de pareils sentiments, il fit à Grenade un immense bûcher de tous les livres arabes qu'il put y trouver…
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§ III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques.

Ximénès.[suite]

(col. 1102)

Animé de pareils sentiments, il fit à Grenade un immense bûcher de tous les livres arabes qu'il put y trouver. Cet autodafé annonçait les autres. Les Mores se révoltèrent sur plusieurs points de l'ancien royaume de Grenade. En 1499, 1500 et 1501, après des combats acharnés, surtout dans les monts des Alpujarras, ils furent cruellement réprimés.

Les souverains catholiques, sans doute sur le conseil de Ximénès, crurent nécessaire de changer de politique ; ils établirent l'Inquisition à Grenade, et prononcèrent le bannissement de tous les Mores qui ne se convertirent pas, tandis que ceux qui se faisaient chrétiens, les Morisques, étaient exposés, comme les Marranes juifs, aux procès et aux condamnations du Saint-Office. L'archevêque de Grenade lui-même faillit être victime de cette réaction. Suspect aux fanatiques, à cause de la charité qu'il avait témoignée aux Mores, il fut accusé d'être lui-même Marrane et poursuivi, an nom de Deza, par l'inquisiteur de Cordoue, avec l'assentiment de son ancien collaborateur Ximénès. Il ne dut son salut qu'à Jules II, qui évoqua la cause à lui et la fit juger par son nonce en Espagne, lequel prononça un non-lieu en 1507.

L'édit d'expulsion contre les Mores fidèles à leur religion ne fut pas appliqué dans les états de Ferdinand le Catholique ; les seigneurs, qui tiraient des ressources considérables de leurs vassaux mores, les prirent sous leur protection et intervinrent auprès du gouvernement royal pour leur maintenir leur liberté de conscience. Aux Cortès de Mouzon (1510), ils renouvelèrent une demande qui avait déjà été faite avec succès, en 1488, et ils obtinrent la promulgation par le roi d'un fuero garantissant aux Mores des royaumes d'Aragon et de Valence pleine et entière faculté d'y résider et d'y commercer en professant librement l'Islam.

Ce privilège fut si bien observé, sous Ferdinand et dans les premières années du règne de Charles-Quint, que lorsque les comuneros se soulevèrent, en 1520, les Mores combattirent vaillamment dans les armées royales, donnant ainsi une preuve non équivoque de leur loyalisme. Ils furent en revanche l'objet d'une haine particulière de la part des communes et du peuple; le succès passager de la révolte eut pour effet la mort et l'expatriation de beaucoup d'entre eux et le baptême en masse des autres, au nombre de 16.000, dans le seul royaume de Valence.

Après avoir vaincu les comuneros, le gouvernement de Charles-Quint s'unit à eux pour achever la conversion des Mores. Il s'adressa an pape Clément VII pour obtenir d'être relevé du serment qu'il avait prêté d'observer fidèlement le fuero de Mouzon. Clément VII, qui était alors à la merci de l'empereur, finit par céder aux vives instances de l'ambassadeur espagnol, duc de Sessa; et par une bulle du 12 mai 1524, il l'invita à travailler à la conversion des Mores, malgré le fuero de Mouzon, allant jusqu'à lui permettre de réduire en esclavage ceux qui lui résisteraient.

En même temps, il est vrai, il lui adressa un bref lui conseillant la modération. Charles-Quint n'en tint pas compte…
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§ III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques.

Ximénès. [suite]

(col. 1102-1103)

En même temps, il est vrai, il [le Pape Clément VII] lui adressa un bref lui conseillant la modération. Charles-Quint n'en tint pas compte; non seulement il considéra comme apostats les Mores convertis par la force, par les comuneros, et livra à l'Inquisition tous ceux qui revenaient à l'Islam ; mais encore, le 16 novembre 1524, il promulgua un édit abolissant, dans toute la monarchie espagnole réunie sous son sceptre, l'exercice du culte mahométan. Tous les Mores qui refuseraient de se convertir devraient se réunir dans certains ports qui leur étaient indiqués, et de là être, le 31 décembre, déportés hors d'Espagne. Les délégués des Musulmans allèrent solliciter un délai de cinq ans ou tout au moins un adoucissement de l'édit. Reçus d'une manière inexorable, ils demandèrent l'intercession du grand Inquisiteur le cardinal Manrique, qui se montra humain à leur égard ; c'est LLORENTE lui-même qui le déclare (I, p. 433).

Sur une intervention de Manrique, l'empereur leur promit, le 16 janvier 1525, que, moyennant leur conversion, ils seraient traités comme les nouveaux chrétiens de Grenade et poursuivis seulement dans le cas d'une apostasie flagrante et constatée; une partie de leurs biens cultuels serait distribuée à leurs anciens chefs religieux, les alfaquis; la langue arabe et leurs coutumes seraient tolérées pendant dix ans; leurs groupements particuliers continueraient à s'administrer eux-mêmes, sans contribuer aux dépenses municipales; pour tout le reste, ils seraient mis sur le pied d'égalité avec les vieux chrétiens (LLORENTE, I, 433 et suiv.).

Ces adoucissements, obtenus de Charles-Quint par le grand Inquisiteur, facilitèrent la capitulation des Mores, qui reçurent le baptême en masse, en Aragon, en Catalogne et dans le royaume de Valence.

L'unité religieuse était donc établie en Espagne, en même temps que l'unité nationale et la centralisation monarchique. Sous le sceptre de Charles-Quint, héritier des souverains catholiques Ferdinand et Isabelle, il n'y avait que des catholiques : les vieux chrétiens, descendants de ceux qui, au cours des sept derniers siècles, avaient reconquis la péninsule sur l'Islam, les Juifs convertis ou Marranes, les Mores convertis ou Morisques.

Il est possible que l'empereur-roi ait cédé à des motifs d'ordre religieux et cru servir Dieu en convertissant ainsi les infidèles, mais le mobile religieux ne fut pas le seul; ses aïeux, Ferdinand et Isabelle, avaient été aussi pieux que lui, et cependant ils avaient traité différemment les hétérodoxes, tolérant les Maures à Grenade, pendant dix ans, et dans les états de Castille et d'Aragon toujours, et ne frappant que les faux convertis. Ces attitudes tolérantes ou intolérantes dépendirent en grande partie des conceptions politiques des souverains espagnols et des circonstances au milieu desquelles ils eurent à se débattre pour maintenir l'unité nationale, si précaire à ses débuts.

Vaincus en 1492, les Mores n'avaient pas abandonné…
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Louis Mc Duff
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§ III. L'Inquisition contre les Juifs et les Morisques.

Ximénès. [suite]

(col. 1103-1104)

Vaincus en 1492, les Mores n'avaient pas abandonné tout espoir de revanche; réfugiés chez leurs frères du Maroc, ils préparaient des expéditions pour la reconquête de Grenade; entre eux et l'Espagne, la guerre était permanente, tantôt sournoise et tantôt déclarée. Pour contenir les mouvements offensifs de l'Islam qui se préparaient sans cesse en Afrique, la monarchie espagnole dut commencer, dès les règnes de Ferdinand et d'Isabelle, ces expéditions africaines qui se poursuivirent, pendant tout le XVIe siècle, sous les règnes de Charles-Quint et de Philippe II. Les armées espagnoles occupèrent, sur la côte, Melilla en 1497, le peñon de Velez en 1508, Oran en 1509, Tenès, le peñon d'Alger, Bougie et Tripoli en 1510.

De leur côté, les Mores d'Afrique menaçaient à tout instant la sécurité intérieure de l'Espagne. Leurs expéditions de piraterie, qui allaient se poursuivre pendant trois siècles, infestant la Méditerranée, poussaient jusque dans l'intérieur des ports espagnols leurs coups de force; des bandits arabes terrorisaient l'ancien royaume de Grenade jusqu'aux portes de cette ville; et lentement, malgré ses lois, profitant des libertés laissées aux Morisques, les Mores expulsés s'infiltraient dans toute l'Andalousie. Enfin et surtout, malgré sa conversion apparente, l'élément morisque, toujours nombreux, riche et puissant, était en état de conspiration perpétuelle avec les Mores du Maroc ou ceux qui pénétraient en Espagne. Ainsi s'expliquent les nombreux soulèvements de Morisques, qui, aux moments critiques que traversa la monarchie, éclatèrent; le plus terrible fut celui qui, sous Philippe II, dura deux ans de 1567 à 1569, et eut pour conséquence la proscription générale des Morisques.

On s'était imaginé que le meilleur, le seul moyen d'assimiler l'élément arabe à l'unité espagnole, c'était de le convertir au christianisme, puisque c'était la religion musulmane, plus encore que la race et les conditions sociales, qui lui maintenait son caractère réfractaire. C'est cette pensée qui avait inspiré Charles-Quint, comme Isabelle et Ferdinand, quand ils avaient forcé les Mores vaincus de choisir entre le baptême et l'exil. C'est cette pensée qui avait dressé contre les Mores les comuneros en une aversion dans laquelle il est difficile de faire la part exacte du fanatisme ou du nationalisme. C'est encore cette pensée qui a fait approuver toutes ces mesures et même la répression inquisitoriale par des esprits distingués, imprégnés de l'esprit de la Renaissance et nullement fanatiques, tels que l'humaniste Pierre Martyr d'Anghiera, un ami de 1'archevêque de Grenade, Talavera.

Ainsi s'explique la faveur que rencontra l'Inquisition dans les milieux espagnols les plus divers, au XVIe siècle. Chargé de rechercher les faux frères, c'est-à-dire les Marranes et les Morisques qui, sous les apparences de christianisme, gardaient leurs croyances juives et musulmanes et avec elles leurs rancunes, leurs désirs de vengeance et leur haine contre l'Espagne, le Saint-Office apparaissait aux Espagnols comme une institution nationale chargée de préserver le pays de ses ennemis les plus dangereux, ceux qui vivaient cachés en son sein.

Remarquons d'ailleurs qu'à plusieurs reprises, le Saint-Siège intervint pour modérer les mesures de rigueur de l'Inquisition et prendre sous sa protection les Morisques; c'est ce que nous relevons dans le catalogue des actes pontificaux que nous donne LLORENTE, cependant si partial contre l'Eglise. Le 2 décembre 1530, Clément VII donnait aux inquisiteurs le pouvoir d'absoudre en secret les crimes d'hérésie et d'apostasie, par conséquent en dehors de tout procès public et à ce titre infamant ; le 15 juillet suivant, il ordonnait aux inquisiteurs de procéder en faveur des Morisques contre les seigneurs qui, en les surchargeant d'impôts, leur rendaient odieuse la religion chrétienne; le 2 août 1546, Paul III déclarait les Morisques de Grenade aptes à tous les emplois civils et à toutes les dignités ecclésiastiques; le 18 janvier 1556, Paul IV autorisait les confesseurs à absoudre secrètement les Morisques.

§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme…
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Louis Mc Duff
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(col. 1104-1106)

§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme. — Le protestantisme ne tarda pas à fournir un nouvel aliment à l'activité de l'Inquisition. Il pénétra de bonne heure en Espagne. Le roi d'Espagne étant en même temps empereur d'Allemagne et souverain des Pays-Bas, il y avait des communications fréquentes entre la péninsule et le monde germanique, berceau du luthéranisme. Les hauts fonctionnaires civils, les prélats de Castille, d'Aragon, de Valence et de Catalogne allaient souvent retrouver Charles-Quint dans les villes d'Allemagne où il séjournait ou au milieu des diètes qu'il présidait; plusieurs furent témoins des discussions qu'y souleva le luthéranisme naissant; l'un d'eux, Alphonse Valdès, secrétaire de l'empereur-roi, fut même chargé par lui de discuter avec les délégués des protestants les termes de la Confession qu’ils présentèrent à la diète d'Augsbourg.

L'humanisme d'Allemagne et des Pays-Bas avait pénétré ainsi en Espagne, où les études de philologie grecque, hébraïque et latine, en honneur à Alcala et hautement protégées par le cardinal Ximénès, grand inquisiteur d'Espagne, lui avaient préparé les voies. Erasme fut très lu et exerça une grande influence sur toute l'Espagne intellectuelle et religieuse, dans les premières années du XVIe siècle.

En Espagne, comme dans les pays germaniques, en France et en Italie, l'humanisme fut souvent le véhicule du protestantisme, même lorsque ses représentants protestaient, comme Erasme, de leur fidélité au catholicisme, mais à plus forte raison lorsque, tombant tout à fait du côté où ils penchaient, ils finissaient par professer eux-mêmes les nouvelles doctrines. Ce fut le cas, en Espagne, de l'humaniste Jean de Valdès, frère d'Alphonse.

Enfin les relations d'affaires, qui étaient fort actives entre les royaumes espagnols, l'Italie et les pays rhénans, amenèrent, avec les marchandises, les livres de Luther et des premiers réformateurs. Le 25 juin 1524, Martin de Salinas, représentant de l'infant Ferdinand, frère de Charles-Quint, écrivait de Burgos à son maître :

« Votre Altesse saura que de Flandre est venu un navire chargé de marchandises pour Valence; il portait plusieurs tonneaux de livres luthériens; pris par les Français, il a été depuis recouvré et envoyé à Saint-Sébastien. »

Une autre lettre du même au même, datée de Madrid le 8 février 1525, mentionne un autre chargement de livres hérétiques porté sur un navire vénitien dans un port du royaume de Grenade; ainsi les provinces basques et le royaume de Grenade risquaient de devenir des foyers de propagande protestante.

Ce fut en effet de Valladolid, en communications avec les provinces basques, et de Séville, en communications avec les ports de l'Andalousie, que le protestantisme menaça de gagner toute l'Espagne (MENENDEZ Y PELAYO, Historia de los heterodoxos españoles II. p. 315-316).

On s'explique, dès lors, que, écrivant, le 21 mars 1521, aux gouverneurs de Castille, en l'absence de Charles-Quint, Léon X leur ait instamment recommandé d'empêcher l'introduction de livres luthériens en Espagne. Le grand Inquisiteur prit aussitôt ses mesures en conséquence. C'était alors Adrien Florent, évêque de Tortose; il avait succédé à Ximénès en 1516, et devait, en 1522, remplacer sur la chaire de saint Pierre Léon X, sous le nom d'Adrien VI. Prêtre pieux et zélé, humaniste chrétien, il connaissait les dangers que dans les pays du Rhin, d'où il était originaire, l'humanisme païen et le luthéranisme faisaient courir à la foi catholique ; mais d'autre part, curieux des choses intellectuelles et lettré, il n'avait nullement l'intention de proscrire les études et les lettres. Il essaya donc de concilier la défense de l'Eglise et les justes libertés de l'esprit.

La défense de l'Eglise était aussi celle de l'Espagne et de sa jeune monarchie, car les difficultés au milieu desquelles l'empereur Charles-Quint se débattait en Allemagne, en face de l'opposition des seigneurs protestants et de l'anarchie sociale déchaînée par le luthéranisme qui allait éclater dans les révoltes socialistes des anabaptistes de Münster, montraient bien le désastre qu'eût été pour la nation espagnole, récemment unifiée, l'introduction en son sein d'une puissance de division telle que le protestantisme. Le risque était même plus grand qu'en Allemagne, parce que les Juifs et les Mores, mal convertis et nullement assimilés, en auraient tiré parti pour se soulever; et leur exemple aurait été suivi par les seigneurs et les communes, désireux de reprendre les privilèges féodaux que leur avaient retirés les souverains catholiques et Ximénès.

Ce fut donc dans l'esprit qui avait fait établir, quarante ans auparavant, le Saint-Office qu'Adrien Florent…
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§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.

[SUITE]

(col. 1106-1107)

Ce fut donc dans l'esprit qui avait fait établir, quarante ans auparavant, le Saint-Office qu'Adrien Florent, évêque de Tortose, et, après son élection comme souverain pontife, son successeur, le cardinal Manrique, archevêque de Séville, poursuivirent et firent détruire les livres luthériens. Mais le cas d'Erasme prouve qu'ils s'acquittèrent de cette tâche avec discernement et largeur d'esprit.

Humaniste facilement porté à mépriser le Moyen-Age et la scolastique, esprit critique et même railleur — on l'a appelé le Voltaire de la Renaissance, — Erasme n'avait pas ménagé, dans ses livres, ses attaques contre les abus de l'Eglise et contre l'Eglise elle-même ; car son naturel sceptique l'amenait parfois à traiter avec quelque désinvolture certaines croyances catholiques, si bien qu'il parut hésiter quelque temps entre l'Eglise catholique et Luther. Ses écrits furent très lus, en Espagne, non seulement parce que Rotterdam, son pays, faisait partie de la monarchie espagnole, mais surtout parce qu'une magnifique renaissance littéraire avait développé, en Espagne comme dans les Pays-Bas, cet humanisme et ces études de l'antiquité, dont Erasme était l'un des maîtres les plus renommés en Europe.

Ses préférences et ses hardiesses à l'égard de l'Eglise effrayèrent et scandalisèrent un certain nombre de prélats et de théologiens espagnols, qui dénoncèrent comme hérétiques la plupart de ses livres; et une vive controverse s'engagea entre partisans et adversaires de l'humaniste de Rotterdam. Or, parmi les défenseurs les plus décidés d'Erasme, figurait, à côté de l'archevêque de Tolède et de Maldonat, vicaire général de l'archevêché de Burgos, le grand Inquisiteur lui-même, le cardinal Manrique, archevêque de Séville.

Manrique fut obligé de recevoir la plainte de religieux qui accusaient Erasme, mais en attendant qu'elle fût examinée, il leur fit défense formelle de l'attaquer dans leurs sermons. Le 1er mars 1527, il présida, à Valladolid, une réunion pour l'examen de la dénonciation, et il l'inaugura en blâmant le religieux qui, malgré sa défense, avait dénoncé publiquement Erasme comme hérétique. Ses amis et lui firent remarquer que, bien loin de le condamner, les papes Léon X et Adrien VI (l'ancien inquisiteur) lui avaient témoigné leur faveur et donné des privilèges pour l'impression de ses œuvres, même de la plus attaquée, l'Enchiridion. Les religieux ayant persisté à demander justice, Manrique dut s'incliner; il les engagea à formuler leurs griefs en articles précis. Mais après plusieurs péripéties, l'affaire fut arrêtée par une intervention de Charles-Quint, provoquée par l'archevêque de Tolède Fonseca et le grand Inquisiteur Manrique. C'est ce que reconnaissait Erasme lui-même, écrivant de Bâle à ce dernier, le 21 mars 1528 : « Ago gratias Domino qui per tuam auctoritatem inconditas istorum tumultus mitigare dignatus est. »

Erasme triompha bruyamment : tandis que ses adversaires avaient gardé leurs attaques en manuscrit, sans doute à la demande de l'Inquisition, lui publia contre eux une violente Apologie, qu'il dédia au grand Inquisiteur lui-même. La discussion menaçait de recommencer par sa faute ; pour y couper court, Gattinara, chancelier de Charles-Quint, obtint du pape Clément VII un bref, imposant silence à tous les adversaires d'Erasme « sur tous les écrits où il combat Luther ». Cette restriction permettait la controverse sur tout le reste ; Manrique ne voulut pas le voir et, le bref reçu, il promulgua une défense générale d'attaquer Erasme.

La querelle recommença cependant. Un religieux franciscain, humaniste chrétien, Louis de Carvajal…
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§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.

[SUITE]

(col. 1107)

La querelle recommença cependant. Un religieux franciscain, humaniste chrétien, Louis de Carvajal, lança une Apologia monasticae religionis diluens [nagas ?] Erasmi ; il était tellement sûr de la protection que l'Inquisition accordait à son adversaire, que, pour ne compromettre personne avec lui, il ne mit sur son livre aucune mention d'imprimeur. Erasme répondit violemment, accablant son accusateur de toutes ces injures que les hommes de la Renaissance employaient volontiers et copieusement. Il ne se contenta pas de paroles ; il déféra lui-même le livre de son adversaire à l'Inquisition par une lettre où il demandait, à son ami Manrique, le châtiment de l'imprimeur clandestin (31 mars 1530) « Ad vestrae tamen Hispaniae tranquillitatem pertineret si clancularius ille typographus daret poenas, ne subinde peccet graviora, expertus felicem audaciam. »

Un esprit aussi libre qu'Erasme demandant le secours de l'Inquisition contre un religieux, voilà certes qui prouve que le fanatisme n'animait guère le grand Inquisiteur Manrique.

Tant qu'Erasme vécut, ses œuvres furent ainsi protégées par le Saint-Office espagnol. Ce fut seulement après sa mort (1536) et celle de Manrique (1538), que l'on reconnut le mal qu'avait fait à l'Eglise le scepticisme d'Erasme, et que l'Inquisition condamna ses écrits. Encore usa-t-elle de ménagements, ne proscrivant que le texte espagnol et permettant le texte latin expurgé. (Sur toute cette affaire, voir MENENDEZ Y PELAYO. Ilistoria de los heterodoxos españoles, tome II, chap. 1).

Cependant, plus le protestantisme se développait en Allemagne, y déchaînant la guerre civile et l'intervention étrangère, et plus l'Inquisition espagnole essayait, par sa vigilance et ses rigueurs, d'en préserver l'Espagne. LLORENTE signale de nombreuses condamnations qui frappèrent des protestants espagnols et étrangers, et plusieurs autodafés où ils furent brûlés. La répression s'accrut considérablement sous le règne de Philippe II, lorsque le roi, encore plus absolu que Charles-Quint, eut décrété la peine de mort contre les vendeurs et acheteurs de livres défendus (7 septembre 1558).

Il est à remarquer que c'est vers le même temps que l'Inquisition espagnole se rendit encore plus indépendante du Saint-Siège, de la hiérarchie de l'Eglise et même de l'épiscopat espagnol, dont elle ne craignait pas de citer les chefs devant son tribunal.

Le 10 mai, le Conseil du grand Inquisiteur, dont les membres étaient tous nommés par le roi, ordonna de ne tenir aucun compte de la venue de bulles pontificales portant dispenses de pénitences ; il prétendait ainsi interdire au Saint-Siège toute mesure de clémence adoucissant les rigueurs du Saint-Office. Le 28 septembre 1538, mourut Manrique, qui, dit LLORENTE, peu suspect d'indulgence à son égard, « mourut avec la réputation d'un ami et d'un bienfaiteur des pauvres » et doit « compter parmi les hommes illustres de son siècle... par cette vertu et d'autres qualités dignes de sa naissance » (op. cit., II, p. 76). Il ne fut remplacé qu'en septembre 1539 par Pardo de Tabera, archevêque de Tolède ; et ainsi, remarque Llorente, ce même Conseil, composé uniquement de fonctionnaires royaux, dirigea pendant un an tous les tribunaux de l'Inquisition.

En 1545, par une bulle datée du 1er avril, Paul III, voulant enrayer, dans la chrétienté tout entière, les progrès menaçants de l'hérésie…
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Louis Mc Duff
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Re: Saint-Office et Inquisition.

Message par Louis Mc Duff »

Saint-Office

§ IV. L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme.

[SUITE]

(col. 1108)

En 1545, par une bulle datée du 1er avril, Paul III, voulant enrayer, dans la chrétienté tout entière, les progrès menaçants de l'hérésie, institua la Congrégation générale du Saint-Office (voir plus loin), chargée de veiller, dans le monde entier, aux intérêts de l'orthodoxie. Parmi les cardinaux qui la composaient, il eut soin de nommer deux Espagnols de l'Ordre des Prêcheurs, Jean Alvarez de Tolède, évêque de Burgos, fils du duc d'Albe, et Thomas Badia, maître du Sacré-Palais. Malgré cette précaution, le Saint-Office espagnol prit ombrage de cette création, qui menaçait l'autonomie de plus en plus grande qu'il s'était donnée, et fit faire au pape des représentations par l'empereur. Paul III dut déclarer formellement qu'il n'avait pas eu l'intention de rien changer à ce qui avait été établi, et que l'institution de l'Inquisition romaine était sans préjudice des droits dont jouissaient les autres inquisiteurs, existant déjà ou pouvant être ultérieurement établis en dehors des Etats de l'Eglise (LLORENTE, II, P-78).

Llorente reconnaît plus loin que le Saint-Office espagnol se considérait comme à peu près indépendant du Saint-Siège.

« Les inquisiteurs d'Espagne, écrit-il, sont opposés de fait à l'infaillibilité du Souverain pontife (qu'ils prônent théoriquement), et refusent de se soumettre aux décrets du pape, lorsqu’ils sont contraires à ce qu'ils ont résolu ou à l'intérêt de leur système particulier... Le parti que l'Inquisition a osé prendre, tantôt injustement tantôt avec raison, de soutenir son autorité contre tout autre pouvoir..., a été la principale cause des démêlés continuels qui ont divisé les- deux puissances (spirituelle et temporelle). » (II, p 81-82).

Llorente oublie d'ajouter que ce qui donnait à l'Inquisition l'audace de tenir tête au pape, c'était la direction que lui imprimait le chef nommé par le roi, mais surtout ce Conseil suprême sans lequel le grand Inquisiteur lui-même ne pouvait rien, et dont les membres ne tenaient leur nomination et leur pouvoir que du roi et du pouvoir civil.

Cette audace, le Saint-Office espagnol la montra lorsqu'il n'hésita pas à poursuivre jusqu'aux chefs de l'Eglise d'Espagne, même protégés contre lui par le Saint-Siège.

Procès de Carranza. L'Index espagnol. …
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