Saint-Office
(col. 1104-1106)
§ IV.
L'Inquisition, la Réforme et la Renaissance. Procès d'Erasme. — Le protestantisme ne tarda pas à fournir un nouvel aliment à l'activité de l'Inquisition. Il pénétra de bonne heure en Espagne. Le roi d'Espagne étant en même temps empereur d'Allemagne et souverain des Pays-Bas, il y avait des communications fréquentes entre la péninsule et le monde germanique, berceau du luthéranisme. Les hauts fonctionnaires civils, les prélats de Castille, d'Aragon, de Valence et de Catalogne allaient souvent retrouver Charles-Quint dans les villes d'Allemagne où il séjournait ou au milieu des diètes qu'il présidait; plusieurs furent témoins des discussions qu'y souleva le luthéranisme naissant; l'un d'eux, Alphonse Valdès, secrétaire de l'empereur-roi, fut même chargé par lui de discuter avec les délégués des protestants les termes de la Confession qu’ils présentèrent à la diète d'Augsbourg.
L'humanisme d'Allemagne et des Pays-Bas avait pénétré ainsi en Espagne, où les études de philologie grecque, hébraïque et latine, en honneur à Alcala et hautement protégées par le cardinal Ximénès, grand inquisiteur d'Espagne, lui avaient préparé les voies. Erasme fut très lu et exerça une grande influence sur toute l'Espagne intellectuelle et religieuse, dans les premières années du XVIe siècle.
En Espagne, comme dans les pays germaniques, en France et en Italie, l'humanisme fut souvent le véhicule du protestantisme, même lorsque ses représentants protestaient, comme Erasme, de leur fidélité au catholicisme, mais à plus forte raison lorsque, tombant tout à fait du côté où ils penchaient, ils finissaient par professer eux-mêmes les nouvelles doctrines. Ce fut le cas, en Espagne, de l'humaniste Jean de Valdès, frère d'Alphonse.
Enfin les relations d'affaires, qui étaient fort actives entre les royaumes espagnols, l'Italie et les pays rhénans, amenèrent, avec les marchandises, les livres de Luther et des premiers réformateurs. Le 25 juin 1524, Martin de Salinas, représentant de l'infant Ferdinand, frère de Charles-Quint, écrivait de Burgos à son maître :
« Votre Altesse saura que de Flandre est venu un navire chargé de marchandises pour Valence; il portait plusieurs tonneaux de livres luthériens; pris par les Français, il a été depuis recouvré et envoyé à Saint-Sébastien. »
Une autre lettre du même au même, datée de Madrid le 8 février 1525, mentionne un autre chargement de livres hérétiques porté sur un navire vénitien dans un port du royaume de Grenade; ainsi les provinces basques et le royaume de Grenade risquaient de devenir des foyers de propagande protestante.
Ce fut en effet de Valladolid, en communications avec les provinces basques, et de Séville, en communications avec les ports de l'Andalousie, que le protestantisme menaça de gagner toute l'Espagne (M
ENENDEZ Y P
ELAYO,
Historia de los heterodoxos españoles II. p. 315-316).
On s'explique, dès lors, que, écrivant, le 21 mars 1521, aux gouverneurs de Castille, en l'absence de Charles-Quint, Léon X leur ait instamment recommandé d'empêcher l'introduction de livres luthériens en Espagne. Le grand Inquisiteur prit aussitôt ses mesures en conséquence. C'était alors Adrien Florent, évêque de Tortose; il avait succédé à Ximénès en 1516, et devait, en 1522, remplacer sur la chaire de saint Pierre Léon X, sous le nom d'Adrien VI. Prêtre pieux et zélé, humaniste chrétien, il connaissait les dangers que dans les pays du Rhin, d'où il était originaire, l'humanisme païen et le luthéranisme faisaient courir à la foi catholique ; mais d'autre part, curieux des choses intellectuelles et lettré, il n'avait nullement l'intention de proscrire les études et les lettres. Il essaya donc de concilier la défense de l'Eglise et les justes libertés de l'esprit.
La défense de l'Eglise était aussi celle de l'Espagne et de sa jeune monarchie, car les difficultés au milieu desquelles l'empereur Charles-Quint se débattait en Allemagne, en face de l'opposition des seigneurs protestants et de l'anarchie sociale déchaînée par le luthéranisme qui allait éclater dans les révoltes socialistes des anabaptistes de Münster, montraient bien le désastre qu'eût été pour la nation espagnole, récemment unifiée, l'introduction en son sein d'une puissance de division telle que le protestantisme. Le risque était même plus grand qu'en Allemagne, parce que les Juifs et les Mores, mal convertis et nullement assimilés, en auraient tiré parti pour se soulever; et leur exemple aurait été suivi par les seigneurs et les communes, désireux de reprendre les privilèges féodaux que leur avaient retirés les souverains catholiques et Ximénès.
Ce fut donc dans l'esprit qui avait fait établir, quarante ans auparavant, le Saint-Office qu'Adrien Florent…