L' Ami du Clergé sur Mgr Darboy

chartreux
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L' Ami du Clergé sur Mgr Darboy

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Pour compléter la petite discussion qui a été faite ici, je reproduis le texte de l'article de l' Ami du Clergé sur Mgr Darboy, l'unique source citée par John S. Daly dans son étude sur Mgr Darboy ().
Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, colonne de gauche a écrit : La Revue d'Histoire et de Littérature religieuses a donné (mai-juin 1907), sous ce titre : Mgr Darboy et le Saint-Siège, quarante-deux pages 4 de documents inédits, pour la plupart lettres de l'archevêque au Pape ou au cardinal Antonelli. Elle les publie d'après les minutes mêmes de l'archévêque, avec les corrections qu'il y avait faites. Elle les publie d'ailleurs sans commentaire, à titre simplement de documents. D'aucuns parmi les modernistes en ont conçu une joie malsaine, aimeraient à montrer dans ces lettres un modèle de l'attitude « indépendante et fière » qu'un évêque se doit de garder vis-à-vis du Saint-Siège. C'est une leçon toute contraire qui s'en dégagera pour quiconque a un peu de sens ecclésiastique.
Un document qui domine et éclaire toutes ces difficultés et que ladite Revue n'avait pas à reproduire puisqu'il n'est pas inédit, c'est la lettre de Pie IX à Mgr Darboy, en date du 2 octobre 1865. Les biographes de Mgr Darboy, M. Guillermin et le cardinal Foulon, n'en ont donné qu'un resumé
Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, colonne de droite a écrit : ou des fragments tout fait insuffisants. [1]

[1] Le texte intégral en a été publié en divers « journaux périodiques de France ou de l'étranger en 1868 ou 1869 -notamment dans l'Univers des 18 et 22 mars 1869, de plus, dans l'ouvrage de M. Em. Ollivier, le 19 janvier , à partir de la IIIème édition (mais l'ouvrage cet épuisé aujourd'hui en librairie).

Il faut d'abord en transcrire les points principaux. On pourra les comparer ensuite, en connaissance de cause, avec l'attitude de l'archevêque et les sentiments qu'il exprime soit avant soit après la Lettre pontificale. (Mgr Darboy, évêque de Nancy en 1859, avait été nommé archevêque de Paris par décret du 10 janvier 1863, puis appelé au Sénat par décret du 5 octobre 1864).
Le Pape rappelle d'abord la Lettre qu'il a écrite, de sa propre main, à l'archevêque, novembre de l'année précédente (1864) et qui était si pleine d'une bienveillance paternelle. Le Pape en espérait quelque fruit :
Ea profecto spe nitebamur fore ut illis amantis Nostri in Te animi sensibus permotus, velles Nostroe erga Te dilectioni studiosissime reepondere Nostrisque desideriis perlibenter obsecundare Tuamque erga Nos et hanc Petri Cathedram observationam ac devotionem luculenter ostendere, veluti Catholicum Antistitem omnino decet.
Le Pape était d'autaut plus fondé à l'espérer, que Mgr Darboy lui avait fait des promesses de dévouement et d'obéissance, lors de sa translation au Siège de Paris :
Atque eo magis id sperabamus quod cum ad istam Parisiensem Archiepiscopalem Ecclesiam fuisti designatus, Tuas ad Nos litteras perferendas curasti, quibus profitebaris Te Nobis et huic Apostolicae Sedi esse addictissimum et summa Nos eamdemque Sedem Reverentia colere.


C'est dans te espoir que le Pape, en sa Lettre du 24 nov. 1864, n'avait pas même dit un mot de la lettre profondément affligeante qu'il venait de recevoir de l'archevêque (datée du 1er-septembre 1864 : nous en citerons plus bas les passages significatifs)
Hac igitur spe freti, (poursuit Pie IX), in commemorata Nostra Epistola ne verbum quidem facere existi-

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Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1122, colonne de gauche a écrit :
mavimus de Tuis liiteris, Kalendis mensis septembris, eodem superiore anno datis quibus respondisti Nostrae Epistolae, die 26 aprilis ejusdem anni Tibi scriptae circa aliquas res ad istam Tuam Dicecesim pertinentes, quae Tuae litterae non leviter Nobis admirationi et tristiae fuerunt, cum ex illis, praeter omnem expectationem Nostram intelleximus Te eas habere opiniones quae divino Romani Pontificis in universam Ecclesiam Primatui omnino adversantur.
Quelles étaient ces opinions hététrodoxes de l'archevêque ? Il ne veut pas de la juridiction ordinaire et immédiate du pape sur les Egilses particulières ; conséquemment il taxe d'abus le droit d'appel au Pape, et il va jusqu'à porter ces vues à la tribune du Sénat de l'Empire (discours prononcé le 16 mars 1865) :
Et sane asserere non dubitas, Romani Ponficis Potestatem in Episeopales dicaceses nec ordinarium nec immediatam esse. Opinaris Romanum Pontificem tunc dumtaxat in alienam Dioecesis posse suam interponere Auctoritatem quando Dioecesis ipsa ita aperte sit inordinata ac perturbata ut Summi Pontificis interventus sit unicum remedium quo animarum saluti et Pastorum negligentiae consulatur. - Divinum autem jus, ex quo Episcopus est solus in sua Dioecesi judex, minime recognosci arbitraris, cum Summas Pontifex extra commemoratum evidentis necessitatis casum Sese dioecesis negotiis commiscet. — Atque existimas dioecesim canonice erectam in qua hierarchia est constituta,in missionum regiones converti, si Romanus Pontifex extra praedictum casum Suam Potestatem erga dioecesim exerceat. Insuper, in sermone potissimum a Te ad istum, Senatum habito, affirmasti abusam esse appellationes ad hanc Apostolicam Sedem, et oppugnas jus quo singuli fideles potiuntur appellandi ad Summum Pontificem, et inquis id impedire ac prope impossibilem reddere dioecesis administrationem.


L'archevêque ne s'en est pas tenu à des vues théoriques; il fera tout ce qui est en lui pour s'opposer aux abus de pouvoir de Rome ; il en appelera à l'épiscopat de France, voire même au public :
Dum vero hanc doctrinam manifestare minime haesitas, clare aperteque declaras quibus modis uti velis ad eam firmiter servandam. Namque significas Tibi in animo esse totis viribus obsistere et curare ne directus Romani Pontificis interventus extra saepe repetitum necessitatis casum locura habeat, asserens Regularium et istius Nuntiaturae et Romanorum Congregationum rationem eo spectare ut Summi Pontificis interventus directe in dioeceses inducatur. Ac preterea ais Te velle, tum alios Venerabiles Fratres Galliae Sacrorum Antistites excitare ut una Tecum conspirent, tum ad vulgus appellare apta adhibita instructione.
L'archevêque, toujours dans son discours au Sénat, avait ressuscité le vieux placitum regium ; il parlait de soumettre les Lettres Apostoliques au visa du pouvoir civil ; il reconnaissait, lui dit le Pape, une certaine autorité aux Articles organiques (Em. Ollivier, parlant de eette harangue, la qualifie simplement « le discours du prélat au Sénat en faveur des lois organiques ») :
Eodem autem sermone a Te penes istum Senatum recitato haud veritus es varios in medium proferre modos supremae Romani Pontificis et Apostolicae hujus Sedis Auctoritati maxime contrarios, retinendi scilicet Apostolicas Litteras, illasque civilis auctoritatis arbitrio placitoque subjiciendi, et confligiendi ad laicam Potestatem. Quo sermone, typis in lucem deinde edito, verba
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Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1122, colonne de gauche a écrit :
etiam faciens de articulis organicis, quanadam eisdem auctoritatem et reverentiam deferendam censuisti, utpote respondentibus praeexistenti et graviori Societatis conditioni ac necessitati, cum haud ignores quomodo Apostolica Sedes contra eosdem articulos a laica Potestata editos et Catholicae Ecelesiae doctriae ejusque juribus ac libertati adversos protestari nunquam omiserit.
Le Pape ajoute qu'il n'aurait jamais pu croire à de tels sentiments de la part du prélat si celui-ci ne les eût formulés lui-même soit dans sa lettre du 1er septembre 1864 au Pape, soit dans son discours au Sénat « Equidem, Venerabilis Prater, nunquam credere potuissemus Te hisce sensibus esse animatum, nisi illos ex proedictis Tuis Litteris mense septemtri ad Nos datis, et ex memorato Tuo sermone, cum summo animi Nostri dolore agnovissemus. » Et il lui rappelle la parenté de ces idées avec celles de Fébronius ; — la définition dogmatique portée au IVe Concile oecuménique de Latran touchant la puissance ordinaire du Pape sur toutes les Églises : Romana Ecclesia, disponente Domino, super omnes alias ORDINARIAE potestatis obtinet Principatum, utpote Mater universorum Christi fidelium et Magistra (Conc. Lat. IV, cp. 5) [1] ; -- le sentiment unanime de l'Église et l'enseignement des Docteurs, notamment de saint Thomas ; —- la doctrine de saint Gélase Ier et de Benoît XIV sur le droit d'appel.

[1] Définition renouvelée et développée par le Concile du Vatican, Const. Pastor aeternus, cp. III, De vi et ratione Primatus Romani Pontificis : voir surtout l'alinéa qui commence par ces mots : Docemus proinde et declaramus , et le canon final : Si quis itaque dixerit, Romanum Pontificem habere tantum modo officium inspectionis vel directionis, non autem plenam et supremam potestatem jurisdictionis in universam Ecclesiam, non solum in rebus, quae ad fidem et mores, sed etiam in iis, quae ad disciplinam et regimen Ecclesiae per totum orbem diffusae pertinent; aut eum habere tantum potiores partes, non vero totam plenitudinem hujus supremae potestatis; aut hanc ejus potestatem non esse ORDINARIAM et IMMEDIATAM sive in omnes ac singulas Ecclesias, sive in omnes et singulos pastores et fideles; anathema sit. D'autres alinéas du même chapitre du Concile, les alinéas Porro et Et quoniam, visent les autres erreurs formulées par Mgr Darboy (sur le placitum regium et sur le droit d'appel).


L'archevêque a prétendu que ce droit d'appel lui rendait impossible l'administration de son diocèse — mais, répond Pie IX, c'est là une impossibilité dont jamais aucun évêque catholique n'a rien su, ni aujourd'hui ni dans les siècles écoulés : si une impossibilité de cette sorte pouvait exister, c'est d'abord sur le Pontife Romain qu'elle pèserait, sur le Pontife Romain qui a la sollicitude de toutes les Églises, et non sur un simple évêque, qui n'a à répondre que de son diocèse. Loin d'être une entrave, cette juridiction universelle du Pape ne peut être, pour tout évêque à l'âme religieuse, qu'un sujet de consolation et une force, devant Dieu, devant l'Église, devant les ennemis mêmes de l'Eglise : "omnis religiosœ mentis Episcopus ex eodem jure ac jurisclictione,.. maximum solatium, consolationem ac robur "
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Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1123, colonne de gauche a écrit : percipit coram Deo et Ecclesia et coram ipsis Ecclesiae hostibus...

Tandis que c'est malheureusement une vérité d'expérience universelle qu'un évêque non seulement perd sa force, debilem fieri , mais devient le jouet des adversaires, adversariorum ludibrium , dans la mesure même où il adhère moins fermement à la Pierre inébranlable sur laquelle le Christ Seigneur a bâti son Eglise et contre laquelle il a promis de ne jamais laisser prévaloir les portes de l'enfer.

Quant à l'appel que l'archevêque menace d'adresser aux évêques de France et au public lui-même, c'est une injure énorme, maximam injuriam , dit Pie IX, non pas seulement au divin Auteur de la Constitution de l'Église, mais à l'épiscopat et au peuple catholique de France.

Pie IX aborde ensuite et traite longuement la question des Réguliers et de leur exemption canonique. Il traite la question de droit, que l'archevêque semble ignorer ; il traite la question de fait, en ce qui concerne les Réguliers de Paris (Jésuites et Capucins) dont l'archevêque a voulu violer et nier l'exemption. Il déclare d'abord que ce ne sont pas les religieux eux-mêmes qui lui ont déféré l'affaire. Il passe ensuite au reproche de l'archevêque, qui se plaint qu'on ait rendu contre lui une « sentence » sans l'avoir entendu : il n'a pas été question de sentence, dit le Pape, mais d'un avertissement affectueux, Te amanter monuimus (allusion à la Lettre pontificale du 26 avril 1864) : comment l'archevêque peut-il s'oublier à pareil reproche, quand il n'aurait qu'à ouvrir les Décrétales pour y lire que de tout temps les Pontifes Romains ont librement écrit leur peine aux Evêques contre lesquels ils avaient entendu des plaintes? Que de Canons commencent par ces mots Relatum... Querelam... Ad audientiam ... Ad Nostram audientiam,.. Ad aures, etc., etc. Jamais les évêques n'ont vu dans ces Lettres des « sentences » rendues inaudita parte ; et loin de s'en indigner, ils les ont accueillies dans l'esprit où elles étaient écrites, scilicet tanquam invitationes, vel ad comprobandam rem a se peractam, ver ad recognoscendum malefactum, illudque reparandum . Une autre manière de procéder, dit le Pape, rendrait par trop difficile au Vicaire du Christ le gouvernement de l'Église universelle, et ne serait pas suffisamment conforme à la mansuétude épiscopale.


Le Pape, dans sa Lettre du 26 avril 1864, n'a donc pas voulu rendre de sentence, mais seulement avertir. Ce ne serait d'ailleurs que justice, que transformer cet avertissement en sentence juridique. Car ces Religieux parisiens ont pour eux la possession ; les prédécesseurs de l'archevêque ont toujours respecté leur exemption et ne leur ont pas ménagé les témoignages de bienveillance et de révérence. L'acte de l'archevêque est donc une vraie spoliation, une spoliation non point même recouverte des apparences juridiques,
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Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1123, colonne de droite a écrit :
mais une spoliation de fait, au détriment du droit soit des Réguliers soit du Saint-Siège sur les Réguliers : de spolia agitur per factum patrato contra possessionem quam Apostolica Sedes et Regulares habebant . Et l'archevêque ose invoquer, à l'appui de son fait, les lois civiles ! Mais qu'il prenne garde que les lois civiles peuvent demain, in dies , dénier l'existence légale, l'existence civile, à l'institution épiscopale elle-même et à toute espèce d'institution ecclésiastique ! Sera-ce une raison pour leur dénier, ce jour-là, l'existence canonique et les droits qu'ils tiennent de la Constitution de l'Église ? ... L'archevêque prétend que les Réguliers ont à lui exhiber l'écrit authentique qui les a autorisés, dans les âges écoulés, à s'établir à Paris mais aucune Constitution canonique n'impose une autorisation donnée par écrit, et puis enfin, il y a la possession : facta potentora sunt verbis et scriptis .

Une autre question, qui n'a pas l'importance doctrinale des points précédents, mais qui fit alors un bruit énorme, ce fut la présence de l'archevêque aux obsèques du maréchal Magnan (le 29 mai 1865). Magnan était grand-maître de la Franc-Maçonnerie ; les maçons firent acte de présence à la messe basse qui fut dite pour lui aux Invalides, et l'archevêque donna l'absoute. Or, on prétendit que les insignes maçonniques avaient été attachés au catafalque et mis sur le cercueil ; que, de plus, les assistants eux-mêmes s'en étaient décorés. L'archevêque affirma ne les avoir pas vus, et qu'ils n'avaient pas été vus non plus par les prêtres qui l'accompagnaient, ni par le curé et les vicaires des Invalides ; que du reste il ignorait « complètement en quoi consistent ces insignes », et qu'en toute hypothèse il pouvait prouver, par la description des lieux et par des témoignages qu'il ne lui était pas possible de les apercevoir.
Mais, lui répond Pie IX, il devait bien cependant prévoir que les Maçons feraient quelque chose, et puis songer au scandale que causerait sa présence :

Verum optime sciebas, Venerabilis Frater, illum defunctum virum dum vixit, Magni uti appellant Orientis munus proscriptae ejusdem sectae misere sustinuisse ; et idcirco facile prievidendum erat ejusdem sectae socios ille funeri esse interfuturos ac simul curaturos ut ipsius sectae insignia ostentarentur. Itaque pro Tua Religione omnia Tibi erant sedulo consideranda et omnino ab illis exsequiis cavendum ne Tua praesentia et opera excitaretur gravissima illa admiratio et offensio qua omnes viri catholici merito affecti fuerunt.
Et Pie IX lui rappelle les Constitutions de ses prédécesseurs qui condamnent la Maçonnerie : Clément XII, Benoît XIV, Pie VII, Léon XII, lui-même en son Encyclique du 9 novembre 1846, etc.
Ici on est tenté de se demander pourquoi Pie IX prend la peine de rappeler à un archevêque des condamnations que n'ignorent pas les


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Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1124, colonne de gauche a écrit :
enfants eux-mêmes de nos catéchismes. C'est que l'archevêque avait prétendu ne pas connaître les Bulles qui condamnaient la Franc-Maçonnerie, sous prétexte que ces Bulles n'avaient pas été promulguées en France! Du moins c'est ce qu'avait dit au Pape un envoyé venu à Rome au nom de l'archevêque.

Pie IX s'en expliqua en termes très énergiques, non pas dans la Lettre que nous venons d'analyser, mais au cours d'un entretien avec notre ambassadeur (8 août 1865) : « Ce moyen de défense n'est pas sérieux, dit le Pape : tout le monde connaît, ou bien sait où trouver ces Bulles ; lui seul prétend les ignorer et passe outre. Il fait en ceci un gallicanisme qui n'est plus de ce monde et touche au schisme. Le Pape ne peut tolérer cela. Le Pape doit parler et il parlera. »

Sur une observation de l'ambassadeur conseillant la circonspection, le Pape répondit « La circonstance, je le sais, demande de la prudence ; aussi, voyez-vous, je n'ai encore rien fait ni rien dit, et, en tout cas, pour commencer je ne ferai rien de public, J'observerai les trois degrés d'admonition. canonique, d'abord confidentielle, puis devant témoins, et enfin à la face de l'Église. Voilà les trois étapes qui conduisent naturellement la censure; je suis encore loin d'avoir à recourir à cette dernière mesure, si l'on se soumet auparavant; sinon... »

II. -- La Lettre pontificale du 26 octobre 1865 était le premier des trois degrés prévus d'admonition canonique, confidentielle donc et destinée à rester secrète. Elle le resta en effet jusqu'au commencement de l'année 1868.

Comment Mgr Darboy l'accueillit-il?

M. Em. Ollivier écrivait, il y a quatre ans (Emp. libéral, t. vii, p. 499) : « Mgr Darboy ne se soumit pas, comme on l'a dit, à cette censure injuste ; mais il garda le silence et ne se défendit pas. »

C'est malheureusement vrai. Mgr Darboy ne se soumit pas. Sa lettre au Pape est datée du 1er janvier 1866. Il y dit quelques mots de l'affaire Magnan et garde le silence sur le reste; qu'il qualifie « vaines querelles de mots. » En voici le texte, tel qu'il est publié par Revue d'Hist. et de Litt. rel. , p. 263 :
Paris, le 1er janvier 1866. — Très saint Père. J'ai eu l'honneur de faire connaître à V. Si, il y a quelques semaines, ce que je pense de certains procédés suivie à mon égard. Dans la réponse que vous avez bien voulu m'adresser en date du 26 octobre et (qui) m'est arrivée le 12 novembre, je ne veux chercher autre chose que l'occasion de vous montrer toute la loyauté de mes sentiments, heureux si je puis vous en convaincre et vous prémunir assez contre les faux rapports dont je suis l'objet.


Je déplore le malentendu qui semble exister entre nous, et je désire contribuer à le faire cesser. Dans cette vue, je m'abstiens de discuter ici aucune accusation, aucun reproche.


Je le fais pour rendre hommage au Vicaire de Jésus-
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Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1124, colonne de droite a écrit :
Christ. Cette déclaration, Je la fais volontiers, et par esprit de foi, et pour honorer en votre personne la majesté du Souverain et par respect des convenances sociales. Et quand je n'aurais pas ces motifs, je la ferais encore par courtoisie et pour épargner à votre noble coeur de la peine et de l'ennui. Il y a plus, Très saint Père ; je ne veux pas, en écrivant directement à V. S., combattre et réfuter les assertions même les plus inexactes et les plus injustes, par exemple celles qui sont relatives aux funérailles du Maréchal Magnan; car quoi qu'on vous en ait dit, les insignes maçonniques n'ont point été placés sur son cercueil ou catafalque [1] et l'on ne vous a fait à cet égard qu'une version mensongère : au besoin, je le prouverais juridiquement. Je pourrais en dire beaucoup plus.
[1] Ici Mgr D. avait d'abord écrit : "et les francs-maçons n'ont point paru à l'église de manière à frapper l'attention publique. Je pourrais encore ajouter autre chose."
Mais encore une fois, Très saint Père, je ne discute pas ici. Permettez-moi de passer par-dessus de misérables détails où, en définitive, il ne s'agit que de ma personne, et par-dessus de vaines querelles de mots indignes de vous et de moi, parce que la vérité (y) gagne moins que la charité n'y perd, pour dire simplement et sincèrement que je suis plein de respect et de dévouement envers votre personne, et que je n'ai pas d'autre doctrine que celle de l'Eglise, ma mère [2].
[2] Ici Mgr D. avait ajouté, après coup, les lignes suivantes, qu'il n'a pu se décider à maintenir et qu'il a supprimées ensuite : « Laissez-moi dire seulement que je n'ai pas d'autre doctrine que celle du Saint-Siège, particulièrement sur les droits respectifs du pape et des évêques, sur les rapports de l'Église et de l'État et sur le caractère malfaisant des erreurs professées par certaines sociétés secrètes. »
Ainsi donc, Très saint Père, au lien de relever quelques expressions que votre âme loyale et généreuse regretterait sans doute si vous me connaissiez mieux, je préfère m'attacher aux paroles bienveillantes qui terminent votre lettre, vous en remercier avec gratitude et vous offrir, en retour, la nouvelle assurance de ma plus fidèle et tendre vénération. [3]
[3] Mgr D. avait d'abord écrit « du plus entier dévouement ». il y a substitué le mot « vénération », moins compromettant sans doute et qui engage à moins.
Je me persuade, au reste, que toutes vos préventions à mon égard tomberont, quand j'aurai l'honneur de m'expliquer de vive voix avec Votre Sainteté.
L'archevêque avait ajouté, pour terminer, cette phrase qu'il a biffée ensuite : « Je me propose d'aller à Rome quand il me sera possible de faire utilement ce voyage et je désire que ce soit bientôt. »

Ainsi donc, l'archevêque ne jugeait pas «utile » une visite ad limina en une circonstance aussi grave ! Quelle lettre ! Combien tardive d'abord et révélatrice de quel triste fond d'âme ! Traiter de « misérables détails », de « vaines querelles de mots, indignes de vous et de moi », des questions aussi capitales ! Parler de « convenances sociales» vis-à-vis du Pape ! S'abstenir systématiquement de rien rétracter, de rien même expliquer ! Insinuer que ce serait plutôt au Pape à « regretter quelques expressions » qui seraient à « relever » !


III. — C'est bien autre chose encore dans la lettre d'envoi qui accompagnait celle-ci et que l'archevêque adressa au cardinal Autonelli en le priant de faire agréer sa réponse à Sa Sainteté. La lettre du Pape, dit-il, « écrite sous l'empire d'une
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Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1125, colonne de gauche a écrit :
certaine émotion », lui parait « plus que sévère ». Le Pape blâme « durement » ce qui se serait passé aux funérailles du Maréchal Magnan : « C'est regrettable, car je ne me suis nullement donné le tort qu'il suppose. » Il ne reprend pas « les accusations du Pape pour les discuter en détail » : ce serait « long et fastidieux » ; -- « Ensuite, malgré
mon calme et ma modération, je risquerais d'envenimer et d'aigrir au lieu d'adoucir et
d'apaiser » ; et puis, surtout, ajoute-t-il :
Je donnerais certainement sur tous les points dont parle le Saint-Père des explications claires et concluantes, comme j'en ai donné touchant les funérailles du Maréchal Magnan. Mais, entrer en discussion avec un Père et le contredire, cela n'est pas digne de mon esprit, ni de mon coeur, ni de mon caractère : puis réfuter des accusations au fond desquelles il n'y a que de puérils commérages et de sournoises calomnies, épiloguer sur des à-peu près et des nuances d' expressions , c'est bien petit pour des temps où se présentent de si grosses affaires,...

Dans des alinéas qu'il a supprimés et qui sont publiés aujourd'hui d'après la minute qu'il avait conservée, il parlait des « blâmes irrefléchis » du pape — « L'on s'étonne que je me taise en présence de pareilles énormités. Car enfin je n'ai pas le moindre tort dans cette affaire (cet alinéa de la minute semble se rapporter seulement à l'affaire Magnan) encore une fois, je le démontrerai de la façon la plus péremptoire quand il le faudra; mais, aurais-je des torts, que le Pape n'avait pas le droit d'en parler comme il l'a fait et de me diffamer avant de m'interroger et de me convaincre. »

Un autre alinéa supprimé visait le Nonce et ses procédés « indélicats » : -- « Je sais bien que j'ai le droit de me défendre en publiant toutes les pièces qui peuvent éclairer l'opinion (toujours son appel à l'opinion !!) ; mais est-ce bien là ce qu'on veut? Je désire qu'on ne m'y pousse pas, quoique je n'aie qu'y y gagner. » — Il a barré ces lignes ; mais il a laissé subsister celles qu'on va lire : « Au reste, je ne refuse pas la discussion ; je publierai môme, si la chose devient nécessaire, ma correspondance avec le Saint-Père et les pièces qui pourront éclairer l'opinion et justifier mes paroles et ma conduite. »

Ces pièces dont Mgr Darboy menaçait le Saint-Siège, on les a maintenant ; et l'« opinion » catholique en est tristement « éclairée ».


IV. L'été de 1867 amena à Rome 500 évêques, accourus pour la célébration du XVIIIe centenaire des saints Pierre et Paul et la canonisation de vingt-cinq nouveaux saints. Mgr Darboy en fut. Il signa, avec tous les autres, l'adresse du 1er juillet [1], où l'épiscopat catholique renouvelait l'expression de sa fidélité et de son dévouement au Pape, rappelant notamment la définition où les Pères du Concile de Florence avaient proclamé unanimement le Pontife Romain Christi Vicarium totiusque Ecelesice caput et omnium, Chris-

[1] En voir le texte, avec les signatures, dans Collectio Lacensis t. VII, col. 1033-1042.
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Re: L' Ami du Clergé sur Mgr Darboy

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Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1125, colonne de droite a écrit :
tianorum Patrem et Doctorum exsistere et ipsi in beato Patro pascendi, regendi ac gubernandi universalem Eeclesiam a Domino nostro Jesu Christo plenam potestaiem traditam esse.
Il vit le Pape. Il eut un entretien avec Pie IX, mais ne dit rien : L'Empereur désirait pour lui le chapeau de cardinal ; mais il y eût fallu des explications préliminaires que l'archevêque n'était point disposé à donner. Écoutons le récit de M. Em. Ollivier (t. ix, p. 434) :

Mgr Darboy eut un entretien avec Pie IX. Le Saint-Père, qui se croyait tenu à la plus délicate courtoisie, n'avait pas provoqué d'éclaircissements ; il s'était borné à ouvrir, à plusieurs reprises, la voie des explications, mais elles avaient été déclinées [1].
[1] On a vu ici, l'autre jour, que Mgr Dupanloup, lors du premier voyage qu'il fit à Rome après le Concile (en avril 1874), n'agit pas autrement que Mgr Darboy. Il ne parla de rien au Pape ; et il devait pourtant avoir quelque chose à lui dire ! ( Ami , p. 922. )

Le Pape espérait le revoir encore alors que, plus libre après les solennités, il pourrait l'entretenir à son aise. Le départ précipité de l'archevêque hissa dans son esprit le soupçon qu'il avait fui un entretien explicite. Quelque temps après, ayant lu, dans un recueil religieux inspiré par Mgr Darboy, qu'il y avait eu entente entre eux sur tous les points, il s'écria non sans quelque irritation - « Il sait bien qu'il n'y a eu ni explication ni entente, que je l'ai reçu poliment et qu'il ne m'a rien dit ! » — Mgr Darboy continua donc à attendre vainement son chapeau.
Mgr Darboy avait cependant dit au Pape, en répondant à son invitation aux fêtes du Centenaire (lettre du 10 janv. 1867), qu'il profiterait de ce voyage de Rome « pour faite cesser de regrettables malentendus et des préventions imméritées . » Il n'en fit rien ; et une lettre qu'il écrit au cardinal Antonelli (25 août 1868) témoigne qu'il n'eut jamais l'intention d'en rien faire. Car, rappelant qu'il chercha dans la Lettre Pontificale du 26 octobre 1865, « avec une bonne volonté que je ne regrette nullement (!!), l'occasion d'exprimer au Saint-Père toute ma juste déférence et ma vénération filiale » (on a vu plus haut en quoi il faisait consister cette juste déférence ), il ajoute :

Mes explications parurent suffisantes, sinon complètes ; du moins, il ne fut plus question de cette affaire dans les lettres échangées depuis cette époque entre le Saint-Siège et moi. Il n'en fut pas question davantage , l'année dernière, lorsque j'eus l'honneur d'être admis à l'audience du Pape. L'impression que je remportai de cette audience et que j'ai encore présente à l'esprit et surtout au coeur, et que le Pape se regardait comme suffisamment édifié sur mon compte.
V. -- C'est que, quand Mgr Darboy écrivait ceci à Antonelli, un fait nouveau s'était produit : la Lettre pontificale du 26 octobre 1865 circulait aux mains du public depuis les environs du 1er janvier 1868. Pie IX exprima son regret de cette publication : ce qui n'empêche pas l'archevêque d'en rendre, en termes violents, le Saint-Siège responsable, sur un argument ainsi formulé (lettre à Antonelli, 25 août 1868) :
Comme la lettre ne m'est point favorable, il est évi-
chartreux
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Re: L' Ami du Clergé sur Mgr Darboy

Message par chartreux »

Ami du Clergé, n 50, 12 décembre 1907, p 1126, colonne de gauche a écrit :
dent que ce n'est pas moi qui l'ai divulguée [1]; mais puisque l'indiscrétion ne vient pas du point d'arrivée (?), il faut qu'elle vienne du point de départ.



[1] Le cardinal Foulon, dans son Histoire de la vie et des oeuvres de Mgr Darboy, arrête ici sa citation et remplace toute la suite de la lettre, qui est fort longue et surtout fort caractéristique, par ces lignes qu'il ajoute de son cru et qu'il laisse entre guillemets comme si elles étaient de Mgr Darboy « Cet acte n'a pas les apparences du courage, et il a tous les inconvénients de l'indélicatesse. Le sentiment qu'il fait éprouver ne ressemble pas à de l'indignation. »
La publication qui est faite aujourd'hui de tous ces documents met en fort fâcheuse posture Mgr Foulon historien. On savait qu'il avait fait surtout oeuvre de panégyriste ; on ne pensait pas qu'il eût eu aussi peu de souci de la probité historique. Il supprime, mutile à plaisir, sans en avertir au moins par une série de points comme c'est de règle. On comprend qu'il se soit senti gêné dans son devoir d'historien par les liens qui l'unissaient à Mgr Darboy, dont il avait été le fils de prédilection et le vicaire général à Paris et le compagnon d'armes ensuite au Concile du Vatican ; mais qui l'obligeait à intituler son livre « Histoire » ou simplement à l'entreprendre ?

Que le Saint-Siège l'ait ou ne l'ait pas prescrite ou permise, il en est responsable aux yeux du public, car elle est le fait d'un de ses affidés, de quelqu'un qui peut avoir la minute des lettres pontificales. C'est donc le Saint-Siège qui se trouve ici engagé, et de la manière la plus défavorable.
En effet, toute lettre privée, comme celle dont il s'agit, appartient au destinataire et ne doit pas être publiée sans son agrément [2].


[2] Mgr D. oublie qu'il avait menacé, deux ou trois ans auparavant, de publier lui-même toutes les pièces de sa correspondance avec le Saint-Siège, assurément sans demander l' « agrément du destinataire ».

C'est l'usage des peuples civilisés, et c'est conforme au sentiment de l'honnêteté la plus vulgaire. On n'y manque pas sans révolter toute âme loyale.
Qu'un individu s'affranchisse de cette règle à l'égard d'un autre individu, c'est un outrage ; mais qu'un gouvernement qmi commande à deux cents millions de consciences, s'en affranchisse à l'égard d'un homme seul et désarmé, cela porte peut-être un autre nom.
Le procédé n'est donc pas fort magnanime ; il n'est pas non plus canonique. Quelle loi de l'Église permet de poursuivre un évêque par la voie des journaux, et de recourir, pour le diffamer, à je ne sais quels agents honteux, irresponsables et protégés d'ailleurs par un sentiment qui ressemble au mépris ?
Quelques mois après (7 décembre 1868) Mgr Darboy, dans une nouvelle lettre à Antonelli, se plaint que le Nonce se soit « cru autorisé » à donner au ministre des cultes à Paris communication de la fameuse Lettre pontificale, mais ajoute et essaie de prouver que « c'est bien de la Chancellerie pontificale qu'émane originairement la honteuse divulgation » après quoi, passant au fond de l'affaire, il écrit :
En ce qui touche le fond de l'affaire, puisque la lettre de 1865 n'aurait pas dû être publiée, la justice, la loyauté et le bon sens veulent qu'on fasse en sorte que le blâme qu'elle contient, soit regardé comme non avenu, d'autant plus qu'il est immérité, ainsi que je le démontrerai quand la marche de cette affaire amènera mes arguments. I1 y a donc lieu de prendre une mesure qui, de près ou de loin, plus ou moins explicitement, rappelle à la vérité l'opinion égarée sur mon compte [3].



[3] Il notait la même chose déjà dans son Journal intime, sous la date du 28 octobre 1868 : « Je dis à Mgr Isoard, au Val, que la chose à faire, c'est qu'on m'écrive de Rome une lettre bienveillante pour désintéresser , en temps utile, l'opinion indûment saisie des plaintes d'ailleurs injustes et injustifiables de 1805. »

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