Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - Tricentenaire

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Laetitia
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Re: Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - Tricentenaire

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Montfort y fut accueilli comme un envoyé de Dieu. Il commence par donner l'exemple de l'obéissance et de la pauvreté, refusant tout honoraire et choisissant pour lui-même la chambre la plus misérable (*).
Il mange au réfectoire avec les pauvres, et souvent fait sa nourriture de leurs restes. Il quête en ville, en compagnie de quelques hospitalisés, qui conduisent « un âne chargé de paniers pour recevoir les aumônes » ; et celles-ci se font abondantes. Mais il s'agit de ne plus gaspiller les ressources pour le service des tables … L'aumônier obtient une distribution plus rationnelle, au déjeuner, au dîner et au souper ; il exige que chacun se mette à table pour les repas qu'on serve du potage. Tous furent enchantés : il avait réussi à gagner le cœur des pauvres et à les mettre en règle. Surtout ils se sentaient aimés. Le serviteur de Dieu avait pour ces membres souffrants de Jésus-Christ, des tendresses de mère : il buvait dans leurs verres, il se dépouillait de ses couvertures pour les réchauffer.

Un tel homme force l'admiration ou soulève l'hostilité. Au début ce ne fut que joie et ravissement ; mais peu à peu les petites passions humaines se réveillèrent.... et l'aumônier fut écarté des services de table.
« Pendant cette bourrasque, raconte celui-ci à M. Leschassier, je gardais le silence et la retraite, remettant entièrement ma cause entre les mains de Dieu et n'espérant qu'en son secours, malgré les avis contraires qu'on me donnait. J'allai pour cet effet faire une retraite de huit jours aux Jésuites ».

« Les Jésuites », c'était le collège de Sainte-Marthe, où Montfort trouva un excellent religieux, le Père de la Tour, qui fut son confesseur et son ami dévoué. Pendant cette retraire, dit le saint, « je fus rempli d'une grande confiance en Dieu et en sa Sainte Mère, qui prendrait évidemment ma cause entre ses mains ». De fait sa confiance ne fut pas vaine : le ciel vint à son aide, mais en employant, semble-t-il, la méthode forte. A peine en effet était-il de retour que l'économe, gravement atteint, mourait en peu de temps. « La supérieure, jeune et vigoureuse, le suivit en six jours. Plus de quatre-vingts pauvres tombèrent malades et moururent. Toute la ville croyait que la peste était dans l'hôpital » : on parlait de châtiment.

M. de Montfort cependant se multipliait avec un dévouement admirable, conservant sa pleine santé malgré des fatigues épuisantes. Devant un tel héroïsme, les esprits enfin s'apaisèrent.
L'accalmie, hélas ! fut de courte durée. On a beau posséder « un don tout particulier pour adoucir les pauvres », il est impossible de reprocher à une foule, « même doucement », ses ivrogneries, ses scandales, sans soulever des colères... la guerre allait continuer autour du saint.

(*) L'escalier fort raide qui y conduisait, se trouve à Saint-Laurent-sur-Sèvre, dans l'oratoire du Saint.
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Laetitia
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Re: Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - Tricentenaire

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Toutefois, à côté du mal, il y avait le bien. Le missionnaire, dans les réalisations entreprises, avait songé surtout aux âmes. A l'intérieur de l'hôpital, il avait organisé une humble association de filles « qu'il voulait dédier à la Sagesse du Verbe incarné pour confondre la fausse sagesse du monde ». Pour les réunions de sa communauté, il obtint des administrateurs une salle, qu'il voulut appeler la Sagesse, et au milieu de laquelle il dressa une croix : la Croix, le grand symbole dont, plus tard, il devait donner la signification dans cette formule fameuse : « La Sagesse est la croix, et la croix est la Sagesse. » (1)

Il ne se contenta pas du titre. Il voulut réaliser, dans une frappante leçon de choses, le texte évangélique de saint Paul : « Considérez..., mes frères, qu'il n'y a parmi vous ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles. Mais ce que le monde tient pour insensé, c'est ce que Dieu a choisi pour confondre les sages et ce que le monde tient pour rien, c'est ce que Dieu a choisi pour confondre les puissants...(2) »
Comme membres de l'association, l'aumônier porta son choix parmi les pensionnaires et le personnel de l'hôpital, sur les infirmes, les boiteuses, les contrefaites ; et à leur tête il plaça une des plus pauvres filles, intelligente et vertueuse, mais aveugle...

On a dit du Père de Montfort qu'il était un saint du Moyen Age, un contemporain de saint François d'Assise ; ne faudrait-il pas, ce missionnaire qui voudra mettre sous nos yeux le tableau vivant du chrétien à l'agonie, le comparer aussi justement aux anciens prophètes ? Hommes de Dieu, qui ont besoin de traduire dans le concret, par des apologues sensibles ou des scènes réalistes, les vérités éternelles dont ils sont les hérauts.

A « la Sagesse » les exercices de piété se faisaient en commun : prières, méditations, rosaires, lectures, ainsi que les travaux manuels et les récréations. Dans la ferveur des débuts, on pouvait dire de cette association ce que l'on disait de la première communauté chrétienne : elle ne formait « qu'un cœur et qu'une âme ».(3)

C'est à cette école d'humilité, de pauvreté, d'obéissance que viendra s'instruire la première des Filles de la Sagesse, Marie-Louise Trichet, qui sera un jour Marie-Louise de Jésus.
Si pour le moment, Montfort ne pouvait « s'étendre » en ville, comme il l'avait espéré, la ville, qui avait conservé un vif souvenir de ses premières prédications, venait à lui avec un saint empressement. Il donnait des conseils « à une infinité de personnes », comme il l'avoue ; il confessait du matin au soir ; il prêchait fréquemment … Dieu lui prodiguait ses dons : sans parfaite, lumière spéciale, facilité de parole, grande ouverture de cœur envers tout le monde, ainsi qu'il le confie à son père spirituel ; son ministère n'était plus qu' « une mission perpétuelle ». Il ajoutait humblement : « C'est ce qui m'attire l'applaudissement de presque toute la ville ; ce qui me doit bien faire craindre pour mon salut. »

(1) L'amour de la Sagesse éternelle., édition « type », n. 180.
(2) Ière ép. Aux Corinthiens, I, p. 26-27.
(3) Actes de Apôtres, IV, 32.
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Re: Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - Tricentenaire

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Le saint était tout à son ministère dans l'hôpital et dans la ville, quand il apprit que sa sœur de Paris, Louise-Guyonne était de nouveau dans la détresse : la communauté qui l'avait reçue ne pouvait la garder... Louis-Marie, modèle de détachement envers les siens, fut en cette circonstance un modèle d'affection fraternelle.

Sans retard, il se met en route vers la capitale... Fidèle à sa méthode d'abandon à la Providence, il vit d'aumônes, pendant le voyage, que la saison rend plus pénible : les chaleurs de l'été ont durci le cuir de ses chaussures, et arrivé à Paris il a les pieds en sang. Pour guérir ses blessures et n'être à charge à personne, l'humble prêtre se dirige d'abord vers l'Hôtel-Dieu, où il avait reçu, huit années auparavant, les soins dévoués des religieuses Augustines. Il y goûta quinze jours de retraite spirituelle.

Dès son complet rétablissement, il se mit à le recherche de sa sœur, qu'il trouva sans aucune ressource, ayant à peine de quoi vivre et manquant d'habit convenable. Après l'avoir consolé, il la recommanda, mais inutilement, à la charité de plusieurs personnes. Devant l'insuccès constant de ses démarches, il allait se voir contraint de la renvoyer à Rennes dans sa famille. Toutefois avant d'exécuter cette mesure extrême, il pria encore, implorant de tout son cœur la divine Providence qui ne lui avait jamais fait défaut, et qui lui inspira de se présenter chez un de ses anciens condisciples du séminaire, M. Bargeaville, ecclésiastique attaché au service de la paroisse Saint-Sulpice. Cet ami, l'un des seuls restés fidèles, promit de l'aider de tout son pouvoir, et dès le lendemain le recommandait à la supérieure des Bénédictines du Saint-Sacrement.

M. Bargeaville estimait beaucoup Louis-Marie. L'amitié lui suggérait de touchantes paroles : « Je ne connais pas, dit-il, de prêtre plus mortifié que M. Grignion ; personne n'a un zèle plus ardent pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ; personne ne pratique mieux le parfait abandon à la Providence, personne n'aime davantage la Sainte Vierge. » L'éloge devait aller droit au cœur de la supérieure, Mère Bénédicte du Saint-Sacrement.

Fondées depuis un demi-siècle par la Mère Mechtilde, les Bénédictines du Saint-Sacrement, établies dans la rue Cassette, formaient une fervente communauté. Leur fondatrice venait de mourir en 1698 ; elle avait eu, toute sa vie, une remarquable dévotion à la Très Sainte Vierge. Près d'elle, au même couvent, avait vécu la Mère Bouette de Blémur, qui avait publié une édition remaniée et complétée de la Triple Couronne, du Père Poiré. Cet ouvrage, que le saint devait citer maintes fois dans son Traité de la Vraie Dévotion, enseignait fortement la donation totale de soi-même à la sainte Mère de Dieu. Il était lu et goûté par ces religieuses « successivement occupées, dit Grandet, à adorer jour et nuit le Saint-Sacrement, la corde au col et la torche au poing, pour faire amende honorable à Jésus-Christ de tous les sacrilèges et profanations qu'il souffre en ce mystère. »

Un entretien fut ménagé entre la supérieure et le missionnaire. Celui-ci avoua en toute simplicité « l'état pitoyable où sa sœur et lui se trouvaient réduits ».

La communauté avait la pieuse coutume d'offrir à la Sainte Vierge une portion du repas de midi, qui était ensuite distribuée à un pauvre ; pendant son séjour à Paris, M. de Montfort pourrait venir la prendre au parloir. Il accepta, heureux d'être traité en pauvre et de recevoir sa nourriture des mains de la Très Sainte Vierge ; il mit cependant pour condition d'être autorisé à se faire accompagner par un de ses « frères », selon sa belle expression, un pauvre mendiant, qui partagerait avec lui ce repas. Il prit dès lors l'habitude de ne manger qu'une fois par jour.
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Ce n'était là pourtant qu'une solution provisoire. Malgré toutes ses recherches, il ne trouvait aucune assistance... l'abbé Grignion se prépara donc à prévenir ses parents à Rennes.
Auparavant « il fut prendre congé de la Mère prieure et la remercier des bontés qu'elle avait eues pour lui ». Et voici que la divine Providence l'attendait au monastère, pour exaucer enfin son ardente supplication... avant de se retirer, il s'informa près de la supérieure et de que les religieuses présentes du besoin que pouvaient avoir leurs communautés d'une Sœur converse.
… mais devant la mine chétive de la jeune fille, les religieuses déclarèrent qu'elle serait certes incapable d'accomplir les travaux d'une Sœur converse. Pourquoi, ajoutèrent-elles, ne deviendrait-elle pas religieuse de chœur ? Deux postulantes se préparaient à partir dans les Vosges, pour Rambervillers, afin de commencer leur noviciat... volontiers on leur donnerait Louise Grignion pour compagne, si elle trouvait une dot suffisante.

L'espérance était bien faible mais la prière du saint était puissante : il se tourna avec confiance vers « sa bonne Mère », la Vierge Marie. Or voici que, la veille du départ pour les Vosges, « une personne de qualité à qui on n'avait rien demandé, et qui était bien moins riche que celles qu'on avait sollicitées de donner, ayant appris que cette jeune fille était prête à rentrer dans le monde en qualité de demoiselle suivante, qu'elle y courait grand risque de son salut, fut inspirée de promettre la somme qu'on demandait et des habits, même de faire la dépense du voyage, de peur que Dieu ne lui demandât compte de cette âme, si elle venait à se perdre dans le siècle par sa faute ».

Louise était encore une fois sauvée par son frère. Mais elle n'était pas au bout de ses peines. L'évêque de Toul dont dépendait le monastère de Rambervillers, dans un accès de mauvaise humeur de voir trois religieuse au lieu de deux, faillit la renvoyer à Paris. Finalement tout se calma ; le duc de Lorraine fit conduire les jeunes filles au couvent dans son propre carrosse, et la communauté les accueillit avec joie, vers la fin d'octobre 1702. Trois mois plus tard, elles revêtirent ensemble l'habit de l'Ordre ; Louise-Guyonne prit le nom de Sœur Catherine de Saint-Bernard.

Montfort conservera une grande reconnaissance aux Bénédictines du Saint-Sacrement, et restera en correspondance avec quelques religieuses du monastère de la rue Cassette. Dans ce couvent se passèrent alors de faits d'ordre surnaturel : le saint prêtre lut à découvert dans l'âme d'une des Sœurs, riche d'années et de vertus, Mère Saint-Joseph, qui mourut deux mois plus tard, heureuse d'avoir eu un entretien spirituel avec le serviteur de Dieu.

Avant de s'éloigner, le missionnaire demanda l'autorisation d'enrôler le plus grand nombre possible de fidèles dans la Confrérie du Saint-Sacrement, pour les faire bénéficier des indulgences et leur assurer une part dans les prières de la communauté. Lui-même, dans son contact avec la fervente Congrégation, avait puisé un surcroît de dévotion envers la Sainte Eucharistie.
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Ayant rempli non sans peine, son devoir de sollicitude fraternelle, M. Grignion s'empressa d'obéir au nouvel évêque de Poitiers, qui le réclamait, et d'aller reprendre sa place auprès des pauvres de l'hôpital. Son éloignement avait calmé les jalousies ; et lui, de son côté, connaissant mieux le terrain, allait accroître le bien commencé. Grâce à l'appui de Mgr Claude de la Poype de Vertrieu, il put rétablir le règlement quelque peu négligé. La petite communauté de la Sagesse s'augmenta de nouveaux membres, qui donnaient de belles espérances. Marie-Louise Trichet et Catherine Brunet vinrent confondre leur jeunesse au milieu des pauvres percluses, dont elles devaient se séparer plus tard pour former la Congrégation des Filles de la Sagesse.

Quelques mois après son retour à Poitiers, le saint apprenait la prise d'habit de sa sœur. Il veut s'associer à son bonheur, et lui écrit le 2 février 1703 :

« Ma chère sœur en Jésus-Christ,

le pur amour de Dieu règne en nos cœurs.

Permettez à mon cœur de nager avec le vôtre dans la joie, à mes yeux de verser des larmes de dévotion, à ma main de marquer sur un papier la sainte allégresse qui me transporte.

Je n'ai point perdu mon dernier voyage de Paris ; vous n'avez rien perdu dans vos abandons et vos croix passées. Le Seigneur a eu pitié de vous : cette pauvre fille a prié, et le Seigneur l'a exaucée et l'a immolée véritablement, intérieurement, éternellement. Qu'il ne se passe chez vous aucun jour sans sacrifices et sans victime : que l'autel vous voie plus souvent que votre lit et votre table ! Courage, mon cher supplément, demandez instamment pardon à Dieu, à Jésus, souverain Prêtre, des péchés que j'ai commis contre sa divine majesté, en profanant le Très Saint-Sacrement.

Je salue votre ange gardien, qui est le seul qui ait fait voyage avec vous. Je suis autant de fois tout à vous qu'il y a de lettres ici, pourvu que vous soyez autant de fois sacrifiée et crucifiée avec Jésus-Christ, votre unique amour, et Marie votre bonne Mère.
De Montfort (1), prêtre et esclave de Jésus en Marie. »


(1) Le saint prêtre, de plus en plus détaché de tout, renonce à son nom de Grignion : c'est la première fois, croyons-nous qu'il signe ainsi du nom de Montfort.
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Son cœur nageait dans la joie certes, mais, à l'exemple de saint Paul, c'était au milieu des tribulations, qui ne manquaient jamais à l'homme de Dieu. Elles vinrent d'abord du démon. Ce grand ennemi des âmes s'attaque parfois à des apôtres exceptionnels, tel un saint Martin, un saint Jean Vianney, le curé d'Ars ; il n'épargnera pas le Père de Montfort, que Grandet met au nombre des « saints du premier ordre ».
… [Des] faits extraordinaires se reproduiront à plusieurs reprises, surtout quand le grand missionnaire fera ses haltes spirituelles pour retremper son âme dans la retraite. Ainsi, quelques années plus tard, au début de ses missions de Poitiers, dans une maison de campagne de la paroisse de Savarne, on entendit dans sa chambre un grand bruit de personnes qui se seraient battues avec la dernière violence, tandis que la voix du saint dominait le tumulte : « Je me moque de toi ! Je ne manquerai point de force ni de courage pendant que j'aurai Jésus et Marie avec moi ; je me moque de toi ! »

Le démon d'ailleurs, quand il s'acharne contre les serviteurs de Dieu, a plus d'une arme pour les atteindre. Bientôt les passions se rallumèrent à l'hôpital ; les jalousies ne cessaient d'y éclater ; quelques infirmières, se plaignant de n'avoir pas été jugées dignes d'entrer dans la petite association de l'aumônier tentèrent d'indisposer contre lui les administrateurs.

Tout en se dévouant auprès des pauvres, l'homme de Dieu continuait en ville sa « mission perpétuelle ». Prédications, directions, œuvres diverses, il suffisait à tout. Mais là aussi son zèle ardent déplaisait à certains, et ne tarda pas à soulever contre lui de vraies hostilités.

Grandet nous rapporte une anecdote qui faillit tourner au tragique. « Un jour d'été qu'il faisait fort chaud, M. de Montfort passant proche de la rivière (le Clain), il aperçut sur le rivage plusieurs jeunes gens qui étaient venus pour se baigner, et qui faisaient beaucoup d'insolences en présence de plusieurs femmes qui y lavaient la lessive ; transporté du zèle de Phinées (1), il prit une discipline qu'il avait dans sa poche et en donna deux ou trois coups à un de ces jeunes garçons, pour l'obliger à se retirer dans un état plus modeste. Cet enfant, ne pouvant souffrir cette correction, fut se plaindre à ses parents, disant qu'il était grièvement blessé ; sa mère, dans le premier mouvement de sa colère, fut en porter ses plaintes à Mgr l'évêque, lui faisant entendre que son fils était en danger de mort. Ce prélat, sans examiner la chose à fond, envoya dire à M. de Montfort qu'il lui défendait de célébrer la messe.

« Il fut aussitôt raconter ce qui lui était arrivé au Père de la Tour, Jésuite, son confesseur, et lui témoigna la résolution où il était de sortir de Poitiers. Le Père de la Tour lui dit qu'il ne fallait pas aller si vite, qu'il irait prier Mgr l’Évêque d'examiner la chose de plus près, afin de voir si M. Grignion était aussi coupable qu'on lui avait fait entendre. Et après une information exacte, Mgr l’Évêque connut que l'enfant avait crié plus haut qu'il n'avait de mal et n'était pas même blessé, ce qui obligea ce saint prélat à relever tout aussitôt M. Grignion de son interdiction, et de lui permettre de dire la messe le lendemain. (2)

Ce n'était sans doute qu'un détail ; mais l'aumônier dut reconnaître que, par une permission divine, les difficultés s'amoncelaient à l'hôpital et au dehors.

Il n'avait jamais eu, ainsi qu'il l'écrivait, « l'inclination à se renfermer » : il se sentait au cœur, plus vive chaque jour, la flamme des missions. Poitiers ne lui semblait pas l'étape définitive, mais un champ d'expérience. Voulut-il consulter davantage, soumettre sa conduite une dernière fois à ses anciens directeurs ? Ce qui est certain, c'est que sa décision fut rapidement prise : il quitta de nouveau l'hôpital et reprit le chemin de Paris, poussé, avoua-t-il, par Dieu qui le conduisait comme malgré lui. (3)

(1) Personnage de l'Ancien Testament qui punit les débauchés des Israélites au désert (Nombre, XXIV, 7-8)
(2) Il est difficile d'indiquer l'époque exacte de l'anecdote … Quoi qu'il en soit de la date, on reconnaît bien la manière du saint, qui ne prend aucun détour pour intervenir quand l'intérêt des âmes est en jeu.
(3) Lettre à Marie-Louise Trichet, mai 1703.
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Une fois de plus Montfort est sur la route : c'est pour lui la cellule du moine. Il chemine vers la capitale, où il va recueillir de nouvelles croix en cherchant une « nouvelle moisson pour sa charité ». … il se rend à la Salpêtrière.

La Salpêtrière remontait à 1656. A quelque distance du Paris de Louis XIV, dans la direction du sud-est, se trouvait un bâtiment entouré d'un vaste enclos où l'on avait fabriqué du salpêtre. A la demande des Dames Charitables, saint Vincent de Paul y avait fondé un hôpital pour les mendiants, dont le nombre à travers les faubourgs de la capitale s'élevait au chiffre de quarante mille. Au moment où le Père de Montfort franchit le seuil de cet asile, il y avait « cinq mille pauvres » hospitalisés. Vint-trois aumôniers se dépensaient à leur service ; mais aucun ne s'y dévoua comme lui « pour les faire vivre à Dieu ».

… Ce ministère toutefois ne lui faisait point oublier les âmes, qui à Poitiers s'étaient confiées à sa direction, en particulier Louise Trichet, devenue Marie-Louise de Jésus, et sa compagne, Catherine Brunet : ses prières les recommandaient à Dieu, et il entretenait leur ferveur par des lettres. Quelques temps après son arrivée à Paris, il écrivait à Marie-Louise de Jésus, l'exhortation à faire assaut au ciel, afin d'obtenir pour lui le trésor de la divine Sagesse :

« Continuez, redoublez même à demander pour moi, si c'est une pauvreté extrême, une croix très pesante, des abjections, des humiliations, j'y consens, pourvu que vous priiez (Dieu) en même temps de se trouver avec moi et de ne m'abandonner pas d'un instant à cause de ma faiblesse infinie. Oh ! Quelle richesse, oh ! Quelle gloire, oh ! Quel plaisir ! Si tout cela m'obtient la divine Sagesse après laquelle je soupire nuit et jour … Je vous prie donc, ma chère fille, de faire entrer dans ce partie de prières quelques bonnes âmes de vos amies, et particulièrement jusqu'à la Pentecôte. »
Le bon Père connaît les préoccupations intimes de sa dirigée ; aussi pour l'encourager, il termine sa lettre par une affirmation tranchante, à la manière des prophètes : « Vous serez religieuse, je le crois fermement. Croyez et priez. ».
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Re: Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - Tricentenaire

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C'est à cette époque que Claude-François Poullard des Places, l'ancien condisciple de Louis-Marie au collège de Rennes, inaugura, dans la rue des Cordiers, à Paris, le Séminaire des Pauvres Ecoliers.
… Les deux prêtres eurent plusieurs entrevues : Montfort revint plus d'une fois à la rue des Cordiers pendant son séjour à la capitale. En effet, Poullard des Places pour bien orienter sa petite communauté, aimait à l'entretenir des voies surnaturelles, et dans ce dessein il profitait du passage « de ses amis en qui il reconnaissait le talent de la parole » : Montfort était du nombre.

Cet apostolat extérieur n'était qu'un supplément de ministère : le nouvel aumônier consacrait surtout son temps au soin des malades de la Salpêtrière. Hélas ! Ici encore, la jalousie ne tarda pas à le poursuivre : le saint heurtait la médiocrité des uns par son zèle ardent, l'esprit janséniste des autres par sa bonté. Même « les ouvriers du père de famille » trouvèrent gênant un tel confrère. Après quatre ou cinq mois d'héroïque dévouement, il fut contraint de s'éloigner.
« Il trouva un soir son congé par écrit, sous son couvert, rapporte Grandet, comme il allait se mettre à table pour manger un morceau de pain.... il secoua la poussière de ses souliers en quittant le lieu où Dieu l'avait fait entrer et d'où le monde le faisait sortir. »

On a beau se familiariser avec ses rebuts et les expulsions, Montfort se trouva, en quittant l'hôpital, quelque peu désemparé, « incertain de ses voies ». … le saint voulut recourir aux lumières de ses anciens directeurs... il se dirigea vers Issy, où se trouvait M. Leschassier, devenu supérieur général de son Institut.
L'entrevue fut pénible. Le Sulpicien...reçut le visiteur « avec un air glacé, et le renvoya honteusement d'un air sec et dédaigneux, sans vouloir ni lui parler, ni l'entendre. »
Et M. Blain d'ajouter : « Pour moi, qui étais présent, j'étais confondu, et ne souffrais pas peu de l'humiliation dont j'étais témoin. Pour lui, il la soutint avec sa douceur et sa modestie ordinaire, et s'en retourna avec la même tranquillité qu'il était venu et un redoublement de ferveur, fruit de grand prix qu'il recueillait à la naissance des croix nouvelles. »

Le serviteur de Dieu, chassé de partout et rebuté de tous, s'en fut alors chercher un logement dans la rue du Pot-de-Fer, et s'installa sous un escalier, dans un réduit « semblable à l'étable de Bethléem ». L'ameublement était celui d'un anachorète : une écuelle de terre et un misérable lit. C'est là que, « caché et ignoré », il savoure les « douceurs ineffables » de la divine Sagesse.
Il avait écrit, quelque temps auparavant, à Marie-Louise de Jésus : « Je ne connais plus d'amis ici que Dieu seul ; ceux que j'avais autrefois m'ont abandonné ». Combien ces paroles sont encore plus vraies à l'heure actuelle ! Tout le monde semble ligué contre lui... « moi-même, ajoute Jean-Baptiste Blain, si prévenu en faveur de M. Grignion, je n'osais refuser croyance à ce que je voyais cru de tout le monde. »
C'était bien l'isolement absolu ; il ne restait plus au pauvre prêtre que « Dieu seul » dont il fera sa devise. Mais il avait médité assez longtemps les pages de M. Boudon, pour apprécier la valeur surnaturelle de cet état d'abandon. Aussi le voyons-nous encourager sa sœur Louise-Guyonne dans sa vocation par des lignes toutes surnaturelles, tracées le 27 octobre 1703 :

« Ma très chère sœur en Jésus-Christ,
le pur amour de Dieu règne en nos cœurs.

Je remercie tous les jours notre bon Dieu des miséricordes qu'il exerce envers vous ; tâchez d'y correspondre par une entière fidélité à ce qu'il demande de vous. Si Dieu seul ne vous ouvre la porte du couvent où vous êtes, n'y entrez pas, quand vous auriez une clef d'or faite exprès pour vous ouvrir la porte, car elle deviendrait la porte de l'enfer. Il faut une haute vocation pour les filles du Saint-Sacrement ; car l'esprit en est relevé. Toute véritable religieuse du Saint-Sacrement est une véritable victime de corps et d'esprit, elle se nourrit de sacrifice continuel et universel ; le jeûne et les adorations sacrifient le corps ; l'obéissance et le délaissement sacrifient l'âme ; en un mot, elle meurt tous les jours en vivant et vit en mourant. Faites tout ce qu'on vous dira en cette maison.
Tout à vous,
De Montfort.
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Re: Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - Tricentenaire

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La méfiance cependant grandissait autour de lui : même ses gestes de piété étaient dénigrés...
Ses manières...donnaient bien à parler. « Etait-il conduit par le bon esprit ? N'était-il point dans l'illusion et dans la voie de l'égarement ? » Les uns étaient pour, les autres contre …

Le disciple n'est pas au-dessus du maître ; on discutera le saint prêtre comme on avait discuté Jésus-Christ, au point que M. Blain, qui était devenu chanoine de Noyon, lui pourtant l'intime entre les rares amis, en reste interdit, et comme tous les autres se heurte au « mystère » de Montfort : « On avouait qu'il était un saint, et on faisait l'éloge tantôt de sa grande modestie, tantôt de son recueillement, tantôt de son humilité, souvent de sa grande mortification et de ses austérités, d'autre fois de son amour pour la pauvreté et pour les pauvres, de sa charité et de son zèle, et surtout de sa grande tendresse et dévotion pour la Sainte Vierge ; et, ce qui est étonnant, on doutait q'il était dans la voie des saints. Moi qui étais fort attentif sur tout ce qu'on disait de lui, je ne pouvais assez admirer qu'on le crût saint sans le croire dans la voie des saints.

Comme je sentais un grand attrait à le suivre et à lui servir de compagnon, je m'intéressais davantage à tout ce qui le regardait, et j'avais un grand désir de savoir ce qu'il fallait penser au juste et dans la vérité.

… on avoue qu'il est très pauvre, très recueilli, très mortifié, c'est-à-dire qu'on lui accorde les vertus évangéliques et la ressemblance de Jésus-Christ, et on doute si c'est son esprit dont il est animé ! Quel mystère ! »

Et Jean-Baptiste Blain de conclure : « C'est cependant ce mystère qui me glaça envers M. de Montfort, qui m'empêcha de m'unir à lui, et qui me fit même appréhender d'avoir tant de commerce avec lui. » - Cette réflexion de son confident laisse entendre que le saint, dans son voyage à Parie, cherchait parmi ses amis des associés pour son œuvre des missions.
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Re: Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - Tricentenaire

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L'homme de Dieu n'ignorait ni ces incompréhensions, ni ces critiques, ni ces calomnies. Des fables ridicules, dépassant toute vraisemblance, circulaient dans le public …

Non seulement nulle plainte ne montait à ses lèvres, mais au contraire la joie, la sainte ivresse des martyrs jaillissait de son cœur. Nous en avons un écho dans cette lettre adressée à Marie-Mouise de Jésus, le 24 octobre 1703 :

« Ma très chère fille,
Le pur amour de Dieu-Homme règne en nos cœurs.

Ne croyez pas que l'éloignement des lieux et mon silence extérieur me fassent oublier votre charité pour moi et celle que je dois avoir pour vous. Vous me marquez dans votre lettre que vos désirs sont toujours aussi forts, aussi ardents et continuels ; c'est une marque infaillible qu'ils sont de Dieu. Il faut donc mettre cotre confiance en Dieu : assurez-vous que vous obtiendrez même plus que vous ne croyez. Le ciel et la terre passeraient, plutôt que Dieu manquât à sa parole en permettant qu'une personne qui espérait en lui avec persévérance fût frustrée dans son attente.

Je sens que vous continuez à demander à Dieu pour ce chétif pécheur la divine Sagesse par le moyen des croix, des humiliations et de la pauvreté. Courage, ma chère fille, courage ! Je vous ai des obligations infinies : je ressens l'effet de vos prières, car je suis plus que jamais appauvri, crucifié, humilié. Les hommes et les diables me font dans cette grande ville de Paris une guerre bien aimable et bien douce. Qu'on me calomnie, qu'on me raille, qu'on déchire ma réputation, qu'on me mette en prison ! Que ces dons sont précieux, que ces mets sont délicats, que ces grandeurs sont charmantes ! Ce sont les équipages et les suites nécessaires de la divine Sagesse, qu'elle fait venir dans la maison de ceux où elle veut habiter. Oh ! Quand posséderai-je cette aimable et inconnue Sagesse ? Quand viendra-t-elle loger chez moi ? Quand serai-je assez bien orné pour lui servir de retraite, dans un lieu où elle est sur le pavé et méprisée !

Oh ! Qui me donnera à manger ce pain d'entendement dont elle nourrit les grandes âmes ? Qui me donnera à boire ce calice dont elle désaltère ses serviteurs ? Ah ! Quand serai-je crucifié et perdu au monde ? Ne manquez pas, ma chère enfant en Jésus, de répondre à mes demandes pour satisfaire mes désirs. Vous le pouvez, oui, vous le pouvez, de concert avec quelques favorables amies. Rien ne peut résister à vos prières ; Dieu même, tout grand qu'il est, ne peut pas y résister...
Priez donc, soupirez, demandez la divine Sagesse pour moi...
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