Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.

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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XVI

LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX

(suite)

Et ce jeune Esquimau n'est pas le seul que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ait guidé, comme transporté à un lieu de sûreté loin du glaçon sur lequel il s'était trouvé emprisonné. Pendant l'hiver qui suivit le baptême des premiers chrétiens (1917-18), une famille était campée sur la glace de la mer, tout au bord de l'eau, le chasseur étant ainsi toujours près des phoques qui pourraient montrer la tête.

Un jour, la première petite fille baptisée sous le nom de Thérèse, qui faisait partie de cette famille, vint à terre visiter des amis campés sur la grève. Pendant son absence, une violente tempête s'éleva de terre, le bord de la glace sur lequel étaient les parents de l'enfant se détacha et partit au large avec son fardeau.

Les vagues augmentant toujours, le champ de glace qui portait la famille fut vite mis en pièces: il n'y avait plus aucun espoir de revoir personne vivant. Et la tempête dura quatre jours et quatre nuits!

Ce que voyant, les Esquimaux dirent à la petite Thérèse :

— Ne pleure pas ; nous aurons bien soin de toi.

C'était une manière de lui annoncer qu'elle ne reverrait jamais plus aucun des siens. Et elle de répondre :

— Oh! vous autres païens, vous ne savez pas; mais quand la tempête a commencé, j'ai eu le temps de prier la Petite Fleur (9). Je suis baptisée ; ma mère, mes deux frères sont baptisés; ils prient, eux aussi. Alors ils reviendront.

Les païens ne purent que sourire de sa naïveté. Mais quand la tempête se fut apaisée, le vent tourna, et ramena toute la famille sur un morceau de glace, juste assez grand pour la supporter — le seul qui restât intact. On ne revit jamais personne des trois autres familles campées, elles aussi, non loin de là, sur la glace pendant cette terrible tempête.

Par contre, un infidèle qui, se moquant du dimanche, partait exprès au moment où les chrétiens se rendaient à l'église, en leur disant que c'était une belle journée pour la chasse du morse, ou éléphant marin, n'en revint pas.

Les morses étaient nombreux, mollement étendus sur la glace (voir la gravure Nº 32). Le premier qu'il harponna plongea si vite que la corde qui retient le dard et permet de faire revenir l'animal lui serra les doigts comme dans un étau. Ses trois compagnons se précipitèrent à son secours, tirant de toutes leurs forces sur la corde, pour permettre au malheureux de se dégager, et d'éviter d'être entraîné à l'eau.

Mais, sous l'effort combiné des quatre chasseurs, la glace sur laquelle ils étaient se rompit ; les trois hommes durent sauter en arrière pour sauver leur vie, et le moqueur partit sur un tout petit glaçon, que le morse blessé remorquait à toute vitesse. Un plongeon de la bête furieuse fit disparaître à jamais l'infortuné païen.

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Ces anecdotes nous ont entraînés loin de la lumière électrique…
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(9) Sainte Thérèse de Lisieux.
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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XVI

ÉLE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX

(suite)

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Ces anecdotes nous ont entraîné loin de la lumière électrique et de ses divers emplois chez les Esquimaux de la baie d'Hudson. Même à la maison, le missionnaire, sans aide ou serviteur, est loin d'y mener une vie oiseuse. Il n'a pas le temps de s'ennuyer. Et pourtant il est homme; il a des parents et des amis auxquels il ne peut guère s'empêcher de penser parfois. Un poète anglais, Cowper, a écrit, ou du moins reproduit (10), ces vers :

Better dwell in the midst of alarms
Than reign in this horrible place;


Mieux vaut vivre au milieu d'alarmes
Que régner dans cette horrible place.

Plus d'un missionnaire de la baie d'Hudson pourrait faire sienne cette boutade, si le zèle pour le salut des âmes ne l'en empêchait. N'importe que la solitude, qui est souvent complète à certains postes, est parfois bien pénible à la nature.

Ce fut donc une inspiration de prévoyante charité chez Mgr Turquetil qui le porta à la rendre plus supportable à ses prêtres, en attelant, pour ainsi dire, le dernier triomphe de la science électrique à ce chariot mérovingien qu'est la routine du missionnaire perdu au milieu des neiges du Nord-Est.

En 1925, un Père oblat du Canada oriental, feu le P. Rodolphe Desmarais, construisit deux petits appareils de réception électrique pour les deux seules missions existant alors chez Mgr Turquetil. A l'aide de ces appareils, les Pères purent recevoir les messages de leurs parents et amis que, chaque samedi soir, le poste KDKA de Pittsburg transmettait gratis aux gens du Nord.

Ce fut un inappréciable progrès pour ces missionnaires, qui ne recevaient de lettres qu'une fois l'an par bateau, et ne pouvaient y répondre que l'année suivante, vu que le bateau n'arrêtait que quelques heures, juste le temps de débarquer les marchandises, alors que les Pères devaient s'occuper de recevoir et de vérifier leurs effets.

Deux ans plus tard, un jeune amateur de Montréal construisit un poste émetteur pour Chesterfield, qui avait reçu l'année précédente un petit générateur Delco de 32 volts. Par ce moyen, le pro-préfet, qui résidait à Chesterfield, pouvait se mettre en communication avec le préfet apostolique, lorsqu'une consultation urgente s'imposait.

Plus tard, le Gouvernement ayant établi une station de télégraphie sans fil à Chesterfield, ce petit poste de transmission perdit son utilité. Ajoutons qu'aujourd'hui la radiographie est installée dans quatre des missions de la baie d'Hudson.

Ne peut-on pas dire, à ce propos, que c'est réellement là que les extrêmes se touchent? Le dernier cri de la science sur un théâtre plus primitif que tout ce qu'on peut imaginer! Encore une innovation, une création du supérieur des missions catholiques du Nord-Est!
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(10) D'aucuns attribuent ces vers à Alexander Selkirk.
A suivre : Chapitre XVII. Chez les Iglouliks.
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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XVII

CHEZ LES IGLOULIKS

Au point de vue matériel, une mission que je n'ai pas encore mentionnée fait exception à ce qu'on peut regarder comme la règle pour toutes les autres — et cela pour une bonne raison: on n'a pas encore eu la chance de l'organiser. C'est celle des Iglouliks, dont il me reste à parler.

Son fondateur, et jusqu'ici unique missionnaire, est une si noble figure d'apôtre, que je crois ne pouvoir mieux faire que d'attirer l'attention d'une manière toute spéciale sur ses exploits, qui me semblent n'avoir guère d'égaux que dans le domaine de la légende.

Dans ces deux derniers chapitres, que je voudrais lui consacrer, nous verrons l'esprit de sacrifice, au service d'un zèle insatiable, rendre vraiment héroïque l'action d'un jeune prêtre qui, de gaieté de cœur et comme chose toute naturelle, s'astreint à une vie dont les détails (le plus souvent cachés du lecteur parce que trop rebutants) ne pourraient s'accepter sans l'aiguillon d'un cœur brûlant de charité pour le salut des âmes.

Ce prêtre, nous l'avons déjà rencontré sur notre chemin, et c'est à dessein que j'ai omis sur son compte toute donnée d'ordre personnel. Je veux parler ici du R. P. Etienne Bazin, O. M. I. ; tout ce que j'ai dit de lui c'est qu'il est natif du diocèse de Dijon, France.

Il y vit le jour au cours de 1903, et, à l'âge de dix-neuf ans, il entrait chez les Oblats à titre de novice. En 1925, il couronnait son noviciat par l'émission de ses premiers vœux de religion. Ordonné prêtre le 8 juillet 1928, il fit son oblation perpétuelle le 25 janvier de l'année suivante.

La même année, l'obéissance lui assigna la mission de la baie d'Hudson comme sa part du champ du Père de Famille à cultiver, et nous le voyons le 18 juillet 1929 prendre passage à Montréal sur le vieux Nascopie, pour aller seconder son nouveau supérieur, le P. Girard, dans l'établissement de la mission de Pond Inlet.
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Ce qui me reste à dire des commencements de son humble apostolat sera très bref, d'autant plus que j'ai hâte de lui passer la parole, et de permettre au lecteur de mieux apprécier les péripéties de sa courte vie de missionnaire. Celui-ci aura pour cela son journal, divisé en deux parties. La première relate comme les faits et gestes d'un Robinson Crusoé; on devra attendre la seconde pour former son jugement en connaissance de cause.

Nous avons déjà fait connaissance avec les Iglouliks, que nous avons rencontrés de passage à Pond Inlet. Le territoire de ces Esquimaux consiste surtout dans trois îles, à moitié chemin entre la dernière place et la baie Repulse. Leur groupe comprend probablement la partie la mieux disposée de la nation. Ce sont eux qui, avant d'avoir vu aucun prêtre, avaient copié son livre de prières.

Ils avaient aussi appris des autres Esquimaux nombre de cantiques, sans leur apporter trop de variantes. Un seul de leurs airs était différent, paraît-il. Ils avaient oublié celui d'un cantique et en avaient composé un autre, « plus beau que le véritable », écrit le P. Bazin, qui, sous ce rapport, ne doit pas être difficile (2).

Ces bonnes dispositions émerveillèrent et captivèrent le jeune prêtre, au point que, comme ces indigènes ne pouvaient rester indéfiniment chez les autres, il avait obtenu de son supérieur d'aller les évangéliser chez eux, avec leurs compatriotes restés sur les îles qui portent leur nom.

Après une première visite préparatoire, au cours de laquelle il avait fait 22 baptêmes, 11 mariages et distribué 2,387 communions, le P. Bazin en écrivit ce qui va suivre, journal intime qui, s'il est vrai que le style c'est l'homme, nous le révélera comme un homme gai, plein de zèle, qui ne s'écoute guère et est certes peu difficile à contenter. Pour le bénéfice de son premier supérieur au pays, Mgr Turquetil, il mande donc d'Abvajak, île située non loin des îles Iglouliks, mais trop petite pour paraître sur une carte à échelle réduite comme est celle de ce volume:

« 22 juin 1932.— Il y a deux mois, en partant de Pond's Inlet, je vous ai écrit brièvement…
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(2) Missions, 1932, p. 128.
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CHEZ LES IGLOULIKS

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« 22 juin 1932. — Il y a deux mois, en partant de Pond's Inlet. je vous ai écrit brièvement. J'en suis confus (3). Mais j'espère que vous m'excuserez, car j'avais dans les 80 lettres à écrire dans une journée. Départ un peu précipité. Mais il faisait si beau temps! Il fallait bien en profiter, car dans le Nord… Bref, je suis parti le 23 avril avec Thomas (Mutarareark).

« Le voyage a duré trente-trois jours ; plus chanceux que l'an dernier, nous sommes arrivés avec armes et bagages. Il faut dire que, sur ces trente-trois jours, nous avons eu une trentaine de tempêtes ; mais il faut bien payer un peu son tribut, et ne pas voyager trop bourgeoisement.

« Le bon P. Girard avait chargé la traîne comme si elle avait été un train de marchandises remorqué par deux locomotives... De mon côté, j'allongeai sur la traîne quelques planches (4), avec l'arrière-pensée de m'en servir pour construire une petite chapelle.

« Rien de bien sensationnel durant le voyage. En résumé, moins fatigant que l'an dernier, et naturellement moins froid qu'en hiver. Pour franchir les montagnes, nous avons emprunté une vallée. Ce fut la journée la moins gaie: il poudrait, la neige était plus ou moins molle ; mais le bon vieux Thomas est fort comme un Turc, et ses douze chiens forts comme douze Turcs. Si bien que, tirant et poussant, nous avons franchi le col et descendu de l'autre côté en une seule journée, ce que nous avions fait en quatre jours l'an dernier. Sur le grand lac, j'ai tué un caribou ; c'était la première occasion que j'avais d'en tirer.

« Deux jours après mon arrivée au camp de printemps des Iglouliks, j'ai reçu une lettre du P. Girard par les traînés des Iglouliks et des Akkonduerks qui revenaient de Pond's; puis je suis parti faire une visite chez les Kramer-slcktouarmiouts (une semaine aller et retour), pour voir une de nos familles catholiques (5). J'ai baptisé une petite Edith. En revenant, pour varier, je suis arrivé dans une tempête.

« Depuis quinze jours, j'ai quitté le camp du printemps pour venir m'installer sur l'autre île Abvajak, où je suis

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tout seul. Je construis la petite chapelle: planches, vieilles caisses, vieilles boîtes de conserves, peaux de phoque, terre; roches, tout ce que je puis trouver. Ladite cathédrale a 3m de long sur 2m 50 de large. Les grands travaux avancent tout doucement, et lorsque la tribu arrivera, nous aurons une chapelle pour prier.

« Une nuit, la semaine dernière…
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(3) C'est-à-dire je suis confus de cette brièveté. — (4) A peu près ce qu'il y a de plus précieux pour un blanc du pays. — (5) J'écris ce mot comme je le trouve.
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(suite)

« Une nuit, la semaine dernière, un visiteur imprévu. C'est Pierre Pingatu , fils héritier (!) du chef de la tribu, qui vient me chercher, parce que la princesse sa mère est très malade. Avec le P. Girard, nous appelons le chef le prince, sa femme la princesse, et le fils en question, futur héritier des droits paternels, le dauphin.

« Donc cinq minutes après, nous étions partis, chiens au galop (vingt chiens). Nous avons fait le trajet en moins de quatre heures, ce que l'on fait en huit d'habitude. Nous avons prié ensemble au camp. J'ai donné quelques médecines à la princesse, qui s'est rétablie; puis je suis revenu dans mon île déserte.

Le 17 juillet. — Il y a une dizaine de jours, le prince m'a envoyé chercher par Attagouarkoutsierk, pour que j'accompagne la tribu à l'île Siroak, en vue d'y faire une provision d'œufs. Nous sommes donc allés à Siroak, qui est une petite île sablonneuse, comme son nom l'indique, située à une cinquantaine de kilomètres d'Igloulik.

« Messieurs les canards sont des eiders, qui fournissent la plume pour les édredons. Leur chair n'est pas très fameuse, mais les œufs (de gros œufs verts) n'ont pas, comme la bête elle-même, de goût phoqual, phoqueux, de phoque, quoi! Une dizaine de familles esquimaudes étant venues à Siroak, la fusillade a commencé aussitôt, une vraie déclaration de guerre; si bien qu'en une journée, à l'aide de fusils ou de trappes [pièges], chaque famille avait fait sa provision de canards, une soixantaine chacune.

« Le combat a cessé faute de combattants, ou faute de victimes plutôt. La majeure partie est allé attendre sur la glace, au bord de l'eau, que nous soyons partis. Quant aux œufs, chacun en a emporté dans les trois à quatre cents.

« Maintenant je suis de nouveau dans ma solitude. De temps à autre, je reçois quelques visites. Je pense que toute la tribu arrivera dans quinze jours ou trois semaines.

« Le 30 juillet. — Trois familles sont déjà arrivées. Deo gratias! il y aura un peu d'assistance à la messe. D'autre part, je quitte mon rôle de Robinson. De chartreux, je vais devenir simple curé de campagne.

« Les moustiques sont nombreux cette année ! C'est effrayant. On n'ose plus mettre le nez dehors. La glace commence à se disloquer; elle ne tardera pas à nous fausser compagnie.

« Le 25 août. — Les fidèles de l'église d'Igloulik se sont augmentés de deux familles. Je ne suis, malheureusement pour moi, en rien dans leur conversion; il y a tant de saintes âmes en France qui prient pour nous! C'est toujours autant d'arraché aux protestants et au diable!

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« Hier, chasse à la baleine blanche…
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(6) Ces baleines sont nombreuses même dans le port de Churchill, où on les voit souvent folâtrer à la surface de l’eau.
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« Hier, chasse à la baleine blanche. Trois de ces animaux se sont laissé harponner. Lorsque l'un de ces animaux a un harpon enfoncé sous la peau, et que la lanière du harpon est solidement fixée au bateau, ce dernier prend l'allure d'un canot automobile. La baleine blanche tire aisément et à grande vitesse le bateau en bois, qui a dans les douze mètres de long, jusqu'au moment où, fatiguée, elle est achevée par les Esquimaux ... Il y a déjà de la glace la nuit sur les lacs.

« Le 27 août. — Les premières neiges sont tombées aujourd'hui. Comme vous voyez, l'été n'est pas bien long.

« Le 31 août. — Il neige maintenant presque chaque jour. Hier chasse aux morses. Parmi les nouveaux convertis d'Igloulik, dont je vous parlais l'autre jour, il y a une petite fille qui a quatre ans et qui fume la pipe comme une vieille grand'mère — une grand'mère esquimaude naturellement. Elle est précoce !

« Le 8 septembre. — La sainte Vierge nous a envoyé quelques caribous pour rehausser un peu le menu. Il y a trois mois que j'étais au régime maigre.

« Les tempêtes d'automne commencent, et il fait froid. Il y a quelques jours, nous avons été à la chasse aux morses. Cinq gros morses dormaient sur un petit glaçon à la dérive sur la mer. Ces animaux se laissent facilement approcher, ils ont confiance en leur force. Tout en nous regardant de temps en temps, ils laissèrent venir nos barques à une dizaine de mètres. Deux ont pourtant réussi à plonger au premier coup de fusil ; les trois autres passèrent de vie à trépas.

« Le 4 octobre. — Les tempêtes succèdent aux tempêtes; aussi la mer ne gèle pas encore. Tout le monde maintenant s'est installé pour l'hiver, et j'ai couvert la basilique d'Abvajak d'une peau de morse, ce qui la rend plus chaude. Les deux familles converties en été se maintiennent dans une grande ferveur, ainsi d'ailleurs que toute la tribu. Puisse le bon Dieu en attirer d'autres!

« Le 11 octobre. — Dimanche dernier, j'ai eu encore le bonheur de faire un baptême…
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« Le 11 octobre. — Dimanche dernier, j'ai eu encore le bonheur de faire un baptême, un jeune Simon (Amarvalik), arrière-petit-fils du Prince (le vieux chef).

« J'ai eu la bonne idée d'apporter quelques-unes des lettres de mon courrier, le dernier (1930-31), et je remarque avec peine que certains se font des illusions sur mon compte. Que ceux-là ne s'imaginent pas que j'aie beaucoup de mérite; car lorsque je m'en irai dans l'autre monde, ils risqueraient de me laisser en purgatoire bien longtemps! Priez pour moi au contraire. De mon côté, je ne vous oublie pas. Il faudrait être un saint pour avoir des mérites à distribuer ; hélas ! c'est loin d'être mon cas. Je crains bien d'avoir les mains vides jusqu'ici, et d'être même pas mal en dettes avec le bon Dieu.

« Ces jours-ci, nous avons été à la chasse aux morses (7). Il y en a pas mal. Une fois, en particulier, il y en avait plus d'une centaine qui prenaient leurs ébats sur la glace, divisés en cinq ou six bandes, sans compter ceux qui étaient dans l'eau. J'ai été photographier une des bandes, et me suis approché à une quinzaine de mètres, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'ils prennent peur de l'intrus que j'étais et plongent dans l'eau. Malheureusement, mon appareil, que je pensais au 50° de seconde, était au 250°, et le ciel couvert; d'où, malgré un surdéveloppage, la photo est un peu faible.

« Le 26 octobre. — Depuis quinze jours, nous avons une tempête. La mer a gelé malgré le vent, et en une seule journée. Malgré la violence du vent, les vagues diminuèrent, puis cessèrent complètement. Une journée suffit alors pour former une couche de glace capable de porter un homme, et ceci de notre île à la terre — ce qui représente dans les vingt kilomètres.

« Hier, bonne journée de chasse : un phoque, trois morses, trois ours….

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(7) V. gravure Nº 32.
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« Hier, bonne journée de chasse : un phoque, trois morses, trois ours.

« Il y a deux jours, le soir, des Esquimaux ont vu la maison-chapelle tout entourée de lumière. L'obscurité était complète dehors, et cette lumière, environnant toute la chapelle, les a fort impressionnés. Ils se sont dit, paraît-il, que le prêtre devait être avec Jésus. Heureuses âmes simples et de bonne volonté, auxquelles il est donné de voir de ces belles choses! Pour moi, qui étais dedans, je ne me suis aperçu de rien et n'ai rien vu du tout — trop mauvais probablement.

« J'espère que cela les attachera encore plus à l'Eglise et à leur église.

« Je vous parlais un peu plus haut de la solidité de la glace après une journée de rigidité. A ce propos, un petit incident. Cette solidité est relative, et il faut croire d'autre part que je ne suis pas très léger. Me trouvant hier sur ladite glace, je m'y suis enfoncé tout à coup comme dans du beurre, et ai passé au travers comme un vulgaire morse plongeant.

« Grâce à Dieu et à un petit bloc de glace résistant sur lequel je me suis empressé de faire un rétablissement digne d'un professeur de gymnastique, je me suis sorti bien vite de cette position peu digne pour un ecclésiastique. J'en ai été quitte pour vider mes bottes pleines d'eau, et aller faire sécher mes vêtements tout en buvant une tasse de thé.

« Mes vêtements mouillés s'étaient naturellement gelés immédiatement, et avaient pris la raideur d'un manche à balai, ce qui devait me donner une démarche assez comique.

« Le 18 novembre. — Monsieur, frère du roi, ou plus exactement frère de la reine, Thomas, Nustareak de son nom esquimau, m'a fabriqué un superbe chandelier en pierre représentant un morse ayant deux grandes défenses en ivoire. La bougie se fixe sur le dos de l'animal.

« Le 11 décembre. — Le Prince et la Princesse ont voulu me faire goûter à leur friandise des jours de fête, qui consiste en gras de caribou (cru, naturellement), mélangé à la mousse fermentée qui se trouve dans l'estomac du caribou. Pour leur faire plaisir, j'en ai goûté un peu; mais je vous avoue que, malgré ma bonne volonté, je ne lui ai pas trouvé le goût qu'aurait une crème au chocolat, par exemple. Cette pâte grasse, au goût innommable, qui reste collée sur la langue, doit pourtant être très agréable au palais esquimau. C'est bien de ma faute aussi, à moi qui suis trop délicat, si je n'ai pu faire beaucoup d'honneur au dessert de ces Messieurs.

« Le 23 décembre. — Nous voici presque à Noël. Nous tâcherons de passer cette fête de notre mieux. Les Esquimaux, à cette occasion, ont construit un magnifique iglou de sept mètres de diamètre sur cinq de hauteur: c'est un monument. Les 65 Esquimaux du camp y tiennent à l'aise ».

Ce qui précède fut, on le voit, écrit morceau par morceau…
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Ce qui précède fut, on le voit, écrit morceau par morceau, pendant les quelques moments de loisir que laissaient au P. Bazin ses nombreux travaux manuels et les exigences du saint ministère. Par une lettre qu'il écrivait à Mgr Turquetil au même mois de décembre où l'avait mené son journal, nous apprenons qu'il avait alors soixante Iglouliks baptisés, et de trente à quarante autres bien disposés.

Au point de vue matériel, il mandait aussi que le vieux chef et sa femme avaient découvert un gisement de ce qui paraissait être du charbon de terre, à six ou sept milles de son poste et à une centaine de mètres du rivage, ce qui faciliterait le transport. Il se proposait d'aller l'examiner l'été suivant. Puis il ajoutait:

« Monseigneur, laissez-moi ici, je vous en prie. Il y a trop de bien à faire, et il me serait difficile maintenant d'abandonner cette œuvre commencée. N'y aurait-il qu'une âme à sauver, cela vaudrait la peine; à plus forte raison, lorsqu'il s'agit d'un grand nombre.

« Nous avons commencé tout cela sans votre avis explicite, il est vrai, mais au moins avec votre avis favorable présumé, et pour le bien des âmes. Je sais que je ne suis pas bon à grand'chose; aussi tout ce que j'espère, je l'espère de Celui qui peut tout » (8).

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Puis l'humble missionnaire parle de la mission de la baie Repulse, dont il ignore encore la fondation. Si elle existe déjà, dit-il, celle des Iglouliks servira comme de trait d'union entre elle et celle de Pond Inlet. En conséquence, il demande formellement à son évêque d'élever son humble poste au rang de mission régulière.

Il donne ensuite quelques détails sur la vie religieuse à Abvajak….
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(8) Missions, 1934, p. 130.
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(suite)

Il donne ensuite quelques détails sur la vie religieuse à Abvajak.

« Tout d'abord, la chapelle », écrit-il. « Vu ses dimensions restreintes (avec chauffage à l'huile de phoque, on ne peut pas viser à trop grand pour le moment), elle ne peut guère contenir que vingt-cinq à trente Esquimaux à la fois.

« En conséquence, chaque matin la messe est à 7 heures ; puis, après la messe, prière, communion et cantiques pour ceux qui n'ont pas pu venir auparavant. Lorsque tous sont ici, il y a une quarantaine de communions par jour. Le dimanche, pensant que la raison est suffisante et que, d'autre part, vous m'y autoriseriez certainement..., j'ai présumé de biner. Si vous me désapprouvez, ayez la bonté de me le faire savoir.

« Ces jours-là, les dimanches, il vient de soixante à soixante-dix personnes à la messe... ; lorsqu'il y a des confessions à entendre, étant donné que je bine aussi à l'office de l'après-midi, vous pouvez juger que le dimanche est assez occupé. Je ne trouve souvent que la nuit le temps de dire mon bréviaire.

« Je n'en suis que plus heureux ; car soit voyage apostolique, soit apostolat sur place, vita in motu (9). Certains Esquimaux d'ici vivent plus particulièrement en parfaits catholiques, et, vous le savez par expérience, on ne voit pas trop de quoi on peut les absoudre en confession » (10).

Et, comme pour faciliter la permission qu'il sollicite, le P. Bazin dit de ses gens:

« La plupart sont très généreux envers leur missionnaire — même les non-catholiques assez bien disposés (Carte du Vicariat de Mgr Turquetil) pour la prière — et n'attendent rien en retour. Je ne sais pas trop d'ailleurs ce que je pourrais leur donner. Ils apportent très souvent nourriture et huile pour les lampes, et vous savez comme une lampe en pierre dévore de gras de phoque dans un hiver.

« Pour ne vous citer qu'un exemple, la femme Martine Ulmerk m'apporte régulièrement des seaux de gras. Un jour, elle vient me donner deux superbes paires de bottes qu'elle avait confectionnées pour moi. Voulant tout de même la récompenser, je lui demande ce qu'elle désire pour cela; et elle de me répondre:

— « Mais je ne veux rien du tout. Tu nous aides à aller au ciel; c'est bien juste que nous t'aidions à vivre ici » (11).

Mgr Turquetil avait lui-même un cœur trop apostolique pour ne pas comprendre les aspirations de l'humble prêtre enseveli dans une hutte de glace. Non seulement il agréa sa demande d'érection de son poste en mission canonique, mais il voulut lui donner pour patron saint Etienne, dont le missionnaire avait lui-même reçu le nom au baptême.

Et maintenant l'heure de l'épreuve et des tribulations allait sonner pour ce dernier.
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(9) « La vie est dans le mouvement ». — (10) Missions, 1934, pp. 132-33. — (11) Ibid. . P. 133.
A suivre : Chapitre XVIII. Encore les Iglouliks.
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