Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.

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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XV

ÉVÊQUE

(suite)

Vers ce temps-là, Sa Grandeur Mgr Turquetil, évêque de Ptolémaïs, rentrait à ce qui devait dès lors être sa ville épiscopale, Churchill, dont il n'y avait guère encore que le site plus ou moins déblayé, et des rues arpentées mais n'existant comme telles que sur le papier.

Ce port, qui se formait avec tant de circonspection qu'aucune habitation privée n'y était encore autorisée, excepté celle de l'évêque catholique, qui en devint par le fait le premier citoyen, est d'accès facile, et se trouve protégé contre les vents du large. Il présente, paraît-il, la forme d'une bouteille, dont le goulot serait tourné vers la mer, et dont le fond serait un peu élargi. Des falaises rocheuses qui le bordent de chaque côté le mettent à l'abri des grands vents.

Le dimanche 12 juin 1932, à l'occasion du retour du nouvel évêque après son sacre, il y eut grande cérémonie à l'église de Churchill. La foule s'y trouvait compacte, comprenant beaucoup de protestants, dont l'un était ministre de l'Eglise Unie (United Church), nouvelle secte formée de l'amalgame de Presbytériens, de Méthodistes et de Congrégationnalistes ; en somme, une nouvelle unité dans la liste déjà si longue des dissidences non-catholiques (12) .

La première construction privée de la nouvelle place était, nous l'avons dit, le « palais épiscopal » de l'évêque catholique. Il mesurait 40 pieds carrés, plus une allonge de 20 pieds à l'arrière, et il avait deux étages. Pour commencer, une chapelle de vingt pieds sur quarante se trouvait au rez-de-chaussée. Inutile d'ajouter que cette bâtisse était différente de celle qu'on avait construite à l'entrée du port, pour le bénéfice surtout des ouvriers du Gouvernement.

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Cependant Mgr Turquetil…
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(12) Ne pas oublier que nombre de communautés des deux sectes ayant refusé de s'unir, celle de la United Church en constitue bien réellement une de plus; on accentua la désunion en cherchant l'union: tant il est vrai qu'il ne peut y avoir d'unité en dehors de l'Eglise catholique.
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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XV

ÉVÊQUE

(suite)

Cependant Mgr Turquetil s'occupait, comme d'habitude, des innombrables colis destinés à ses missions du nord. L'année précédente, il avait manié mainte tonne de marchandises de toutes sortes, au point qu'avec le seul collet romain pour le distinguer des manœuvres, les Anglais qui le cherchaient lui demandaient parfois où était donc le Bishop catholique. Maintenant, hélas! il ne pouvait plus en faire autant. Non pas, certes, que son inaction relative fût due à sa nouvelle dignité. Oh ! non ; mais il avait attrapé une hernie prononcée, qui le forçait à un peu de « retenue »...

Il s'en consolait en pensant qu'il s'en débarrasserait à l'automne, à son retour des visites pastorales qu'il avait à faire (13).

Nous avons vu qu'il avait déjà six missions régulièrement organisées. II devait incontinent en avoir une septième, et c'était au P. Clabaut qu'allait revenir l'honneur de la fonder. Je veux parler de la mission de la baie Repulse, projetée depuis longtemps, mais toujours remise à plus tard, par suite de la difficulté de la ravitailler, vu que la glace, qui certaines années ne se détache pas du rivage, en rend l'accès incertain aux bateaux: d'où son nom, qui correspond quelque peu à notre « Répulsion ».

Ce poste n'en compte pas moins deux maisons de commerce, pour les 174 Esquimaux que le livre bleu d'Ottawa lui assigne. L'achat d'un bateau plus grand que le Thérèse allait rendre cette fondation possible. Mais commençons par le commencement.

Le 19 avril 1932, le P. Clabaut partit pour cette place, suivant de son mieux un constable de la gendarmerie qui, mieux équipé que lui, arrivait toujours deux ou trois heures avant lui au campement. Le pauvre prêtre n'en commençait pas moins tous les jours sa course dès trois heures du matin! De fait, si dur pour lui-même se montra-t-il alors que ce même constable ne cessait de s'extasier devant ce qu'il appelait son endurance.

« Ce P. Clabaut est un homme de fer », disait-il ensuite à Mgr Turquetil. « Je l'ai vu dans les montées et descentes de Wager, conduisant seul ses chiens, son compagnon suivant en arrière à pas lents et se tenant le dos comme un éreinté qui n'en peut plus. Le Père regardait, poussait un « ouf » ! et éclatait de rire, prêt à continuer comme si rien n'était. Je suis sûr qu'il laisserait bien des Esquimaux en arrière, s'il connaissait le chemin et pouvait voyager seul » (14) .

De son côté, le P. Clabaut écrivait à son Ordinaire:

« Quand on est assis toute la journée dans son traîneau, cela passe; mais pour nous qui devons hâler ou pousser la traîne, marcher, courir à pas brisés, glisser, tomber, culbuter, nous en sentons dans les jambes, des kilomètres! Et, le matin, il faut presque assommer les Esquimaux pour les réveiller » (15).

Le bilan de ce voyage préliminaire fut sept baptêmes d'adultes et six d'enfants, treize communions pascales (16), sept premières communions et quatre-vingt-onze communions de dévotion, deux mariages et la visite de quatre camps où se trouvaient vingt-huit chrétiens.

C'est alors que Mgr Turquetil…
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(13) Cf. Missions, 1932, p. 763. — (14) Missions, 1933, p. 76. — (15) Ibid., ibid. — (16) Ce qui indique naturellement que le missionnaire avait trouvé là des chrétiens de vieille date.
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Louis Mc Duff
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ÉVÊQUE

(suite)

C'est alors que Mgr Turquetil se procura à La Have, Nouvelle-Ecosse, le bateau auquel j'ai déjà fait allusion. C'était une goélette de trente tonnes, au lieu des douze du Thérèse, qui non seulement diminuait considérablement les frais de transport de l'approvisionnement de ses missions, mais se trouva payée dès la première année par l'épargne des sommes qu'on aurait dû autrement verser. De plus, elle permettait, par suite de sa plus grande contenance, de faire tous ces approvisionnements dans la courte saison où la navigation est possible sur la baie d'Hudson et dans les eaux circonvoisines.

C'était un bateau à deux mâts, et on l'appela le Pie XI (17) .

Son premier voyage servit à l'établissement de la mission de la baie Repulse, qu'on mit sous la protection de N.-D.des Neiges. Le P. Clabaut s'y était rendu de nouveau en traîneau à chiens, et fut enchanté de l'arrivée de la nouvelle goélette, qui lui amena un compagnon, le P. Pierre Henry, Breton du diocèse de Saint-Brieuc, qui tenait à peine debout après une traversée qui ne lui avait pas laissé un instant de répit.

C'était le 9 septembre 1933. L'hiver approchait, et, bien portant ou non, il fallait se presser si l'on voulait avoir un gîte où passer la dure saison alors imminente.

Au point de vue religieux, le lecteur aura déjà deviné que certains des Esquimaux de la baie Repulse avaient été en contact avec la mission de Chesterfield, la mère et maîtresse de toutes les églises du nouveau vicariat apostolique. Malheureusement d'autres avaient été embauchés par les protestants, et s'étaient tournés du côté de l'anglicanisme — ce qui faisait présager un travail aussi ardu que surérogatoire, dont les deux missionnaires eussent bien pu se passer.
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(17) « Ingénieurs, capitaines, surintendants de Churchill, protestants mais amis de nos œuvres, me suggéraient d'appeler le nouveau bateau Turquetil . Comme réclame, cela pouvait faire; comme bénédiction pour les missions, c'était médiocre; comme vraie appellation significative, c'était nul » (Mgr Turquetil, dans L'Apostolat des Oblats de Marie Immaculée, vol. V, p. 60; Chambly-Bassin, 1933). V. illustrations 67 , 68.
A suivre : Chapitre XVI. Le nouveau chez les Esquimaux.
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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XVI

LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX

Saint Paul, écrivant aux nouveaux chrétiens de Corinthe, disait : « Les vieilles choses sont passées, voilà que tout est nouveau (1) ». Si l'Apôtre des Nations venait aujourd'hui visiter les néophytes de la baie d'Hudson, il pourrait leur rendre le même témoignage, et cela au double point de vue spirituel et matériel. En ce qui est du premier, les chapitres qui précèdent celui-ci l'ont, je crois, abondamment prouvé. Inutile d'appuyer encore sur la merveilleuse transformation opérée par le christianisme dans cette lointaine région.

Sans avoir ce texte de l'Ecriture en tête, ni vouloir renchérir sur ce que ses devanciers avaient dit, un jeune prêtre nouvellement au pays, partant prompt à tout remarquer, en écrivait en 1933 :

« La connaissance du Nouveau Testament est indispensable pour l'exposition de la doctrine chrétienne aux Esquimaux, qui jugent tout par l'autorité de l'Evangile. Je suis étonné de l'effet de la parole de Jésus sur ces natures neuves. Il suffit de dire que Notre-Seigneur a affirmé telle vérité pour qu'ils y croient sans hésiter.

« Ordinairement, l'évangélisation des camps commence par la lecture d'un passage de l'Evangile en rapport avec l'instruction proposée. C'est ainsi que certaines tournées dans les terres rappellent en tous points l'apostolat de saint Paul en Asie Mineure et en Grèce. A Chesterfield, on lit chaque dimanche l'Evangile au peuple. Au cap Esquimau, on fait mieux : quotidiennement, l'Evangile de la messe du jour est expliqué après lecture d'après les commentaires de saint Thomas. Le P. Thibert me disait que les fidèles étaient très friands de ce genre d'homélies » (2).

Image 64.
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Après avoir remarqué que chacun fourbissait ses armes en vue de prochaines conquêtes dans les glaces, où l'on voit plus qu'ailleurs le travail qu'exige la conversion d'une seule âme, le même missionnaire, P. Henry, O. M. I. comme tous les autres, continuait: « Je quitterai Chesterfield en y laissant la moitié de mon cœur. Nos chrétiens y sont si édifiants! Leur dévotion envers l'Eucharistie, leur foi en toutes les vérités révélées entraînent le missionnaire lui-même à plus de générosité dans sa foi. Leur confiance dans le prêtre renouvelle les scènes évangéliques où l'on nous décrit la confiance des sourds, des muets, des aveugles et des boiteux de Palestine au temps de Notre-Seigneur » (3).

Voilà certes un esprit bien « nouveau » parmi des Esquimaux !...
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(1) II Cor., V, 17. — (2) Missions des O. M. I., 1934, pp. 111-112. — (3) Ibid., ibid., p. 112.
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Louis Mc Duff
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CHAPITRE XVI

LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX

(suite)

Voilà certes un esprit bien « nouveau » parmi des Esquimaux ! Du nouveau aussi toutes ces grandes fêtes occasionnées à Chesterfield par la visite de Mgr Turquetil à ses anciens chrétiens: messes pontificales, baptêmes et confirmations. Et, remarque notre même P. Henry, « tout s'est déroulé avec la pompe possible dans un pays comme le nôtre . . . Monseigneur est plein de noblesse et de majesté dans les cérémonies religieuses. Cette majesté de notre culte impressionne beaucoup nos habitants des neiges.

« Nos chants furent particulièrement soignés. Nous avons une chorale d'enfants dont le plus jeune approche de huit ans. Elle exécute le Credo et la messe des Anges avec une fraîcheur d'âme peu commune. La première fois que je l'entendis, je fus agréablement surpris. Pas d'hésitation, et cependant tout se chante de mémoire. C'est vous dire la facilité de nos enfants pour apprendre par cœur. Les parties communes de la grand'messe sont toutes alternées avec la nef.

« En général, nos Esquimaux aiment le chant à la folie. Ils n'entendent pas un nouveau cantique qu'ils ne veuillent de suite le savoir » (4).

Encore une fois, n'est-ce pas là du nouveau pour des primitifs naguères encore ensevelis dans une corruption indescriptible? Et ne pas oublier ici que cette immense amélioration spirituelle influe encore, et très considérablement, sur le matériel de ces gens. Au point que l'on pourrait dire sans trop se tromper que Mgr Turquetil et ses missionnaires sont, par leur enseignement religieux, en train de sauver la race esquimaude d'une extinction imminente, lente mais certaine.

Et voici comment…
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(4) Ibid., ibid., p. 113.
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LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX

(suite)

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Et voici comment. Au lieu de diminuer comme autrefois d'une manière alarmante, la population commence à croître, parce que :

1º L'esprit de clan disparaissant, les mariages entre proches parents deviennent chose du passé. Conséquence: la stérilité et les naissances d'avortons rachitiques ne se voient plus guère. Ajouter à cet esprit de clan les inimitiés entre les différents camps, qui empêchaient les membres de l'un d'eux d'aller se marier parmi ceux d'un autre.

2° L'infanticide, ou la destruction des petites filles à leur naissance, a cessé. Conséquence : les jeunes gens trouveront bientôt à se marier sans trop de difficulté. En certains endroits, on compte encore de quinze à vingt jeunes gens pour une seule fille nubile.

3° Il n'y a plus de meurtres entre adultes pour se procurer la femme d'un autre.

4° Plus de suicides de malades au désespoir.

5° L'hôpital a sauvé la vie d'un grand nombre de personnes qui seraient mortes autrefois, surtout dans les cas de ces épidémies annuelles qui enlevaient précédemment au moins un tiers des malades. La première année de son fonctionnement, on y eut jusqu'à 48 patients à la fois. Cet hiver 1934-35, on n'en a eu que 4 ou 5.

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Même au point de vue de la simple civilisation, le missionnaire a beaucoup fait pour l'Esquimau. Il a détruit les tabous (5), qui souvent étaient cause de famine, comme étaient par exemple:

1° La défense de chasser le caribou tant qu'il y avait du phoque à la maison. On manquait alors l'unique chasse fructueuse et facile, lors de la migration annuelle de ce gibier ;

2° La défense de préparer les habits d'hiver avant qu'on ait pu bâtir l'iglou sur la glace d'eau douce — toute la famille souffrait du froid en attendant et contractait de sérieuses maladies, d'autant plus que les premiers froids sont les plus dangereux parce que les plus humides ;

3° Défense de garder, mais ordre de détruire, tout ce qui avait appartenu à un mort, tente, fusil, bateau, harpons, etc.

Ce à quoi on peut encore ajouter les nombreuses offrandes, aussi vaines qu'onéreuses, qui se faisaient autrefois aux morts ou aux esprits.

Jusqu'ici nous nous trouvons encore dans un ordre de choses qui, matérielles en apparence, n'en touchent pas moins au spirituel.

Mais il y a plus…
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(5) Emprunté aux races océaniques, le tabou est une défense basée sur des idées superstitieuses, qui font croire à des conséquences désastreuses si on la viole.
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Louis Mc Duff
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LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX

(suite)

Jusqu'ici nous nous trouvons encore dans un ordre de choses qui, matérielles en apparence, n'en touchent pas moins au spirituel. Mais il y a plus. Comme chacun le sait, le héraut de la Croix a toujours été le précurseur, médiat ou immédiat, de ce que nous sommes convenus d'appeler la civilisation considérée comme telle, c'est-à-dire de ces mœurs et coutumes, surtout de ces avantages matériels, qui découlent de siècles de progrès sociaux chez la race blanche, plus fortunée au point de vue du climat et des circonstances ambiantes.

A la tête de ces avantages, je mettrai volontiers l'art de communiquer sa pensée au moyen de signes appelés caractères ou lettres; en un mot, l'écriture. Son adoption fut souvent due aux premiers ministres de l'Evangile chez les différents peuples, au seuil de leur conversion.

Il suffit de citer un cas bien connu, celui de saint Cyrille, apôtre des Slaves, et les caractères qu'il inventa pour le bénéfice de ses néophytes, caractères qui sont encore en usage parmi différentes nations du même stock.

Le « script » des Celtes, de son côté, dut son origine aux moines de la Gaule, et, comme à cette époque l'Irlandais avait du zèle pour la conversion des infidèles et ne répugnait pas aux sacrifices que comporte toujours l'apostolat, ce genre d'écriture se répandit dans une bonne partie de l'Europe occidentale.

De même, les anciens systèmes scripturaires firent, avec l'introduction du christianisme, place aux méthodes plus perfectionnées apportées par les missionnaires. C'est ainsi que les runes nordiques disparurent bientôt devant le système d'écriture latine introduit par les prêtres catholiques, après que, dans l'Afrique nord-est, les hiéroglyphes égyptiens se fussent, sous la même influence chrétienne, transformés en ce qu'on appelle l'écriture coptique.

Partout et toujours, l'action du missionnaire comme importateur de notre civilisation dans son point le plus typique, l'écriture.

Cette action allait se répéter jusque dans les glaces des Esquimaux…
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LE NOUVEAU CHEZ LES ESQUIMAUX

(suite)

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Cette action allait se répéter jusque dans les glaces des Esquimaux. Après avoir reçu d'eux la connaissance de leur langue, Turquetil ne tarda pas à les payer de retour en leur apprenant à la fixer sur le papier, au moyen des caractères en usage chez leurs voisins de l'intérieur, les Montagnais, qu'il avait au préalable légèrement modifiés pour les mieux adapter à la nature de cet idiome.

En 1916-17, il se fit même faire, à New-York, un dactylographe de marque Hammond, genre spécial de machine à écrire, dont l'alphabet se change facilement. Il y remplaça nos lettres par les signes qu'il employait pour rendre la langue esquimaude, et prit de ses écrits religieux, prières, etc., autant de copies qu'il put à l'aide du miméographe (6).

Ainsi furent fabriqués ses tout premiers livres esquimaux. Mais avec l'augmentation numérique de ses chrétiens, il dut avoir recours à l'imprimerie, et, au cours de 1934, il fit tirer en France, à pas moins de 15,000 exemplaires, un livre de piété en règle dont nous reproduisons la couverture grandeur naturelle.

C'est un gentil petit volume de 156 pages, contenant toutes sortes de prières, de nombreux cantiques et les évangiles de tous les dimanches de l'année, le tout illustré de pieuses gravures de nature à parler au cœur, en même temps qu'à l'esprit, de celui qui s'en sert.

Ce petit livre est appelé à rendre les plus grands services. Mais, même à son occasion, nous ne devons pas oublier qu'il est destiné à des primitifs, et qu'on doit parfois garder le lecteur contre la superstition qui, sous une forme ou sous une autre, tend sans cesse chez pareilles gens à se mêler aux meilleures choses.

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Ainsi, en date du 22 juillet 1933, le P. Clabaut écrivait de la baie Repulse:

« Les livres de prières, calendriers, bibles protestantes sont très répandus par ici. Il en vient de Pond's Inlet, de Chesterfield, de King William's Island. C'est une plaie, et bien de nos Esquimaux nous font, rien qu'à cause de ces livres-là, une mine rébarbative. Lorsqu'il y a des malades, ils essaient de les guérir avec les livres de prières, imposition du livre, récitation de certaines formules tirées du livre. Si notre livre, ou nos images, ne leur donnent pas de succès, ils recommencent l'opération avec le livre rouge des Anglicans, et ils optent pour celui qui donne le meilleur effet.

« Dernièrement, un primitif orgueilleux venait me dire qu'il avait remisé bien précieusement dans une caisse les livres de prières, images, crucifix qu'il avait eus de nous autres, parce que son petit garçon, malade, avait été « prié » avec le livre des Anglicans » (7).

Tout cela, on en conviendra quand même, est de nature à favoriser la civilisation en même temps que la religion. D'où résultat de nature mixte encore, spirituel aussi bien que matériel. Plus particulièrement matériels, tout en servant assez la religion, étaient les avantages découlant d'entreprises comme l'achat du Thérèse et, plus récemment du Pie XI , dont nous avons apprécié les exploits.

Leur achat était, il est vrai, chose nécessaire, sous peine de faillite ultérieure; mais combien d'autres esprits moins alertes, plus timides et plus ou moins esclaves de la vieille routine y auraient regardé à deux fois avant de se lancer dans des nouveautés qui, après tout, ne pouvaient manquer d'être fort coûteuses au principe?

Autre indice de cet esprit d'entreprise, d'initiative pratique chez Mgr Turquetil…
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(6) Voir. Ill. 40. — (7) Missions des O. M. I, 1934, pp. 118-19.
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(suite)

Autre indice de cet esprit d'entreprise, d'initiative pratique chez Mgr Turquetil : l'hôpital de Chesterfield et les détails de sa construction, avec les perfectionnements dont on le dota. Murs et cloisons du bâtiment sont revêtus de feuilles de tentest, composition de bran de scie et de pulpe qui tient lieu de planches, et ensuite de gyproc, espèce de plâtre à l'épreuve du feu, tandis qu'entre les deux se trouve un papier feutre très épais.

Au pays de la glace et du froid, il faut pour les malades une construction chaude ; autrement les dépenses en charbon ruineraient les propriétaires.

Quant au système de chauffage lui-même, on adopta pour l'hôpital un système de distribution d'eau courante dans chaque appartement propre au pays, et cela pour une bonne raison: pendant huit mois de l'année, on n'a point d'eau à Chesterfield, rien que de la glace et de la neige. Un dispositif spécial permet de les faire fondre au moyen du même feu qui fournit l'eau chaude dans la maison.

Puis le générateur électrique qu'on y a installé donne la lumière, en même temps qu'il déclanche automatiquement des pompes à eau aussitôt que, le niveau de l'eau baissant, la pression est réduite à vingt livres.

Tout cela était bien « nouveau » pour les aborigènes; de fait, une sorte d'activité mécanique qui ne leur paraissait rien moins que douée d'intelligence (8).

Parlant de la lumière, on est, sous ce rapport…
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(8) Cf. Missions des O. M. I., 1932, pp. 374-75.
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Parlant de la lumière, on est, sous ce rapport, plus avancé à Chesterfield que dans les villages et la plupart des petites villes de campagne de France. Voyons ce à quoi cette même lumière a récemment servi, et constatons en même temps comment la grande sainte de Lisieux continue à y protéger ses clients.

Au mois de janvier dernier (1935), deux Esquimaux allaient chasser le phoque par une température extrêmement basse, plus de 55° en dessous de zéro. Lorsqu'il fait si froid, la mer fume comme un immense four à chaux; mais le vent venait de terre, et nos chasseurs avaient beau temps pour parcourir les cinq ou six milles de glace qui les séparaient de l'eau.

Tout à coup, le vent changea de direction, et poussa sur eux ce brouillard intense, glacial, qui ne permet de rien voir, même à une faible distance. Comme ils étaient séparés l'un de l'autre, l'aîné appela, tira du fusil, mais ne reçut aucune réponse. Il revint seul à la Mission. Son compagnon, jeune homme de dix-sept ans, n'était pas rentré.

On donna l'alarme, toute la journée du lendemain fut passée en recherches; mais le brouillard couvrait tout comme d'un voile impénétrable, et les chercheurs n'entendirent aucune réponse à leurs appels ni à leurs coups de fusil.

Quand ils revinrent, le soir, toute la population se précipita à la chapelle, pour supplier la « Petite Thérèse » de venir au secours de l'infortuné jeune homme. Alors le vent changea, le brouillard disparut; mais comme il faisait nuit, le P. Thibert alluma les lampes électriques placées en forme de croix au haut du clocher, dans le but de guider les pas du chasseur, si par hasard le vent du large le ramenait vivant, et si, par un autre hasard, le vent l'approchait du rivage en face de la Mission, et non en arrière de la pointe d'où il n'aurait rien pu voir.

Tout le monde était encore à l'église, priant avec ferveur, lorsque le jeune homme entra. Il raconta ensuite que,

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sous l'impulsion du vent, une portion de la glace sur laquelle il se trouvait s'était détachée de la masse des cinq ou six milles gelés, le séparant de son compagnon et s'en allant comme à la dérive. Sur ce glaçon, il avait erré dans le brouillard pendant toute une nuit et toute une journée, jusqu'à ce que le vent l'eût ramené vers la glace solide, mais non sans avoir eu à traverser une bande de glace mince, qui s'était formée pendant qu'il était isolé sur son glaçon.

Cette glace nouvelle cédait sous ses pas; mais la vue de la croix électrique qui accusait la présence de l'église dans l'obscurité de la nuit lui avait donné tant de courage qu'il l'avait traversée à la course, sans enfoncer plus que jusqu'aux genoux. Lorsqu'il s'était finalement trouvé sur la glace ferme, il s'était mis à genoux pour remercier le Jésus dont il voyait la maison à cinq milles de distance. Il avait, disait-il, oublié la faim, le froid, le danger, tout, et ne pensait qu'au bonheur de revoir sa famille, de vivre, de prier encore.

En pareille occurrence, un infidèle se serait suicidé, dominé par l'idée que puisque les esprits voulaient sa mort par noyade, il devait manifester sa résignation à leur volonté en sautant lui-même à l'eau. Les missionnaires ont vu de ces cas de soumission religieuse poussée à l'extrême. Un Esquimau chrétien a appris à voir dans les accidents autre chose que la mauvaise volonté des dieux, et il prie alors le « Bon Dieu ».

Et ce jeune Esquimau n'est pas le seul que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ait guidé…
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