Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.

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Louis Mc Duff
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Mgr Turquetil, Apôtre des Esquimaux.

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Nous éditerons ce fil pour y déposer les liens dès leur parution.

Bonne lecture à tous.

TABLE DES MATIÈRES

Préface.
Chapitre I — Enfance
Chapitre II — Oblat de Marie-Immaculée.
Chapitre III — Au Lac Caribou.
Chapitre IV — Vers les Esquimaux.
Chapitre V — Chez les Esquimaux.
Chapitre VI — Première Mission esquimaude.
Chapitre VII — Semant dans les larmes.
Chapitre VIII— Récoltant dans l'allégresse.
Chapitre IX — Consolations.
Chapitre X— Préfet apostolique.
Chapitre XI— Nouvelle fondation.
Chapitre XII— Extension à l'est et à l'ouest.
Chapitre XIII— Au nord et au sud.
Chapitre XIV— Progrès et dangers.
Chapitre XV— Évêque.
Chapitre XVI — Le nouveau chez les Esquimaux.
Chapitre XVII — Chez les Iglouliks.
Chapitre XVIII — Encore chez les Iglouliks.
Épilogue.
Appendices.
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Louis Mc Duff
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PRÉFACE

J'ai rarement écrit avec le sentiment plus net, plus distinct que je faisais une bonne œuvre qu'en préparant ce petit volume. Me suis-je trompé? Le lecteur le dira, le sort du livre me l'apprendra.

Depuis quelques années, le nom de Mgr Turquetil est bien connu au Canada, de même qu'il est assez familier même en France et ailleurs. Je croyais moi-même n'en pouvoir guère apprendre à propos de lui; je n'en avouerai pas moins qu'avant d'entreprendre de relater ses hauts faits, j'étais loin de le connaître comme mes recherches me l'ont révélé. L'aide miraculeuse qu'il a obtenue du Ciel par l'intercession de celle que le monde entier appelle aujourd'hui la « Petite Fleur », je ne la soupçonnais même pas, de même que, j'imagine, la plupart de mes lecteurs l'ignorent encore aujourd'hui.

Si donc j'ai quelque peu réussi dans la tâche que je me suis imposée, à l'insu de celui qui devait en être le bénéficiaire, les pages qui vont suivre devraient se lire comme un hymne de reconnaissance envers celle qui, par l'instrumentalité de mon héros et de ses dignes coadjuteurs, a transformé presque de fond en comble, les Esquimaux du Nord-Est canadien — miracle des miracles pour quiconque est au courant des circonstances.

Ce héros et ces missionnaires continuent leur rude corvée contre le prince des ténèbres et leur lutte ultra-civilisatrice, au milieu de difficultés (dont la pauvreté n'est pas la moindre) qui pourraient rebuter des âmes moins fortement trempées.

C'est un peu pour les seconder dans leurs travaux si ardus que j'ai écrit ces pages, persuadé qu'elles ne pourraient que contribuer à activer encore la charité chrétienne qui les fait vivre dans un pays riche seulement en roches, en neige et en glace (1) .

Et c'est sans doute pour coopérer à cette belle œuvre que certains partis ont voulu ni'aider matériellement dans la préparation de ce volume, en me prêtant les clichés de gravures destinées à le rendre plus digne de mon sujet.

Au premier rang, je citerai l'Hon. Thomas G. Murphy, ministre de l'Intérieur, à Ottawa, auquel je dois les illustrations 10, 12, 26, 30, 34, 59, 63, 70 et 74. Vient ensuite l'administration de
L'Apostolat chez les Oblats de Marie-Immaculée, de Chambly Bassin, P. Q., périodique des plus vivants comme chacun sait, qui a bien voulu me passer plus de deux douzaines de clichés pour le même ouvrage. Enfin l'Ami du Foyer, de Saint-Boniface, Man., y a été lui-même pour une dizaine, pas des moins beaux.

A ces bienveillants coopérateurs dans ce que j'oserai appeler ma petite œuvre esquimaude, j'adresse ici mes meilleurs remerciements, dont une partie va également à ceux qui voudront bien se procurer le volume, destiné à aider aux missions si méritoires de M
gr Turquetil .

A-G. MORICE, 0. M. I.

Churchill, Man., 10 août 1935.
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(1). Ici même, à Churchill, la plus méridionale des missions de Mgr Turquetil, on m'assure qu'il n'y a en ce moment pas plus de huit pouces du sol de dégelés.
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Louis Mc Duff
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MONSEIGNEUR TURQUETIL
ET SES MISSIONS
CHAPITRE I

ENFANCE


Fidèle aux instincts de sa race, le Normand est plus ou moins un aventurier. Originaire du nord, ainsi que l'indique son nom (1), il sentit, vers la fin du neuvième siècle, le besoin de voyager, de voir du pays et même d'émigrer. Il se porta en masse vers les plantureuses campagnes appelées aujourd'hui la Normandie, où son activité innée, sa remarquable virilité et son amour du remuement, dont les manifestations n'étaient point encore tempérées par le joug bienfaisant du Christ, en firent comme un épouvantail pour les populations circonvoisines.

Auferte gentem perfidam Credentium de finibus,

« Enlevez la nation perfide Des confins des croyants », se mit à chanter un poète latin, dont la prière, bien naturelle en face de l'envahisseur, fut adoptée par l'Eglise (2) et bientôt exaucée par la conversion, au lieu de la disparition, de ce peuple d'émigrés plutôt turbulents.

Mais, remuant par nature, dévoré par une incroyable démangeaison d'agir, de faire sentir sa présence, par ailleurs fait pour la guerre et les conquêtes, il ne pouvait rester en paix dans les limites pourtant assez généreuses du domaine qu'il s'était taillé en France. Aussi le voyons-nous, en 1066, traverser la Manche sous la conduite de son duc Guillaume, et conquérir l'Angleterre, dont son chef devint le roi, lui imposant pour un temps ses coutumes avec sa langue.

Un peu plus d'un siècle après, ses hordes se précipitèrent jusqu'en Italie, où elles firent des conquêtes sans nombre. Leur pays était trop étroit pour elles; il leur fallait de nouvelles plages, de nouveaux sujets, résultat de nouveaux exploits. Un Normand casanier était alors chose presque inconnue.

Plus tard encore, lorsqu'il s'agit de passer les mers et de conquérir des peuplades infidèles au roi de France, auquel appartenait maintenant leur province, et à la religion que tous professaient dès lors, ce furent surtout les Normands qui se dévouèrent pour venir en Amérique, y former la Nouvelle-France et son intéressante chrétienté.

Que dis-je? ne pourrait-on pas voir dans leur attraction pour le lointain, le nouveau, l'inconnu, sinon pour l'affranchissement des entraves qui assujettissent le commerce quotidien avec la vie civilisée, comme l'embryon des fameux « coureurs de bois » canadiens?

Audace dans les voyages, activité prodigieuse et esprit d'initiative sans bornes, voilà donc autant de caractéristiques qui ont toujours été le fait de cette race. Orientées vers les choses de Dieu et l'établissement de son règne, ces qualités engendrent facilement des héros.

C'est d'un héros contemporain natif de cette province que je voudrais maintenant esquisser la vie et raconter les œuvres. Il n'a vraisemblablement jamais pensé aux considérations ethno-historiques que je viens de formuler; il ne s'en est pas moins montré lui-même l'une des meilleures preuves de leur justesse, quoi que sa modestie puisse en dire.

Arsène-Louis-Eugène Turquetil…
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(1). North man en anglais.— (2). Qui la répète encore dans l'hymne propre à la Toussaint.
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Louis Mc Duff
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CHAPITRE I

ENFANCE

(suite)

Arsène-Louis-Eugène Turquetil (3), le sujet de ces pages, naquit dans la Basse-Normandie, à Reviers, Calvados, au diocèse de Bayeux et Lisieux. Reviers est un petit village de trois cents âmes situé près de Caen (4), ville qui possède deux superbes églises bâties par Guillaume le Conquérant et sa compagne (5) , non loin de la mer et sur la grand'route de Notre-Dame de la Délivrande à Bayeux.

Le nouveau-né était le troisième enfant de Félix Turquetil et de Maria Ducellier. Deux frères, Henri et Alphonse, l'avaient précédé; l'aîné vit encore, le cadet a été tué à la guerre. La famille brillait plus par son honorabilité que par la possession des biens de ce monde. Le père travaillait à un village voisin, et ne revenait à la maison que le samedi soir, repartant le dimanche à la tombée de la nuit pour le moulin où il était employé.

La mère s'adonnait aux soins du ménage, et s'occupait en plus chaque soir à son métier à dentelle, pour aider au gagne-pain des enfants. Profondément chrétienne, elle leur apprenait elle-même le catéchisme, que négligeait malheureusement l'école du village, et exerçait sur eux une vigilance de tous les instants. S'il lui fallait corriger et punir, elle n'y manquait pas; mais ce n'était jamais par impatience ou mauvaise humeur.

La famille s'accrut. Une petite fille, Marie, faisait le bonheur de ses parents, de sa mère surtout, lorsqu'un terrible accident survint qui devait changer la face des choses pour les uns et pour les autres. La mère étant un jour sortie un instant au jardin, entendit un cri de détresse qui lui perça le cœur. Rentrant précipitamment, elle fut horrifiée d'apercevoir le bébé qui mourait de brûlures provenant de graisse bouillante renversée sur sa poitrine!

Le choc fut trop violent pour la pauvre mère. L'enfant qu'elle portait en mourut, et, quelques jours après, les trois frères accompagnaient leur père conduisant sa femme au tombeau.

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Qu'allaient devenir les pauvres orphelins après le départ de leur mère et en l'absence forcée de leur père? Les deux aînés furent recueillis par autant de familles obligeantes, au service desquelles ils se mirent. Quant au plus jeune, Arsène, encore incapable de travailler, il fut confié à des religieuses qui dirigeaient un hospice pour les vieillards.

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Ces bonnes Sœurs firent ainsi en faveur de l'enfant une exception…
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(3) L'l finale ne se prononce point.— (4) Prononcer Can. Reviers. est à 12 kilomètres sud-ouest de cette ville.— (5) La construction de l'une desquelles avait, paraît-il, été imposée par les autorités ecclésiastiques comme honoraires d'une dispense de parenté entre lui et sa femme.
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Louis Mc Duff
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CHAPITRE I
ENFANCE
(suite)

Ces bonnes Sœurs firent ainsi en faveur de l'enfant une exception, qui fut vraisemblablement le point de départ de sa vocation. Tant il est vrai que Dieu sait toujours tirer le bien du mal.

L'épreuve était certainement grande; mais ce fut cette même épreuve qui, au contact journalier des bonnes Sœurs, et par suite des entretiens qu'elles ne pouvaient manquer d'avoir parfois sur les missions étrangères — elles aussi étaient normandes, partant enthousiastes des œuvres de charité en pays lointains — fit germer chez l'enfant le désir de se faire prêtre et missionnaire. Il n'avait encore que huit ans, mais disait déjà à tout le monde que lui aussi irait un jour convertir les infidèles.

Du reste, les vocations à l'état ecclésiastique étaient loin d'être rares dans la région où Arsène avait eu son berceau. Elles y étaient plutôt chose assez commune, comme une bénédiction du Ciel, en récompense, probablement, du dévouement aux ministres du culte dont les ancêtres avaient, au péril de leur propre vie, fait preuve au temps de la Révolution. En ces jours sanglants, alors que le trône et l'autel étaient l'objet d'une fureur insensée de la part d'énergumènes avinés qui se croyaient la France, les familles du pays se firent un devoir de cacher les prêtres fidèles qui ne pouvaient s'exiler, et de faciliter l'embarquement secret de ceux qui allaient se réfugier en Angleterre, où ils devaient tant édifier les protestants et laisser une trace si profonde de leur passage (6).

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Pour en revenir à notre orphelin de Reviers, Arsène était ainsi fait que, même dans ses plus tendres années, il tirait de tout ce qu'il entendait des conclusions enfantines, qui lui méritèrent à l'école le surnom de La Palisse. En conséquence de cette tournure d'esprit, ayant entendu dire dans les tout premiers catéchismes qu'il fallait connaître Dieu pour aller au ciel, il demanda s'il y avait des gens qui ne le connaissaient point. Et comme on lui parlait de païens qui n'avaient jamais vu de prêtre, il se confirma dans son désir d'aller un jour les évangéliser.

On lui objectait bien que cette vocation exigeait des études aussi coûteuses que longues, par conséquent qu'un enfant de sa condition ne pouvait guère espérer voir se réaliser en sa personne ; il compta sur la Providence qui, pensait-il, saurait bien y pourvoir. Il devait toujours en aller ainsi avec lui, et ce fut peut-être là le secret de son succès. Il ne heurtait point de front des obstacles apparemment insurmontables, mais sans jamais désespérer, il prenait patience et remettait à plus tard le soin de les tourner avec l'aide de Dieu.

Il savait maintenant lire, et en profitait à la maison paternelle, faisant ses délices des Annales de la Sainte-Enfance et rêvant de partir pour la Chine. Il était bien Normand: les grands voyages ne l'effrayaient point, au contraire, et naturellement il ne se rendait guère compte encore de ce qu'il en coûte généralement pour s'expatrier, même au profit d'une bonne œuvre comme la conversion de son prochain.

Puis il lut dans ces mêmes annales comment un missionnaire avait dû sa vocation à la sainte Vierge. Il commença alors à invoquer N.-D. de la Délivrande…

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(6) Au point qu'on fait généralement remonter à cette époque le renouveau catholique qui se manifesta alors dans ce pays. La dignité de ce clergé proscrit pour sa foi, et résigné jusque dans la plus affreuse misère, fit impression sur les Anglais, qui se dirent qu'une religion servie par de tels ministres ne pouvait être aussi vaine qu'on la représentait dans leurs temples.
Dernière modification par Louis Mc Duff le ven. 29 janv. 2016 23:52, modifié 1 fois.
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CHAPITRE I

ENFANCE

(suite)

Puis il lut dans ces mêmes annales comment un missionnaire avait dû sa vocation à la sainte Vierge. Il commença alors à invoquer N.-D. de la Délivrande qu'il connaissait, vu que son sanctuaire était proche et qu'on s'y rendait tous les ans en pèlerinage (7).

Chez les religieuses qui l'élevaient, il ne manqua pas de remarquer les images de N.-D. du Bon Conseil, de N.-D. de Lourdes, de N.-D. de Pontmain et de N.-D. de la Salette. Dans sa piété naïve, il se mit alors à adresser ses prières enfantines alternativement à chacune de ces « saintes Vierges », et ne douta nullement que cette dévotion ne lui obtînt un jour la grâce de devenir missionnaire.

C'était pourtant assez difficile, humainement parlant presque impossible. Qui pouvait s'intéresser à l'avenir du petit orphelin, d'un enfant parfaitement inconnu, prisonnier dans l'étroite enceinte d'une maison religieuse? Mais l'enfant était bon, avait une foi à transporter les montagnes et, en dépit de son jeune âge, donnait déjà des signes d'une capacité intellectuelle qui augurait bien de l'avenir.

A l'encontre de toutes les prévisions humaines, la Providence se chargea de réaliser les aspirations du jeune Arsène. A neuf ans et quatre mois, il entrait au petit séminaire de Villiers-le-Sec, distant de sept kilomètres seulement de son village natal. L'année scolaire était commencée; l'administration de l'hospice avait déclaré, en effet, qu'une fois sorti, il ne pourrait plus rentrer. Alors où irait-il pendant ses vacances?

Il avait donc fallu trouver une famille charitable pour l'héberger alors, partant faire des démarches plus ou moins fastidieuses qui avaient nécessairement pris quelque temps pour aboutir.

Au petit séminaire, Arsène, heureux enfin…


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(7) Le nom de ce pèlerinage parut d'abord si étrange au Canada, où il avait jusque-là été inconnu, qu'on commença par l'écrire N.-D. de la Délivrance. Un mot sur son origine et sa raison d'être peut donc trouver place ici.

D'après la tradition, la statue honorée en ce lieu fut miraculeusement trouvée enfouie dans le sol d'un domaine, ou village, appelé Yvrande; d'où l'appellation de N.-D. d'Yvrande qu'on voit souvent dans les anciens documents. Mais l'autre forme a prévalu: N.-D. de l'Yvrande (autrefois N.-D. d'elle Yvrande). Finalement, par contraction, on a eu: Délivrande, qui a pris l'article: la Délivrande. Les vieux textes, latins et français, donnent tous Yvrande.

S'il faut en croire d'autres auteurs, l'origine du nom de ce pèlerinage devrait se trouver dans le mot local « delle », employé en Basse-Normandie pour désigner une parcelle de champ ou de terrain. Dans l'un et l'autre cas, l'idée de délivrance, de libération, fait complètement défaut. (Cf. Léon Jules, N.-D. de la Délivrande, le Pèlerinage, la Basilique, Essai historique, p. 15. Caen, 1924.).


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CHAPITRE I

ENFANCE

(suite)


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Au petit séminaire, Arsène, heureux enfin, se sentait chez lui. Le printemps suivant, il y faisait sa première communion. C'était le 9 juin 1886. Il avait dû lutter un peu pour obtenir cette faveur, vu que les règlements d'alors exigeaient l'âge de onze ans, et il n'en avait que dix — bon point en sa faveur dont il n'est que juste de tenir compte.

Quelle ferveur accompagna chez lui ce grand acte de la vie chrétienne, nous pouvons aisément nous l'imaginer si nous nous reportons à sa grande piété des jours de sa plus tendre enfance et au grand esprit de foi qui devait le distinguer plus tard. Par ailleurs, nous savons qu'aujourd'hui encore l'évêque missionnaire des Esquimaux correspond avec le prêtre qui lui prêcha la retraite préparatoire et avec celui qui, alors simple rhétoricien, remplit vis-à-vis de lui le rôle d'ange gardien, selon le touchant usage de l'institution où il se trouvait.

Puis ce fut, au sanctuaire même de N.-D. de la Délivrande, sa réception du sacrement de confirmation, administré par Sa Grandeur Mgr A. Hugonin, alors évêque de Bayeux. Parfait chrétien dès lors, il était prêt à affronter avec quelque chance de succès les dangers de la vie au seuil de l'adolescence, où il n'allait pas tarder à entrer.

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Avec son idéal de missionnaire toujours présent à l'esprit, le jeune étudiant était heureux d'apprendre. La science était, en effet, un grand pas qui le rapprochait d'autant du but qu'il se proposait. Or, très bien doué par la nature, il jouissait, entre autres avantages, d'une mémoire remarquable. Il lui suffisait de lire ses leçons en descendant les escaliers pour faire bonne figure sur les bancs de la classe.

Le temps libre ne lui manquait donc pas. Aussi ne se gênait-il pas pour se laisser aller à toutes sortes d'espiègleries, ne laissant échapper aucune occasion de jouer quelque bon tour aux uns et aux autres. Ses professeurs disaient qu'il « avait du vif-argent dans les veines »
.
La première manifestation de cette tendance à l'espièglerie que nous connaissions fut de s'approprier un certain nombre de blancs de permissions, et de les revêtir de la signature du Supérieur ou du préfet de discipline. Il voulut en récompenser ses amis, si bien que la chose fût découverte et la supercherie rendue impossible. On ne dit pas s'il en fut puni.

Il dut donc renoncer aux faveurs dont il aurait voulu gratifier les uns et les autres, et se contenta dès lors de jouer au plus fin avec le préfet de discipline, qu'il avertissait d'avance du jour ou de l'heure où il sortirait de la classe ou du dortoir, en marge du règlement.

Pourtant, jamais rien de prémédité, rien qui sentît le parti pris ou pût évoquer le soupçon d'un complot, mais un esprit prime-sautier qui, comme à son insu, le portait à ce qu'on est convenu d'appeler la dissipation (8) . Celle-ci était en évidence surtout à la salle d'études, où il ne mettait pas grand temps à faire ses thèmes ou versions et à écrire ses compositions.

Vif, prompt, toujours pressé, notre jeune espiègle était par nature ennemi de tout détour…

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(8) II est assez probable que plusieurs des lecteurs de cet humble ouvrage qui ont déjà lu ma Vie de feu Monseigneur Langevin, O.M.I., archevêque de Saint-Boniface, trouveront des points d'analogie entre ce dernier et le héros de ces pages.
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CHAPITRE I

ENFANCE

(suite)

Vif, prompt, toujours pressé, notre jeune espiègle était par nature ennemi de tout détour et y allait généralement par le plus court chemin. Aussi, lorsqu'il le pouvait sans trop attirer l'attention des autorités, il ne perdait pas son temps à descendre une à une les marches d'un escalier. Ces beaux escaliers tournants qui font l'orgueil de certains établissements français ne sont guère connus au Canada. Celui du petit séminaire de Villiers reliait ensemble trois étages, et sa rampe, qui tournait tout autour d'une ouverture restée béante, était si lisse, si invitante !

Pour un enfant du tempérament d'Arsène Turquetil, la tentation de s'en servir comme de moyen de locomotion était souvent trop forte. En un clin d'œil, il s'y hissait, puis se laissait glisser en spirale — quelque chose de si excitant, de si intéressant ! — et avant le temps où il aurait pu atteindre le palier d'un nouvel étage par la voie naturelle, il arrivait en bas, caressant la rampe du ventre et des jambes. . .

Vers la fin de sa première année de séminaire, cette institution reçut la visite de S. G. Mgr Mélizan, Oblat de Marie Immaculée, évêque dans l'île de Ceylan, Asie. Il parla aux élèves; puis, dans la cour de récréation, il se mit à faire les cent pas, entouré d'un grand nombre d'enfants, en attendant la voiture qui devait le mener à Bayeux.

Le petit Turquetil ne pouvait manquer d'être là. Il réussit à se faufiler au travers des rangs des séminaristes plus âgés, et se trouva vite face à face avec le prélat. Tout d'un coup, celui-ci demande:

— Voyons, qui viendra chez nous?

Le petit bondit pour être mieux entendu.

— Moi, cria-t-il sans hésiter une seconde. Sur quoi Monseigneur de remarquer:

— A la bonne heure, en voilà un.

Mais, quelques minutes plus tard, quand l'évêque-missionnaire monta en voiture, l'aspirant apôtre ne put s'empêcher de demander à son tour :

— Monseigneur, faut-il mettre mon uniforme?

Il voulait simplement partir, et parut fort étonné de voir que la voiture épiscopale s'en allait sans lui! . . .
À SUIVRE : CHAPITRE II. OBLAT DE MARIE IMMACULÉE.
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CHAPITRE II

OBLAT DE MARIE IMMACULÉE

En classe Arsène oubliait pourtant son penchant aux espiègleries dont il était coutumier. Il était alors tout yeux et tout oreilles vis-à-vis du professeur. Aussi leçons, application, explications, tout allait bien. Décidément, c'était un élève brillant, qui promettait en dépit de ses étourderies.

Néanmoins la dissipation de la salle d'études gâtait tellement la moyenne de ses notes que non seulement il ne jouissait pas des sorties d'honneur accordées habituellement comme récompense aux meilleurs élèves, mais il se trouvait consigné aux sorties du mois qui étaient de règle pour tous, excepté ceux qu'on voulait punir.

Il arriva ainsi en troisième. Son directeur qui, après tout, savait qu'il y avait en lui de l'étoffe pour quelque chose de bien — c'était le Révérend Père Eudine, aujourd'hui Dom Eudine, 0. S. B. — l'appela et lui dit:

— Mon enfant, vous voulez être missionnaire?

— Oui, mon Père, répondit Arsène.

— Bah ! fit le prêtre, c'est de l'imagination. Comment voulez-vous devenir missionnaire, prêt à tout supporter, le martyre au besoin, alors que vous n'êtes pas capable de rester cinq minutes tranquille?

— Je vais essayer, mon Père, promit alors le jeune séminariste.

Et il essaya si bien que, deux jours après, le Supérieur le fit venir et lui demanda s'il était malade, ou s'il tramait quelque mauvais coup, ou bien encore s'il avait changé d'idée, car il se passait évidemment quelque chose d'anormal en lui. Le futur missionnaire ne répondit rien, sinon qu'il voulait être sage.

Le Supérieur ne fut pas de suite convaincu, mais dut se rendre à l'évidence. Malheureusement les efforts de l'enfant avaient été tels que sa santé en déclina à vue d'œil, et il fallut l'envoyer en vacances deux mois avant les autres. Et quand, à la rentrée, on lui recommanda la prudence :

— Je comprends, dit-il; mais il faudra m'excuser de temps à autre.

Le jeune homme était donc déjà doué d'une force de volonté, malgré une nature exubérante d'énergie et de sève dynamique, qui devait lui assurer le succès. Avec l'approbation de son directeur, il avait obtenu son admission dans les rangs des aspirants aux Missions étrangères de Paris, et il correspondait avec M. Delpech, qui en était chargé.

Nul doute que cet idéal, fruit de la grâce et indice d'une vocation certaine, ne soutînt le jeune séminariste et l'aidât à persévérer. Un de ses amis raconte que, étant en rhétorique, alors qu'il pensait demander à l'Évêque la permission d'entrer au séminaire des Missions étrangères, on l'invita à être parrain d'un enfant. Avec l'agrément de son curé, il accepta.

Mais au sortir de l'église, quand on lui dit de donner le bras à la marraine, jeune fille de son âge — selon la mode du pays en pareil cas, — il refusa.

— Voyons, fais donc comme tout le monde, lui dit quelqu'un ; c'est ta commère.

— Commère ou compère, peu importe; je suis séminariste, observa le nouveau parrain.

— Mais tu n'es pas encore curé !

— Non, mais je veux être missionnaire.

Et parce qu'il voulait être missionnaire, il demanda, sa rhétorique finie…
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CHAPITRE II

OBLAT DE MARIE IMMACULÉE

(suite)


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Et parce qu'il voulait être missionnaire, il demanda, sa rhétorique finie, la permission d'entrer au séminaire des Missions étrangères à Paris. Il était donc bien ancré dans sa vocation. Mais son évêque lui retourna sa lettre avec, en marge, cette note : « La règle du diocèse est qu'il faut faire deux ans de grand séminaire avant d'obtenir pareille permission », un nouvel obstacle à sa marche en avant. Mais comme ces contretemps semblaient augmenter avec l'âge, il finit par s'y faire, et se soumit sans murmurer, comme d'habitude.

Il entra donc au grand séminaire de Sommervieu, dirigé par les Messieurs de Saint-Sulpice. Il prit la soutane le 21 novembre 1893, un pas de plus vers le but suprême.

A Sommervieu les grands séminaristes passent deux ans à étudier la philosophie, après quoi ils entrent au grand séminaire de théologie qui se trouve à Bayeux même. Le jeune lévite fut saisi par cette atmosphère de dignité, de calme, de respect mutuel qui est le propre des institutions de Saint-Sulpice. A sa première entrevue avec son directeur, il lui fit part de son intention bien arrêtée d'aller aux Missions étrangères aussitôt ses deux années de philosophie terminées.

— Eh ! bien, M. l'abbé, fit le bon Sulpicien, nous en reparlerons dans deux ans — encore de l'eau froide jetée sur son enthousiasme! Il y était habitué: il se soumit encore.

Ce fut donc le silence absolu sur cette question pendant deux ans.

La seconde année touchait à sa fin. Il n'en restait plus que deux semaines, lorsque le T. R. P. Cassien Augier (1), alors Assistant Général de la Congrégation des Oblats de Marie Immaculée, arriva du Sud africain, et, un jour de congé, donna aux grands séminaristes une conférence sur les travaux de ses frères en religion au pays qu'il venait de visiter.

Sa grande croix d'Oblat impressionna l'abbé Turquetil, et la vie du missionnaire telle que l'étranger la décrivit répondait bien à l'idéal du jeune ecclésiastique. Volontiers il eût été trouver le religieux pour lui dire qu'il désirait se faire Oblat. Mais il ne voulait plus obéir à un enthousiasme qui eût pu être éphémère. En matière si grave, il devait consulter son directeur. En vain un jeune abbé vint-t-il lui dire que le P. Augier désirait le voir.

— Comment? dit Turquetil, il ne me connaît point.

— C'est moi qui lui ai parlé de vous, admit son interlocuteur.

— Mais qui vous a dit que je voulais être missionnaire?

— Oh ! cela se voit bien ; tout le monde le dit.

Pourtant M. Turquetil n'alla point voir le conférencier. Il commençait à se défier de lui-même.

Quelques jours plus tard, c'était la dernière direction. Le Sulpicien aborda de lui-même la question.

— Vous m'avez dit il y a deux ans que vous vouliez être missionnaire, fit-il. J'approuve votre vocation. Vous pouvez aller à Paris, aux « Missions étrangères », si vous y tenez. Cependant, vu votre tempérament qui a besoin d'être contenu, vous feriez mieux de choisir une Congrégation de missionnaires; là les supérieurs vous guident, vous forment. En suivant leurs directions, vous ferez plus de bien.

— Mais laquelle choisir ? Je n'ai jamais pensé à aucune, remarqua le séminariste.

— Vous avez les Maristes, vous avez les Oblats, deux Congrégations excellentes. Choisissez.

Le choix de l'abbé Turquetil tomba sur les Oblats…


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(1) Cet excellent Père est toujours mentionné avec son prénom, pour le distinguer de son frère Célestin, Oblat comme lui, et Provincial en France et au Canada. Le Père Cassien devait lui-même devenir Général de sa Congrégation, et resta toujours un homme aussi aimable que capable.
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