Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de S. Matthieu

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Laetitia
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Sermon du Vénérable Louis de Grenade pour la fête de S. Matthieu

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DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT MATTHIEU, APOTRE ET ÉVANGÉLISTE.

Explication de la vision mystique des quatre animaux du prophète Ezéchiel.


Similitudo vultus eorum (animalium ) : facies hominis, et facies leonis a dextris ipsorum quatuor ; facies autem bovis, a sinistris ipsorum quatuor, et facies aquilæ desuper ipsorum quatuor.
Pour ce qui est de la forme des quatre animaux, ils avaient tous quatre une face d'homme, tous quatre à droite une face de lion, tous quatre à gauche une face de bœuf, et tous quatre au dessus une face d'aigle.
Ezech., I, 10.



Puisque l'Eglise célèbre aujourd'hui la fête de l'évangéliste saint Matthieu, il ne sera pas hors de propos d'expliquer dans le présent discours, avec la grâce de Dieu, la vision des quatre animaux mystiques dont le prophète Ézéchiel a tracé la description. Ces quatre animaux représentent les fonctions, le caractère et la dignité des évangélistes et des hommes d'une vertu parfaite, selon que l'Eglise le déclare dans l'office de ce jour où elle dit au Seigneur : « Vous avez figuré par les animaux célestes, les illustres prédicateurs de l'Evangile, et la fonction sublime dont vous les avez revêtus. « Notre intention, mes frères, est donc de vous entretenir de cette admirable et mystérieuse vision. Nous vous proposerons les réflexions que les saints Pères ont faites à ce sujet, et ce que le temps nous permettra à nous-mêmes de dire. Mais auparavant implorons humblement le secours d'en haut par l'intercession de la très-sainte Vierge. Ave Maria.

Lorsqu’un médecin voit quelqu'un de ses malades en proie à un profond dégoût qui met sa vie en danger, il s'ingénie à lui faire préparer et assaisonner différentes espèces d'aliments, afin que la nourriture qui, sous une forme, rebuterait le malade, puisse, sous une autre, réveiller et aiguiser son appétit. Ainsi fait la divine sagesse. Voyant les hommes prendre en dégoût l'aliment de la doctrine spirituelle, elle a imaginé divers moyens de la leur faire goûter, afin que ce qui pour les faibles n'aurait aucun attrait si on le présentait sous une forme, excitât sous une autre le palais de l'âme, et triomphât de ses répugnances. Elle propose donc certaines vérités dans toute la simplicité de la doctrine ; elle assaisonne les autres du charme et de l'agrément du récit ; elle expose celles-ci dans une parole claire et dégagée de toute figure ; elle enveloppe celles-là sous le voile de paraboles et d'allégories dont il faut chercher le sens avec le plus grand soin. Cette dernière manière d'enseigner est la plus féconde, parce que le langage figuré ouvre la voie à un grand nombre d'interprétations différentes auxquelles il peut s'appliquer. Elle a en outre cet avantage que plus elle est obscure et difficile à comprendre, plus elle provoque chez les âmes religieuses le désir de pénétrer le sens mystérieux qu'elle renferme. Ce n'est pas sans raison, en effet, que le poète a dit : Nitimur in vetitum semper cupimusque negata. « La défense est un attrait pour nous, et le refus irrite nos désirs. »
Je n'en veux pas d'autre exemple que la vision d’Ezéchiel, vision qui renferme presque autant de mystères que de mots. Le Seigneur remplit ce prophète de son esprit, et l'envoya en captivité à Babylone avec les autres Juifs, afin qu'il pût leur annoncer les volontés et les oracles divins. N'est-ce pas ici le lieu d'observer avec Origène que la justice de Dieu n'est jamais tellement sévère qu'elle ne soit tempérée par la miséricorde ? Ainsi Dieu punit par la captivité et l'exil un peuple pécheur, voilà sa justice ; mais il remplit le prophète de son esprit et l'envoie au milieu des captifs pour les instruire et les détourner de leurs voies impies, voilà sa miséricorde.

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Comme tout le zèle des prophètes a eu principalement pour objet le salut des hommes, salut qu'ils savaient devoir être apporté au monde par Jésus-Christ, la première vision d’Ézéchiel a trait à ce grand ouvrage. Elle renferme l’avènement de Jésus-Christ, la prédication de l’Évangile, le caractère des hommes apostoliques chargés de l'annoncer et enfin la conversion des Gentils qui devait être le fruit de leur mission. Le prophète commence donc ainsi :
« En la trentième année, le cinquième jour du quatrième mois, étant au milieu des captifs près du fleuve Chobar, les cieux furent ouverts, et j'eus des visions divines ». Voici ces visions. Aux regards du prophète parut un char triomphal, et sur ce char un trône, et sur ce trône comme un homme assis, environné d'un feu qui répandait autour de lui une éclatante lumière. Ce char s'appuyait sur quatre roues travaillées avec un art merveilleux. Quatre animaux, d'une forme étrange, transportaient les roues et le char partout où ils allaient eux-mêmes. — Selon l'interprétation des Saints Pères, le personnage semblable à un homme assis dans un trône sur le char, c'est Jésus-Christ, le fils de Dieu, revêtu de l'humaine nature. Les animaux qui portent le char désignent les apôtres, les évangélistes et tous les hommes évangéliques qui allèrent porter à travers le monde la connaissance et la gloire du Verbe incarné et la bonne nouvelle du salut. Les roues qui suivent les mouvements des animaux, sont l'image des peuples fidèles qui, dociles aux enseignements des apôtres et partageant avec eux la même foi, obéissent à un commun maître.

Ces roues tournent facilement pour nous marquer l'obéissance prompte et empressée qui doit animer les peuples soumis à la foi. Mais laissons cela, et occupons-nous tout spécialement de la figure des animaux qui représentent les hommes évangéliques et parfaits. C'est aux parfaits, ou à ceux qui sont désireux de le devenir, que nous nous adressons spécialement aujourd'hui.
« Comme nous sommes redevables aux sages et à ceux qui ne le sont pas, » Rom. , I, 14, c'est-à-dire aux parfaits et aux imparfaits, nous devons aux uns et aux autres de salutaires instructions.
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Remarquons d'abord que chacun des animaux mystérieux avait quatre faces : une face d'homme, une face de lion, une face de bœuf, et au-dessus une face d'aigle. De plus, chacun avait également quatre ailes, deux par lesquelles ils se tenaient l'un l'autre, et deux dont ils couvraient leurs corps. Sous chacune de leurs ailes étaient des mains d'homme. Ces animaux paraissaient, à les voir, comme des charbons embrasés et comme des lampes ardentes. Leurs pieds étaient droits, mais la plante en était semblable à la plante du pied d'un veau. Leurs faces et leurs ailes s'étendaient en haut. Et ce qu'il y a de plus admirable c'est que, tandis que le nombre de leurs mains, de leurs pieds et de leurs ailes était déterminé, il n'en était pas ainsi de leurs yeux. Ces yeux innombrables couvraient leur corps, devant, derrière, tout autour.

Voilà pour la forme de ces animaux. Quant à leur mouvement, le prophète ajoute : partout où allait l'esprit, les animaux le suivaient, et lorsqu'ils marchaient, ils ne se retournaient point. Ils allaient et revenaient comme des éclairs qui brillent dans l'air.

Telle est en abrégé la description des animaux que vit le prophète. Qui pourrait douter que tout cela ne soit rempli de mystères, et quel est l'homme assez indifférent, assez distrait pour ne pas souhaiter de pénétrer le sens de cette vision ? Mais, qui serait assez hardi pour l'entreprendre, sans l'assistance et les leçons du divin esprit ? J'ose dire, en effet, que ce premier chapitre d’Ézéchiel renferme tant de mystères et une si grande abondance de doctrine, que tout ce que les maîtres de la vie spirituelle ont enseigné dans leurs discours ou leurs écrits s'y trouve contenu. Mais cette doctrine demande des auditeurs dont les cœurs soient purifiés et enflammés du désir de leur perfection. Si tous ceux qui sont ici rassemblés n'ont point ces dispositions, ils pourront du moins comprendre, en entendant cette sublime et céleste doctrine, combien ils sont éloignés de la perfection chrétienne, et ce qu'ils ont à faire pour y atteindre. Mais il est temps d'aborder notre sujet.

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I.

Nous avons dit que les quatre animaux figurent les hommes évangéliques. Chacun d'eux a quatre faces, qui désignent les quatre vertus principales des vrais disciples de l'Evangile. Tout
homme qui est saint a d'abord la face de l'aigle. L'aigle, vous le savez, aime les lieux les plus élevés ; il contemple le soleil d'un œil fixe, et si, pressé par la faim, il descend par fois dans les régions inférieures, aussitôt qu'il est rassasié il reprend son vol et s'élance dans les hauteurs du ciel, qui sont pour ainsi dire sa propre demeure. N'est-ce pas là une fidèle image de la vie des saints dont presque toute l'occupation est de contempler les choses célestes ? Aussi l'un d'eux disait : « Pour nous, nous vivons déjà dans le ciel. » Nostra autem conversatio in cælis est. Philip. III, 20. « Nous ne considérons point les choses visibles, mais les invisibles ; parce que les choses visibles sont temporelles, mais les invisibles sont éternelles. » Non contemplantibus nobis quæ videntur, sed quæ non videntur ; quæ enim videntur, temporalia sunt, quæ autem non videntur, æterna sunt. II Cor. IV, 18. L'Eglise dit de l'homme juste que son corps seul habite ce lieu de pèlerinage, mais qu'il vit par sa pensée et ses désirs dans l'éternelle patrie. N'est-ce pas là ce à quoi l'Apôtre invite les fidèles lorsqu'il leur adresse ces paroles : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez ce qui est dans le ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu, n'ayez du goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre ? Si consurrexistis cum Christo, quæ sursum sunt quærite, ubi Christus est in dextera Dei sedens: quæ sursum sunt sapite, non quæ super terram. Coloss. III, 1, 2. Que nous apprennent autre chose les exemples de tant de saints anachorètes qui, consacrant leur vie tout entière à la contemplation des choses divines, ne descendaient de ces hauteurs pour s'occuper des choses terrestres, qu'autant que les inévitables nécessités du corps les y contraignaient ? « Ayant de quoi se nourrir et de quoi se couvrir, ils étaient contents, » I Tim., VI, 8, et ne souhaitaient rien autre chose, de peur que le soin des biens de la terre ne les détournât de la considération des biens du ciel. Telle est la première vertu des saints, figurée par la face de l'aigle.

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Mais ce n'est pas assez pour l'homme évangélique d'avoir la face de l'aigle, s'il n'a aussi la face de l'homme; c'est-à-dire qu'il doit, avec un grand sentiment d'humanité et de bonté, s'accommoder aux hommes, les instruire par ses leçons, les exciter par ses exemples, se les attacher par ses bienfaits, user envers tous de modération et de douceur, supporter patiemment leurs injures et leurs outrages, se montrer aimable envers tous, n'être pour personne une pierre d'achoppement, se conformer aux mœurs de ceux avec lesquels il vit ( sans toutefois manquer à la loi divine ), afin de les attirer tous à la piété et de les gagner à Jésus-Christ. Cette face de l'homme nous la trouvons bien marquée dans l'apôtre saint Paul, qui savait si bien s'accommoder au caractère et aux usages des Juifs et des Gentils, de ceux qui vivaient sous la loi, et sans la loi, qu'il pouvait dire avec vérité : « Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous. » Omnibus omnia factus sum, ut omnes facerem salvos. I Cor., IX, 22. Et quel touchant langage que celui qu'il adresse aux Thessaloniciens : « Nous nous sommes conduits parmi vous, leur dit-il, avec une douceur d'enfant, comme une nourrice qui a soin de ses enfants. Ainsi dans l'affection que nous ressentons pour vous, nous aurions souhaité de vous donner non-seulement la connaissance de l'Evangile de Dieu, mais aussi notre propre vie, tant était grand l'amour que que nous vous portions. » Facti sumus parvuli in medio vestrum, tanquam si nutrix foveat filios suos. Ita desiderantes vos, cupide volebamus tradere vobis non solum Evangelium Dei, sed etiam animas nostras : quoniam charissimi nobis facti estis. I Thess., 7, 8. N'atteste-t-il pas ouvertement qu'il a changé la face de l'aigle en la face de l'homme, lorsqu'il dit aux Corinthiens : «  Soit que nous soyons emportés comme hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu : soit que nous nous tempérions, c'est pour vous, parce que l'amour de Jésus-Christ nous presse. » Sive enim mente eccedimus, Deo : sive sobrii sumus, vobis. Charitas enim Christi urget nos. II Cor., V, 13, 14. En d'autres termes : Nous descendons de ces contemplations sublimes où, comme l'aigle, nous soutenons d'un regard fixe l'éclat de la beauté divine, et où transportés hors de nous-mêmes nous nous élevons à des hauteurs inaccessibles aux hommes, nous descendons de ces sommets pour vous instruire et nous proportionner à votre faiblesse, ne consultant pas, Dieu nous en est témoin, nos sentiments et nos goûts, mais votre avantage.

Mais qu'ai-je besoin de l'exemple du disciple, quand je puis citer celui du Maître ? Notre divin Sauveur, le Verbe invisible dans le sein du Père, n'a-t-il pas revêtu la forme et la nature véritable de l'homme, afin que les hommes pussent, sous cette forme, le connaître, l'aimer et l'imiter ? Ne le voyons-nous pas, en effet, dans l'évangile de ce jour, manger et converser avec des publicains et des pêcheurs ? Pourquoi a-t-il pris la forme et la nature de l'homme, sinon pour sauver les hommes ?
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Chacun des quatre animaux mystiques avait en outre la face d'un bœuf. Le bœuf est un animal dur au travail et destiné à l'immolation et au sacrifice. Il est pour cette raison le symbole de la mortification, vertu si nécessaire à la vie spirituelle. Celui qui veut en effet embrasser cette vie, doit mourir au monde, ne plus vivre que pour Dieu, se laisser guider par l'esprit et non par les passions de la chair; il doit enfin, selon la parole de l'Apôtre, « être l'imitateur de Dieu, comme étant son enfant bien-aimé. » Ephes., v, 1.
Or,comment pourra-t-il être un homme spirituel, s'il ne cesse d'être un homme charnel ? et comment cessera-t-il d'être un homme charnel, s'il ne tranche au vif dans les passions de la chair ? « Je sais, disait saint Paul, qu'il n'y a rien de bon en moi, c'est-à-dire dans ma chair. » Scio quia non habitat in me, hoc est in carne mea, bonum. Rom., VII, 18. Comment donc pourrai-je devenir bon, si je ne travaille avec soin à extirper ces germes de corruption qui pullulent dans ma chair de péché ? Telle était la constante occupation de l'Epouse du Cantique, comme l'attestent ces paroles : « Mes mains, dit-elle, étaient toutes ruisselantes de myrrhe, et mes doigts étaient pleins de la myrrhe la plus précieuse. » Manus meæe stillaverunt myrrham, et digiti mei pleni myrrha pretiosissima. Cant. v, 5. La myrrhe désigne l'exercice de la mortification. L'Epouse dit que ses mains et ses doigts sont pleins de la myrrhe la plus précieuse, parce que le principal devoir de la vie chrétienne consiste à soumettre la chair et à réprimer ses convoitises, ce qui ne peut se faire sans peine et sans effort.
Il faut remarquer ici que c'est bien moins dans la charité, qui est la fin de la vie chrétienne, que dans la voie qui conduit à la charité que se trouve tout le travail. Un bois humide ne peut s'allumer qu'autant qu'on lui a fait perdre son humidité. Ainsi en est-il de l'âme ; elle ne peut s'embraser des ardeurs de la charité, qu'autant qu'elle est dégagée des passions. Vous voyez donc, mes frères, combien la vertu de mortification, dont le bœuf est l'emblême, est nécessaire aux hommes parfaits. Bon nombre présentent la face de l'aigle et de l'homme qui refusent d'avoir aussi la face du bœuf, parce qu'ils ont horreur de la mortification. Tel n'était pas celui qui disait : « Je traite rudement mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu'ayant prêché les autres, je ne sois reprouvé moi-même. » Castigo corpus meum et in servitutem redigo, ne forte, cum aliis prædicaverim, ipse reprobus efficiar. I Cor., ix, 27.

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Le quatrième animal avait la face du lion, symbole de la force. Voici en effet ce que nous lisons au Livre des Proverbes :: « Le lion, le plus fort des animaux, ne craint rien de tout ce qu'il rencontre. » Leo, fortissimus bestiarum, ad nullius pavebit occursum. Prov., xxx, 30. La vertu de force comprend deux actions dont l'une consiste à entreprendre résolument les choses difficiles, et l'autre à supporter avec patience les peines et les adversités. Cette dernière action de la force, qui est supérieure à la première, a paru avec tant d'éclat dans les apôtres et les autres hommes évangéliques que « ils ont servi de spectacle au monde, aux anges et aux hommes. » I Cor., iv, 9. C'est aussi par cette vertu que la rédemption du monde a été opérée, et que l'Eglise a été fondée et établie. N'est-ce pas en effet par sa passion et sa croix que Notre-Seigneur Jésus-Christ a racheté le monde, et qu'il s'est uni à l'Eglise, dont il a fait son Epouse ? Aussi a-t-on dit que sa patience fut la robe nuptiale dont il était revêtu, quand sur la croix il prit l'Eglise pour Epouse ? C'est par l'énergie indomptable de leur patience, que les apôtres et les imitateurs des apôtres, les martyrs, ont fondé la foi et l’Eglise, et nous l'ont transmise pure et intacte. Quel courage en face des supplices ! Bien loin de les redouter, ils en avaient soif, et désiraient la mort avec ardeur.

Nous en avons un exemple admirable dans les compagnons de saint Maurice, dont nous célébrerons demain la fête. Ceux d'entre eux qui avaient été désignés par le sort pour verser leur sang pour la foi, se disputaient en quelque sorte les coups du bourreau, tant ils craignaient de perdre la couronne du martyre, objet de tous leurs vœux ! Sainte Prisca, fille d'un sénateur, se plaignait avec force au préfet qui l'avait condamnée au supplice, de ce qu'il faisait périr des chrétiens d'une naissance vulgaire avant elle qui était de noble extraction et d'un sang illustre. Un martyr livré aux plus cruels tourments ne proférait aucune plainte qui trahît sa douleur. Le juge en était étonné ; il demanda au martyr comment au milieu de pareilles tortures, il pouvait rester muet et réprimer ses gémissements ? Parce que, répondit le soldat de Jésus-Christ, les chrétiens ont pour règle de garder le silence, lorsqu'ils prient. - Quoi de plus admirable, mes frères, qu'une telle patience ? Ainsi donc c'est par cette vertu que l'Eglise du Sauveur a été établie et solidement affermie « afin que les portes de l'enfer ne prévalussent point contre elle. » Matth., XVI, 18. Si cette patience avait manqué aux martyrs, nous n'aurions pas aujourd'hui d'Eglise. Voyez vous maintenant comment pour propager la foi et manifester à toutes les nations la gloire et le triomphe de Jésus-Christ, il était besoin de pareils ministres, ayant tout à la fois la face du lion, du bœuf, de l'aigle et de l'homme ?

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II.

Nous avons dit en outre que chacun des ces animaux était pourvu de quatre ailes, dont deux, qui étaient jointes ensemble, leur servaient à s'élever, et deux à leur couvrir le corps.
Comme les oiseaux sont portés dans l'air par leurs ailes, ce n'est pas sans raison que l'on a fait des ailes le symbole de la contemplation des choses célestes. Les deux ailes supérieures me paraissent désigner l'intelligence et la volonté, à l'aide desquelles notre âme prend son essor. En effet, ni la volonté sans l'intelligence, ni l'intelligence sans l'affection de la volonté, ne peuvent s'élever dans les régions de la piété ; car la sagesse, qui est comptée la première entre les dons de l'Esprit-Saint, s'appuie sur deux forces dont l'une se rapporte à l'intelligence et l'autre à la volonté.
Ces deux ailes sont jointes ensemble, c'est-à-dire que l'intelligence et la volonté doivent marcher d'un pas égal, de telle sorte que ce que l'une perçoit, l'autre le sente, et que l'affection de la volonté soit proportionnée à la grandeur des choses que l'intelligence lui présente. Il en doit être ainsi, pour qu'on ne puisse pas nous appliquer ce qu'on dit de la plupart des sages du siècle, que leur intelligence est prompte et vive en son essor , mais que la volonté ne suit que lentement ou point du tout ce mouvement.
Ce reproche ne s'aurait assurément convenir aux hommes évangéliques, dont « les ailes sont unies, » parce que leur intelligence et leur volonté se portent simultanément vers Dieu.

Les animaux se couvraient le corps des deux autres ailes. Ces deux ailes figurent la charité,-qui a un double objet, Dieu et le prochain, -parce que « la charité a la propriété de couvrir beaucoup de péchés. » Charitas operit multitudinem peccatorum, I Petr., IV, 8. Elles figurent également les deux parties de la vertu de pénitence, la douleur du passé et le fermé propos pour l'avenir, qui couvrent la nudité de l'âme repentante. Elles ne figurent pas moins la justice et la miséricorde, ces deux vertus dont l'une consiste à ne nuire à personne, et l'autre à être utile à tous, ces deux vertus qui résument toutes les autres, et qui font à l'âme un riche vêtement; car ce qui fait la parure de l'âme, ce n'est point l'or ni les diamants, mais l'amour et la pratique des vertus.
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Mais pourquoi ces animaux avaient-ils des mains sous leurs ailes ?-Nous avons dit que les ailes désignaient la contemplation des choses célestes. Quant aux mains, à l'aide desquelles nous accomplissons presque toutes les œuvres extérieures, elles sont le symbole de l'action. Les mains de ces animaux étaient jointes à leurs ailes, pour nous faire entendre que nous ne devons jamais nous livrer tellement à la contemplation, que nous négligions de pratiquer les bonnes œuvres et de soulager le prochain ; comme aussi notre zèle et notre charité pour le prochain ne doivent jamais nous absorber au point de nous faire abandonner la prière et les pieuses méditations. Quoique la vie contemplative l’emporte en excellence sur la vie active, celle-là cependant n'est que de conseil, tandis que celle-ci est de précepte ; la première est une chose plus volontaire, la seconde une chose plus nécessaire.
Chaque fois, en effet, que votre prochain se trouve dans une situation telle que votre secours peut seul le sauver d'un grand péril, vous devez laisser là les plus sublimes contemplations pour assister votre frère. Ce principe n'est-il pas la condamnation des personnes qui, pour s'adonner plus librement aux exercices de la vie intérieure, remplissent avec négligence les devoirs de leur état et de leur condition ? Les femmes doivent donc obéir fidèlement à leurs maris, les enfants à leurs parents et les serviteurs à leurs maîtres; lorsque les uns et les autres se seront acquittés ponctuellement de leurs devoirs à cet égard, ils pourront alors consacrer le temps qui leur restera aux pratiques de la vie contemplative. Il faut dire la même chose des prélats à l'égard de ceux qui sont confiés à leur sollicitude pastorale. L'amour de la contemplation ne doit jamais leur faire perdre de vue le soin de leur troupeau ; autrement il est à craindre que, pendant qu'ils sont comme Moïse sur la montagne, occupés des choses divines, le peuple laissé dans la vallée ne façonne un veau d'or et ne se prosterne devant lui.

Ce n'était pas ainsi qu'agissait notre divin Sauveur, lorsque, aux approches de sa passion, prosterné dans le jardin des Oliviers, il interrompait son oraison, se rendait auprès de ses disciples pour les avertir du danger qui menaçait, revenait se mettre en prières, et bientôt retournait à ses disciples leur recommandant de veiller et de prier afin de ne point tomber dans la tentation.
Combien sont éloignés de ce modèle ceux ( et le nombre en est grand) qui séduits par les charmes de la contemplation et l'amour de la solitude, refusent d'accomplir les œuvres de charité et de miséricorde ! Ces occupations, disent-ils, leur font perdre la paix et la tranquillité de l'âme; ils ne peuvent se répandre parmi les hommes sans commettre de nombreuses fautes et sans que leur piété en reçoive quelque atteinte. Ceux qui sont dans de semblables dispositions ont à la vérité des ailes, mais ils n'ont pas de mains, et méritent par conséquent d'être rangés parmi les membres infirmes et imparfaits de l'Eglise. Les parfaits, au contraire, montrent le même zèle et la même ardeur, soit dans la solitude, soit au milieu de la foule, soit avec Dieu, soit avec les hommes, soit dans le repos, soit dans les affaires, ils sont, comme on dit, ambidextres, également habiles dans l'action et dans la contemplation, se livrant à l'une sans abandonner entièrement l'autre. Fidèles à la recommandation de saint Jean Climaque, ils savent conserver la paix intérieure au milieu des occupations extérieures, et lorsque celles-ci sont achevées, ils reviennent avec empressement aux exercices de la contemplation qu'ils ont été forcés d'interrompre, se répétant pour s'encourager ces paroles du Prophète : « Rentre, ô mon âme, dans ton repos, parce que le Seigneur t'a comblée de biens. » Convertere, anima mea, in requiem tuam, quia Dominus benefecit tibi. Ps. CXIV, 7.

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Il est dit des animaux que vit Ezéchiel, que « ils allaient et revenaient comme des éclairs qui brillent dans l'air. » Ainsi font les hommes dont nous parlons. Chaque fois qu'ils ont accompli l’œuvre de charité qui réclamait leur action, ils reviennent avec la plus grande promptitude à l'exercice de la contemplation, avant que la ferveur de leur dévotion n'ait eu le temps de se refroidir.
Ils comprennent et ils ont appris à leurs dépens, combien est vraie cette parole de saint Antoine rapportée par saint Athanase : La solitude et la méditation des choses spirituelles sont pour les âmes vraiment pieuses ce que l'eau est pour les poissons. De même, en effet, que les poissons qu'on a tirés hors de l'eau, s'y replongent le plus promptement qu'ils peuvent, ainsi les saints que quelque devoir impérieux de la charité appelle au milieu des hommes, reviennent le plus tôt qu'ils peuvent aux exercices de la vie intérieure. Ils craignent qu'un trop long contact avec le monde n'imprime à leur âme quelque souillure, ou que, l'ardeur de la charité venant à s'affaiblir dans leur cœur, ils n'aient tout à faire pour parvenir de nouveau au point où ils s'étaient élevés. Combien, en effet, à qui leur manque de précautions sur ce point a été nuisible ! C'était un pressant motif de charité ou l'ordre des supérieurs qui les avait d'abord engagés dans les occupations extérieures, mais ces occupations les ont tellement absorbés qu'ils n'ont pas su s'en débarrasser, et que, ayant perdu leur ferveur première, ils sont demeurés pendant toute leur vie dans un déplorable état de froideur. Ils avaient bien essayé de reprendre les exercices de la vie intérieure, mais, découragés par les difficultés qu'ils rencontraient dans le chemin, ils les ont entièrement abandonnés. On peut dire, en effet, de la dévotion que « elle est comme un souffle qui passe et ne revient plus, » Ps. LXXVII, 39, ou du moins,si elle revient après une longue interruption, ce ne sera que difficilement.

Tel est le danger dans lequel on a vu tomber un grand nombre de moines et de religieux. Au commencement de leur conversion, libres de toute affaire extérieure, ils ne s'occupaient que de Dieu et jouissaient de la douceur et des délices de la contemplation, mais lorsqu'ensuite par obéissance ou à l'occasion de leurs études ils ont passé de la contemplation aux œuvres extérieures, ils s'y sont engagés si imprudemment qu'ils ont fini par abandonner les exercices de l'homme intérieur. Il ne suffit pas en effet d'embrasser ces sortes d’œuvres par un motif d'obéissance ou de charité pour pouvoir se promettre une pleine et entière sécurité ; il faut y apporter des précautions, afin d'accomplir ce qui est juste non-seulement avec justice, mais encore avec prudence.

Saül avait été appelé malgré lui au trône par le Seigneur, il se cacha même dans sa maison pour échapper à la dignité royale ; mais lorsqu'il eut été revêtu de cette dignité, il en remplit les fonctions avec si peu de sagesse et de prudence qu'il fut abandonné de celui qui l'avait lui-même choisi. Les saints donc, semblables aux animaux mystiques d'Ezéchiel, reviennent avec la rapidité de l'éclair aux exercices de la vie intérieure, lorsqu'ils ont été obligés de les quitter ; ils craignent avec raison que, en donnant plus de temps qu'il n'est nécessaire aux occupations extérieures, ils ne puissent plus s'en débarrasser. Mais poursuivons notre explication.

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