DEUXIÈME SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT MATTHIEU, APOTRE ET ÉVANGÉLISTE.
Explication de la vision mystique des quatre animaux du prophète Ezéchiel.
Similitudo vultus eorum (animalium ) : facies hominis, et facies leonis a dextris ipsorum quatuor ; facies autem bovis, a sinistris ipsorum quatuor, et facies aquilæ desuper ipsorum quatuor.
Pour ce qui est de la forme des quatre animaux, ils avaient tous quatre une face d'homme, tous quatre à droite une face de lion, tous quatre à gauche une face de bœuf, et tous quatre au dessus une face d'aigle. Ezech., I, 10.
Puisque l'Eglise célèbre aujourd'hui la fête de l'évangéliste saint Matthieu, il ne sera pas hors de propos d'expliquer dans le présent discours, avec la grâce de Dieu, la vision des quatre animaux mystiques dont le prophète Ézéchiel a tracé la description. Ces quatre animaux représentent les fonctions, le caractère et la dignité des évangélistes et des hommes d'une vertu parfaite, selon que l'Eglise le déclare dans l'office de ce jour où elle dit au Seigneur : « Vous avez figuré par les animaux célestes, les illustres prédicateurs de l'Evangile, et la fonction sublime dont vous les avez revêtus. « Notre intention, mes frères, est donc de vous entretenir de cette admirable et mystérieuse vision. Nous vous proposerons les réflexions que les saints Pères ont faites à ce sujet, et ce que le temps nous permettra à nous-mêmes de dire. Mais auparavant implorons humblement le secours d'en haut par l'intercession de la très-sainte Vierge. Ave Maria.
Lorsqu’un médecin voit quelqu'un de ses malades en proie à un profond dégoût qui met sa vie en danger, il s'ingénie à lui faire préparer et assaisonner différentes espèces d'aliments, afin que la nourriture qui, sous une forme, rebuterait le malade, puisse, sous une autre, réveiller et aiguiser son appétit. Ainsi fait la divine sagesse. Voyant les hommes prendre en dégoût l'aliment de la doctrine spirituelle, elle a imaginé divers moyens de la leur faire goûter, afin que ce qui pour les faibles n'aurait aucun attrait si on le présentait sous une forme, excitât sous une autre le palais de l'âme, et triomphât de ses répugnances. Elle propose donc certaines vérités dans toute la simplicité de la doctrine ; elle assaisonne les autres du charme et de l'agrément du récit ; elle expose celles-ci dans une parole claire et dégagée de toute figure ; elle enveloppe celles-là sous le voile de paraboles et d'allégories dont il faut chercher le sens avec le plus grand soin. Cette dernière manière d'enseigner est la plus féconde, parce que le langage figuré ouvre la voie à un grand nombre d'interprétations différentes auxquelles il peut s'appliquer. Elle a en outre cet avantage que plus elle est obscure et difficile à comprendre, plus elle provoque chez les âmes religieuses le désir de pénétrer le sens mystérieux qu'elle renferme. Ce n'est pas sans raison, en effet, que le poète a dit : Nitimur in vetitum semper cupimusque negata. « La défense est un attrait pour nous, et le refus irrite nos désirs. »
Je n'en veux pas d'autre exemple que la vision d’Ezéchiel, vision qui renferme presque autant de mystères que de mots. Le Seigneur remplit ce prophète de son esprit, et l'envoya en captivité à Babylone avec les autres Juifs, afin qu'il pût leur annoncer les volontés et les oracles divins. N'est-ce pas ici le lieu d'observer avec Origène que la justice de Dieu n'est jamais tellement sévère qu'elle ne soit tempérée par la miséricorde ? Ainsi Dieu punit par la captivité et l'exil un peuple pécheur, voilà sa justice ; mais il remplit le prophète de son esprit et l'envoie au milieu des captifs pour les instruire et les détourner de leurs voies impies, voilà sa miséricorde.
(à suivre)